yeux, et l’éditeur, en nous les donnant, ne nous les donne pas pour des poètes… Leur mérite est celui de témoins qui, par la fraîcheur de leur récit, nous rendent la sensation de la nouveauté des choses. Les ouvrages de Corneille, de Racine et de Molière sont à nos yeux maintenant comme s’ils avaient toujours été, et, d’ailleurs, comme si quelque signe les avait toujours distingués des autres. Volontiers nous les considérons comme divins et suspendus en dehors du temps et de l’espace dans un éther spécial où résident éternellement les chefs-d’œuvre. Or, les gazetiers, tout naïvement, et sans vouloir nous rien prouver, par leurs bulletins écrits au courant de la plume, — et de quelle plume ! — mais rédigés sincèrement et datés, les gazetiers nous prouvent que les chefs-d’œuvre même sont humains et nés tel jour, en tel lieu, dans les mêmes conditions que tels médiocres ouvrages ; qu’à l’origine rien ne les distinguait évidemment de ceux-ci, pas même, — bien souvent, — le succès. Les uns ont duré, les autres ont péri, mais tous ont commencé de vivre ; et ces fleurs, d’une immortelle beauté, qui nous semblent aujourd’hui détachées de la glèbe et perpétuellement nourries de leur propre substance, ont jeté leurs racines dans le même terrain que d’autres depuis longtemps fanées ; quelques-unes de celles-ci, d’abord, ont brillé du même éclat que celles-là, et, à reconnaître le sol où toutes fleurirent ensemble, nous trouverons peut-être même aux plus belles, à celles dont la splendeur semble ne devoir jamais passer, des parfums plus vivans, plus énergiques, plus voisins de la terre et plus agréables à l’homme, que jusqu’ici, dans notre respect, nous n’osions soupçonner.
Nous comprenons mieux, grâce aux bulletins de ces courriers de cour, cet art classique français qui fut proprement aristocratique, mondain et courtisan. Qu’est-ce qu’un ouvrage de théâtre ? Qu’il soit excellent ou médiocre, d’un bon auteur ou d’un mauvais, c’est avant tout, et plus que jamais au XVIIe siècle, un divertissement. Ce n’est pas, comme peut être un essai de philosophie, ou bien un poème, ou même un roman, une construction solitaire de l’esprit. Qu’il dure ensuite et passe chef-d’œuvre ou bien qu’il périsse et tombe dans l’oubli, d’abord il faut que l’ouvrage de théâtre ait servi un certain jour au plaisir d’une certaine société. Que ses fusées se fixent tremblantes au ciel pour y devenir d’inextinguibles étoiles, ou bien qu’il n’en reste le lendemain que les baguettes noircies et gisantes, il faut qu’un certain soir le feu d’artifice ait été tiré pour le passe-temps d’un certain public, et la première récompense, — la plus sûre, — de l’artificier, est qu’il ait fait, ce soir-là, passer le temps. Ces vérités nous servent à la fois d’avertissement et de consolation : vainement on s’enfermera pour faire de propos délibéré un chef-d’œuvre avec ce détachement des choses du monde que peut affecter le métaphysicien ouïe chimiste ; les fabricans de tragédies qui travaillent dans le vide, à l’abri des contagions