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Page:Revue des Deux Mondes - 1882 - tome 53.djvu/314

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auprès. Enfin je suis arrivé rue Le Bihorel ; ici je t’épargne les détails. Je n’ai pas connu un meilleur cœur que celui du petit Philippe ; lui et cette bonne Léonie ont soigné Bouilhet admirablement. Ils ont fait des choses que je trouve propres. Pour le rassurer, pour lui persuader qu’il n’était pas dangereusement malade, Léonie a refusé de se marier avec lui et son fils l’encourageait dans cette résistance. C’était si bien l’intention de Bouilhet qu’il avait fait venir tous ses papiers. De la part du jeune homme surtout, je trouve le procédé assez gentleman.

« Moi et d’Osmoy, nous avons conduit le deuil ; il a eu un enterrement très nombreux. Deux mille personnes au moins ! Préfet, procureur-général, etc., toutes les herbes de la Saint-Jean. Eh bien ! croirais-tu qu’en suivant son cercueil, je savourais très nettement le grotesque de la cérémonie ? j’entendais les remarques qu’il me faisait là-dessus ; il me parlait en moi, il me semblait qu’il était là, à mes côtés, et que nous suivions ensemble le convoi d’un autre. Il faisait une chaleur atroce, un temps d’orage. J’étais trempé de sueur et la montée du cimetière monumental m’a achevé. Son ami Caudron avait choisi son terrain tout près de celui du père Flaubert. Je me suis appuyé sur une balustrade pour respirer. Le cercueil était sur les bâtons, au-dessus de la fosse. Les discours allaient commencer (il y en a eu trois) ; alors j’ai renâclé ; mon frère et un inconnu m’ont emmené. Le lendemain, j’ai été chercher ma mère à Serquigny. Hier, j’ai été à Rouen prendre tous ses papiers ; aujourd’hui, j’ai lu les lettres qu’on m’a écrites, et voilà ! Ah ! cher Max, c’est dur !

« Il laisse par son testament… à Léonie tous ses livres, et tous ses papiers appartiennent à Philippe ; il l’a chargé de prendre quatre amis pour savoir ce qu’on doit faire des œuvres inédites : moi, d’Osmoy, toi et Caudron. Il laisse un excellent volume de poésies, quatre pièces en prose et Mademoiselle Aissé. Le directeur de l’Odéon n’aime pas le second acte ; je ne sais pas ce qu’il fera. Il faudra cet hiver que tu viennes ici avec d’Osmoy et que nous réglions ce qui doit être publié. Ma tête me fait trop souffrir pour continuer, et d’ailleurs, que te dirais-je ? Adieu, je t’embrasse avec ardeur. Il n’y a plus que toi, que toi seul. Te souviens-tu quand nous nous écrivions : Solus ad solum ? P. S. Dans toutes les lettres que j’ai reçues il y a cette phrase : « Serrons nos rangs ! » Un monsieur que je ne connais pas m’a envoyé sa carte avec ces deux mots : Sunt lacrymæ ! »

Léonie, dont il est question dans la lettre de Flaubert, est une femme excellente qui depuis vingt et un ans n’avait pas quitté Bouilhet, dévouée à toute heure, respectueuse de son travail et