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Page:Descartes - Œuvres, éd. Adam et Tannery, IV.djvu/278

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ce que c’eſt que viuere beate ; ie dirois en françois viure hureuſement, ſinon qu’il y a de la difference entre l’heur & la beatitude, en ce que l’heur ne depend que des choſes qui ſont hors de nous, d’ou vient que ceux la ſont eſtimez plus hureux que ſages, auſquels il eſt arriué quelque bien qu’ils ne ſe ſont point procurez, au lieu que la beatitude conſiſte, ce me ſemble, en vn parfait contentement d’eſprit & vne ſatisfaction interieure, que n’ont pas ordinairement[1] ceux qui ſont le[2] plus fauoriſez de la fortune, & que les ſages acquerent ſans elle. Ainſy viuere beate, viure en beatitude, ce n’eſt autre choſe qu’auoir l’eſprit parfaitement content & ſatisſait.

Conſiderant, apres cela, ce que c’eſt quod beatam vitam eſſiciat, c’eſt a dire quelles ſont les choſes qui nous peuuent donner ce ſouuerain contentement, ie remarque qu’il y en a de deux ſortes : a ſçauoir, de celles qui dependent de nous, comme la vertu & la ſageſſe, & de celles qui n’en dependent point, comme les honneurs, les richeſſes & la ſanté. Car il eſt certain qu’vn homme bien né, qui n’eſt point malade, qui ne manque de rien, & qui auec cela eſt auſſy ſage & auſſy vertueux qu’vn autre qui eſt pauure, mal ſain & contreſait, peut iouir d’vn plus parſait contentement que luy. Touteſois, comme vn petit vaiſſeau peut eſtre auſſy plein qu’vn plus grand, encore qu’il contiene moins de liqueur, ainſy, prenant le contentement d’vn chaſcun pour la plenitude & l’accompliſſement de ſes deſirs reglez ſelon la raiſon, ie ne doute point que les plus pauures & les plus diſgraciez de la

  1. ordinairement] d’ordinaire.
  2. le] les.