Si j’ai réussi à mettre en lumière les avantages de ce que j’appellerai la politique méditerranéenne opposée à la politique continentale, et les bienfaits de l’alliance franco-anglaise, il me reste à expliquer comment ces avantages ont été méconnues par le gouvernement français, comment ces bienfaits ont été repoussés par lui. C’est ici que se pose la question de savoir si la république est capable d’avoir une politique extérieure, ou si elle est condamnée à dépenser tous ses forces à l’intérieur en des œuvres démocratiques plus ou moins utiles, plus ou moins fécondes, mais qui ne lui laissent aucune énergie pour les entreprises du dehors. Si l’on s’en tenait à la démonstration d’impuissance et de faiblesse qui vient de se faire sous nos yeux, certainement la réponse serait négative. Les deux parlemens de France et d’Angleterre se sont séparés presque à la même date, il y a quelques semaines, mais dans des conditions très dissemblables. En Angleterre, le gouvernement, investi de la confiance des chambres et du pays, est resté en possession de pleins pouvoirs pour assurer, au prix d’une action ferme et d’une guerre courageusement acceptée, les intérêts vitaux de la nation. Nos voisins ont mis longtemps à se rendre compte de la gravité des événemens d’Egypte et à prendre la résolution d’y porter remède ; ils sont partis tard, mais ils sont bien partis. Le jour où ils ont été convaincus de la nécessité d’une action vigoureuse, il s’est produit chez eux un fait remarquable : le ministère Gladstone, fortement ébranlé par la crise irlandaise, affaibli par la perte de quelques-uns de ses membres les plus populaires, a été subitement consolidé ; les conservateurs ont cessé de lui faire opposition ; lord Salisbury n’a pu les décider à la lutte ; en présence d’une complication extérieure, tous les partis se sont unis pour donner au gouvernement l’autorité morale et la force matérielle dont la cause nationale avait besoin. Au même moment, un phénomène inverse se produisait chez nous : un ministère qui jusque-là avait eu l’appui de la chambre, qui par ses faiblesses mêmes avait mérité l’estime de la majorité, a été abandonné de ses amis les plus fidèles. C’est sur la question extérieure que les divisions parlementaires se sont produites avec le plus d’éclat et ont porté leurs plus tristes fruits. Au lieu de fortifier le gouvernement, chacun s’est appliqué à le miner, à le détruire, ce qui s’est trouvé d’autant plus facile à faire qu’il n’avait rien épargné lui-même pour s’enlever tout prestige au dedans, tout crédit au dehors. Les chambres sont parties sur une crise ministérielle où un cabinet impuissant a été renversé et remplacé