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Page:Chevalier - Les voyageuses au XIXe siècle, 1889.pdf/52

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LES VOYAGEUSES AU XIXe SIÈCLE

étaient délicats, son teint d’une exquise blancheur et d’une transparence extrême, et une profusion de tresses noires comme l’aile du corbeau s’échappaient de sa coiffure.

L’amabilité cordiale des deux Circassiennes était au-dessus de toute louange ; elles firent mille questions sur le pays de leurs hôtes, leurs occupations, le but de leur voyage. Les costumes européens, les chapeaux de paille surtout, les intéressèrent vivement. Cependant elles avaient un certain air de froide impassibilité, et la princesse ne sourit pas une seule fois. La conversation achevée, Mme de Hell lui demanda la permission de faire son portrait et d’esquisser l’intérieur de son habitation. Elle ne s’y refusa pas. Les dessins achevés, on servit une collation de fruits et de gâteaux au fromage. Le soir, les étrangers partirent, et, en sortant de la hutte, ils trouvèrent tous les habitants de l’aoul réunis pour assister leur départ et pour leur faire honneur.

Il nous faut, après cette digression, reprendre les étapes de M. et de Mme de Hell. En se rendant de Piatigorsk à Stavropol, ils furent assaillis par un des plus magnifiques et des plus effrayants orages dont ils eussent jamais été témoins. Des ténèbres subites les enveloppèrent ; les roulements du tonnerre étaient répercutés par tous les échos des cavernes et des abîmes, mêlés aux plaintes et aux craquements des arbres gigantesques, aux tourbillons d’un vent furieux, à toutes ces mystérieuses voix de la tempête qui viennent on ne sait d’où, mais qui remuent profondément le cœur et ont une harmonie si puissante, une telle sublimité, que l’esprit le moins superstitieux s’attend involontairement à quelque manifestation surnaturelle, quelque message d’un autre monde. La situation était d’autant plus critique, que l’iemchik (cocher) ne reconnaissait plus la route, qu’il ne pouvait distinguer qu’à la lueur des éclairs. Cependant les voyageurs échappèrent à la catastrophe qui les menaçait. Une pluie violente, dernier effort de la tempête, dégagea le ciel, qui se colora à l’occident de bandes pourpres, faisant un magique contraste avec l’obscurité qui enveloppait tout le reste de l’horizon. Un splendide arc-en-ciel, dont une extrémité s’appuyait sur la cime la plus élevée du Caucase, tandis que l’autre se perdait dans la brume, leur apparut pendant quelques instants comme un gage d’espérance et s’effaça aussitôt. Enfin ils arrivèrent à la station dans un triste état, mouillés, fatigués, étourdis, et fort surpris de se trouver sains et saufs après une telle journée.

Descendant les derniers éperons du Caucase, M. et Mme de Hell entrèrent le lendemain dans la région des plaines. La route était