presse démocratique et libre penseuse. Cette polémique, qui était née à l’occasion du pouvoir temporel du pape, ne devait pas rester longtemps circonscrite dans d’aussi étroites limités ; la vieille et éternelle controverse entre les croyans et les libres penseurs, assoupie pendant les premières années de l’empire, n’avait pas tardé à renaître dans toute sa vivacité. Dans cette mêlée nouvelle, de quel côté allait se ranger Sainte-Beuve ? Il aurait pu s’abstenir aisément d’y porter les armes, et le souvenir des opinions dont il avait autrefois fait profession aurait pu lui conseiller une certaine réserve. L’auteur de Volupté et des deux premiers volumes de Port-Royal se devait peut-être à lui-même de conserver la neutralité. Il est vrai qu’il avait rompu officiellement en quelque sorte avec le catholicisme lorsqu’à la fin du dernier volume de Port-Royal, publié par lui en 1859, il avait déclaré que, voyant sa tâche à peu près terminée, « la défaillance finale et l’inévitable dégoût l’avaient saisi, et qu’il s’était aperçu qu’il n’était qu’une illusion des plus fugitives au sein de l’illusion infinie ; » mais il aurait pu du moins respecter encore cette illusion chez ses derniers fidèles, s’il n’avait pas eu une revanche à prendre. La blessure que lui avait causée son échec au Collège de France n’était pas encore cicatrisée, et, bien qu’il eût soigneusement voilé l’amertume de ses regrets, il n’avait point encore pris son parti de cette impopularité publiquement constatée, dernier déboire de son âge mûr succédant à ceux qu’avaient causés à sa jeunesse les mécomptes de ses entreprises poétiques et romanesques. Aussitôt la querelle engagée entre le parti catholique et la politique impériale, entre les croyans et les libres penseurs, Sainte-Beuve comprit tout le parti qu’il en pouvait tirer. Il connaissait admirablement, pour l’avoir étudiée de près, l’opinion publique et ses passions, ses nuances, ses préférences, ses antipathies. Il savait qu’en France, dans ce pays où les croyances religieuses ont cependant de si profondes et de si indestructibles racines, il y a une certaine opinion moyenne qui autrefois se recrutait surtout dans les rangs de la bourgeoisie voltairienne, qui trouve aujourd’hui des adhérens dans les classes populaires, et qui est passionnément hostile au clergé, à son influence, à ses doctrines. Quiconque flattera cette passion traduira ses préjugés, alimentera cette méfiance, arrivera rapidement à cette popularité factice que les esprits les plus délicats n’ont cependant pas dédaignée.
Sainte-Beuve ne recula pas devant l’emploi de ce procédé usé, mais infaillible, dont il n’était pas seul au reste à découvrir le secret. Il usa de la recette, et bien lui en prit ; cependant, pour le rôle qu’il voulait jouer, la scène du Moniteur officiel ne pouvait convenir : on ne lui aurait pas laissé assez de liberté de ton et d’allure. On ne voulait pas en effet que la brouille devînt complète