éclatans accompagnent le chameau en chantant, en dansant, en agitant des bannières et des armes anciennes. En Égypte, j’ai vu suivant le vieil usage le cheik de la caravane passer à cheval sur les corps des croyans prosternés en travers de sa route, et, sans me charger d’expliquer le fait, je puis attester que les dévots se relevaient joyeux et intacts après cette périlleuse mortification. La foule s’ébranle derrière ses guides : ce n’est encore que le noyau de la pieuse armée qui parcourt l’Asie, grossissant de ville en ville, et arrive à Damas forte de plusieurs milliers d’hommes, de femmes, d’enfans ; de là elle s’enfonce dans le désert, où bien des ossemens blanchis marquent la route traditionnelle. De ces pèlerins fatalistes, qui partent comme des oiseaux émigrans, sans bagages, sans vivres assurés, livrés à l’initiative individuelle, plus d’un ne verra jamais le but du saint voyage. Ainsi faisaient d’ailleurs les compagnons de Pierre l’Ermite, ainsi font encore les chrétiens indigènes qui se réunissent à cette même porte, au temps de Pâque, pour s’acheminer vers le Saint-Sépulcre. Agités par l’Esprit dont parle l’apôtre, ces courans humains se précipitent dans des directions différentes, obéissant à la même impulsion. — Un de nos amis, se rendant à Jérusalem, il y a quelques années, par le Jaulân et le Pont des Enfans de Jacob, rencontra une troupe de 50 à 60 pèlerins de la Haute-Syrie égarés dans les plaines transjordaniennes, sans cartes, sans armes, sans pain. Ces pauvres gens le supplièrent de leur servir de chef et de guide : touché de leur détresse, il abandonna bravement ses chevaux aux traînards épuisés pour marcher à pied à leur tête, les remit dans la bonne route, les aida à repousser les nomades, qui erraient déjà autour de cette maigre proie, et les conduisit sains et saufs au terme du pèlerinage. Telle est l’influence de l’énergie européenne sur ces natures molles et insouciantes, toutes de premier élan et d’imagination, que les Arabes fanatisés ne voulaient plus se séparer de leur sauveur et l’acclamaient pour leur émir.
Nous passons la porte consacrée en plus modeste équipage. Les chrétiens du faubourg, qui viennent puiser l’eau aux fontaines à grilles de fer ouvragé, nous jettent leurs souhaits de bon voyage jusqu’à la ville sainte. Le chemin serpente durant une heure entre les murs des jardins ; à la limite où ils expirent avec le dernier filet d’eau, il se perd brusquement dans une solitude morne et vague, ancien cimetière où des styles déjetés sortent tristement du sable : c’est le désert qui commence. Longtemps les minarets de Damas dressent leurs têtes curieuses au-dessus de la mer de verdure qui les entoure ; puis de légères ondulations de terrain ne nous laissent plus apercevoir que la chaîne bleuâtre du Djebel-Haurân.