un navire d’une forme spéciale, à fond plat, destiné à agir dans des eaux peu profondes, la prame, originaire de Hollande, apparaît sur d’autres côtes, mais cette dérogation confirmait la règle générale de l’ancienne marine : unité de type, variété de services.
Ces services d’ailleurs étaient toujours incertains, ignorant le jour où ils pourraient prendre le large, les parages où ils seraient portés, le littoral où ils termineraient leur campagne, les navires déployaient leurs voiles à l’aventure et tournaient le cap vers l’inconnu. Si aucun n’était sûr de sa route, combien les navigations de conserve étaient-elles difficiles, et hasardeuses les concentrations entre vaisseaux partis de différens points ! S’attendre, attendre le vent, attendre l’ennemi, voilà les péripéties toujours les mêmes des actions navales. C’est par fortune qu’on rencontre l’adversaire, c’est par fortune qu’on en est séparé ; la guerre navale est un jeu de hasard où les chances croissent sans doute avec les ressources qu’une nation jette sur le tapis vert des océans, mais les marines faibles peuvent comme les fortes tenter ce caprice des événemens qui ne se laisse asservir à personne et que ne fixent ni la puissance ni le courage. Au contraire, plus une entreprise demandait de précision, de régularité et de concert, plus son succès devenait improbable.
Voilà pourquoi les opérations le moins tentées étaient les opérations contre le littoral. Il essuyait dans chaque guerre les insultes de croiseurs isolés : mais, dans les deux derniers siècles, les blocus et les débarquemens faits avec des forces combinées se comptent, et rien n’est plus rare que ces entreprises, sinon leur succès. Parmi celles qui réussirent à une époque voisine de la nôtre, la facile arrivée en Égypte des Français, puis celle des Anglais, durant la révolution, fut considérée comme une rare et égale faveur faite par la fortune aux deux belligérans. L’expédition d’Alger semblait si hasardeuse, que dans le conseil de guerre tenu aux Tuileries pour en décider, tous les amiraux se prononcèrent contre elle ; elle eût été abandonnée sans la volonté du ministre, et cette volonté fut peut-être inflexible parce qu’il n’était pas marin. L’entrée de la flotte française à Lisbonne inspira à tous ce jugement porté par un amiral : « Quelle marine a jamais rien tenté de plus vigoureux, rien de plus téméraire que l’entrée de vive force d’une escadre à voiles dans le Tage ? »
Le véritable champ d’action était la haute mer. Elle offrait la riche proie des bâtimens de commerce : ceux-ci, tant les nouvelles se répandaient lentement, chargeaient dans les ports étrangers et reprenaient la mer qu’ils croyaient encore sûre, bien après les déclarations de guerre. Même connues, elles ne les arrêtaient pas. La France avait formulé, mais sans la faire triompher, la règle que le pavillon