l’empêcha pas de montrer une activité surprenante. Il trouvait le temps de prêcher, de se livrer à l’enseignement, de composer des ouvrages considérables, d’écrire lettres sur lettres, et ce qui mérite surtout d’être noté, c’est que, malgré la reconnaissance qui l’attachait aux Médicis, il garda toujours avec eux son franc-parler. Ainsi il osait écrire à Laurent, dont les débordemens l’inquiétaient : « Au nom du Dieu éternel, je te conjure d’économiser chaque minute de ce temps si court qui nous est accordé. Que la dissipation et ses irréparables conséquences ne te préparent pas des regrets inutiles. Devant moi, quand il avait soixante-dix ans, Côme déplorait amèrement le temps perdu. Les bagatelles et les amusemens stériles te dérobent à toi-même. Ils te rendent esclave, toi qui étais né pour commander. Délivre-toi de cette misérable servitude pendant que tu le peux. Seul, le moment présent t’appartient ; demain, il sera trop tard. » Cette liberté de langage ne déplaisait pas à Laurent, bien qu’il ne tînt guère compte des conseils de Ficin.
Un autre ami de Laurent, sur lequel M. de Reumont nous donne les plus intéressans détails, est Pic de la Mirandole. Fils d’un petit prince italien, il s’adonna dès l’enfance aux études sérieuses avec une incessante ténacité, comme s’il avait dû y chercher un gagne-pain. Grâce à la merveilleuse précocité de son intelligence, à l’étendue de sa mémoire, à la variété de ses connaissances, il conquit de bonne heure l’admiration de ses contemporains, tout en les séduisant par la vivacité de sa conversation, par la noblesse de sa tenue, par la beauté de ses traits. C’est vers l’âge de vingt ans qu’il se rendit à Florence. La guerre de Ferrare venait de finir ; Laurent, au comble de la puissance, donnait à sa patrie l’apparence d’une nouvelle Athènes, et les citoyens, à peu près résignés à la servitude, trouvaient dans les arts, dans les lettres, dans les fêtes, dans le luxe, toutes les jouissances que permettent ou favorisent les gouvernemens despotiques. Comment ne pas subir le charme d’un pareil milieu ? comment résister à la fascination de ces doctes assemblées, où une libre carrière était ouverte à la sagacité de l’érudit, à l’imagination du poète, à la verve de l’orateur ? Pic en devint lui-même un des ornemens, une des gloires, et mit au service des lettres toute l’ardeur de sa jeunesse. Il gagna vite l’amitié non-seulement de Laurent le Magnifique, mais de tous les hommes remarquables qui vivaient alors à Florence. Il exerça même un véritable ascendant sur le chef de la famille des Médicis, car c’est lui, dit-on, qui, subjugué par la parole de Savonarole au chapitre de Reggio, décida Laurent à demander que ce religieux se fixât à Florence. De son côté, Laurent éprouvait un attachement si sincère pour Pic de la Mirandole, qu’afin de le retenir à Florence il lui fit accorder le droit de citoyen et la faculté d’acquérir une propriété de 6,000 florins