premier jour étant abattus par ce mal stupéfiant auquel les Japonais sont si généralement sujets. Vers deux heures, le Kanzu-maru semble se réveiller : un mousse paraît, bâille, s’étire les bras et redescend ; un autre survient, même pantomime. Enfin on rallume les feux éteints, et nous reprenons le large, non pour entrer dans le port de débarquement, ce qui est devenu impossible par la violence du vent, mais pour gagner un autre abri plus sûr.
C’est dans une jolie petite crique entourée de hautes collines verdoyantes que nous jetons l’ancre vers cinq heures ; la pluie a cessé, une barque se détache du petit village de Také et vient prendre quelques passagers fort heureux de toucher terre. J’escalade les hauteurs voisines pour jouir d’un spectacle qui serait beau par un ciel plus clair. Les îles environnantes baignent dans le canal leur verdure luxuriante ; on distingue vaguement vers l’ouest le pic de Kin-kwa-san, tandis que notre petit steamer, lavé à grande eau, se balance à quelques brasses du bord. Peu ou point de culture, c’est à la pêche que les habitans de cette côte demandent leur subsistance. Ce premier aperçu des types du nord ne donne pas une idée flatteuse de la race. Les hommes, bronzés par le hâle marin, sont laids ; quant aux êtres farouches, à demi nus, qui étalent une poitrine noire et desséchée, on me dit que ce sont des femmes. Les gens de l’équipage traitent ces indigènes avec le plus parfait mépris. A propos de je ne sais quelle querelle sur du poisson promis et non livré, ils s’arment de triques et déclarent qu’ils vont faire un mauvais parti au délinquant ; celui-ci s’esquive à temps, mais on lui prend son bateau, qu’on emmène au large et qu’on hisse à bord. Il a fallu ce matin même une heure de pourparlers entre le chef du village, notre capitaine et les héros de ce bel exploit pour que la barque fût rendue. Cette grande douceur, qu’on admire chez les Japonais, ne serait-elle que le vernis dont se couvre leur rudesse primitive, une seconde nature artificielle sous laquelle reparaît facilement la première quand la surveillance est loin et quand on se croit à l’abri d’une loi draconienne ? Ce qui est certain, c’est que leur politesse, toute de formules plutôt que de sentimens, se traduit plus volontiers par des phrases banales que par des actes.
Aujourd’hui nous avons quitté à neuf heures la Baie des Cigales, — c’est ainsi que j’ai baptisé sur mes notes ce petit coin de terre en l’honneur des myriades d’insectes qui n’ont cessé pendant toute la nuit de faire entendre leur mélodie glapissante. En ce moment, nous traversons la baie de Sendaï par un fort roulis, mais par un beau soleil et une légère brise qui font oublier la bourrasque des deux derniers jours. Cette baie, large d’une quinzaine de ris (lieues), présente la forme générale d’un demi-cercle ouvert au sud, dont