toute matière, c’est l’œuvre des hommes d’état, si gouverner est pouvoir ; et quand ils savent borner leurs regards, quand ils cherchent seulement les conséquences éloignées des causes présentes, il n’y a pour eux ni orgueil ni chimère à interroger l’avenir. En effet, si l’avenir a des profondeurs dont l’obscurité reste impénétrable à tout regard, il n’est cependant pas tout entier un mystère, et il contient des inconnues que la réflexion et le calcul ont le droit de dégager. L’incertain est-il le dernier mot de la marine, et la marche à tâtons où les peuples s’agitent sans se diriger ne saurait-elle être orientée par aucune lueur ? Chercher quelles seront désormais les guerres maritimes et quels moyens offriront plus de chances d’y réussir, c’est la meilleure voie de trouver une base à la composition des flottes, à l’organisation des ports, et de préparer un établissement naval fait, pour servir non des caprices passagers, mais des besoins durables, et assez solidement conçu pour survivre même aux progrès qu’il aura précédés.
Une loi contraire préside au développement des forces militaires et des forces maritimes. Les armées s’accroissent par une progression continue qui dans presque tous les pays d’Europe englobe à peu près toute la population valide. Les flottes voient par un mouvement non moins régulier diminuer leurs équipages. Au commencement du dernier siècle, aucune armée ne dépassait deux cent mille hommes, plusieurs flottes atteignaient cent mille ; aujourd’hui, plusieurs armées comptent un million de soldats, pas une flotte n’embarquerait plus de soixante mille matelots. Autant cette contradiction est frappante, autant elle est rationnelle. Sur terre, l’instrument de combat doit être porté à travers tous les obstacles des champs de bataille, et si la tactique ou le désordre fractionnent ou isolent les combattans, donner à chacun le moyen de se défendre. L’arme est individuelle, ses dimensions limitées, la puissance est dans le nombre. Sur mer, l’instrument de combat se meut lui-même et porte ceux qui le manient ; nulle proportion entre sa force et les forces d’aucun d’eux ; sans le concours de plusieurs, nulle manœuvre de navigation ou de guerre : l’arme est collective. Les mêmes actes exigent un personnel plus ou moins considérable, selon que les dispositions intérieures de l’outillage entravent ou facilitent le travail. La puissance des vaisseaux n’a donc pas pour mesure l’effectif des équipages ; jamais ils ne furent plus nombreux que sur les galères. La voile, que l’on tint pour un progrès, réduisit leur nombre ; le vent accomplit avec plus de force