survive dans le présent ; ici non. Un jour s’est élevée subitement comme une tempête de progrès, dans laquelle l’ancienne marine a été engloutie tout entière. Il reste d’elle le souvenir, cette âme des choses, qui se dégage de leur mort ; mais ce que l’œil contemple, ces monumens, ces remparts, ces arsenaux, ces armes, cette apparente majesté qui croît par la durée même, et qui semble encore veiller sur l’avenir, tout est une vaine ombre que projette encore sur l’horizon un passé déjà disparu. L’ombre peut cacher les périls, elle ne les supprime pas. Contre eux, tant ils sont nouveaux, toute marine est nouvelle, et contre eux rien de l’ancien établissement n’est efficace. C’est ce qu’il importe de mettre hors de doute.
Quand le XVIIe siècle, qui donna aux marines comme aux armées de l’Europe une organisation régulière, eut créé ses escadres, l’instrument de combat naval parut fixé. Il ne faut pas s’étonner si l’esprit humain, toujours épris de recherches, se montra ici constant. L’ancienne marine recevait ses lois moins de l’homme que de la nature, et la nature ne change pas. Elle fournissait aux navires leur matière, le bois, et leur moteur, le vent. Pour emprunter sa vitesse au souffle passant sur les flots, l’expérience avait appris à soutenir par des mâts élevés une grande surface de toile, et à la disposer de telle sorte que dans les circonstances habituelles elle se déployât tout entière. Comme l’orientation du vent était rarement identique à celle des navires, son effort tendait à coucher les coques sur un de leurs côtes, et cette inclinaison, dangereuse surtout pour les vaisseaux chargés dans leurs hauts par plusieurs étages d’artillerie, les menait en péril de chavirer. De là la forme des carènes : à la force du vent sur la voile, qui sollicitait le bâtiment à se pencher, on opposait, pour maintenir l’équilibre, la résistance de l’eau sous une coque aux flancs larges et à la quille profonde. Cette stabilité était obtenue aux dépens de la vitesse. Le plus grand obstacle au mouvement est l’inertie de la masse liquide ; cet obstacle croît à mesure qu’elle est refoulée par une surface plus large et plus plane, il diminue à mesure qu’elle est tendue par un coin plus aigu, et la longueur du corps immergé ralentit à peine sa marche par le glissement d’une eau déjà vaincue contre ses bords Mais les dimensions fines étaient interdites aux navires à voiles. Ils n’avançaient droit par leur proue que dans un seul cas, quand le vent poussait arrière ; pour peu qu’il soufflât de côté, ils se déplaçaient suivant une ligne oblique à la direction de leur quille ; enfin dès qu’il changeait