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Page:Revue des Deux Mondes - 1882 - tome 53.djvu/308

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romantisme, rentrée dans l’ordre, continua d’obéir à son chef. Je disais Gautier : « Mais si Hugo vous avait envoyé promener, comme il aurait dû le faire, quel parti auriez-vous pris ? » Il me répondit : « Nous étions si fols que nous aurions proclamé Petrus Borel. » Et il éclatait de rire. Il ajoutait : « On peut avoir pour soi sa règle et son principe, mais il est insensé de vouloir l’imposer aux autres. »

Montaigne a dit : « Après tout, c’est mettre ses conjectures à bien haut prix que d’en faire cuire un homme tout vif. » On ne fait plus cuire personne, Dieu merci ! mais l’intolérance littéraire, qui condamne, sans circonstances atténuantes, tout ce qui ne se traîne pas dans son sentier, pour ne pas dire dans son ornière, fait œuvre d’inquisition autant qu’il est possible à notre époque. Lorsque le prince de Wurtemberg, debout sur les banquettes de Hernani, criait : « À la lanterne ! » en voyant entrer dans la salle un membre de l’Académie française, était-il bien moins sage que les académiciens qui se jetaient aux genoux de Charles X et le suppliaient d’interdire toute représentation d’œuvre romantique ? Le roi seul eut de l’esprit : « Messieurs, en pareil cas, je n’ai que ma place au parterre. » Ceux qui jadis ont lutté avec une violence que l’on eût dit empruntée aux factions politiques se sont réconciliés dans le même oubli qui les enveloppe et n’a pas laissé leurs noms venir jusqu’à nous. J’ai bien peur qu’un sort analogue n’atteigne les ergoteurs d’aujourd’hui, — aussi bien ceux qui crient au scandale que ceux qui crient à la persécution ; — un peu de modestie et beaucoup de tolérance ne messiéraient pas aux combattans. Un livre peut révolutionner le monde, cela est certain ; mais il n’en faut pas conclure que l’on a révolutionné le monde parce que l’on a fait un livre. Aux jours de mon enfance, Mme Cottin remuait les cœurs et agitait les cervelles. Lorsque la bonne femme allait, par hasard, dans un bal, on montait sur les banquettes pour la mieux voir, on se la montrait, on disait : « C’est elle ! » et l’on était ému ; elle fuyait et ne savait où se cacher pour éviter les ovations. Chez ma grand’mère, dans une soirée, un jeune homme, — qui est mort général de division, — se jeta à ses pieds et s’évanouit. Toutes les pendules de son temps représentaient Mathilde et Malek-Adel.

La mode y est pour beaucoup ; il y a le livre du jour chez les libraires, comme le plat du jour chez les restaurateurs : sauce de gourmet la veille, « arlequin » du lendemain. On s’est arraché les romans de Paul de Kock et l’on a passé des nuits à pleurer sur les infortunes des héroïnes du vicomte d’Arlincourt. Plantes annuelles qui croissent et fleurissent avec d’autant plus de rapidité qu’elles doivent bientôt mourir ; la première gelée les détruira et leur fumier fortifiera le petit chêne ou le bouleau qu’elles semblaient devoir