Les Merveilles de la science/Poudres de guerre - Supplément
CHAPITRE PREMIER
La guerre de 1870 avait surpris la France dans un regrettable état d’infériorité militaire. Tandis qu’en dehors de nos frontières tout se transformait, et que l’art de la guerre profitait largement des nouvelles découvertes de la science, nous en étions encore à nos vieux errements. Tandis que l’Allemagne et l’Autriche avaient des canons se chargeant par la culasse, nous n’avions que des pièces rayées se chargeant par la bouche. Tandis que la dynamite et les poudres progressives étaient connues partout, ce ne fut qu’après nos premiers revers que l’on s’occupa, en France, de les employer. Mais, dès ce moment, nos officiers, nos ingénieurs, nos savants, redoublent d’énergie, et bientôt ils font des prodiges. Le général de Reffye crée un matériel d’artillerie entièrement nouveau. On photographie les cartes qui manquent à l’armée, on installe le service des pigeons voyageurs, on barre, avec des torpilles, le cours des fleuves, celui de la Seine en particulier.
Après la signature de la paix, ce mouvement de progrès prit un essor beaucoup plus important encore.
En 1870, la France ne possédait que quatre poudreries militaires, placées sous la direction d’un colonel d’artillerie. Nous avons aujourd’hui dix poudreries, à Esquerdes, Saint-Ponce, Vonges, le Ripault, le Pont de Buis, Angoulême, Saint-Chamas, Toulouse, Saint-Médard, et Sevran-Livry, ainsi qu’une fabrique de coton-poudre, au Moulin-Blanc. Il existe une raffinerie de soufre et salpêtre à Marseille, deux raffineries de salpêtre à Lille et à Bordeaux. En outre, un atelier de dynamite a été joint à la poudrerie de Vonges. En tout temps, nos approvisionnements sont énormes : quarante millions de kilogrammes de poudre et deux millions de kilogrammes de dynamite. Toutes les mesures sont prises, d’ailleurs, pour qu’en temps de guerre, les poudreries livrent à l’armée un million de kilogrammes de poudre par mois ; ce qui, avec les approvisionnements du temps de paix, suffirait amplement à tous les besoins. Enfin, comme on le verra dans les chapitres suivants, nos officiers, nos ingénieurs des poudres et salpêtres et nos chimistes, poursuivent sans relâche l’étude des explosifs. Nos obus sont maintenant chargés de dynamite ou de mélinite ; la poudre ancienne, la poudre proprement dite, ne sert plus qu’au chargement des cartouches de fusil et des gargousses de canon.
Cette transformation ne s’est pas accomplie en un jour. Elle a fait l’objet de longues études, que nous avons à exposer dans ce Supplément.
Nous parlerons d’abord des nouvelles poudres de guerre et ferons connaître les principes sur lesquels repose leur fabrication ; nous traiterons ensuite des explosifs et de leurs diverses applications.
De nos jours, la poudre de guerre contient les mêmes éléments qu’autrefois, mais on a singulièrement modifié la proportion de ces mêmes éléments, et on fabrique une série particulière de poudres pour chaque destination particulière.
Si l’on a modifié la composition de la poudre, c’est que de nombreux essais ont démontré, d’une façon péremptoire, la supériorité des poudres à déflagration lente sur les poudres à déflagration vive.
Supposons que l’on enflamme un tas de poudre contenu dans un espace clos ; tous les grains prendront feu presque au même instant, mais ils ne brûleront pas tous avec la même vitesse, s’ils n’ont ni la même épaisseur, ni la même composition. Les grains très minces brûleront très vite, les grains plus gros brûleront lentement, en dégageant, au fur et à mesure de leur combustion, des gaz, dont la pression déterminera le départ du projectile. Ce n’est pas tout : le grain de poudre brûle d’autant plus vite que la pression développée dans l’espace clos est plus forte. Assimilons la chambre d’une bouche à feu à un vase clos, tenons compte des considérations qui précèdent, et nous arrivons à cette conclusion : Si l’on veut obtenir un effort prolongé sur le culot d’un projectile, il ne faut pas seulement modifier la composition de la poudre, il est surtout essentiel de déterminer la forme et les dimensions à donner au grain de poudre.
Cette découverte capitale a été, pour ainsi dire, le résultat du hasard. Un officier, M. de Saint-Robert, avait reconnu, en tirant avec un même fusil, dans trois circonstances différentes, que l’échauffement du canon diminuait sensiblement si l’on plaçait la balle non contre la poudre, mais à une certaine distance de la poudre. Deux chimistes, en Angleterre et en Suède, MM. Abel et Nobel, partirent de là pour faire toute une série d’expériences, très curieuses, qui amenèrent ces deux savants à formuler cette loi : « Quand on met le feu à la poudre dans l’âme d’un canon, les produits de l’explosion sont les mêmes qu’en vase clos ; le travail sur le projectile est effectué par les gaz permanents dont l’abaissement de température est compensé, en grande partie, par la chaleur emmagasinée dans le résidu liquide. » Il résulte de ces expériences que la densité et la pression des gaz produits par la combustion de la poudre, à la température à laquelle ils ont été portés, sont liées par la loi de Mariotte.
Quand la combustion d’une charge de poudre a lieu très rapidement, les gaz, qui sont renfermés à haute pression, sous un petit volume, se détendent promptement, pendant que le projectile parcourt l’âme de la pièce. Si la combustion est lente, au contraire, les gaz se produisent successivement, ne se détendent que peu à peu, et l’on obtient alors une pression beaucoup plus considérable, au moment précis où le projectile sort du canon.
Il résulte de ces considérations théoriques qu’une poudre doit réunir la densité et la dureté. C’est pour obtenir des poudres douées de ces qualités que l’on a été conduit, depuis 1870, à modifier l’ancien dosage qui était, comme on le sait : 75 pour 100 de salpêtre, 12,50 de charbon et 12,50 de soufre.
On fait aujourd’hui usage de poudres de guerre de qualités très diverses, selon leur affectation à un usage déterminé. Nous citerons comme exemple la poudre .
Que signifie cette désignation ? Elle veut dire que cette poudre est fabriquée aux meules, qu’elle n’est destinée qu’aux canons et que la durée de sa trituration est de 30 minutes.
Les grains de cette poudre ont une épaisseur de 2 millimètres et demi ; on l’emploie dans le tir des mortiers lisses et des canons se chargeant par la bouche. C’est dire qu’on n’en fabrique plus, depuis plusieurs années, dans les poudreries françaises.
Pour le fusil Gras, modèle 1874, qui est aujourd’hui remplacé par le fusil Lebel, mais qui serait donné, en cas de mobilisation, à l’armée territoriale, nos ingénieurs avaient imaginé la poudre F1, qui se compose de 77 parties de salpêtre, 8 parties de soufre et 15 parties de charbon noir. Les grains de la poudre F1 ont une épaisseur d’un millimètre en moyenne.
Nous avons encore les poudres C1, C2, SP1, SP2 et SP3. Les poudres C1 et C2 sont destinées au service des canons de place et de siège. Toutes ont le même dosage : 75 parties de salpêtre, 10 parties de soufre et 15 parties de charbon noir ; elles ne diffèrent que par l’épaisseur des grains, et par conséquent par la vitesse de leur combustion.
Après la découverte des poudres de guerre à combustion lente et à grains durs, une invention d’une portée plus grande encore peut-être fut faite en France : nous voulons parler de la poudre brûlant sans fumée, c’est-à-dire la poudre qui s’applique spécialement au fusil Lebel.
Nos lecteurs peuvent apprécier aisément l’importance d’une poudre brûlant sans fumée. Dans un combat naval, au bout de quelque temps de tir, les navires sont environnés d’un tel nuage de fumée, qu’ils ne s’aperçoivent plus l’un l’autre, et qu’ils tirent, pour ainsi dire, en aveugles. Si l’on tirait, dans un combat naval, avec une poudre sans fumée, l’effet des coups de l’artillerie étant jugés à chaque instant, l’engagement serait rapidement meurtrier, de part et d’autre. Avec une poudre brûlant sans fumée, un bataillon d’infanterie peut couvrir de balles toute une zone de terrain ; un canon de campagne peut tirer à mitraille, sans que l’adversaire, écrasé, puisse reconnaître d’où part le feu.
La découverte de la poudre brûlant sans fumée est due à un ingénieur des poudres et salpêtres, M. Vieille, ancien élève de l’école polytechnique. Depuis dix ans, M. Vieille poursuivait de patientes recherches, au laboratoire central d’artillerie de Paris. Il s’efforçait de modifier la composition de la poudre, pour atténuer, dans l’âme des bouches à feu, la violente action due à la pression des gaz, et conjurer ainsi les dangers d’éclatement et de déculassement des pièces de canon. C’est au cours de ses travaux, conduits avec une admirable sagacité, qu’il fît la rencontre — c’est ici la véritable expression — d’une poudre qui brûlait et faisait explosion sans bruit ni fumée.
La poudre de M. Vieille a été appliquée spécialement au fusil Lebel. Les nations étrangères fabriquent aussi cette poudre, mais elles ne sont pas exactement fixées sur la formule de nos dosages.
Nous ne connaissons pas la composition de la poudre sans fumée fabriquée en France, et la connaîtrions-nous, que nous n’aurions garde de la divulguer. La poudre que l’on fabrique aujourd’hui en France pour le fusil Lebel est, pour ainsi dire, un patrimoine national, et celui qui, pour satisfaire la curiosité de ses lecteurs, en dévoilerait le secret, commettrait une coupable imprudence.
On fait usage aujourd’hui, en France et en Allemagne, d’une poudre qui jouit de propriétés balistiques remarquables, et qui, à cause de sa couleur brune, a été désignée sous le nom de poudre chocolat. La composition de la poudre chocolat est restée secrète, ainsi que la manière de la préparer, mais, d’après les analyses qui en ont été publiées, c’est un mélange de soufre, de salpêtre, de charbon et d’une matière résineuse. Au point de vue balistique, cette poudre présente les caractères des poudres très lentes, et n’est utilisée que dans des canons ayant une longueur d’âme supérieure à 30 calibres.
L’expérience a montré que pour tirer le meilleur parti possible d’une bouche à feu il convient d’employer des grains de poudre « d’autant plus gros et plus denses que le diamètre du canon est plus grand. » Pour ce motif, on a renoncé, en France, à se servir, comme avant 1870, de la même poudre pour toutes les bouches à feu.
On fabrique, dans nos poudreries, dix espèces de poudre pour l’artillerie de terre et l’infanterie, onze espèces de poudres pour la marine et pour la chasse, enfin, trois espèces de poudre de mine. Chacun des types de ces poudres est désigné par une lettre affectée d’un indice.
Toutes les poudres françaises sont des poudres grenées ; les poudres à grains fins présentent des formes anguleuses ; les poudres à gros grains ont une forme sphérique régulière. Pour les canons du système Reffye, la charge est constituée au moyen de rondelles de poudre comprimée. Par la compression de la poudre, on a pu augmenter la charge sans risquer de briser les parois du canon ; mais l’emploi des poudres comprimées n’est considéré que comme un simple expédient servant à diminuer les effets brisants de la poudre. On en a reconnu, en effet, tous les inconvénients.
Quand on enflamme une charge de poudre, le feu se communique d’abord à la partie extérieure de cette charge, de sorte que la poudre brûle par couches successives. À mesure que l’inflammation se propage l’épaisseur des couches diminue, ainsi que le volume des gaz produits. Il est facile de comprendre que, si la poudre brûlait brusquement, la pression des gaz subitement développés déterminerait la rupture de la bouche à feu et peut-être l’éclatement du projectile dans l’âme de la pièce. De là la nécessité de créer des poudres progressives.
La poudre française, inventée par le colonel Castan, est une poudre éminemment progressive. Chaque grain de cette poudre est un parallélipipède de très faible hauteur, et qui brûle par couches successives, en produisant toujours le même volume de gaz.
L’artillerie russe emploie une poudre prismatique, dont chaque grain a six faces et est percé, suivant son épaisseur, de sept canaux. Quand on met le feu à l’un de ces grains, l’inflammation se communique par l’intermédiaire des canaux. Seulement, les cloisons qui séparent ces canaux les uns des autres se détruisent tout à coup, sous l’influence de la combustion, et, à ce moment, le feu se communique dans toute l’étendue du grain, de sorte que l’inflammation progressive, obtenue au début, fait place, presque aussitôt après, à une inflammation brusque.
En résumé, nos poudreries fabriquent, pour l’artillerie, les poudres progressives du colonel Castan et, pour le fusil Lebel, la poudre spéciale, inventée par M. Vieille et qui brûle sans fumée.
Pour fabriquer ces diverses poudres on effectue les six opérations suivantes :
Réduction du soufre, du salpêtre et du charbon, à l’état de galettes homogènes ;
Division de ces galettes en grains, de dimensions et de formes déterminées ;
Lissage de ces grains ;
Séchage de ces grains ;
Égalisage et époussetage de ces grains ;
Mise en magasin.
Nous avons décrit, dans les Merveilles de la science, les appareils servant à la fabrication de la poudre avec assez de soin pour n’avoir pas à y revenir dans ce Supplément. Nous avons dit que pour les mélanges des ingrédients on a depuis longtemps renoncé à l’emploi des pilons, et que l’on ne se sert que de meules. Le salpêtre est tamisé à la main, pendant que le soufre et le charbon sont triturés dans des tonnes en cuir. Le mélange du soufre, du salpêtre et du charbon, s’effectue ensuite, comme nous l’avons expliqué, dans des ateliers spéciaux, dont nous avons donné les dessins, et qui sont construits en planches légères, de façon à prévenir, autant que possible, les redoutables effets de l’explosion. Nous avons également représenté par des dessins les tonnes de lissage.
Sans revenir sur la description de ces appareils, nous dirons qu’un groupe d’usines, dans une poudrerie française, se compose actuellement de deux bâtiments, soit à parois de bois, soit à parois de tôle, qui communiquent avec un couloir étroit, où est logé l’arbre de transmission du moteur hydraulique qui met en action les meules. Dès que les meules sont en mouvement, les ouvriers quittent les deux ateliers, et se retirent dans une galerie couverte. Le travail mécanique se fait donc automatiquement et dans un atelier désert, sans pouvoir compromettre la vie des ouvriers, en cas d’accident.
Nous donnons dans la figure 94 la coupe des deux bâtiments composant une poudrerie française, ou plutôt un groupe d’usines à poudre du type réglementaire.
Les dimensions de chaque pièce composant un groupe d’usines sont de 7 mètres sur 7 mètres.
La construction des groupes d’usines dans lesquels on exécute les diverses opérations de fabrication des poudres est soumise à des règles spéciales, en prévision des accidents que cette fabrication peut causer.
Les bâtiments doivent être isolés les uns des autres, de manière qu’une explosion survenant dans l’un d’eux n’entraîne pas la destruction du reste de la poudrerie.
Un groupe d’usines comprend généralement, comme le montre la figure 94, deux compartiments dans lesquels sont installés les appareils de fabrication et qui sont séparés par une salle exclusivement affectée au câble de transmission de la force.
Chaque usine est construite avec deux murs forts, en maçonnerie, de 1 mètre d’épaisseur, et deux côtés faibles, soit en bois, soit en tôle, d’une grande légèreté, qui offrent, ainsi que la toiture, le moins de résistance possible, en cas d’explosion. Il en résulte que toute la violence du choc porte dans une direction déterminée, et que le compartiment voisin ainsi que les chemins de service sont absolument protégés.
Les murs forts sont, en outre, reliés, soit l’un à l’autre au moyen de poutrelles en fer qui traversent le cabinet des transmissions, soit à un mur supplémentaire, dit mur de masque, qui forme une galerie couverte où se tiennent les ouvriers chargés de la surveillance.
La plupart des usines sont construites en bois ; mais comme, en cas d’explosion, les débris de bois enflammés projetés au loin peuvent porter l’incendie dans toutes les parties de l’établissement, on cherche aujourd’hui à construire ces usines avec charpente, devanture et couverture entièrement métallique.
C’est dans cet atelier que sont installés les appareils nécessaires à la fabrication de la poudre. Quand le mélange des trois éléments est fait, on soumet les galettes à l’action de presses hydrauliques. À cet effet, le mélange est versé dans un cadre en bois, qui a 70 centimètres de côté et 3 centimètres de hauteur. Ce cadre est évasé de façon à donner à la couche de poudre la forme d’un tronc de pyramide quadrangulaire. On recouvre le cadre et la poudre qui y est contenue avec une toile de chanvre et on place le tout sous le piston d’une presse hydraulique. Cette presse agit lentement, progressivement ; sa force varie de 20 à 30 kilogrammes par centimètre carré de matière.
Voilà la galette préparée ; il faut maintenant la diviser en grains. La grosseur de ces grains varie, suivant que l’on veut obtenir telle ou telle poudre à canon ou à fusil. Le grenage s’opère, comme nous l’avons indiqué dans les Merveilles de la Science, dans une tonne-grenoir. On lisse ensuite les grains, pour les polir, arrondir leurs angles et boucher leurs pores.
Nous avons décrit les tonnes de lissage à deux compartiments et les trémies au travers desquelles on fait passer la matière. Aujourd’hui, la charge d’un compartiment atteint 400 kilogrammes et la vitesse de rotation va jusqu’à vingt tours par minute.
Les conditions dans lesquelles s’opère le séchage n’ont pas été modifiées depuis 1870, sauf que l’on ne se sert plus que du séchage artificiel, et que l’on emploie, pour l’époussetage, des tamis à fond de toile métallique percés de trous plus ou moins gros suivant que l’on veut obtenir telle ou telle poudre.
La poudre, ainsi préparée, était enfermée autrefois dans des doubles barils. On la place maintenant dans des caisses rectangulaires en bois, qui sont, sur leur surface extérieure, recouvertes d’une enveloppe en zinc, et que l’on enferme dans une deuxième caisse en bois, un peu plus grande. Chacune de ces caisses vides pèse 30 kilogrammes ; on y introduit 50 kilogrammes de poudre. Ces caisses sont réunies ensuite dans les magasins à poudre.
Avant 1870, nous construisions des magasins à poudre de vastes dimensions. C’est ainsi que dans une place forte, comme Strasbourg, il n’existait que trois magasins à poudre. Mais si l’un de ces magasins venait à sauter, l’autre faisait aussi explosion et l’explosion d’une si énorme quantité de poudre avait des résultats foudroyants. Ajoutez que la garnison allait manquer de poudre. C’est ce qui faillit arriver, en 1870, pendant le siège de Strasbourg. Les obus de l’artillerie allemande avaient fait une telle trouée dans l’épaisse couche de terre qui devait protéger le magasin à poudre, que l’on craignit l’explosion de ce magasin, et que l’on fut obligé, sous le feu de l’ennemi, de déménager, baril par baril, la poudre qui y était renfermée.
C’est pour cela qu’aujourd’hui on multiplie les magasins à poudre. Chaque fort en contient deux ou trois, chaque place centrale cinq ou six. Pour les besoins du service en temps de paix, on enferme une petite quantité de poudre dans un bâtiment situé à l’extrémité de la cour des casernes.
La puissance de production des poudreries françaises est, normalement, par année, de 15 millions de kilogrammes d’explosifs de toute espèce (poudre noire, brune et coton-poudre, mélinite, poudre sans fumée, etc.).
La Poudrerie nationale du Moulin-Blanc, près de Brest, occupe 625 ouvriers. Sa superficie est de 10 hectares et demi.
La Poudrerie nationale du Pont-de-Brest (Finistère) occupe 340 ouvriers. Sa superficie est de 37 hectares.
La Poudrerie nationale du Ripault (Indre-et-Loire) occupe 150 ouvriers : superficie, 48 hectares.
La Poudrerie nationale de Sevran-Livry (Seine-et-Oise) occupe 279 ouvriers : superficie, 115 hectares.
La Poudrerie nationale d’Esquerdes (Pas-de-Calais) occupe 175 ouvriers : superficie, 34 hectares.
La Poudrerie nationale de Saint-Ponce (Ardennes) occupe 34 ouvriers : superficie, 9 hectares 1/2.
La Poudrerie nationale de Vonges (Côte-d’Or) occupe 204 ouvriers : superficie, 34 hectares 1/2.
La Poudrerie nationale de Saint-Chamas (Bouches-du-Rhône) occupe 372 ouvriers : superficie, 58 hectares 1/2.
La Poudrerie nationale de Toulouse occupe 90 ouvriers : superficie, 44 hectares.
La Poudrerie nationale de Saint-Médard, près Bordeaux, occupe 370 ouvriers : superficie, 68 hectares.
Les Raffineries nationales de Lille, Bordeaux et Marseille fournissent aux poudreries les quantités de salpêtre et de soufre nécessaires pour la fabrication des poudres noires ou brunes.
Le Laboratoire central des poudres et salpêtres (12, quai Henri IV, à Paris) comprend, indépendamment des laboratoires où s’effectuent les épreuves d’échantillons et les recherches scientifiques, des locaux affectés : 1o à l’Inspection générale des poudres et salpêtres ; 2o à la Commission de fabrication des poudres ; 3o à la Commission des substances explosives.
Dans chaque poudrerie nationale, il existe deux appareils servant à mesurer la pression que donne à l’intérieur d’un fusil une poudre fabriquée : c’est l’appareil Maissin, adapté à un canon de fusil lisse du calibre de 16.
Le fusil employé pour la mesure des pressions, dans les conditions mêmes du tir des armes de chasse, se compose d’un canon du calibre 16, se terminant à la hauteur de l’arrière de la cartouche, et fileté à cette extrémité, pour recevoir une culasse démontable, qui contient l’appareil proprement dit de mesure des pressions. Cet appareil se réduit essentiellement à deux pièces, appelées le marteau et l’enclume.
Le marteau est une pièce cylindrique ayant le diamètre de la cartouche au bourrelet et la plus petite longueur possible, afin de réduire sa masse. Ce marteau est percé d’un canal incliné, de 3 millimètres de diamètre, pour le passage du percuteur destiné à l’inflammation de la cartouche. Un ergot, disposé parallèlement aux génératrices du cylindre, sert à maintenir le marteau dans la position convenable pour que le percuteur puisse être introduit dans le canal oblique, à travers une fente longitudinale ménagée dans la culasse.
L’enclume est un bouchon fileté qui sert à fermer la culasse.
C’est entre le marteau et l’enclume qu’on place le petit cylindre de cuivre rouge, de 13 millimètres de longueur et de 8 millimètres de diamètre, appelé crusher, dont l’écrasement doit servir à mesurer la pression exercée sur le culot de la cartouche.
La mise de feu est obtenue au moyen d’un percuteur spécial, disposé de façon à obtenir le relèvement automatique du marteau, après le choc sur le percuteur. Il est essentiel de n’opérer qu’avec des cartouches métalliques, préalablement plongées dans l’huile de pied de bœuf.
Les pressions mesurées varient généralement de 1 500 à 2 500 atmosphères selon la vivacité ou la lenteur des poudres essayées. Ce sont ces pressions considérables que doit pouvoir supporter une bonne arme de chasse, car souvent les chasseurs graissent la chambre du fusil afin de faciliter l’introduction et l’extraction des cartouches, et ils se placent ainsi dans des conditions défavorables pour la préservation de l’appareil de fermeture de leur arme.
Pour la mesure de vitesse, on se sert de l’installation suivante :
1o Un fusil de guerre, modèle 1874, monté sur un chevalet fixe et muni d’un dispositif spécial pour la mesure des pressions (appareil crusher). En vue de la mesure des vitesses, un fil de cuivre argenté, tendu sur la bouche du canon, est destiné à être rompu par le passage de la balle.
2o Une plaque-cible en acier chromé, boulonnée sur un support fixe et munie d’un interrupteur spécial proposé par l’École normale de tir du Camp de Châlons. Cet interrupteur est traversé par un courant qui se trouve rompu au moindre choc imprimé à la plaque d’avant en arrière.
3o Un chronographe Le Boulengé, composé essentiellement de deux électro-aimants qui maintiennent par attraction magnétique deux tiges cylindriques suspendues verticalement, dont l’une est garnie d’une cartouche en zinc.
Au moment où la balle sort de la bouche du canon, le courant de l’un des électro-aimants se trouve rompu et la plus longue des deux tiges, dite chronomètre, se détache librement. Dès que la balle frappe la plaque-cible le courant du second électro-aimant se trouve également rompu et la plus petite tige tombe à son tour et déclanche un couteau qui vient frapper horizontalement la cartouche du chronomètre en marche.
Une formule très simple permet de déduire, de la hauteur du trait ainsi obtenu, la vitesse du projectile.
Pour mesurer la densité des poudres à gros grains, on se sert du densimètre Bianchi, dit balance pneumatique, aujourd’hui d’un usage universel.
Le mode opératoire consiste à peser un œuf en fonte préalablement rempli de mercure, puis à le peser plein de mercure et d’un poids déterminé de poudre. Connaissant la densité du mercure à la température de l’expérience, on en déduit le poids spécifique cherché.
L’appareil est complété par une balance et par une machine pneumatique du système Bianchi, laquelle permet de faire le vide à l’intérieur de l’œuf pour en extraire les bulles d’air.
D’après ce qui précède, on comprend que les poudres fabriquées aujourd’hui dans les ateliers de l’État soient très variées.
Voici les types des poudres fabriquées pour la vente à l’intérieur et pour l’exportation :
Nouvelles poudres de chasse ordinaires et fortes (huit types différents) ;
Poudre de chasse spéciale, poudre de chasse pyroxylée ;
Poudres de commerce extérieur ;
Poudres de mine rondes (travaux de sautage et de pétardement), poudres de mine anguleuses (pour cartouches comprimées), poudres de mine à fin grain (pour mèches de sûreté), poudre de mine lente, spéciale ;
Pulvérin pour artifices, etc.
Les poudres de guerre fabriquées par les départements de la guerre et de la marine, sont :
Poudres pour fusil de guerre modèle 1874, dites F1 et F3.
Poudre pour fusil modèle 1878 de la marine, dite F2 ;
Poudre pour canon-revolver, dite R ;
Poudre pour canon de 65 millimètres ;
Poudre pour canons de campagne, dite C1 ;
Poudre pour canon de 90 millimètres de la marine, dite C2 ;
Poudres pour canons de siège et de place et pour canons de la marine de 14 centimètres à 42 centimètres, dites : SP1, SP2, 16/20, 26/34, 30/40 ; prismatique noire PA1 ; prismatiques brunes PB1, PB2, PB3.
CHAPITRE II
En Autriche, les deux principales poudreries sont celles de Stein, près de Laybach, et de Félixdorf, dans les environs de Wiener Neustadt.
L’établissement de Felixdorf n’appartient pas à l’État ; on y fabrique toutes les espèces de poudres, poudres de guerre, à canon et à fusil, poudres de chasse, poudres de mines. Parmi les poudres de guerre, citons celles qui sont destinées aux canons de campagne, aux principales pièces de siège et aux canons de la marine.
Dans la fabrication de la poudre de guerre, en Autriche, on se propose surtout de produire des poudres à combustion lente, ou progressive. La poudre progressive n’a pas seulement de merveilleuses qualités balistiques ; elle est aussi d’un emploi plus sûr que la poudre ordinaire, surtout pour les essais des pièces de très gros calibre, où l’emploi de la poudre progressive suffit, en général, à prévenir toute espèce d’accident : rupture de la bouche à feu, éclatement du projectile dans l’âme.
C’est par la manière de préparer la galette, qui doit être soumise à l’action de la meule, que l’on arrive à obtenir des poudres à combustion lente et d’une grande dureté.
Un de nos savants ingénieurs des poudres et salpêtres, envoyé en Autriche, par le ministère de la guerre, M. Desortieux, a décrit en ces termes le mode de galetage usité en Autriche :
« Pour la poudre de 7 millimètres la galette est formée de poussier humecté à 3 ou 4 pour 100 d’eau. La matière est préalablement pesée par un procédé très simple, puis versée sur une plaque en zinc, de 0m,60 de côté, recouverte d’une toile, à l’intérieur d’un cadre en bois, dont la hauteur dépasse celle de la galette, de manière que l’on soit assuré de conserver le poids de poudre réglementaire ; une règle en bois, présentant un rebord saillant, sert à égaliser la surface de la galette. On place sur la poudre une seconde toile ; puis les bords des deux toiles sont soigneusement repliés l’un sur l’autre, de façon à enfermer la poudre dans une sorte de sac.
« Il semble que, par ce procédé, on obtienne des densités fort régulières, et que l’on diminue considérablement l’importance des ébarbages. La densité finale varie de 1,625 à 1,665.
« Pour les poudres de 13,38 et 54 millimètres on fait le galetage en deux opérations distinctes.
« Dans la première, s’il s’agit par exemple de la poudre de 13 millimètres, on forme des galettes de 6 millimètres et demi d’épaisseur, dites primaires, composées d’un mélange de poussier humecté de 3 à 4 p. 100 d’eau, avec 30 p. 100 de grain séché ; ce grain a environ 2 millimètres de grosseur et sa densité varie de 1,600 à 1,620. La densité des galettes primitives est comprise entre 1,600 et 1,650.
« Dans la seconde opération, on forme les galettes finales en réunissant deux par deux les galettes primaires, de manière à les souder ensemble, par un nouveau galetage. Pour la poudre de 13 millimètres, la densité des galettes finales varie de 1,680 à 1,690. La densité des galettes primaires pourrait être diminuée, ce qui faciliterait le soudage, mais le maniement en deviendrait plus difficile en raison de leur plus faible consistance. »
Cette remarque est d’autant plus vraie, et l’objection est d’autant plus forte qu’à trois reprises différentes de graves accidents ont eu lieu, provoqués uniquement par l’emploi de galettes moins denses.
En divisant en deux opérations bien distinctes le galetage les ingénieurs autrichiens cherchent surtout à obtenir des poudres progressives. Ils y sont parvenus ; en d’autres termes, l’accroissement de vitesse correspondant à une augmentation uniforme de la charge croît en même temps que la charge elle-même. Pour le canon de 15 centimètres de la marine, si l’on substitue une charge de 9 kilogrammes à une charge de 8 kilogrammes et demi, l’augmentation de la vitesse initiale est 12 mètres 62 centimètres ; si l’on porte la charge de 9 à 9 kilogrammes et demi, la vitesse initiale croît de 14 mètres 36 centimètres ; enfin, si la charge passe de 9 kilogrammes et demi à 10 kilogrammes, l’augmentation de la vitesse initiale n’est pas inférieure à 21 mètres.
C’est bien là le caractère essentiel d’une poudre progressive.
En Allemagne, l’importante poudrerie de Dünebourg est située, près de Hambourg, dans une propriété de M. de Bismark. D’après le rapport de M. l’ingénieur Desortieux, la Société des poudreries de Rossweil-Hambourg, qui possède actuellement la poudrerie de Dünebourg, a fait un bail de vingt-cinq ans avec le tout-puissant chancelier de l’empire d’Allemagne.
Nous venons de parler des poudreries autrichiennes, il n’est pas sans intérêt de visiter, avec M. l’ingénieur Desortieux, une poudrerie prussienne.
La poudrerie de Dünebourg, dont nous donnons le plan, dans la figure ci-contre, est située sur les bords de l’Elbe ; sa superficie est d’environ quatre-vingts hectares. Deux machines accouplées fournissent une force motrice totale de trois cents chevaux. Chaque compartiment d’une usine ne contient qu’un seul appareil. Le séchoir et les magasins forment un groupe à part, auprès du champ de tir, où les canons sont installés à 120 mètres de la chambre à sable.
1, bâtiment des machines. — 2, bâtiments de la Direction. — 3, logements d’employés. — 4, écurie et remise. — 5, salles d’épreuve. — 6, logements d’employés. — 7, glacière. — 8, magasin. — 9, 10, carbonisation ; atelier de réparation et raffinerie de salpêtre. — 11, appareils de trituration. — 12, presses prismatiques. — 13, laminoir et appareil de concassage. — 14, appareils de mélange. — 15, 16, dépôts. — 17, appareils de grenage. — 18, pompe pour la presse hydraulique. — 19, appareils de mélange. — 20, 21, 22, meules. — 23, dépôt. — 24, meules. — 25, appareils de concassage et de mélange. — 26, dépôt. — 27, presse hydraulique. — 28, appareils de mélange. — 29, dépôt. — 30, salles d’épreuve. — 31, appareil de grenage. — 32, dépôt. — 33, appareils de lissage et de mélange. — 34, dépôt. — 35, presse hydraulique. — 36, dépôt. — 37, appareils de lissage. — 38, appareils de lissage et presse prismatique. — 39, 40, appareils de lissage. — 41, 42, dépôts. — 43, appareils d’époussetage et d’assortissage. — 44, fourneau à souder. — 45, 46, 47, abris pour le tir. — 48, salle du chronographe. — 49, 50, 51, 52, 53, 54, magasins. — 55, enfonçage. — 56, séchoir. — 57, premier cadre-cible. — 58, second cadre-cible. — 59, chambre à sable.
Cent cinquante ouvriers sont occupés à la poudrerie de Dünebourg ; ils travaillent, tantôt de cinq heures du matin à sept heures du soir, tantôt de sept heures du soir à cinq heures du matin. L’administration leur donne des vêtements sans poches. Tous les matins et tous les soirs, quand ils se présentent à la porte d’entrée, ils sont fouillés, et pourvus de chaussures spéciales, sans clous. Le sol des ateliers est recouvert de tapis ; une couche de paille ou de varech est étendue devant chaque porte ; les ouvriers y jettent le sable et les détritus. La poudre ou les matières premières qui tombent à terre sont immédiatement déposés dans une boîte métallique mouillée. D’après le règlement, « avant d’entreprendre une réparation dans les ateliers, on doit enlever les matières en cours de fabrication, et le sol doit être mouillé de façon qu’une étincelle ne puisse pas provoquer d’inflammation.
« Il est interdit de fumer, de boire de l’eau-de-vie, d’apporter des couteaux, des objets en fer, une lanterne. Dès qu’un orage se déclare, les ateliers sont fermés, le travail est suspendu et les ouvriers se réunissent au dépôt des pompes à feu. »
Ce sont là, on en conviendra, de sages précautions.
C’est à l’oubli de prescriptions semblables qu’il faut attribuer la catastrophe qui épouvanta la ville d’Anvers, le 6 septembre 1889.
Un industriel belge, nommé Corvilain, avait acheté au gouvernement espagnol cinquante millions de vieilles cartouches, qu’il voulait dépecer, pour en revendre la poudre et les balles. Le gouvernement français lui avait refusé l’autorisation de se livrer, sur notre territoire, à cette opération dangereuse, uniquement utile au spéculateur ; mais les autorités municipales d’Anvers furent moins sévères, et autorisèrent l’installation, aux portes de la ville, d’un atelier pour ce travail.
Il paraît qu’une des ouvrières employées à défaire les cartouches se servit d’une épingle à cheveux, pour détacher la poudre de son enveloppe, et que le frottement du fer suffit à déterminer l’inflammation d’une cartouche. Aussitôt tout sauta, et des 200 ouvriers, enfants et ouvrières, qui travaillaient dans l’atelier, pas un seul ne survécut !
Par une inconcevable imprudence les autorités municipales d’Anvers avaient laissé l’atelier de Corvilain s’installer près des célèbres réservoirs de pétrole, que connaissaient tous les touristes, et qui s’étendaient non loin du port. Les débris enflammés de l’explosion des cartouches mirent le feu aux réservoirs de pétrole, et dix mille barils de ce liquide s’enflammèrent instantanément. On put heureusement préserver vingt mille autres barils, emmagasinés plus loin.
On conçoit l’effroyable brasier qui résulta de l’inflammation d’une telle masse de pétrole, qui courait comme une rivière brûlante, jusqu’au port, où quelques navires furent endommagés, pendant que le reste se hâtait de prendre le large.
L’incendie des magasins de pétrole causa de nouveaux malheurs, de nouvelles ruines et de nouvelles victimes.
Et tout cela pour une épingle à cheveux !
Revenons à la poudrerie allemande.
On emploie dans la poudrerie de Dünebourg, huit paires de meules du système Gruson ; chacune de ces meules pèse 5 500 kilogrammes ; elles font neuf tours par minute, et la charge varie de 30 à 75 kilogrammes.
Pour la fabrication de la poudre ordinaire, les procédés en usage à Dünebourg n’offrent pas un intérêt spécial ; il n’en est pas de même pour ce qui concerne la poudre prismatique. Il y a dix ans que l’artillerie allemande emploie des poudres prismatiques, et poursuit ainsi ce double objectif : accroître la vitesse initiale, et diminuer la pression à l’intérieur de la bouche à feu.
CHAPITRE III
On appelle explosifs les agents chimiques dont les effets balistiques sont notablement supérieurs à ceux de la poudre de guerre, parce qu’au lieu de brûler progressivement, comme la poudre ordinaire, qui est un mélange et non un corps unique, ils brûlent presque instantanément. Comme la substance qui les compose est homogène, forme un produit organique, elle subit la combustion dans toute sa masse à la fois, ce qui détermine des effets explosifs énormes.
La recherche d’explosifs applicables aux armes de guerre remonte au milieu de notre siècle. C’est en 1846 que le coton-poudre fut découvert par Pelouze, ainsi que nous l’avons raconté dans notre Notice sur les Poudres de guerre des Merveilles de la science ; et dès 1848 on essayait de le substituer à la poudre, dans les armes à feu et les pièces d’artillerie. Mais on reconnut bien vite que ce produit ne convient aucunement pour le chargement, ni des bouches à feu, ni des fusils.
Dans notre Notice des Merveilles de la science, nous avons fait l’histoire de la découverte des premiers emplois du coton-poudre, et rapporté les nombreuses tentatives faites par un grand nombre d’officiers et de savants, pour modifier certaines propriétés de ce produit et pour l’employer dans les armes portatives, aussi bien que dans les bouches à feu. Les essais du même genre qui ont été continués depuis l’année 1870 jusqu’à nos jours, dans les deux mondes, n’ont abouti qu’à de mauvais résultats. Sans doute, on n’a pas eu de peine à trouver que le coton-poudre a quatre fois plus d’action que la poudre ordinaire, mais on n’a jamais réussi à enlever à ce corps ses propriétés brisantes, qui en rendent le maniement si dangereux.
L’action brisante du coton-poudre est tellement énergique que pas un canon ne supporte, sans être rompu, un tir prolongé de trois à quatre cents coups.
Quelques tentatives ont été faites pour charger les obus avec du coton-poudre (nous en reparlerons plus loin), mais disons tout de suite qu’elles n’ont pas été heureuses. Neuf fois sur dix, quand les artilleurs se servaient d’obus chargés avec du coton-poudre, le projectile éclatait dans la bouche à feu. Or, on sait que rien n’est plus redoutable que ces éclatements prématurés, qui provoquent très souvent la rupture de la pièce, et qui mettent toujours en péril l’existence des servants. Ajoutons que le coton-poudre se conserve très difficilement.
Nous avons raconté dans les Merveilles de la science la terrible explosion qui détruisit l’atelier pour la fabrication du fulmi-coton, à la poudrerie du Bouchet, le 17 juillet 1848. On a attribué la cause de cette explosion à la présence de quelques gouttelettes d’acide sulfurique dans un kilogramme de coton-poudre. Sous l’influence de cet acide, qui peut demeurer en petite quantité dans la préparation du coton-poudre, on a vu plus d’une fois le coton-poudre, enfermé dans des barils, sauter par suite de sa décomposition.
En résumé, le coton-poudre s’est montré une substance d’un usage impossible dans les armes ; et si les Allemands et les Anglais persistent à étudier son emploi, nous avons, en France, renoncé depuis longtemps à poursuivre un but considéré comme chimérique.
La même déconvenue pratique attendait un produit dont nous avons parlé dans les dernières pages de notre Notice sur les Poudres de guerre, des Merveilles de la science. Nous voulons parler des poudres dites blanches, qui sont formées de picrate de potasse.
Ainsi que nous l’avons dit dans les Merveilles de la science, l’acide picrique fut découvert, en 1788, par un chimiste alsacien, Haussmann ; et Chevreul l’analysa, en 1869. On l’obtient en traitant le phénol, ou l’huile de goudron de houille, par l’acide azotique.
Le picrate de potasse, qui se représente sous la forme d’aiguilles dorées, est un produit très employé en teinture, en raison de sa grande puissance colorante.
L’acide picrique détone à 300° ; et par sa décomposition, il ne donne que des gaz : acide carbonique, oxyde de carbone, hydrogène et azote. Aussi sa décomposition produit-elle des effets foudroyants.
On a fabriqué différentes poudres à base d’acide picrique, et nous avons parlé de ces composés explosifs dans notre Notice des Merveilles de la science[1].
La poudre verte était un mélange d’acide picrique avec du chlorate et du prussiate de potasse ; la poudre de Désignolle était un mélange de picrate de potasse, de salpêtre et de charbon ; la poudre Fontaine un mélange, à parties égales, de picrate de potasse et de chlorate de potasse ; enfin le picrate d’ammoniaque mélangé au salpêtre a donné naissance à la poudre blanche Bruyère, ou poudre Abel.
Nous n’avons pas à insister sur la composition, la fabrication et les propriétés des poudres au picrate, car on ne les utilise plus aujourd’hui, leur manipulation exposant aux plus graves dangers. De fréquents accidents arrivés à la poudrerie du Bouchet, où l’on fabriquait la poudre de Designolle, et surtout l’explosion qui eut lieu à Paris, sur la place de la Sorbonne, en 1869, où de grandes quantités de poudre Fontaine avaient été emmagasinées, firent renoncer à ces dangereuses substances.
L’explosion de la place de la Sorbonne, arrivée en plein Paris, au milieu d’un quartier populeux, fit de nombreuses victimes. Nous en rappellerons les péripéties.
M. Fontaine, fabricant de produits chimiques, dont le magasin était situé au coin de la place Sorbonne et de la rue de ce nom, fabriquait, pour le compte de l’État, la poudre au picrate et au chlorate de potasse, qu’il avait inventée, et à laquelle il avait donné son nom : la poudre Fontaine, Le 16 mars 1869, à 4 heures de l’après-midi, les employés de la fabrique étaient occupés à emballer dans des caisses une très grande quantité de cette poudre, pour l’envoyer à Toulon, où elle devait servir au chargement de torpilles.
On ne sait par quelle cause, mais probablement par un choc que dut recevoir une certaine quantité du mélange détonant, le produit s’enflamma, et toute la provision de poudre au picrate sauta aussitôt. L’explosion fut formidable ; les maisons furent secouées ; les passants heureusement peu nombreux, jetés à terre, étaient meurtris par des éclats de vitres et par les débris hachés des vitrines ou des comptoirs, qui entrèrent par toutes les fenêtres de l’hôtel du Périgord, situé en face.
Plusieurs femmes sautèrent dans la rue, l’une du quatrième, dans un état déplorable. Une autre tomba du premier, dans les bras de gens qui rendirent, à leurs dépens, sa chute moins dangereuse.
Dans les alentours de la place Sorbonne, et sur cette même place, on crut à un tremblement de terre : les meubles s’étaient déplacés, les objets posés sur des étagères avaient été renversés ; des fenêtres s’étaient ouvertes d’elles-mêmes ; les persiennes étaient sorties de leurs gonds.
Toutes les croisées de la façade du lycée Saint-Louis, sur le boulevard Saint-Michel, étaient endommagées.
Quelques secondes après l’explosion, une épaisse fumée, mélangée de flammes bleuâtres, s’échappait du rez-de-chaussée de la maison, occupée par la fabrique de produits chimiques.
Pendant une demi-heure, sur la place Sorbonne, on entendit pousser des cris déchirants. Le spectacle le plus navrant, c’était celui que l’on voyait à chaque fenêtre des cinq étages de la maison. Les locataires, reconnaissant que c’était au rez-de-chaussée de leur habitation qu’existait le foyer de l’incendie, furent pris d’une terreur, que l’on comprend aisément. Ils voulurent fuir par l’escalier, mais la fumée asphyxiante qui montait par la cage de l’escalier les forçait à rentrer. C’est alors que l’on vit des locataires descendre par les fenêtres et les persiennes, d’un étage à l’autre, au risque de tomber sur le trottoir, et de se briser la tête.
D’autres locataires voulaient se jeter par les croisées. On eut toutes les peines du monde à obtenir qu’ils attendissent qu’on vînt les délivrer. Des échelles étaient apportées et attachées l’une au bout de l’autre. Tandis que les sauveteurs s’empressaient de prendre entre leurs bras des femmes et des enfants affolés et poussant des cris lamentables, quelques-uns déménageaient des meubles et des objets précieux.
On eut à déplorer la mort de six personnes, parmi lesquelles plusieurs employés de la maison Fontaine, MM. Dautresme, Rendu, Balle, dont les corps avaient été projetés au milieu de la place Sorbonne et brisés sur le pavé. Une fille, mademoiselle Biot, fut brûlée vivante : on lui arracha ses vêtements tout en flammes : elle perdait connaissance à 9 heures du soir, et le lendemain elle rendait le dernier soupir. Le cadavre carbonisé du fils de M. Fontaine fut retrouvé, le lendemain, dans les décombres.
Les mauvais résultats qu’ont donnés le fulmi-coton et le picrate de potasse n’ont pas détourné les hommes de l’art de l’étude des explosifs. On a seulement cherché à se mieux rendre compte des causes de leur décomposition, pour y porter remède, sans renoncer à des produits dont l’utilité est de toute évidence pour les usages industriels, si l’on parvient à en écarter les dangers.
Nos ingénieurs et nos officiers ont été amenés, de cette manière, à découvrir des faits qui ont beaucoup éclairé la question de l’utilisation des explosifs.
C’est ainsi que l’on a reconnu que certains explosifs, qui ne détoneraient pas par eux-mêmes, détonent lorsque, dans leur voisinage, un autre corps vient à faire explosion.
M. Abel, directeur du laboratoire de chimie de Woolwich (Angleterre), fit l’expérience suivante, aujourd’hui classique. Il plaça à chacune des deux extrémités d’un tube métallique une cartouche de dynamite ; en faisant détoner l’une des cartouches, il détermina aussitôt l’explosion de l’autre. Cependant les deux cartouches ne se touchaient pas, elles étaient même séparées par une longue colonne d’air. À quelle cause faut-il attribuer l’explosion de la deuxième cartouche ? Ce n’est pas aux gaz produits par la détonation de la première cartouche, puisqu’en plaçant des flocons d’ouate au milieu du tube, on empêche la transmission de l’explosion. Quel est donc le rôle que jouent ces flocons d’ouate ? Ils font obstacle à la transmission des vibrations.
Ce phénomène est désigné aujourd’hui sous le nom d’explosion par influence. Ce principe a été mis à profit de nos jours. On détermine, à distance, l’explosion de matières explosibles, en faisant détoner une autre matière dans leur voisinage.
Le même principe de l’explosion par influence explique les dangers dont s’accompagne la manipulation des matières explosives. Que, dans un atelier, une parcelle de fulminate fasse explosion, et tout le fulminate contenu dans la même chambre détonera ; le fulminate enfermé dans les chambres contiguës fera même également explosion, parce que la vibration sera transmise par les parois des murailles.
Un autre principe qui a été découvert de nos jours, c’est que certains explosifs qui détonent par le choc ne détonent nullement par la chaleur.
Ce fait a été reconnu à la suite d’expériences auxquelles donna lieu un accident désastreux, arrivé à Paris, le 14 mai 1878, où une maison fut renversée et un quartier ébranlé, par l’explosion de matières contenant du fulminate de mercure.
La maison portant le numéro 22 de la rue Béranger, située entre le passage Vendôme et le magasin de nouveautés du Pauvre Jacques, contenait un magasin d’articles de ménage et jouets d’enfants, appartenant à M. Blanchon. Dans le nombre des jouets étaient compris, pour une large part, des pistolets et de petits canons, qui détonaient au moyen d’amorces en papier, c’est-à-dire de petites parcelles de fulminate déposées sur un carré de papier spécial.
À 8 heures du soir, une détonation semblable à un coup de canon retentit, et fut suivie d’un bruit sourd. C’était le dépôt d’amorces de M. Blanchon qui venait de sauter. La maison qui le contenait, une maison à six étages, s’était effondrée et renversée sous le choc formidable résultant de l’explosion des gaz subitement formés par la détonation des amorces fulminantes.
Le sol avait tremblé, comme secoué par un tremblement de terre. Les vitres volaient en éclats, en même temps qu’une épaisse fumée emplissait toute la place du Château-d’Eau et les alentours.
Bientôt le feu éclata. Le combustible des cuisines, mis en contact, par l’effondrement de la maison, avec les matières inflammables, produisit un incendie, sans flamme, mais accompagné d’une fumée noire et intense.
À 9 heures seulement, on put approcher de cet amas de décombres fumants, et procéder au sauvetage des malheureux ensevelis vivants sous ces débris amoncelés, et en retirer les morts.
Pendant la nuit et la journée du lendemain on dégagea les blessés et les morts. Quinze personnes environ furent trouvées mortes et quarante blessées. Ce ne fut que quelques jours après que l’on retira des décombres le corps de la femme du gérant de la maison Blanchon, madame Mathieu, et le corps de sa servante.
D’après la déclaration de M. Mathieu, le gérant de M. Blanchon, le magasin de la rue Béranger contenait 800 grosses de capsules-amorces, représentant 576 000 capsules-amorces. En tenant rigoureusement compte de la proportion de fulminate qui entre dans ces engins, on comprend aisément l’effondrement épouvantable qui s’était produit.
À la suite de ce malheur, des expériences furent ordonnées pour en rechercher la cause, et voici les faits curieux que l’on mit en évidence.
On accumula sur le sol des paquets contenant, chacun, plus de vingt-cinq mille amorces Chaslin ; on arrosa ces paquets avec du pétrole, on y mit le feu. La flamme gagna la masse, mais aucune explosion ne fut constatée. Mais si l’on faisait tomber un morceau de bois, pesant à peine 3 kilogrammes, sur un tas des mêmes amorces, la masse faisait aussitôt explosion, et projetait au loin les matériaux divers dont elle avait été recouverte.
Certains explosifs exigent donc pour détoner le choc, la percussion, et non la chaleur.
Aussi l’étude des corps explosifs est-elle fertile en difficultés. Pour un même corps explosif, l’intensité des effets brisants varie avec la quantité de matière employée ; et la nature de ces effets varie suivant les conditions dans lesquelles l’explosion a été provoquée. Chaque substance explosive a deux modes d’action bien distincts : le moins énergique provient d’une explosion relativement lente ; le plus énergique provient d’une explosion instantanée. Les effets les plus violents sont ceux qui ont été provoqués par des agents produisant à la fois choc brusque, dégagement de chaleur et mouvement vibratoire.
L’une des grandes difficultés de l’emploi des corps explosifs se trouve donc dans la nécessité d’avoir de bonnes capsules-amorces. Avec une mèche à mine, par exemple, on n’aura qu’une explosion lente, et ce n’est évidemment pas ce que l’on recherche, pas plus dans l’industrie que dans l’armée. Avec une capsule très forte, au contraire, on obtiendra une explosion instantanée.
On a remarqué qu’on augmentait l’effet de la capsule-amorce en augmentant son épaisseur. C’est ainsi que des mineurs, munis d’amorces qui contenaient une charge insuffisante de fulminate de mercure, ont pu la renforcer en l’enfermant simplement dans une deuxième enveloppe de fer-blanc.
Après ces quelques aperçus théoriques, nous allons étudier les diverses substances explosives connues aujourd’hui. Nous analyserons ensuite leur mode d’emploi dans les armes de guerre et leur application à l’industrie.
On peut dire que le nombre des explosifs que l’on peut obtenir est presque illimité. La difficulté est de faire passer ces agents chimiques, de l’état de produits de laboratoire, à l’état d’auxiliaires utiles à l’industrie et à l’art de la guerre.
C’est à la revue de ces produits que ce Supplément sera consacré.
Nous devons commencer cette étude par un produit, devenu aujourd’hui industriel, tant son usage est répandu. Nous voulons parler de la dynamite.
On a donné le nom de dynamite à une foule de matières explosives qui diffèrent par leur composition et leur aspect, autant que par la nature et la puissance des effets qu’elles produisent ; mais toutes les dynamites ont un principe actif identique, et ce principe, c’est la nitro-glycérine.
Qu’est-ce que la nitro-glycérine ? C’est le produit résultant de l’action de l’acide azotique sur la glycérine.
La glycérine (C6H8O6) fut découverte, au siècle dernier, par l’illustre chimiste suédois Scheele. Chevreul, à qui l’industrie moderne doit tant de découvertes, prouva que la glycérine est un véritable alcool.
La glycérine s’obtient, comme produit accessoire, ou résidu, dans la fabrication du savon. C’est la substance qui demeure dissoute dans l’eau, quand on a saponifié une huile ou une graisse ; en évaporant l’eau, on en retire la glycérine.
Pour préparer la nitro-glycérine, on traite, disons-nous, la glycérine par l’acide azotique. Voici la manière d’opérer. On place de la glycérine dans un vase en verre, maintenu dans un courant d’eau froide, et l’on y ajoute, par petites quantités et très lentement, un mélange de quatre parties d’acide sulfurique et de deux parties d’acide azotique. On agite constamment, afin d’éviter une brusque élévation de température ; la nitro-glycérine se forme, et si, après avoir versé le tout dans une grande quantité d’eau froide, on imprime à la masse un mouvement circulaire, la nitro-glycérine se sépare, et tombe au fond du vase.
« Le produit, dit M. Dumas-Guilin, dans son ouvrage La dynamite de guerre et le coton-poudre, présente, en cet état, l’aspect d’une huile trouble d’un blanc jaunâtre. On le soumet d’abord à des lavages prolongés à grande eau ; puis on le traite par une solution alcaline, afin de neutraliser l’excès d’acide qu’il contient. Après de nouveaux lavages, qui entraînent les dernières traces de corps étrangers, la nitro-glycérine peut être considérée comme suffisamment pure. On la place alors sous la cloche d’une machine pneumatique, au-dessus d’une cuve d’acide sulfurique concentré, où elle se débarrasse de l’eau dont elle demeure naturellement imprégnée, à la suite des précédentes manipulations.
« La nitro-glycérine est quelquefois desséchée dans des étuves chauffées au moyen de l’eau. La température de ces étuves ne doit pas être supérieure à 40 degrés. »
Industriellement, la nitro-glycérine se fabrique dans des appareils où l’on fait intervenir le moins possible la main de l’homme.
Nous citerons, comme type de ce genre de fabrication, l’atelier pour la préparation de la nitro-glycérine qui a été installé par la Compagnie la Forcite, à Baelen-sur-Nethe (Belgique).
La figure 97 donne une coupe de cet atelier, qui est divisé en deux étages, et largement ventilé par des cheminées d’appel. La glycérine est emmagasinée dans le réservoir supérieur g, d’où on la fait couler par un tube, dans le bac a. D’autre part, les acides azotique et sulfurique arrivent dans le même vase, a, par un monte-acide à air comprimé, et y pénètrent par le tuyau m. Un courant d’eau froide circule constamment autour du bac pour s’opposer à une trop grande élévation de température résultant de la réaction. Un large tube en verre, A, donne issue aux vapeurs acides qui se dégagent pendant l’opération.
On se rend compte des progrès de la réaction et on la modère à volonté, connaissant la température du mélange dans le bac a, et la couleur des gaz qui s’échappent par le tube en verre, h.
La réaction accomplie et la combinaison entièrement produite entre la glycérine et les éléments de l’acide azotique, on fait écouler la nitro-glycérine qui vient d’être formée dans un autre bac b placé au-dessous, qui contient de l’eau pure, et où se lave le produit, lequel tombe ensuite dans les vases c, c′, d, contenant, les premiers, du carbonate de soude et le dernier de l’eau pure. La nitro-glycérine arrive ainsi dans le vase f, où elle est filtrée et recueillie.
Comme il peut arriver que la réaction soit trop vive et menace d’amener une explosion, deux grands réservoirs pleins d’eau, e, e, e, sont placés au-dessous de l’appareil général. Si les circonstances l’exigent, on peut faire écouler instantanément la glycérine contenue dans le bac a, ou dans les vases b, c, c′, d, au moyen de gros robinets de grès, et arrêter ainsi l’opération.
L’appareil qui vient d’être décrit entraîne à un assez grand nombre de manipulations, qui peuvent être dangereuses. Pour simplifier l’opération on se sert, dans la même usine, d’un bac parcouru par des courants d’eau froide et d’air froid, pour modérer la réaction. L’eau circule dans un serpentin, l’air traverse un tube recourbé. Voici les dispositions de ce dernier appareil, que représente la figure 98.
C’est un bassin rectangulaire en bois et en plomb, à doubles parois latérales. Sa paroi supérieure est en verre, pour surveiller la réaction des matières, c’est-à-dire de la glycérine et de l’acide nitrique, que l’on y introduit, successivement, par le tube A. Deux thermomètres, b, b′, ayant leurs tiges à l’extérieur, servent à apprécier l’intensité de la réaction, en indiquant à chaque instant la température du mélange. Les gaz qui prennent naissance s’échappent au dehors, par le tube X.
Un courant d’eau froide circule entre les deux parois du bassin. Elle sort inférieurement par le robinet P. En outre, une circulation d’eau froide est constamment entretenue dans le mélange, au moyen du serpentin en plomb, B : l’eau arrivant d’un réservoir supérieur, par le tube C et s’écoulant à l’extérieur par le tube D.
Un courant d’air froid arrivant par le tube c c′ et sortant par le tube t concourt au refroidissement de la masse.
Quand la réaction est achevée la nitro-glycérine, plus légère que l’eau, surnage sur le mélange : on l’évacue par le tube à robinet R, et on la reçoit dans un bac plein d’eau froide. Le résidu liquide, composé de l’excès d’acide azotique et de glycérine, est évacué au moyen du robinet, qui termine le tube E. Le reste du liquide s’évacue par le robinet F.
Un tube indicateur de niveau, aa′, fait voir la quantité de liquide restant dans la cuve.
Chimiquement, la nitro-glycérine est une combinaison de glycérine et d’acide azotique. Au cours de sa préparation il se forme de l’eau : l’acide sulfurique n’intervient que pour absorber cette eau. La glycérine (C6H8O6) cède trois équivalents d’eau (H2O2) et s’assimile trois équivalents d’acide azotique.
La nitro-glycérine a l’aspect huileux ; elle est incolore, douée d’une odeur aromatique, et bout à 185 degrés ; sa densité est de 1,64. Elle détone avec une extrême violence, sous l’action du choc, et brûle à l’air, sans faire explosion, ni produire de fumée.
« De tous les corps ou mélanges explosifs, usités, écrit M. Berthelot, c’est la nitro-glycérine qui fournit le plus grand volume gazeux, lors de son explosion. La roburite et la mélinite ne développent pas autant de gaz ni de chaleur que la nitro-glycérine. »
MM. Vieille et Sarrau, ingénieurs des poudres et salpêtres, ont estimé qu’un gramme de nitro-glycérine produit, en détonant, sept cent dix centimètres cubes de gaz, d’après la formule chimique suivante :
La nitro-glycérine se décompose donc en acide carbonique (trois équivalents), eau (cinq équivalents), azote (trois équivalents), et oxygène (un équivalent).
On remarquera que les gaz qui se développent ne sont pas délétères, tandis que le coton-poudre, en faisant explosion, donne naissance à une certaine quantité d’oxyde de carbone, dont les propriétés toxiques ne sont que trop connues.
Quelques corps, parmi lesquels l’ozone, provoquent aussi, par leur simple contact, l’explosion de la nitro-glycérine.
La nitro-glycérine est tellement explosible, elle se décompose et détone avec tant de rapidité, et sous l’influence de causes si faibles et si insignifiantes, qu’il est à peu près impossible d’en faire usage avec sécurité, ni dans les mines ni dans les armées. Cependant, en usant de précautions excessives, on est quelquefois parvenu à en tirer parti dans l’exploitation des mines.
Dans les dernières pages de notre Notice des Merveilles de la Science, sur les Poudres de guerre[2], nous avons mentionné les premiers essais faits en 1865 par M. Nobel dans la mine d’Altenberg ; nous avons même donné le dessin des outils qui furent employés pour perforer les roches et placer la cartouche explosive (fig. 172, 173).
Dans les mines de la Vieille-Montagne, on put également se servir de la nitro-glycérine. On creusait un trou, que l’on enduisait d’argile, afin de le rendre imperméable. On y versait ensuite, et successivement, la nitro-glycérine et une notable quantité d’eau, qui produisait, par son poids, l’effet du bourrage. On introduisait dans la nitro-glycérine l’extrémité d’une mèche, armée d’une capsule fulminante assez forte. Une fois le trou de mine bien rempli d’eau, l’ouvrier, après s’être mis à l’abri à une certaine distance, mettait le feu à la mèche, et se retirait le plus loin qu’il pouvait. La capsule détonait et la nitro-glycérine faisait explosion. Dans ces conditions l’action destructive de la nitro-glycérine sur les roches équivaut à dix fois celle de la poudre.
En Alsace, dans la vallée de la Zorn, près de Saverne, où les entrepreneurs essayaient de faire sauter d’immenses quartiers de roches, on recouvrait la nitro-glycérine d’un petit cylindre en bois ou en carton, que l’on emplissait de poudre ordinaire. La poudre faisait ici l’office de capsule. Bien entendu l’ouvrier enflammait la poudre à l’aide d’une mèche de mineur, et se réfugiait au loin, car les fragments de roche étaient quelquefois projetés jusqu’à deux ou trois cents mètres.
On sait que le percement du tunnel de Hoosac, aux États-Unis, a précédé le percement des Alpes, au mont Cenis et au mont Saint-Gothard. C’est avec la nitro-glycérine que l’on fit sauter les roches de cette énorme masse montagneuse, sur une longueur qui n’avait pas moins de 7 500 mètres.
Au moyen d’un entonnoir et d’un tuyau on déposait le liquide explosif au fond du trou pratiqué par l’outil d’acier, ensuite on versait par-dessus une petite quantité d’eau, dont le poids produisait l’effet du bourrage. Une capsule de fulminate de mercure était plongée dans la nitro-glycérine, et on provoquait l’explosion de la capsule fulminante au moyen d’une mèche de mineur rendue imperméable à l’eau.
Pour les roches fissurées, on enfermait la nitro-glycérine dans un cylindre de tôle, de même diamètre que le trou de la mine et ouvert à sa partie supérieure. Si le trou de mine était horizontal, on plaçait la nitro-glycérine dans une cartouche de tôle, dont le couvercle était traversé par la mèche de mineur, et on bourrait avec du sable.
On constata que l’effet était plus grand avec la nitro-glycérine simplement versée dans le trou de mine, qu’enfermée dans des cylindres de tôle.
C’est de 1869 à 1873 que fut percé le grand tunnel du mont Hoosac.
Toutefois, le maniement de la nitro-glycérine pure exposait à de très grands dangers, et l’on ne pouvait guère songer à généraliser dans l’industrie l’usage d’un agent de destruction aussi terrible et d’un emploi aussi difficile.
C’est alors que vint l’idée de mélanger la nitro-glycérine avec une substance inerte, comme le sable, et d’atténuer ainsi ses effets, en les limitant à un degré utile et pratique.
C’est le chimiste suédois Nobel, qui, le premier, eut l’idée d’employer la nitro-glycérine ainsi diluée dans le sable. C’est ce mélange de nitro-glycérine et de sable qui porte le nom de dynamite.
CHAPITRE IV
C’est en 1867 que M. Nobel prenait un brevet pour la fabrication d’une nouvelle matière, qu’il décrivait en ces termes :
« Mon invention consiste à supprimer les propriétés dangereuses de la nitro-glycérine de telle sorte qu’elle ne soit sensible ni au choc, ni au feu, et à la mettre sous une forme plus convenable pour les maniements et pour le transport que sous la forme liquide ; ce qui se fait par l’incorporation de la nitro-glycérine dans les pores de matières poreuses inexplosives, sans aucune influence chimique sur la nitro-glycérine, telles que silice, poudre de brique, argile sèche, pâte. »
Il paraît que M. Nobel dut au hasard la découverte de la dynamite.
À l’époque où le chimiste suédois fabriquait sa nitro-glycérine, il l’enfermait dans des boîtes de fer-blanc, qui étaient ensuite réunies, par dizaines, dans de vastes caisses, garnies de terre d’infusoires.
« Or, il arrivait, dit M. Châlon, dans son ouvrage sur les Explosifs, que cette terre, par suite de coulages, s’imbibait de nitro-glycérine, et prenait une consistance pâteuse. En l’examinant attentivement, on reconnut que son pouvoir absorbant était considérable. Des essais postérieurs montrèrent que la nitro-glycérine ainsi absorbée conservait ses qualités explosives, et que, d’autre part, sa tendance à exploser avait considérablement diminué. »
Ce n’était pas seulement une découverte d’une immense portée que M. Nobel réalisait, en 1867 ; c’était aussi sa revanche. En effet, de 1863 à 1864, M. Nobel avait livré à l’industrie des quantités considérables de nitro-glycérine, avec capsules de fulminate de mercure. Il avait créé deux usines, l’une à Stockholm, l’autre à Lanenburg (Angleterre), et cette seconde usine exportait en Amérique des quantités énormes de nitro-glycérine, que l’on appelait alors huile Nobel. Tout à coup, deux terribles accidents vinrent émouvoir l’opinion publique : l’usine de Stockholm sauta, et le steamer European, qui transportait de l’huile Nobel en Amérique, fit explosion, dans la rade de Colon. Ce fut assez pour décider la plupart des gouvernements à interdire formellement la fabrication et l’importation de l’huile Nobel.
Le chimiste suédois tint bon ; il démontra d’abord que les explosions qui avaient eu lieu étaient dues à de fâcheuses imprudences. Il se remit ensuite à l’œuvre, dans son laboratoire, et c’est alors qu’il inventa la dynamite, à laquelle il a donné son nom. Il triompha si complètement qu’aujourd’hui un grand nombre d’usines en Europe sont exclusivement consacrées à la fabrication de la dynamite.
La dynamite Nobel, type des dynamites à base inerte, se compose donc de nitro-glycérine et d’un corps absorbant. La terre d’infusoires, ou kieselguhr, dont se servait M. Nobel au début, existe en très grande quantité à Oberlohe, dans le Hanovre. C’est une marne siliceuse, très friable lorsqu’elle est sèche, et qui absorbe trois fois son poids de nitro-glycérine.
On emploie, cependant, beaucoup d’autres matières absorbantes. Ainsi, à la poudrerie de Vonges et dans presque toutes les poudreries françaises, on donne à la dynamite la composition suivante : 75 parties de nitro-glycérine, 20,8 parties de randanite, 3,8 parties de silice de Vierzon, 0,4 partie de sous-carbonate de magnésie.
La randanite est analogue, par sa composition et par ses propriétés, à la kieselguhr. On la trouve en abondance aux environs de Ceyssat (Auvergne).
Ailleurs, on fabrique la dynamite rouge, qui contient 68 parties de nitro-glycérine et 32 parties de tripoli ; — la dynamite noire, qui contient seulement 45 parties de nitro-glycérine et 53 parties de coke et de sable pulvérisés ; — la dynamite blanche : 75 parties de nitro-glycérine et 25 parties de terre siliceuse.
Dans les usines Nobel on procède comme il suit pour fabriquer la dynamite.
Afin d’enlever l’eau et les matières organiques renfermées dans la terre d’infusoires, on commence par griller cette terre ; on la broie et on la passe au tamis. L’ouvrier place ensuite dans un baquet en bois 3 kilogrammes de nitro-glycérine et un kilogramme de terre d’infusoires. Il mélange le tout, et pétrit soigneusement la masse. L’opération est sans danger. La dynamite est ensuite découpée en cartouches.
Ce qui fait l’importance des fabriques de dynamite, c’est qu’on s’y livre à toutes les opérations préliminaires de la fabrication de la nitro-glycérine, opérations que nous avons décrites dans le chapitre précédent, et qui sont extrêmement compliquées.
Nous n’avons pas besoin de dire que toutes les fabriques de dynamite sont établies dans des lieux inhabités, à grande distance de tout centre de population. À Isleten, l’une des plus importantes usines de M. Nobel, la nitro-glycérine se prépare au fond d’un ravin, comme le représente, d’après une photographie, la figure 99.
À Avigliana, l’atelier où se fabrique la nitro-glycérine est entouré d’un épaulement circulaire en terre, pour amortir les effets de l’explosion qui viendrait à se produire.
La figure 100 donne une vue générale, d’après une photographie, de l’usine d’Avigliana. On voit à droite l’atelier où se fabrique la nitro-glycérine, qui est entouré d’un bourrelet de terre et enfoncé dans le sol, à une certaine profondeur. À gauche sont les ateliers où l’on se livre au broyage et au tamisage du sable, ainsi qu’à la préparation de l’acide azotique.
Dans les poudreries françaises, on fabrique beaucoup de dynamite pour l’armée, et l’on a adopté, pour cette fabrication, la méthode de MM. Foucher et Boutmy, ingénieurs des poudres et salpêtres, méthode qui a l’avantage de faire disparaître presque toutes les causes d’explosion accidentelle.
MM. Foucher et Boutmy préparent la nitro-glycérine en traitant 10 kilogrammes de glycérine par 32 kilogrammes d’acide sulfurique. Ils obtiennent ainsi un composé sulfo-glycérique, qu’ils traitent ensuite par un mélange de 28 kilogrammes d’acide azotique et de 28 kilogrammes d’acide sulfurique. Dans ces conditions, la combinaison de la glycérine et de l’acide azotique, au lieu de s’effectuer brusquement, avec une subite élévation de la température et un fort dégagement de chaleur, ne s’effectue que lentement. On débarrasse ensuite la nitro-glycérine de l’excès d’acide qu’elle a entraîné, en la traitant par une dissolution de bicarbonate de soude, et on la filtre, à travers des éponges, pour retenir l’eau.
Quant à la randanite, qui mélangée à la nitro-glycérine constitue la dynamite, on la dessèche dans un four à réverbère, où elle demeure pendant 5 à 6 heures, exposée à l’action d’un feu violent, ce qui la rend chimiquement pure.
Pour donner une idée de l’installation d’une fabrique de dynamite nous mettrons sous les yeux du lecteur, d’après une photographie (fig. 102), une vue pittoresque de la fabrique d’Ablon (près Honfleur ) appartenant à la Société centrale de dynamite, qui a son siège à Paris, et compte dix usines en activité.
Ces usines sont situées : à Paulilles, près Port-Vendres (Pyrénées-Orientales) ; à Ablon, près Honfleur (Calvados) ; à La Rachée, près Saint-Chéron (Seine-et-Oise) ; à Avigliana, près Turin (Italie) ; à Cengio, près Savone (Italie) ; à Galdacano, près Bilbao (Espagne) ; à Trafaria, près Lisbonne ( Portugal) ; à Isleten, près Altdorf-Uri (Suisse) ; à Sabanetta, près Ciudad Bolivar ; à Vénézuela (Amérique) ; à Leuwfontein, près Pretoria, Transwaal (Afrique Centrale).
On prépare, pour l’armée, dans les poudreries françaises, quatre espèces de dynamites à bases de randanite et silice de Vierzon, — de craie de Meudon et silice de Vierzon, — de silice de Launois et de laitiers de hauts fourneaux, avec une légère addition de carbonate de chaux, — de silice et randanite, avec 10 pour 100 de sous-carbonate de magnésie.
Dès qu’on a fait le mélange de la nitro-glycérine avec la matière poreuse, quelle que soit, d’ailleurs, cette dernière, on met la dynamite dans des sacs de 5 kilogrammes chacun ; on procède alors aux opérations de l’encartouchage.
Les cartouches de dynamite destinées à l’industrie pèsent 100 ou 200 grammes. Pour l’armée, les poudreries nationales fournissent des cartouches de 100 et de 25 grammes. Quel que soit le poids de ces cartouches, on les range dans des caisses en bois, qui contiennent chacune 250 cartouches.
Dans les écoles d’artillerie, les officiers et les gardes examinent la dynamite, avant de l’emmagasiner. Ils s’assurent qu’elle est dans un parfait état de conservation, et tous les six mois, on soumet aux mêmes épreuves la dynamite qui fait partie des approvisionnements de guerre. À cet effet, on cherche si la nitro-glycérine n’a pas subi de décomposition, si l’enveloppe des cartouches n’a pas été défoncée, si l’amorce n’a pas été déformée. Il est bien facile de s’assurer que l’enveloppe des cartouches et l’amorce ont toujours leur aspect primitif.
La décomposition spontanée de la nitro-glycérine est l’objet d’un examen plus minutieux. On introduit dans les boîtes de dynamite un papier de tournesol ; s’il rougit, c’est que l’acide nitreux, composé volatil, s’est dégagé de la masse. Alors, on lave 5 grammes de cette dynamite douteuse dans 300 grammes d’eau distillée ; on porte ce liquide à l’ébullition, dans un ballon à long col, à l’orifice duquel on a suspendu une bande de papier tournesol. Si le papier rougit, c’est que des vapeurs nitreuses se sont dégagées et qu’il y a eu altération de la dynamite.
L’autorité militaire prescrit la destruction immédiate des lots de dynamite avariée. Cette opération s’effectue dans les polygones, à 300 mètres au moins de tout bâtiment ; on fait exploser la dynamite avec une cartouche amorcée par le fulminate de mercure.
D’après la circulaire ministérielle du 29 novembre 1880, c’est l’artillerie qui est chargée de conserver la dynamite. Des magasins spéciaux ont été construits à cet effet. Ils sont en briques très minces, recouverts de tuiles, et divisés en quatre ou cinq compartiments, par des cloisons en bois, de 50 centimètres d’épaisseur, tout au plus. Ces magasins sont surmontés de greniers vides, qui jouent le rôle de « chambres à air », pour arrêter les rayons solaires ; enfin ils sont entourés, à 2 ou 3 mètres de distance, de remparts en terre. Chaque compartiment contient 100 kilogrammes de dynamite.
La fabrication et le transport de la dynamite ont fait l’objet de plusieurs lois, qu’il est utile d’analyser.
Jusqu’en 1875, au terme de la loi du 13 fructidor an V, l’État avait le monopole de la fabrication et de la vente de la poudre ; ce n’est qu’en 1875 que l’Assemblée nationale autorisa les particuliers à fabriquer la dynamite et tous les explosifs à base de nitro-glycérine, en frappant ces produits d’un droit énorme (2 francs par kilogramme de dynamite).
Nul fabricant ne peut s’établir sans une autorisation spéciale du gouvernement, et sans avoir versé dans les caisses de l’État un cautionnement de 50 000 francs.
Les industriels qui exploitent des mines ou des carrières de pierre peuvent également obtenir l’autorisation de fabriquer sur place la nitro-glycérine dont ils ont besoin ; ils payent alors un impôt supplémentaire de 4 francs par kilogramme de nitro-glycérine. Toute contravention à ces dispositions législatives entraîne une condamnation à un mois de prison et à 2 000 francs d’amende.
Des règlements très sévères ont été portés en ce qui concerne le travail à l’intérieur des fabriques de dynamite. À titre d’exemple nous citerons les principales dispositions du règlement de la fabrique de dynamite de Paulilles (Pyrénées).
Les ateliers ne doivent pas contenir plus de quatre ouvriers chacun. Ils sont, à cet effet, construits en planches de bois très léger, et séparés entre eux par un intervalle de 20 mètres au moins. Une discipline rigoureuse est observée dans l’intérieur de la fabrique.
Sous aucun prétexte les ouvriers ne doivent pénétrer dans les ateliers où ne les appelle pas leur travail. Ils ne sont admis dans la manufacture qu’à l’heure fixée pour le commencement du travail, et doivent se retirer aussitôt que le signal du départ a été donné. Nul ne s’absente des ateliers, sans permission spéciale, pendant toute la durée du travail. Les chefs d’atelier arrivent une demi-heure avant les ouvriers ; eux seuls sont chargés d’ouvrir et de fermer les portes. Ils s’assurent que le thermomètre marque au moins 12° centigrades, afin de prévenir tout accident provenant d’une brusque congélation de la nitro-glycérine. Si un appareil fonctionne mal, l’ouvrier est tenu de prévenir le chef d’atelier, qui seul peut exécuter les réparations nécessaires, car il est formellement défendu aux ouvriers de manier aucune pièce métallique.
Après le travail, on vérifie s’il ne reste pas, sur les tables, une parcelle de nitro-glycérine ou de dynamite. Défense est aussi faite d’introduire dans les ateliers des allumettes, des capsules, des cigares ou cigarettes, du vin ou des liqueurs. Si le temps devient orageux, le travail est suspendu dans tous les ateliers, et les ouvriers se réunissent dans les hangars, où sont toujours prêtes les pompes à incendie.
À l’entrée et à la sortie de l’usine, les ouvriers et les employés de la fabrique sont fouillés, chaque jour. Dans chaque atelier, des seaux d’eau froide et d’eau chaude sont déposés sur le sol.
La dynamite est enfermée dans des magasins souterrains, généralement à 3 ou 4 mètres de profondeur. Les murs sont en brique, et n’ont pas plus de 30 centimètres d’épaisseur. Deux portes ferment l’entrée du magasin ; l’une de ces portes est en panneaux de chêne, l’autre est en tôle de fer. La toiture du magasin est formée par une voûte en briques de 12 centimètres d’épaisseur ; quelquefois même on substitue une simple cloison en bois à cette voûte en brique.
Les caisses de dynamite sont disposées sur des chantiers en bois, placés à quelques centimètres au-dessus du sol, afin de les préserver de l’humidité. Il n’y a point de paratonnerre sur ces dépôts, mais bien des conducteurs métalliques reliés à la toiture, qui semblent beaucoup plus utiles pour garantir les magasins contre les effets de la foudre.
Avant de livrer la dynamite au commerce, de l’emmagasiner, de la transporter, il est nécessaire de l’analyser, de s’assurer de son degré de pureté et de sa stabilité. Voici comment on procède ordinairement :
« Les épreuves, dit M. Châlon, dans son ouvrage sur les Explosifs, telles qu’elles sont pratiquées au bureau des explosifs de Londres, comprennent deux séries d’opérations : la séparation de la nitro-glycérine et l’essai de son degré de pureté.
On commence par préparer un papier réactif spécial. À cet effet, on traite 3 grammes d’amidon blanc, bien lavé, par 265 grammes d’eau distillée ; on agite, on chauffe jusqu’à ébullition et on laisse bouillir doucement pendant dix minutes. On mélange ensuite avec une dissolution, dans 265 grammes d’eau distillée, d’un gramme d’iodure de potassium qui a été cristallisé dans l’alcool. Quand le liquide est refroidi, on y plonge pendant dix secondes des feuilles de papier-filtre blanc, préalablement lavées à l’eau et desséchées. On recoupe ces feuilles en plaquettes de 10 millimètres, et on les conserve dans des flacons bien bouchés et à l’abri de la lumière. »
Ce sont ces feuilles qui vont servir de papier réactif. Avant de s’en servir, il faut tracer sur l’une d’elles des lignes quelconques, à l’aide d’une plume trempée dans une dissolution aqueuse de caramel ; la plume laisse une trace brune sur le papier réactif.
On place alors dans un tube à filtrer 25 à 30 grammes de dynamite pulvérisée ; on y verse de l’eau ; la nitro-glycérine se sépare de la substance poreuse, et tombe au fond de l’eau. En mettant le tube à filtrer en communication avec un aspirateur, la nitro-glycérine sera entraînée ; on la fait parvenir dans une éprouvette que l’on chauffe au bain-marie jusqu’à 70 degrés. Si l’on présente alors des feuilles de papier réactif au-dessus de l’éprouvette, les vapeurs nitreuses provenant de la décomposition de la nitro-glycérine agiront sur l’iodure de potassium, comme la plume trempée dans la dissolution de caramel, et mettront l’iode en liberté. On peut, en comparant le papier réactif placé au-dessus de l’éprouvette et le papier réactif sur lequel on a tracé quelques lignes, évaluer la durée de la décomposition de la nitro-glycérine. Ce produit est considéré comme bon si cette durée ne dépasse pas 10 minutes.
La dynamite destinée au commerce doit être enfermée dans des cartouches, recouvertes de papier, et non amorcées.
L’emballage et l’expédition de la dynamite exigent des précautions particulières. Nous représentons (fig. 101, page 107), d’après une photographie, l’emballage de la dynamite.
Les cartouches sont placées dans une première enveloppe bien étanche en carton, zinc ou caoutchouc, à parois non résistantes ; les vides sont exactement remplis au moyen de sable fin ou de sciure de bois. Le tout est renfermé dans une caisse ou dans un baril en bois, consolidé exclusivement au moyen de cerceaux et de chevilles en bois, et pourvu de poignées non métalliques. Les emballages portent, sur toutes leurs faces, cette inscription, en très gros caractères :
Chaque cartouche est, en outre, revêtue d’une étiquette semblable. Les débitants tiennent un registre d’entrée et de sortie des matières existant dans leurs magasins ; ils peuvent vendre des cartouches en détail, mais il leur est formellement interdit de les ouvrir ou de les fractionner.
Il était indispensable que le gouvernement prît des mesures aussi rigoureuses, puisqu’il est responsable de la sécurité publique. Si, en effet, la fabrication et l’emploi de la dynamite ordinaire n’offrent plus, grâce aux progrès de la science, d’inconvénients sérieux, il n’en est pas de même des produits similaires que des industriels peu scrupuleux vendent sous le nom de dynamite.
Le désastre arrivé au mois de janvier 1877 au fort de Joux, dans le Jura, suffit pour prouver quelles terribles conséquences peut avoir la méconnaissance des règlements cités plus haut.
Des douaniers français avaient saisi six tonneaux de dynamite, que des contrebandiers italiens avaient apportés de Genève, et qu’ils avaient tenté d’introduire sur notre territoire, alléchés par l’espoir d’un gros bénéfice, puisque chaque kilogramme de dynamite fabriquée en France paye, ainsi qu’il a été dit, 2 francs d’impôt. Les douaniers avaient déposé les tonneaux de dynamite au fort de Joux, lequel, on le sait, commande, avec le fort Larmont, une vallée du Jura (fig. 103). Un entrepreneur de constructions fit l’acquisition de cette dynamite ; mais la Compagnie des chemins de fer de Paris-Lyon-Méditerranée refusa de transporter en France cette substance, et on dut employer des voitures pour la déménager du fort et l’envoyer au chantier de construction. Toutes les précautions indiquées en pareil cas avaient été prises ; les ouvriers avaient des chaussons de laine, et des toiles de caoutchouc couvraient le sol, pendant le transport du fort aux charrettes. Cependant, le 17 janvier, vers 5 heures du soir, la dynamite faisait explosion ; une partie des murailles du fort s’écroulait, et les débris en étaient lancés sur la voie ferrée, où la circulation des trains fut interrompue pendant quatre heures. Huit ouvriers furent tués sur le coup.
L’enquête établit que le fabricant de cette dynamite, un M. Biel, se servait, comme base inerte, de craie ordinaire, au lieu de terre d’infusoires, c’est-à-dire d’une matière qui n’a pas un pouvoir absorbant suffisant. Dès lors, la nitro-glycérine s’était séparée du mélange ; elle avait même coulé en dehors des tonneaux. Dans ces conditions, l’explosion était inévitable.
Ce fabricant fut condamné, par défaut, à trois ans de prison.
La dynamite bien préparée peut être maniée sans danger ; mais si le fabricant n’observe pas strictement les prescriptions qui résultent à la fois de l’expérience et de l’étude faite dans les laboratoires, un accident n’est pas seulement probable, mais inévitable.
Quant au transport de cette substance par voie ferrée, il a fait l’objet de trois arrêtés ministériels et d’un traité passé, en 1873, entre l’État et les grandes Compagnies de chemins de fer.
Il est défendu d’admettre dans les convois qui transportent des voyageurs « aucune matière pouvant donner lieu, soit à des explosions, soit à des incendies ». Cette exclusion ne souffre pas d’exception.
Sur les lignes secondaires où ne circulent pas de trains de marchandises, la dynamite est transportée par trains spéciaux. Les agents des poudres et salpêtres apposent sur les caisses de dynamite de l’industrie privée, des médailles, du module d’une pièce de deux centimes, et qui portent sur l’une de leurs faces l’inscription P. S. et sur l’autre les mots : Règlement 1879, 10 Janvier.
Les caisses, ou barils, de dynamite, sont chargés dans des wagons couverts et fermés ; ils sont couchés et posés de façon à éviter tout choc. Dix wagons au plus, chargés de dynamite, peuvent faire partie d’un même train ; ils sont précédés et suivis d’au moins trois wagons, ne contenant aucune matière inflammable. Chaque wagon de dynamite est accompagné par une escorte. Si le chargement n’est pas enlevé dans un délai de trois heures après l’arrivée du train, les Compagnies demandent à l’autorité militaire une garde, pour veiller sur les wagons de dynamite. Les Compagnies sont prévenues vingt-quatre heures à l’avance des transports de dynamite qu’elles auront à effectuer.
La garde des convois de dynamite fabriquée par l’industrie civile est exclusivement confiée, depuis le 1er octobre 1879, à des escortes civiles.
Des mesures à peu près analogues ont été prises par les législateurs étrangers. En Autriche, le gouvernement a promulgué, le 2 juillet 1877, une ordonnance sur la fabrication, la vente et le transport de la dynamite, et institué un bureau spécial pour l’étude de tout ce qui touche à l’industrie des explosifs.
En Angleterre, l’État n’a pas le monopole de la fabrication de la dynamite, mais le ministère de l’intérieur examine avec soin les demandes faites par les futurs fabricants. Ces demandes doivent, en outre, être accompagnées d’échantillons, qui sont analysés dans les laboratoires de l’État. En un mot, les prescriptions des législations étrangères ne diffèrent que par des détails insignifiants de celles de la législation française.
CHAPITRE V
On vient de voir que la dynamite ordinaire est un mélange de nitro-glycérine avec du sable, ou toute autre substance poreuse. Si, au lieu d’ajouter à la nitro-glycérine une substance inerte, comme le sable, on y mélange un autre produit, explosif ou inflammable, comme du chlorate de potasse, on a une dynamite d’une puissance notablement supérieure.
On appelle dynamites à base inerte les dynamites mélangées de sable, et dynamites à base active les mêmes produits mélangés avec du chlorate de potasse, ou d’autres produits analogues.
Les bases actives connues jusqu’à ce jour, telles que l’azotate de potasse, le chlorate de potasse, le coton-poudre, la poudre elle-même, ont le grave inconvénient d’absorber l’humidité de l’air. En outre, ces dynamites ne sauraient être employées dans l’eau, puisque le simple contact de l’eau suffit à séparer la nitro-glycérine du chlorate ou de l’azotate de potasse.
De toutes les dynamites à base active expérimentées jusqu’à ce jour, c’est la dynamite à base de coton-poudre, ou la dynamite gomme, qui a donné les résultats les plus satisfaisants.
Le chimiste suédois Nobel fabrique sa dynamite active en mélangeant 90 à 92 parties de nitro-glycérine et 8 à 10 parties de collodion (coton-poudre dissous dans l’alcool et l’éther). Le produit obtenu a l’aspect de la gélatine ; aussi les industriels le désignent-ils sous le nom de gélatine explosive, ou de gomme explosive.
La densité de la gélatine explosive, ou gomme explosive, est de 1,6 ; elle gèle à 1° et détone alors beaucoup plus facilement.
Une balle de fusil tombant sur la dynamite ordinaire ne provoque pas son explosion ; au contraire, quand elle est gelée, il suffit du moindre choc pour en déterminer l’explosion.
Les ingénieurs français ajoutent de quatre à cinq pour cent de camphre à la gélatine explosive, ce qui la rend d’un maniement plus commode.
La gélatine explosive se conserve très longtemps, sans subir d’altération. Tant qu’elle n’a pas été gelée, elle ne fait pas explosion sous l’action d’un choc quelconque, et elle est infiniment plus puissante que la dynamite à base inerte. Autant de motifs pour qu’on l’emploie comme dynamite de guerre, et comme dynamite industrielle.
Les expériences faites par le général Abboth, aux États-Unis, ont démontré que la gélatine explosive, ou dynamite gomme, ne détone pas sous l’action dite par influence.
Le général Abboth plaçait dans un réservoir rempli d’eau une certaine quantité de gélatine explosive ; et à deux ou trois mètres de distance, il plaçait de la dynamite à base inerte, dont il déterminait l’explosion : la gélatine explosive demeurait insensible. Pour les travaux industriels et les destructions de rails, dont nous aurons à parler plus tard, cette propriété de ne pas détoner par influence est, dans la pratique, un avantage précieux. Aussi la gélatine explosive ou dynamite gomme est-elle presque exclusivement employée, en France, pour les opérations destructives.
Pour la faire détoner, on emploie des capsules, contenant environ 1 gramme de fulminate de mercure, en plaçant 50 grammes de fulmi-coton dans l’amorce.
Comme M. Nobel, l’inventeur de la gélatine explosive, avait pris un brevet pour la dynamite active à base de coton-poudre, les concurrents ont imaginé d’innombrables variétés d’autres dynamites à base active. Nous citerons la sébastine, de M. Boeckmann, la sévanine, la dualine, de M. Dittmar, la forcite, de M. Lewin, la virite, la vigorite, la nitrolite, et dix espèces de dynamites analogues, que l’on fabrique en Autriche et en Allemagne.
Le chimiste anglais, Abel, prépare une dynamite active en mélangeant la nitro-glycérine et la nitro-cellulose. Il a obtenu d’autres produits explosifs connus sous la dénomination de nitro-gélatines ; la dualine est un de ces produits.
Les nitro-gélatines sont moins sensibles que la gélatine explosive à l’action de la chaleur et de l’humidité et elles se décomposent moins rapidement. On les obtient en traitant du coton par un mélange à poids égaux d’acide azotique et d’acide sulfurique. On a ainsi de la nitro-cellulose, qu’on lave avec soin, et que l’on chauffe ensuite, dans un vase en cuivre, avec de la nitro-glycérine.
La vigorite, la forcite, la nitrolite, les dualites américaines, ne sont autre chose que des nitro-gélatines ; elles ne diffèrent de la nitro-gélatine Abel que par la proportion de nitro-cellulose et de nitro-glycérine.
Les faits qui précèdent font deviner que la fabrication en grand de la gélatine explosive et des autres produits analogues doit exiger une série de manipulations, toutes dangereuses. Le peu de stabilité de la nitro-glycérine et de la nitro-cellulose fait redouter constamment une explosion brusque. Aussi des règlements particuliers et des décrets ont-ils été pris par les gouvernements, pour fixer, jusque dans leurs moindres détails, la situation des fabriques de gélatine explosive, ainsi que le mode de transport de cette substance ; et les fabricants, dans leur propre intérêt, ont redoublé de précautions.
Pour faire connaître la fabrication des gélatines explosives, nous décrirons une manufacture étrangère, celle de MM. Lundstrom et Eissler, sur la rive sud-est du lac Hopatcong, dans l’État du New-Jersey (États-Unis).
Fig. 104. — Plan de la fabrique de forcite de MM. Lundstrom et Eissler, au lac Hopatcong (Amérique septentrionale).
1, maison de la direction. — 2, bureau et laboratoire. — 3, écurie. — 4, magasins. — 5, atelier de menuiserie. — 6, dépôt de nitrate. — 7, maison des machines. — 8, mélange des acides. — 9, appareil de concentration. — 10, 18, réservoirs d’acides. — 11, regagnage des acides. — 12, magasin d’acides. — 13, 14, maisons d’ouvriers. — 15, hôtel pour ouvriers. — 16, préparation des matières. — 17, glacière. — 19, 31, réservoirs d’eau. — 20, atelier de nitro-glycérine. — 21, atelier de lavage. — 22, atelier de mélange. — 23, 24, 25, cartoucheries. — 26, atelier d’emballage. — 27, maison de garde. — 28, 29, poudrières. — 30, forge. |
La fabrique de MM. Lundstrom et Eissler, dont nous donnons le plan dans la figure ci-jointe, occupe une superficie de 180 hectares, et est située près de deux grandes lignes de chemin de fer. Elle renferme 31 constructions ou bâtiments divers, reliés entre eux par 1 500 mètres de voie ferrée. Une machine à vapeur donne le mouvement aux appareils de l’usine. L’eau froide est fournie par un puits artésien et par plusieurs sources.
Voici la série d’opérations qui constituent la fabrication de la gélatine explosive :
Les acides sulfurique et azotique sont mélangés dans un réservoir en plomb. Une conduite en plomb les amène dans un second réservoir, en fer, d’où, par l’effet de l’air comprimé, ces acides sont refoulés à l’étage supérieur, dans la cuve où est placée la glycérine. Lorsque la nitro-glycérine est obtenue par la réaction des acides, on la transporte à l’atelier de lavage, puis à un autre atelier, où se fait le mélange de la nitro-glycérine et de la nitro-cellulose.
Cette dernière opération s’effectue dans des récipients en cuivre, à double fond, chauffés par la vapeur. La pâte de gélatine explosive est aussitôt envoyée aux cartoucheries, et découpée en boudins, de 12 centimètres de longueur.
« Pour les pâtes peu plastiques, écrit M. Chalon, on emploie une presse à cartouches, analogue aux machines à boucher les bouteilles, et composée d’une douille verticale en cuivre dans laquelle glisse un piston guidé que l’on actionne à la main par l’intermédiaire d’un balancier. Quand la pâte est plastique, on remplace les presses à percussion par des presses rotatives. La matière est distribuée sur une petite vis d’Archimède qui la pousse dans un tube en bronze d’où elle sort sous une forme cylindrique. On la reçoit sur des plateaux en bois, fendus transversalement de cannelures à la distance qui correspond à la longueur des cartouches. On découpe les boudins au couteau en promenant celui-ci dans les fentes ménagées sur les parois des cannelures. Dans l’atelier d’emballage, les cartouches sont enroulées dans des feuilles de papier parchemin, puis mises dans des boîtes de carton qui sont emballées, dix par dix, dans des caisses en bois.
L’emballage est une opération très importante ; chaque boîte doit être enfermée dans du papier goudronné imperméable, et les parois de la caisse doivent être revêtues du même papier. »
CHAPITRE VI
Avant de parler de l’emploi de la dynamite, et des explosifs, en général, tant pour la destruction des ouvrages, en temps de guerre, que pour les travaux des mines et carrières, en temps de paix, nous devons énumérer les autres explosifs les plus connus, mais qui ne sont pas encore entrés dans la pratique industrielle.
En réalité, ainsi que nous l’avons déjà fait remarquer, le nombre des explosifs est illimité. On peut en faire varier à l’infini la composition et les propriétés, en mélangeant entre eux certains corps détonants. Seulement, la plupart des corps que l’on obtient ainsi ont une action absolument brisante, et on ne saurait en faire aucun usage d’une façon pratique.
Le chlorate de potasse est le composé auquel on a le plus souvent recours pour obtenir des explosifs. Rien de plus élémentaire que cette expérience : Mélangez du soufre et du chlorate de potasse, en très petite quantité ; enfermez le tout dans un morceau de papier, et frappez sur le mélange avec un marteau : il y aura explosion. Si, au lieu de frapper, vous projetez sur ce mélange quelques gouttes d’acide sulfurique, le soufre et le chlorate de potasse s’enflammeront. Remplacez le soufre par du phosphore, de la benzine, du sulfure de carbone, ou d’autres sulfures métalliques, vous aurez ainsi mille explosifs différents, ayant la même base : le chlorate de potasse. Tous seront brisants, et par conséquent, d’un emploi dangereux.
Au point de vue purement industriel, le chlorate de potasse offre un autre inconvénient : c’est son haut prix. Un officier suisse avait pourtant proposé de remplir les obus avec une poudre à base de chlorate de potasse. Dans l’axe du projectile, il plaçait un tube en verre plein d’acide sulfurique. Au moment du choc, le tube était brisé ; l’acide sulfurique se répandait sur le chlorate de potasse, en déterminait la décomposition, et l’obus faisait explosion. Il est vrai que le choc produit par l’inflammation de la charge du canon pouvait amener la rupture du tube de verre ; alors, l’obus éclatait dans l’âme de la pièce, ou immédiatement au sortir de l’âme, et c’étaient les servants qui étaient atteints, et non pas l’adversaire.
M. Divine, chimiste à Jersey, a pris un brevet pour la fabrication d’une poudre, qu’il appelle rackarock, et qui se compose de quatre parties de chlorate de potasse, d’une partie de nitro-benzol et de quelques centièmes de soufre pulvérisé. On a employé le rackarock en Amérique.
La poudre de Siemens est un mélange de chlorate de potasse et de salpêtre avec de la paraffine ; enfin la poudre verte, qui se prépare à peu près comme la poudre ordinaire, a pour composition :
Chlorate de potasse |
70 |
Acide picrique |
20 |
Prussiate jaune de potasse |
10 |
Cette poudre verte peut assez facilement être conservée, en perdant toutefois sa couleur primitive, pour devenir jaune. Elle a un pouvoir détonant qui équivaut au double de celui de la poudre ordinaire.
Les fulminates, découverts par Howard, peuvent fournir de terribles explosifs ; mais ils sont surtout employés dans la fabrication des amorces et des capsules pour les armes portatives. Ils dérivent tous de l’acide fulminique, qui n’a pas été isolé. La formule chimique de l’acide fulminique est Cy2O2, H2O2, où Cy représente le cyanogène (C2Az).
Pour préparer le fulminate d’argent, on fait chauffer dans de l’alcool une dissolution d’argent dans l’acide azotique, concentré.
Le fulminate de mercure, qui est un peu plus stable que le fulminate d’argent, a une composition à peu près identique, sauf que l’argent est remplacé par le mercure.
En faisant explosion, le fulminate de mercure donne naissance à de l’azote, à de l’oxyde de carbone et à des vapeurs de mercure, d’après l’équation :
Le fulminate de mercure détone à 187 degrés, sous l’influence d’un choc violent, ou de l’étincelle électrique. Cette dernière propriété est précieuse, puisqu’elle permet de se servir du fulminate de mercure pour amorcer les torpilles.
Pour préparer industriellement le fulminate de mercure, on mélange dans un grand ballon 3 parties de mercure, 30 parties d’acide azotique et 19 parties d’alcool ; on chauffe jusqu’à 90 degrés. Il faut ensuite laver le fulminate et le dessécher au moyen du papier buvard. On mélange alors le fulminate de mercure avec de l’azotate de potasse, dans les proportions de 2 à 1 ; cela fait, on procède au grenage et au séchage du produit.
Le grenage consiste à faire passer la matière à travers un tamis en crin ; cette opération est éminemment dangereuse ; on doit toujours redouter une explosion.
Les grains de fulminate de mercure obtenus par le grenage sont déposés sur des feuilles de papier ; ces feuilles sont alignées dans des augets en bois, pour les faire sécher. Les vitres de l’atelier sont recouvertes d’une couche de peinture, pour arrêter les rayons du soleil. Alors on les dépose par petits grains dans une capsule en cuivre.
Chaque capsule renferme environ 8 décigrammes de fulminate et d’azotate.
Beaucoup d’autres explosifs, ou mélanges détonants, ont été proposés. Nous citerons, en particulier, la panclastite inventée par M. Turpin, et qui est un mélange d’acide hypoazotique avec de l’éther, du pétrole, du sulfure de carbone ou du benzol. On a beaucoup parlé de ce produit, parce que M. Turpin a découvert la mélinite.
En mélangeant la nitro-glycérine et la nitro-cellulose, on obtient toute une autre série de produits, connus sous le nom générique de nitro-gélatines. Le plus important de ces produits a été inventé par M. Dittmar, qui l’a appelé dualine ; c’est un mélange de 50 parties de nitro-glycérine, 30 parties de nitro-cellulose et vingt parties d’azotate de potasse.
Les nitro-gélatines sont peu sensibles à l’action de la chaleur et de l’humidité, et elles retiennent bien la nitro-glycérine. On a donc, en les employant, moins de chances d’explosion prématurée que si l’on fait usage des explosifs similaires.
Dans les mines, où l’on a constamment occasion de se servir d’explosifs, pour détacher des quartiers de roc ou des masses de terre, certains ouvriers hésitent à utiliser la dynamite, qui développe, en faisant explosion, une énorme quantité de chaleur, et risque ainsi de déterminer une inflammation du grisou. Pour remédier à cet inconvénient, un chimiste de Cologne a mélangé 100 parties de dynamite ou de nitro-gélatine, avec 50 parties de carbonate de soude. Ce mélange renferme 30 pour 100 d’eau ; à une température inférieure à celle de l’explosion, l’eau se sépare, et remise en liberté elle empêche une trop forte élévation de température.
La grisoutite est donc une dynamite brûlant sans flamme, avantage précieux pour le travail dans les mines qui sont sujettes au grisou, mais son action est bien inférieure à celle des dynamites ordinaires.
Dans les poudreries françaises, on a étudié et recommandé le mélange de la dynamite avec de l’azotate d’ammoniaque.
En mélangeant 1 partie de binitro-benzine et 4 à 5 parties d’azotate d’ammoniaque, un chimiste suédois, M. Carl Lamm, a fabriqué, en 1888, un produit qui ne détone, ni par le choc, ni par le frottement, ni au contact du feu. C’est donc un explosif d’un emploi particulièrement facile ; M. Lamm lui a donné le nom de bellite.
Cet explosif, qui a été essayé dans les carrières d’Argenteuil, en poudre et en cartouches comprimées, forme une poudre jaunâtre et presque sèche au toucher, qui a la saveur et l’odeur du nitrate d’ammoniaque.
Les cartouches de bellite préparées par M. Carl Lamm, comprimées, sont recouvertes de papier et d’un enduit analogue à la paraffine. Elles portent sur l’une des bases un ou deux trous, destinés à recevoir une ou deux capsules de fulminate de mercure, qui provoque leur détonation.
La bellite fait explosion à l’air libre, aussi bien dans les mines bourrées, qu’à l’état pulvérulent ; aussi bien à l’air libre qu’en cartouches comprimées, pourvu qu’on l’enflamme à l’aide d’une capsule contenant un demi-gramme de fulminate de mercure.
Elle agit comme poudre lente, en mines bourrées, et comme explosif brisant, à l’air libre, quand elle est renfermée dans un récipient.
Elle peut être employée dans les mines pour l’abatage des roches, ou à l’air libre, pour les travaux militaires de campagne, et pour le chargement des obus.
La bellite peut être fabriquée, manipulée, transportée et emmagasinée, sans aucun danger, car elle n’est sensible ni aux chocs accidentels, ni aux frottements, ni à l’action du feu ou de la flamme.
Sa force est équivalente à deux ou trois fois celle de la poudre noire.
Nous avons dressé la liste à peu près complète des explosifs-types ou, si l’on aime mieux, des différentes variétés d’explosifs.
Pour résumer et compléter ces renseignements, nous donnerons le tableau de la composition de différents explosifs qui ont été proposés ou qui sont employés pour charger les torpilles.
La nitro-glycérine intervient presque toujours dans ces matières, dont voici la composition :
1o Dynamite : 73 p. 100 de nitro-glycérine et 22 p. 100 de sable.
2o Coton-poudre : c’est la nitro-cellulose comprimée.
3o Dualine : 80 p. 100 de nitro-glycérine et 20 p. 100 de nitro-cellulose.
4o Rendrock ou Lithofacteur : 40 p. 100 de nitro-glycérine, 40 p. 100 de nitrate de potasse ou de soude, 13 p. 100 de cellulose et 7 p. 100 de paraffine.
5o Poudre géant : 36 p. 100 de nitro-glycérine, 48 p. 100 de nitrate de potasse ou de soude, 8 p. 100 de soufre ; 8 p. 400 de résine ou charbon de bois.
6o Poudre vulcain : 35 p. 100 de nitro-glycérine, 48 p. 100 de nitrate de potasse ou de soude, 10 p. 100 de charbon de bois et 7 p. 100 de soufre.
7o Poudre mica : 52 p. 100 de nitro-glycérine et 48 p. 100 de mica.
8o Poudre Hercule : 77 p. 100 de nitro-glycérine, 20 p. 100 de carbonate de magnésie, 2 p. 100 de cellulose et 1 p. 100 de nitrate de soude.
9o Poudre électrique : 33 p. 100 de nitro-glycérine et le reste inconnu.
10o Poudre Dessignolle : 50 p. 100 de picrate et 50 p. 100 de nitrate de potasse.
11o Poudre Bruyère, ou picrique : 50 p. 100 de picrate d’ammoniaque et 50 p. 100 de nitrate de potasse.
12o Tonite : 52,5 p. 100 de coton-poudre et 47,5 p. 100 de nitrate de baryte.
13o Gélatine explosive : 89 p. 100 de nitro-glycérine, 7 p. 100 de coton nitré, 4 p. 100 de camphre.
14o Gélatine explosive : 92 p. 100 de nitro-glycérine, 8 p. 100 de coton nitré.
15o Poudre Atlas (A) : 75 p. 100 de nitro-glycérine, 21 p. 100 de fibre de bois, 2 p. 100 de carbonate de magnésie, 2 p. 100 nitrate de soude.
16o Poudre Atlas (B) : 50 p. 100 de nitro-glycérine ; 34 p. 100 de nitrate de soude ; 14 p. 100 de fibre de bois et 2 p. 100 de carbonate de magnésie.
17o Poudre Judson (1) : 17,5 p. 100 de nitro-glycérine et le reste inconnu.
18o Poudre Judson (2) : 20 p. 100 de nitro-glycérine, 59,9 p. 100 de nitrate de soude, 13,5 p. 100 de soufre et 12,6 p. 100 de charbon pulvérisé.
19o Poudre Judson (3) : 5 p. 100 de nitro-glycérine, 64 p. 100 de nitrate de soude, 16 p. 100, de soufre, 15 p. 100 de charbon pulvérisé.
20o Rackarock : 77,7 p. 100 de chlorate de potasse et 22,3 p. 100 de nitro-benzol avec quelque faible quantité de soufre.
21o Forcite-gélatine : 95 p. 100 de nitro-glycérine et 5 p. 100 de cellulose non nitrée.
22o Gélatine-dynamite : no 1, 65 p. 100 de matière A et 35 p. 100 de matière B ; no 2, 45 p. 100 de matière A et 55 p. 100 de matière B. (La matière A est formée de 97,5 p. 100 de nitro-glycérine et 2,5 p. 100 de coton-poudre soluble. La matière B est formée de 75 p. 100 de nitrate de potasse, 24 p. 100 de cellulose et 1 p. 100 de soude).
23o Gelignite : 56,50 p. 100 de nitro-glycérine ; 3,5 p. 100 de coton nitré ; 8 p. 100 de bois pulvérisé et 32 p. 100 de nitrate de potasse.
24o Bellite : 1 partie d’azotate d’ammoniaque, 4 parties de binitro-benzine.
25o Mélinite : composition inconnue. On, croit qu’il y entre de l’acide picrique et de la trinitro-cellulose, dissoute dans l’éther.
26o Roburite : composition variable. Éléments principaux : la naphtaline nitrée et le nitrate de potasse, selon le procédé de fabrication.
27o Helloffite : nitro-benzine et acide azotique.
Nous n’avons pas fait mention, sauf pour l’explosif américain Rackarock et la bellite, des combinaisons nitrées de la benzine dérivées du goudron, parce qu’elles n’ont pas encore donné lieu à des essais suffisamment prolongés. Avec d’autres dérivés du goudron on obtiendra des substances douées de propriétés détonantes, mais ces propriétés sont encore peu connues.
CHAPITRE VII
Les applications qui ont été faites de la dynamite et des autres explosifs que l’industrie peut employer sans danger sont de deux ordres : militaires et industrielles. En effet, les explosifs ne sont pas uniquement utilisés pour des œuvres de destruction et de guerre. Ils servent à exécuter des travaux d’excavation et de déblayement, qui seraient impossibles sans leur secours. Si bien que la dynamite, cet agent de destruction, est devenu, en fait, un des plus puissants auxiliaires de la civilisation moderne.
C’est ce double emploi des explosifs qui doit maintenant nous occuper.
Nous traiterons d’abord des emplois militaires des explosifs, ensuite de leurs emplois dans l’industrie.
Dans l’armée, la dynamite est le seul explosif adopté. La dynamite sert aujourd’hui à deux usages : 1o pour le chargement des obus, 2o pour la destruction rapide d’obstacles de nature diverse.
Chargement des obus. — Dans la lutte aujourd’hui engagée entre le navire-cuirassé et le canon, entre le rempart et l’obus, c’est la poudre qui joue le rôle essentiel. À force d’augmenter la puissance de nos grosses pièces d’artillerie de terre, de côte et de marine, nous sommes arrivés à d’étranges contradictions : nous fabriquons des plaques de blindage, qui ont 50 centimètres d’épaisseur ; mais nous possédons des canons de 100 tonnes, dont les projectiles trouent ces mêmes plaques ; l’Italie a même fait construire, par l’usine Krupp, des canons de 121 tonnes, qui sont destinés à la défense des côtes. Marchera-t-on indéfiniment dans cette voie vertigineuse ? Continuerons-nous à faire des canons dont chaque coup revient au prix de 1 000 à 2 000 francs ? C’est ce que nul ne saurait dire aujourd’hui : le problème paraît même insoluble.
Il est naturel que l’on ait pensé à utiliser la dynamite et quelques autres explosifs pour charger des obus, qui, en éclatant, démoliraient et les cuirasses métalliques des navires et les murs mêmes de l’intérieur des forts, ainsi que les talus de terre.
Dès 1874, les Italiens avaient un obus-torpille, qui pesait 75 kilogrammes, et qui contenait 8 kilogrammes de substance explosive. Ce projectile était lancé par l’obusier rayé de 22 centimètres, se chargeant par la bouche. À l’usine Krupp, on étudiait, presque à la même époque, un obus à fusée, en acier, à faibles parois, et qui, pour un poids total de 21 kilogrammes, renfermait 14 kilogrammes de poudre. D’autre part, l’usine Gruson, à Buckau (Allemagne), fabriquait des obus avec disques de poudre comprimée, où le feu se propageait à la fois dans tous les sens. On n’avait songé jusque-là qu’à concentrer l’action brisante de la poudre : l’heure de la dynamite allait sonner.
Et quand on connaît les effets formidables produits par des pétards de dynamite isolés, déposés près d’une voie ferrée, ou sous un pont en pierre, on est tout surpris que l’artillerie n’ait pas pensé plus tôt à se servir de la dynamite pour emplir ses projectiles, et pour centupler leur puissance de destruction. C’est qu’il y avait deux sérieuses difficultés : d’abord, charger l’obus, et le transporter, sans s’exposer à des éclatements prématurés, dont les conséquences devaient être désastreuses ; puis, régler la fusée de l’obus de telle façon qu’il ne fît explosion qu’au moment propice. Or, quel est le moment propice ? Il faut que l’obus, avant l’explosion, ait pénétré profondément dans le talus du fort que l’on se propose de détruire, dans le mur que l’on cherche à démolir. S’il éclate à la surface de l’obstacle, il ne détermine que des dégâts insignifiants.
En Allemagne, en Italie, en Russie, l’artillerie se sert de bouches à feu courtes, qui se rapprochent des mortiers ; et elle emploie des obus d’un poids énorme, qui sont remplis de coton-poudre comprimé et humide. L’obus décrit alors une trajectoire parabolique ; il tombe presque verticalement, s’enfonce dans le sol, et éclate, en soulevant, avec une violence incomparable, la terre, les pierres, tout ce qu’il heurte sur son passage et qu’il a laissé au-dessus de son parcours.
Les Américains ont imaginé, pour tirer des obus chargés de dynamite, le canon pneumatique, imité du canon accélérateur de Lymann-Haskell, et qui se compose d’une succession de poches, communiquant avec l’âme du canon par une gorge cylindrique. Ces poches sont emplies de dynamite, qui s’enflamme par les gaz surchauffés, au fur et à mesure du passage du projectile. On obtient ainsi une accélération de vitesse constante, jusqu’à ce que le projectile soit sorti du canon, et l’on évite que la charge de dynamite fasse explosion dans l’âme de la pièce.
L’accélération constante, c’est l’idéal de l’artilleur, et le fait est qu’aux premières expériences, un de ces projectiles, lancé par un canon Withworth, traversa, à 180 mètres de la bouche à feu, une plaque en fer, de 127 millimètres d’épaisseur. Après avoir accompli ce quasi-prodige, l’obus parcourut encore 115 mètres, sans dévier de sa trajectoire primitive.
Le 17 octobre 1885, au fort Lafayette, dans le port de New-York, on essayait un canon de 8 pouces, long de 18 mètres, formé par quatre parties en fer forgé, réunies par des tresses et des boulons, disposé sur un support métallique évidé, et que l’on pointait à l’aide d’un appareil à air comprimé. C’est aussi l’air comprimé qui, contenu dans huit réservoirs, remplace la poudre et qui, chaque réservoir s’ouvrant l’un après l’autre, produit une accélération constante. Quant au projectile, il consiste en un cylindre en laiton, de 1 mètre de longueur, terminé par une pointe conique, et en un sabot en bois, long de 1 mètre 30, faisant l’office de culot. Le culot dirige le projectile pendant son parcours. Cet obus renferme 46 kilogrammes de gélatine explosive ; la cartouche d’inflammation est à base de dynamite, et c’est une fusée percutante qui met le feu à la cartouche.
Le premier projectile lancé, dans ces conditions, parcourut 2 000 mètres, et ne fit pas explosion. On n’avait cependant pas perdu son temps, puisqu’il était démontré que le tir des obus chargés à la dynamite n’offrait pas des difficultés insurmontables.
Le 28 novembre suivant, on tirait trois obus chargés de gélatine explosive, dont l’un franchit 4 000 mètres et tomba dans l’eau ; les deux autres firent explosion au fond de la mer, en projetant des gerbes, dont la hauteur dépassait 80 mètres.
Il était donc établi que l’on pouvait lancer des obus chargés de gélatine explosive, qui produisaient des effets prodigieux. Il ne restait, par conséquent, qu’à perfectionner le mode de chargement de ces obus, et à chercher la forme de canon qui convenait le mieux pour les lancer.
En réalité, le problème se posait en ces termes : Envoyer un projectile contenant une forte dose de substance explosive, sans que le choc provoqué par l’inflammation de la charge détermine une explosion prématurée. Il existe deux solutions à ce problème : ou bien, employer des pièces courtes, à trajectoire très peu tendue, à charge très faible, et remplir de substances explosives des sortes de bombes ; ou bien se servir des canons nouveaux, où la charge ne s’enflamme que progressivement, et où l’on n’a pas à craindre un à-coup assez violent pour causer l’explosion de la dynamite.
Les ingénieurs et les officiers américains ont adopté la seconde de ces solutions, sans avoir toutefois réussi, au moins jusqu’à présent, à construire un canon réellement susceptible d’être mis en batterie. En France, en Russie, en Italie, en Allemagne, c’est l’autre solution qui a prévalu, c’est-à-dire que l’on a conservé les obusiers ordinaires et chargé les obus avec la dynamite.
Pourquoi ?
D’abord, parce que les poudres progressives n’ont pas fourni des résultats satisfaisants. C’est en vain qu’au Bouchet, notamment, on s’est efforcé de perfectionner la poudre prismatique ; on n’est pas arrivé à la certitude, et en pareille matière, le doute n’est même pas admissible. Supposons qu’on se soit trompé, que la charge s’enflamme brusquement ; l’obus, qui contient assez de dynamite pour faire sauter une portion de rempart, éclate dans l’âme de la pièce ; le canon est rompu, et ses morceaux sont projetés tout à l’entour, en tuant les canonniers. Voilà de terribles accidents, dont nul n’oserait assumer la responsabilité.
En Allemagne, on a fabriqué des obus de 21 centimètres, que l’on charge de coton-poudre. Ces projectiles sont en acier, à parois minces. D’après le général belge Brialmont, ils contiennent 26 kilogrammes de pyroxiline humide et comprimée. Quand l’obus est chargé, on y introduit de la paraffine fondue, destinée à boucher les interstices et à empêcher la dilatation de l’eau qui entre dans la composition de la pyroxiline. Au centre de la partie supérieure de l’obus, on place une charge de coton-poudre, munie d’une capsule de fulminate de mercure.
Des expériences ont été faites, avec ces projectiles, au polygone de Kummersdorf, et aux environs de Cosel. Le polygone de Kummersdorf a été construit en 1878, par les soins et aux frais de l’usine Krupp ; c’est le polygone le mieux aménagé qui existe en Europe.
Les obus dont nous parlons, pénétrèrent à 4 mètres de profondeur, dans les terres sablonneuses de ce polygone, et creusèrent un entonnoir de 4 mètres 80 de diamètre, sur 2 mètres 40 de profondeur. Les officiers de pionniers allemands avaient édifié une voûte en pierres, d’une épaisseur d’un mètre, protégée par une couche de sable de 3 mètres : les obus entrèrent dans la voûte, et la détruisirent !
À Cosel, l’artillerie allemande s’exerça à battre en brèche des fortifications déclassées ; les obus de 21 centimètres chargés de pyroxiline percèrent des voûtes maçonnées recouvertes d’un mètre de béton !
Contre les coupoles cuirassées, l’action de ces projectiles fut moins considérable : l’obus éclatait en touchant la coupole, et ne produisait guère que l’effet d’un obus chargé de poudre ordinaire. À ce propos, le général Brialmont exprimait l’opinion que les substances explosives n’agissent pleinement que lorsqu’elles sont en contact intime avec l’obstacle à détruire.
Mais si l’obus glisse sur une coupole métallique sans effets destructeurs, il exerce, au contraire, des ravages prodigieux quand il vient à rencontrer les fondations, en granit ou en béton, des tourelles.
En Russie, l’artillerie a essayé d’utiliser la helloffite, substance inventée par MM. Hellhoff et Gruson, et qui paraît être une dissolution de nitro-benzine dans de l’acide azotique concentré. C’est un liquide rougeâtre, épais, corrosif et très instable, que l’on utilise, comme la nitro-glycérine, en la mélangeant avec une base inerte. Alors elle résiste aux chocs, à l’action du feu, et ne détone plus que sous l’influence d’une capsule chargée de fulminate de mercure ; on peut donc la transporter d’un endroit à un autre, sans courir un danger quelconque. Seulement, la helloffite est tellement volatile qu’on est obligé de l’enfermer dans des vases hermétiquement clos ; enfin, il suffit qu’elle soit mélangée avec de l’eau, pour qu’elle perde aussitôt ses qualités. On ne doit donc songer à l’utiliser que pour l’artillerie de terre ; elle ne rendrait aucun service pour les défenses sous-marines.
En Italie, les recherches pour l’emploi d’explosifs nouveaux dans les obus ont été poursuivies avec une rare ténacité. Dès 1882, on y connaissait une substance explosive, due aux essais de M. Parone, et composée de chlorate de potasse et de sulfure de carbone. Les obus chargés de cette substance ne faisaient explosion qu’au contact du fulmi-coton contenu dans la fusée.
Voilà donc une première difficulté surmontée : l’obus est transportable. Mais, au premier coup tiré, le canon éclata. Pourquoi ? On ne l’a jamais dit, et nous sommes réduits, sur ce point, à des hypothèses. L’obus avait-il fait explosion, sous l’impulsion du choc initial reçu dans l’âme de la pièce ? Il serait difficile de l’affirmer. Toujours est-il que l’artillerie italienne a renoncé à utiliser la composition Parone.
Deux ans plus tard, plusieurs officiers du ministère de la guerre et de l’artillerie italienne, assistaient à d’importantes expériences, à Palmanora. On se servait de canons de 15 centimètres en acier, du système Krupp, et d’obus-torpilles, contenant une charge de 12 kilogrammes, que l’on tirait contre des voûtes en maçonnerie, d’un mètre d’épaisseur, protégées par une couche en terre de 2 mètres.
Ce qui caractérise ces expériences et les rend tout à fait intéressantes, c’est qu’on y compara les effets des obus-torpilles avec ceux des obus ordinaires. L’obus ordinaire pénétrait jusqu’à 50 centimètres au-dessus de la chape des voûtes, et produisait simplement un entonnoir de 2 mètres de diamètre à l’intérieur des terres ; l’obus chargé de fulmi-coton, pesant 58 kilogrammes et lancé sous un angle de 45 degrés, détruisait la voûte.
Avec de pareils projectiles, les casemates ne constituent plus qu’un abri dérisoire. Avec l’obus-torpille Gruson, chargé d’hellofite (binitro-benzol et acide nitrique), les fascines et les poutrelles qui protègent la voûte sont réduites en morceaux, la couche de terre est dispersée ; les dégâts, d’après le rapport de témoins oculaires, sont à peu près irréparables. Il y a bien encore quelques inconvénients : le tir manque de précision ; mais il ne faut pas oublier que le jour où l’obus-torpille fera partie du matériel de guerre, des tables de tir seront dressées tout exprès, et l’on parviendra bien vite à une régularité analogue à celle des canons de 120 et de 155.
En résumé, l’obus-torpille destiné à démolir les talus de terre et les remparts de granit existe. Ce qui le prouve, c’est que, depuis 1887, l’artillerie française ne fabrique plus qu’un très petit nombre d’obus chargés avec de la poudre ordinaire. Tous les obus destinés à l’artillerie de place et de siège sont chargés avec de la mélinite.
Qu’est-ce que la mélinite ? Comme nous l’avons dit plus haut, elle paraît consister en un mélange d’acide picrique et de trinitro-cellulose soluble : c’est tout ce que l’on en sait.
Au mois de septembre 1886, le Ministre de la guerre assistait, à la Fère, à d’importantes expériences sur les obus-torpilles chargés de mélinite. Les députés, membres de la commission du budget, l’avaient accompagné, pour examiner de près, sur place, les résultats obtenus, et pour demander ensuite aux Chambres les crédits nécessaires à la poursuite de ces intéressantes recherches. Ces expériences furent continuées plus tard au polygone de Vincennes (fig. 105). C’est à leur suite que le Ministre de la guerre décida l’adoption des obus à la mélinite, et la généralisation des tourelles cuirassées pour la défense des places.
Le gouvernement français avait acheté de M. Turpin le brevet de la mélinite ; depuis cette époque, deux savants, MM. Berthelot et Sarrau, ont perfectionné le mode de fabrication de cette substance, si bien que sa préparation et son emploi n’offrent plus, dit-on, le moindre danger.
Il est d’autant plus nécessaire qu’on nous rassure sur ce point, que personne n’a perdu le souvenir de la terrible catastrophe arrivée à l’arsenal de Belfort, le 10 mars 1887.
À onze heures et demie du matin, une formidable détonation se faisait entendre dans la cour de cet arsenal. On avait récemment construit, dans cette cour, une barraque en planches, où les artificiers et les soldats du 9e bataillon de forteresse procédaient au chargement d’obus à mélinite. Une trentaine d’obus avaient été remplis, durant les deux précédentes journées. Les règlements militaires déterminaient de la façon la plus minutieuse les précautions à prendre dans ce cas : l’officier présent devait consulter le thermomètre, pour s’assurer que la température ne s’élevait jamais au-dessus d’une certaine limite. Comment cette explosion eut-elle lieu ? L’enquête a établi qu’un artilleur avait tassé dans un obus de la mélinite encore chaude ; des gaz se développèrent, atteignirent une forte pression, et l’explosion eut lieu.
Tous les soldats présents furent renversés, par la violence du choc ; trois furent tués sur le coup ; l’un d’eux, le chef artificier, eut le haut de la tête emporté ; un autre fut littéralement mis en morceaux ; un troisième fut coupé en deux. Il y eut neuf morts, au total.
Aujourd’hui, heureusement la mélinite, rendue insensible aux chocs et aux frottements, ne fait plus explosion que sous l’influence d’un détonateur particulier. C’est tout ce que nous avons le droit de dire sur ce point de notre organisation militaire, où le secret s’impose de lui-même.
L’apparition de l’obus-torpille capable de détruire les talus de terre et les remparts de pierre, est un fait de la plus haute importance. On sait qu’un fort, une fois cerné, est condamné, et que la lutte de ses défenseurs ne fait que prolonger une résistance inutile. Avec les obus-torpilles chargés de mélinite ou de hellofite, aucune forteresse ne pourra plus résister à l’assaillant plus de vingt-quatre heures. Grâce à ce projectile et à cet explosif formidables, la poudre et le canon l’emporteront, sans nul doute, sur la cuirasse et le rempart ; l’artilleur triomphera, à coup sûr, de l’ingénieur, l’assiégeant sera le maître de l’assiégé.
CHAPITRE VIII
Sous quelle forme la dynamite est-elle employée, pour la destruction des obstacles, en temps de guerre ? La dynamite s’emploie, dans ce but, en charges allongées et en charges concentrées : en charges allongées, pour l’ouverture des brèches, pour abattre de très gros arbres ; en charges concentrées, s’il s’agit de percer des créneaux dans un mur, de faire sauter des piliers de pont, d’enfoncer des portes et des barricades, enfin de rendre un chemin impénétrable à l’ennemi.
Dans les charges concentrées, les pétards de dynamite sont réunis dans des caisses, que l’on place dans un trou pratiqué sous l’obstacle ; dans les charges allongées, ces pétards sont disposés bout à bout et maintenus dans cette position, à l’aide de baguettes ou de cordeaux de ficelle. Il y a tout avantage à creuser, si l’on peut, un trou, qui fera l’office de fourneau de mine ; mais cette opération n’est pas toujours d’une exécution aisée.
Le pétard de dynamite employé dans l’armée est de forme prismatique ; son enveloppe est métallique. L’amorce qui s’y trouve implantée est de forme cylindrique.
Le pétard est long de 130 millimètres et haut de 35 millimètres. Sur chaque fond est fixé un tube, destiné à recevoir l’amorce. L’orifice extérieur de ce tube est fermé par un ruban de fil. Le tout est recouvert de papier. Nous représentons dans la figure 106 le pétard de dynamite réglementaire dans l’armée.
C, pétard ; A, amorce ; E, dynamite ; D, cordeau ou mèche.
L’amorce fulminante dont on fait usage est une grosse capsule en cuivre, contenant un gramme et demi de fulminate de mercure. Pour amorcer, on prend un morceau de cordeau de mineur (bickford) de 1 mètre à 1m,50 de long ; on introduit l’une de ses extrémités dans le pétard ; on serre l’entrée du tube avec une pince, de manière à y produire un étranglement qui l’empêche de sortir. Alors on découvre l’orifice du tube d’amorce, et on y introduit la capsule fulminante fixée à l’extrémité du cordeau de mineur.
Pour mettre le feu à la dynamite, on fend, avec un couteau, l’extrémité libre du cordeau de mineur, on engage dans la fente un morceau d’amadou, on l’allume et on se retire.
Les pétards de dynamite s’appliquent, avons-nous dit, en charges allongées ou concentrées.
Nous représentons dans la figure 107 un pétard de dynamite fixé à la porte d’un fort.
On enfonce au milieu de la porte un pic de terrassier, en le disposant comme le montre notre dessin, et on suspend au fer du pic la dynamite en charge allongée. Le cordeau de mineur étant mis en rapport avec la charge de dynamite, on enflamme le pétard à distance, au moyen d’un exploseur électrique et d’un fil conducteur du courant de la pile.
Le 18 janvier 1871, sur le plateau qui fait face au mont Valérien, l’armée française attaquait les Prussiens, retranchés derrière l’interminable mur du château et du parc de Buzenval. Précédé d’un large fossé, crénelé, que défendaient d’habiles tirailleurs, ce mur était à peu près infranchissable. Il existait, tout à l’extrémité, une porte, que nos artilleurs avaient essayé de défoncer à coups de canon. La porte avait cédé en partie, et nos soldats donnaient l’assaut ; cependant elle tenait bon encore. Un lieutenant du génie, l’héroïque Beau, se jette dans la mêlée, et, suivi d’un sapeur, il va, malgré une pluie de balles, placer un pétard de dynamite sous la porte. Il n’eut pas le temps d’y mettre le feu. Le lieutenant et le sapeur tombèrent presque aussitôt, criblés, chacun, de plus de vingt balles[3].
Au Sénégal, en 1884, un lieutenant d’artillerie de marine, Pol, renouvela cet exploit. Une colonne de soldats français, commandée par le colonel Borgnis-Desbordes, faisait le siège du fort de Kita ; l’entrée du fort était fermée par une porte massive, en bambou ; les obus pénétraient dans la porte et traversaient le bois, mais ils ne pratiquaient pas de brèche. Le lieutenant Pol s’avance jusqu’au pied du fort, il installe deux pétards de dynamite sous la porte, y met le feu… mais il tombe. Quand les soldats, qui s’étaient précipités sur ses pas, et qui, par la brèche, enfin ouverte, avaient pénétré dans l’intérieur du fort, eurent rapporté l’héroïque officier à l’ambulance, il était mourant ; les indigènes l’avaient percé de coups de lances. Le colonel Borgnis-Desbordes le décora sur son lit de mort.
On voit, par ces deux exemples, combien il est utile de posséder des chargements de dynamite convenablement préparés pour une inflammation rapide. À la guerre, la bravoure ne supplée pas toujours à l’insuffisance du matériel et de l’armement.
Revenons aux procédés employés pour l’inflammation de la dynamite. Quand les détachements militaires ne possèdent pas d’outils, pelles, pioches, pour creuser un trou de mine, ou pour forer une pierre, on a recours à la méthode dite des charges successives. Pour cela, on fait détoner une faible charge de dynamite tout contre l’obstacle à détruire. En faisant explosion, cette première charge creuse un logement pour la seconde charge, qui, elle-même, provoque la destruction définitive de l’obstacle.
Pour mettre le feu aux pétards de dynamite, il est trois procédés différents. On peut, ainsi qu’il a été dit plus haut, allumer directement la mèche de mineur qui communique avec l’amorce, et se retirer ; il faut alors avoir soin d’entourer de pulvérin l’extrémité de la mèche. Si cette mèche n’est pas assez longue pour la sécurité du soldat, on taille un morceau d’amadou, long d’environ 5 centimètres ; on l’introduit dans la fente d’une feuille de papier, on place sur la feuille du pulvérin, et l’on enflamme l’amadou, qui se consume en 2 minutes et demie, met le feu au pulvérin, et par son intermédiaire, à la mèche du pétard de dynamite. Ce morceau d’amadou est désigné sous le nom singulier de moine (fig. 108).
La feuille de papier, A, est maintenue sur le sol, au moyen de quatre pierres ; le morceau d’amadou, B, est en contact, par sa base, avec le pulvérin, C, et ce dernier en rapport avec la mèche, D, aboutissant au pétard de dynamite.
Le second procédé présente moins de dangers. On appelle cordeau de mineur, ou bickfort, une double enveloppe en fils de chanvre roulés en spirales et en sens contraire, dans l’axe de laquelle on a versé de la poudre. La longueur du bickfort est d’environ 5 à 6 mètres. D’habitude, son diamètre est de 5 millimètres, et sa vitesse de combustion d’un mètre, en 90 secondes. Les soldats, ou les ouvriers, ont donc le temps, après avoir allumé le bickfort, de se mettre à l’abri avant que le pétard fasse explosion.
L’étincelle électrique est le troisième moyen servant à enflammer les pétards de dynamite. Il suffit de mettre en contact les extrémités des deux fils conducteurs, reliés chacun à l’un des pôles d’une pile, pour produire le courant électrique, et déterminer l’explosion de l’amorce fulminante que contient le pétard.
Ce procédé exige de minutieuses précautions. En effet, si le contact des deux fils a lieu par accident, avant que les ouvriers ou les soldats se soient éloignés, l’explosion se produit, et de terribles accidents sont alors inévitables. On signale tous les ans quelques faits de ce genre, soit dans les mines, soit dans les écoles régimentaires du génie.
Nous verrons, en parlant des emplois industriels de la dynamite, que les appareils servant à l’inflammation des mines par l’électricité sont aujourd’hui très perfectionnés et d’un usage très sûr.
Pour abattre des arbres, on emploie des charges circulaires et latérales. Dès que le pétard a fait explosion, l’arbre tombe.
Les Américains consacrent de grandes quantités de dynamite à la destruction rapide des immenses forêts vierges qu’ils font disparaître, pour les transformer en champs de labour et en pâturages.
Pour calculer le poids de dynamite à employer, on se sert de la formule suivante, qui n’est qu’approximative :
d désignant le diamètre de l’arbre et P le poids de dynamite.
On consomme moins de dynamite si l’on a soin de creuser un trou, de 4 centimètres de profondeur, perpendiculairement à l’axe de l’arbre, et de placer dans ce trou la cartouche de dynamite.
S’il s’agit d’abattre un mur, il est bon de pratiquer le long de sa base un trou de mine, prolongé jusqu’au milieu de l’épaisseur du mur. On dispose dans cette rainure une charge de dynamite, évaluée d’après la formule :
e désignant l’épaisseur du mur. Quand cette charge éclate, elle fait une brèche, dont la largeur totale est double de l’épaisseur du mur.
S’il s’agit de détruire des voûtes, le mieux est de disposer de chaque côté de la clef de voûte, et parallèlement, des pétards de dynamite, formant, comme nous l’avons dit plus haut, une charge allongée ; ces pétards feront explosion simultanément.
En campagne, les troupes sont fréquemment arrêtées par des palissades, des palanques, des chevaux de frise ou des grilles en fer. On se fraye un passage à travers tous ces obstacles, en les entourant d’un saucisson de pétards de dynamite.
Pour détruire les voies ferrées, on fixe solidement deux pétards, du poids de 100 grammes, contre les rails, entre les deux saillies et des deux côtés de la voie.
C’est ce que nous représentons dans la figure 109, qui donne en même temps le dessin exact, en élevation, de la forme d’un pétard de dynamite réglementaire dans l’armée.
L’explosion de ces deux pétards produit une brèche de 50 centimètres de longueur, et la circulation des trains est interrompue. Cette brèche suffirait, en tout cas, pour amener le déraillement d’un train.
Si l’on veut obtenir une détérioration plus grave et détruire une grande portion de la voie ferrée, on fait exploser 50 ou 100 pétards, placés à 20 ou 30 mètres les uns des autres, et l’on recherche principalement les points où les rails décrivent des courbes, puisque la réparation des courbes d’une voie ferrée est beaucoup plus difficile que celle des parties en ligne droite.
S’il s’agit de couper des routes, 40 kilogrammes de dynamite suffisent pour démolir les remblais d’une route, sur une étendue de 20 à 30 mètres. On retarde, de cette manière, la marche de l’ennemi, surtout si l’on a affaire à de la cavalerie.
Pour détruire les ponts, les officiers du génie font sauter les piles avec la dynamite, et s’efforcent, en démolissant ainsi une ou deux arches, de créer une interruption du tablier du pont, de 20 mètres de largeur.
Nous représentons sur la figure 110 deux pétards de dynamite placés sur un pont métallique pour déterminer sa rupture.
A, B, pétards ; C, cordeau.
En 1870, quand les armées allemandes étaient arrivées sous les murs de Paris, deux cents francs-tireurs, hommes résolus, partis de Langres, parvinrent, après une marche audacieuse à travers des lignes ennemies, jusqu’au pont de Fontenoy, et ils réussirent à faire sauter deux arches de ce pont. Ces braves soldats risquaient leur vie ; car si les ennemis les avaient découverts et faits prisonniers, ils auraient été immédiatement fusillés. Ils réussirent dans leur hardi coup de main, et leur dévouement héroïque fut couronné par le succès.
Quelle était la raison qui les poussait en avant ?
La ligne du chemin de fer de l’Est passe sur le pont de Fontenoy. C’est par cette voie ferrée que les Allemands faisaient venir, pour le bombardement de Paris, leurs canons de gros calibre, leurs obus, leurs poudres et leurs immenses approvisionnements. Le pont une fois détruit, les Allemands étaient obligés de faire transporter leur matériel et les vivres sur des voitures attelées de chevaux, ce qui était à peu près impossible.
La destruction du pont de Fontenoy, pendant la retraite de Sedan, a été racontée avec de grands détails, dans l’ouvrage considérable que l’État-major allemand a consacré à l’histoire de la guerre de 1870-1871. Cette publication, jointe à des notes données par les officiers des francs-tireurs, a permis au général Thoumas de donner, en 1889, une relation exacte du coup de main exécuté le 22 janvier 1871 par le capitaine Coumès.
Nous trouvons le récit du général Thoumas résumé dans un journal de Paris, par un écrivain de mérite, M. de Saint-Hérem, à qui nous emprunterons cette analyse.
« Après Sedan, dit M. de Saint-Hérem, on avait formé à la Vacheresse, dans les Vosges, près de la petite ville de Lamarche, un camp retranché. On y installa un bataillon de mobiles du Gard, auquel on adjoignit bientôt une compagnie de francs-tireurs, qui prit la dénomination de francs-tireurs des Vosges. Cette compagnie, qui comptait environ trois cents hommes, était composée de soldats provenant de divers régiments qui, échappés du champ de bataille de Sedan, avaient été ralliés par quelques officiers. Le camp était placé sous l’autorité du commandant Bernard, qui avait sous ses ordres le capitaine Coumès.
« Pendant un ou deux mois on s’appliqua à réorganiser les petites troupes rassemblées au camp, et on fit contre les Allemands des expéditions souvent heureuses. Dans une de ces rencontres, le commandant Bernard, à la tête de trois cents combattants, sans canons, ni cavalerie, défendit la ville de Lamarche contre la landwher prussienne, et ne se retira qu’après trois heures de lutte. Les Allemands n’osèrent pas le poursuivre.
« Mais le commandant Bernard préparait une entreprise de grande portée : il songeait à couper les communications de l’ennemi en faisant sauter le pont de Fontenoy. De la Vacheresse à Fontenoy on compte 60 kilomètres. Il fallait franchir cette distance la nuit, en pleine neige, se glisser à travers de nombreux détachements allemands, s’emparer de Fontenoy, occupé par une garnison ennemie, établir une mine sous un des piliers du pont, assurer le bon fonctionnement de l’explosion, puis revenir au camp, en évitant d’être attaqué par les forces supérieures dont disposaient les Prussiens.
« L’opération fut longuement étudiée par le capitaine Coumès, qui, vêtu en civil, alla d’abord explorer la région à parcourir. Il s’agissait de traverser des bois, de contourner, dans le plus grand silence, des villages et des bourgs remplis de soldats prussiens, d’arriver à Fontenoy, avant le lever du jour afin de mieux surprendre l’ennemi, et au besoin, de livrer combat dans cette petite localité, sans donner l’éveil à la garnison allemande de Toul, postée à quelques kilomètres.
« Au départ, presque toutes les troupes du camp se formèrent en colonne. Les francs-tireurs marchaient en avant, suivis, à courte distance, par les mobiles du Gard. Il y avait à franchir un espace dangereux, dans lequel on risquait d’être attaqué par plusieurs bataillons prussiens, accompagnés d’artillerie. Il faisait une nuit profonde, la neige tombait, amortissant le bruit des pas. On atteignit bientôt une région où les risques d’attaque étaient moins fréquents, et on renvoya les mobiles à la Vacheresse.
« La colonne qui poursuivit sa route comprenait les trois cents francs-tireurs. À deux cents mètres en avant, cheminait un petit peloton d’éclaireurs, chargé de pousser des patrouilles dans toutes les directions. Ce premier groupe était précédé par un homme en bourgeois, qui allait tantôt à pied, tantôt à cheval, tantôt en voiture, et qui, s’il avait été pris, aurait donné un signal, tout en se faisant passer auprès de l’ennemi pour un propriétaire des environs qui gagnait le village le plus voisin. L’homme était muni de deux lanternes, une blanche et une rouge au moyen desquelles il correspondait, dans l’obscurité, avec la colonne. Enfin, le premier peloton emmenait un chien de garde, dressé à reconnaître l’odeur des Prussiens et à aboyer.
« La première étape fut de quarante kilomètres, parcourus en partie dans les sentiers forestiers, où la neige avait un mètre de hauteur. Le matin on fit halte dans une grande ferme, où, par les soins du chef de l’expédition, un repas avait été préparé. Quelques assiettées de soupe aux pommes de terre, bien chaude, du vin, du café, une forte rasade de cognac, une pipe bien bourrée, rendirent du jarret à tout le monde. On reprit l’étape.
« Il y eut une seconde nuit de marche, sans autre ennui que la rigueur du froid, et le 22 janvier, à cinq heures du matin, la petite troupe entra dans Fontenoy.
« À Fontenoy étaient établis une cinquantaine de soldats de la landwher prussienne, principalement chargés de la garde du pont. La veille, le commandant prussien de Toul, averti, on ne sait comment, qu’il se préparait quelque chose, fit tirer deux coups de canon. C’était un avertissement convenu pour donner l’éveil aux Allemands de Fontenoy, et les prévenir de se tenir sur leurs gardes.
« Le chef des landwhériens de Fontenoy, sans trop savoir quel danger le menaçait, avait rassemblé son monde dans la gare. Un factionnaire était placé à la porte des salles d’entrée ; les autres factionnaires, installés à une centaine de mètres de la gare surveillaient la place. Enfin, une sentinelle double se tenait à l’entrée du pont. Il semblait que les précautions fussent bien prises. Les Allemands massés dans la gare dormaient en laissant tomber la neige ou fumaient leurs interminables pipes de porcelaine, lorsque, cinq heures sonnant, le détachement du capitaine Coumès, se glissant par une rue de Fontenoy, déboucha sur la place de la gare.
« Il était interdit de faire feu ; on devait aborder l’ennemi à l’arme blanche ; et opérer en faisant le moins de bruit possible.
« La nuit était si épaisse que le factionnaire allemand eut quelque peine à apercevoir les francs-tireurs. Il entrevit d’abord une masse confuse, et il a déclaré depuis qu’il croyait voir devant lui une troupe de paysans se rendant à l’église. Tandis qu’il cherchait à bien distinguer ce qu’il regardait, deux coups de baïonnette le firent rouler dans la neige. Le capitaine Coumès, suivi de deux sous-officiers et d’une centaine d’hommes, s’élançait au pas de course sur la gare. Le second factionnaire fut tué. Les Allemands sautèrent sur leurs fusils et voulurent sortir, mais ils furent refoulés ; d’autres groupes de francs-tireurs pénétrèrent dans la salle d’attente par les fenêtres. Une courte lutte à la baïonnette s’engagea, plusieurs Allemands furent blessés, d’autres se rendirent, le reste s’échappa et courut à Toul donner l’alarme.
« Aussitôt la gare prise, les francs-tireurs se portèrent vers le pont, tuèrent les deux sentinelles et, sans perdre une minute, disposèrent de la poudre le long d’un des piliers. Une explosion, entendue à plusieurs lieues a la ronde, fit sauter le pont. Il était temps, car il arrivait de Nancy un train chargé d’ennemis.
« La troupe du capitaine Coumès avait accompli sa mission. Les communications des Allemands étaient coupées ; les approvisionnements destinés au siège de Paris devraient désormais faire un très long détour, pendant lequel ils étaient exposés à être enlevés.
« Les francs-tireurs revinrent sans être inquiétés au camp de la Vacheresse.
« Cette courte opération a été certainement un des beaux faits de guerre de la campagne. »
Si le pont de Fontenoy avait été coupé deux mois plus tôt, le siège de Paris n’eût commencé qu’au mois de décembre, le gouvernement de la Défense nationale aurait eu le temps de faire entrer dans Paris beaucoup plus de vivres, d’équiper, d’armer et surtout d’exercer tous les soldats improvisés de nos bataillons de la garde mobile et de la garde nationale ; et qui sait ce qui fût arrivé ! Or, le fait est bien démontré, si après Sedan on ne fît pas sauter le pont de Fontenoy et les six tunnels des Vosges, pendant la retraite de l’armée commandée par le maréchal de Mac-Mahon, c’est qu’on ne disposait d’aucun moyen de transport pour amener de Paris quelques tonneaux de poudre ! Nous n’éprouverions pas aujourd’hui les mêmes difficultés, il y a toujours de la place dans un fourgon, pour y loger quelques pétards de dynamite.
La dynamite est souvent employée dans l’armée, pour mettre hors de service une pièce d’artillerie de siège ou de campagne. Pour cela, on introduit dans l’âme de la pièce une charge de 500 grammes de dynamite, que l’on fait exploser.
Pour briser un canon, de manière à le réduire en blocs de fonte, faciles à transporter, on fait descendre la pièce dans une fosse, et on la cale, la bouche en haut. Ensuite on fait arriver dans l’âme (fig. 111) deux charges de dynamite, attachées à une baguette en bois, la plus forte au fond, la plus faible à la hauteur des tourillons. On prend autant de grammes de dynamite qu’il y a de kilogrammes de métal du canon. On met au fond les deux tiers de la charge, et un tiers au milieu. On remplit d’eau la pièce, et on ferme la bouche avec un tampon de bois, qui ne laisse passer que les fils électriques conducteurs.
C’est, en effet, avec l’étincelle électrique qu’il est préférable d’opérer l’inflammation de la charge.
Un exploseur électrique sert à déterminer l’envoi du courant dans l’amorce fulminante, que l’on a disposée au-dessous de la charge, ainsi que nous le représente la figure 111.
Le canon est brisé en 90 à 100 morceaux.
Au lieu de chercher à décharger les obus qui n’ont pas éclaté, il vaut mieux les détruire avec de la dynamite, qui brise l’enveloppe métallique, et fait brûler à l’air libre la poudre de l’obus, ce qui ne présente aucun danger.
On opère sur trois obus à la fois : deux étant placés l’un près de l’autre et le troisième au-dessus. On tasse la dynamite dans l’intervalle qui existe entre les projectiles, de manière qu’elle soit bien en contact avec les obus qu’il s’agit de briser.
CHAPITRE IX
La supériorité de la dynamite pour les travaux de mine et de sautage est aujourd’hui un fait incontesté. Dans le pays où l’on est familiarisé avec cette matière, l’emploi de la poudre est à peu près nul. « À la poudrerie d’Oker, en Suède, dit le capitaine Kaygorodoff, de l’artillerie impériale russe, la fabrication de la poudre de mine est presque arrêtée, par suite de la généralisation de l’emploi de la dynamite, qui présente d’énormes avantages sur la poudre, pour le sautage des roches. »
Suivant l’expression d’un maître mineur : La dynamite ne coûte rien ; ce qui veut dire que les avantages que l’on retire de son emploi sont tels que le coût de la matière explosive est plus que couvert par l’excédent du travail produit. Par exemple, l’ouvrier tâcheron qui aura dépensé dans sa journée pour dix francs de dynamite, aura abattu, dans ce même temps, un cube de rocher qui lui sera payé dix francs de plus que s’il avait travaillé avec la poudre. Il est donc vrai de dire que la dynamite ne lui aura rien coûté.
Mais si l’économie est énorme pour le simple mineur, elle est bien autrement considérable pour l’entrepreneur de travaux, qui peut diminuer la main-d’œuvre, restreindre le nombre des travailleurs, et terminer sa tâche dans un délai beaucoup plus court, avantage immense, quand il y a de grands capitaux engagés.
Ajoutons que l’usage de cet explosif réduit considérablement le nombre des accidents. Il fallait autrefois, quand on avait un personnel important d’ouvriers, compter, chaque année, sur un nombre assez grand de victimes ; avec la dynamite ce nombre diminue considérablement.
« Je suis absolument convaincu, dit le major anglais Beaumont, que pour l’usage et le transport, la dynamite offre bien plus de sécurité que la poudre. Dans les travaux que j’ai eu à exécuter j’ai eu plusieurs accidents avec la poudre : je n’en ai pas eu un seul avec la dynamite qui ait fait des victimes. »
« J’ai essayé la dynamite de toutes façons possibles, dit M. E. Taylot, régisseur des mines de Chester et d’Aberystwith, et je n’ai jamais eu d’accidents… L’usage de la poudre est tellement dangereux, j’ai eu tant de monde tué par cette matière, que je ne voudrais à aucun prix être obligé de l’employer de nouveau… J’ai eu sept hommes tués en une seule année[4]. »
L’emploi de la dynamite offre aux ouvriers mineurs une sécurité bien plus grande que la poudre ordinaire. Depuis que son emploi s’est répandu dans les mines du sud-est de l’Angleterre, on ne pourrait citer un seul accident qui lui soit attribuable.
L’économie de temps et de main-d’œuvre que l’on réalise dans l’emploi de la dynamite tient aux causes suivantes :
La matière explosive étant beaucoup plus forte que la poudre, on a, pour le même travail, moins de mine à percer.
La matière étant beaucoup plus dense que la poudre (le double environ), on peut en placer le même poids dans un volume de moitié moins grand, et par conséquent, faire des trous de mines beaucoup plus petits.
La dynamite ne craignant pas l’humidité, il est inutile, comme avec la poudre, de perdre du temps à dessécher les trous de mine.
L’inflammation de la dynamite au moyen de la capsule étant instantanée, il suffit d’un bourrage sommaire, comme de verser dans le trou de mine le sable ou la terre que l’on a sous la main, en le tassant avec un bourroir en bois. On sait, au contraire, qu’avec la poudre, on n’a presque pas d’effet si elle n’est pas parfaitement bourrée.
Enfin, on peut, quand les circonstances le permettent, employer le bourrage à l’eau, qui donne un résultat excellent, tout en étant aussi simple qu’économique. Le bourrage à l’eau est impossible avec la poudre, que l’eau détruit immédiatement.
La sécurité que l’on trouve dans l’emploi de la dynamite provient de ce que cet explosif, qui s’enflamme, du reste, assez difficilement, ne produit aucun effet, quand il est enflammé par les moyens ordinaires. Il faut absolument la présence de la capsule au fulminate de mercure, pour amener son explosion ; de sorte que, dans les conditions ordinaires, il n’y a pas plus de danger à avoir avec soi de la dynamite, que du charbon, du coton ou tout autre corps inflammable.
La dynamite, il est vrai, peut détoner par le choc ; mais il faut pour cela que la matière soit placée, en couche mince, entre deux corps durs. C’est pour cela qu’il ne faut jamais employer, pour bourroirs, des tiges de fer. À l’état de cartouche et surtout enfermée dans des sacs, boîtes ou caisses, la dynamite ne craint rien et peut supporter les chocs ou les secousses les plus violents, sans qu’il en résulte d’accident. On a fait souvent l’expérience qui consiste à faire tomber sur une caisse de dynamite un poids en fonte de 100 kilogrammes, d’une hauteur de 10 mètres, sans qu’il en résulte d’autre effet que d’écraser la matière.
On a prétendu que la dynamite n’est point une substance stable et qu’elle peut se décomposer en magasin. Cette crainte est chimérique. Nous ne parlons ici, bien entendu, que de la stabilité chimique. Quant à la séparation mécanique entre la nitro-glycérine et la substance inerte, il est clair que la dynamite étant, non une combinaison, mais un simple mélange de parties liquides et solides, ces parties se sépareront à la longue, sous l’influence de l’eau ou de l’humidité, si l’on ne prend aucune précaution. Mais il suffit de conserver la dynamite dans les conditions où elle est livrée par le fabricant, pour n’avoir rien à craindre à cet égard.
Un des reproches que l’on fait quelquefois à la dynamite, c’est de produire, par son explosion, des gaz qui incommodent les ouvriers, dans les galeries mal ventilées. Ces gaz ne sont point malsains, et quand les ouvriers s’y sont accoutumés, ils n’en souffrent nullement ; mais ce n’est qu’à une condition absolue, c’est que la dynamite ait franchement détoné, car il est vrai que quand elle brûle simplement, les gaz qu’elle produit sont irrespirables. On devra donc s’attacher à ne pas avoir de ratés, et employer, pour cela, des capsules très fortes.
Un défaut plus grand de la dynamite, c’est de geler, et alors, de durcir facilement. C’est à ce point de vue seul que l’on peut dire que ce n’est point un explosif parfait. Presque tous les accidents qui arrivent dans l’emploi de la dynamite proviennent de l’impatience des ouvriers à dégeler les cartouches qu’ils placent directement sur le feu, sans prendre garde, quelquefois, qu’une capsule est demeurée dans la cartouche. Aussi doit-on s’abstenir absolument d’approcher ces matières des poêles, des cheminées, foyers, etc., etc. Quelque sécurité qu’elles présentent, il ne faut jamais oublier que l’on a affaire à un explosif.
Nous verrons plus loin la manière de dégeler la dynamite sans danger, au moyen de l’eau chaude où l’on plonge les cartouches disposées dans un vase de métal.
La dynamite est un corps solide, gras et pâteux, formé par le mélange de diverses substances avec une huile prodigieusement explosive, la nitro-glycérine. Ainsi que nous l’avons dit, on commença par se servir, comme explosif, de cette huile seule ; mais l’usage en était incommode et dangereux. À la suite de nombreux accidents arrivés dans les transports, il fut reconnu que la nitro-glycérine ne pouvait être utilisée qu’à la condition d’être préparée sur place, et employée immédiatement. L’invention de la dynamite, mélange de nitro-glycérine et d’une substance inerte ou active, vint donner le moyen de produire, sans danger, à peu près les mêmes effets qu’avec la nitro-glycérine.
Les dynamites, avons-nous dit dans un autre chapitre, se divisent en deux catégories suivant la nature de la matière qui est associée à la nitro-glycérine.
Dans la première, la matière absorbante est inerte, et ne sert, par conséquent, que de véhicule à l’huile explosive. Pour qu’une dynamite de cette nature soit de bonne qualité, il faut qu’il y ait, non pas seulement mélange entre le corps solide et la nitro-glycérine, mais une véritable absorption, de telle manière que sous l’influence des variations atmosphériques et des secousses ou trépidations résultant d’un transport prolongé, il n’y ait pas de séparation entre le liquide et le solide. C’est le choix judicieux de cet absorbant qui a assuré le succès de la dynamite no 1 de Nobel. Aussi, quoique la présence du sable, dit terre d’infusoires, qui entre pour 25 pour 100 environ dans le poids de la dynamite, ait pour effet de diminuer la force de l’huile explosive, les avantages sont tels que l’usage de la nitro-glycérine pure a été et devait être totalement abandonné.
Les dynamites de la seconde catégorie, nommées, par opposition, dynamites à base active y sont un mélange de diverses substances détonantes avec la nitro-glycérine. Le type le plus répandu est la dynamite no 3, de la fabrique de Paulilles, de la Société générale de dynamite, qui, moins forte que le no 1, est cependant suffisante pour la plupart des travaux, est d’un prix moins élevé, et présente des garanties de sécurité très grandes, car elle est peu sensible au choc et ne s’enflamme que difficilement.
La dynamite no 2, intermédiaire entre les dynamites no 1 et no 3, remplace avantageusement la première, dont elle égale presque la puissance tout en procurant une grande économie.
Toutes les dynamites de bonne qualité ont les caractères communs suivants :
Elles se présentent sous la forme d’une masse plus ou moins grasse et plastique, d’une grande densité (1,6 environ).
Elles s’enflamment simplement par le contact d’une flamme ou d’un corps en ignition, et brûlent tranquillement, sans faire explosion.
Pour les faire détoner, il faut employer la capsule-amorce, dont nous indiquerons l’usage ultérieurement.
Néanmoins il est toujours prudent de tenir la dynamite loin du feu. Si une certaine quantité de dynamite peut brûler impunément, il est à craindre qu’il n’en soit pas de même pour une grande masse.
Toutes les dynamites gèlent, et perdent, leur plasticité à une température assez peu élevée, à 7 ou 8 degrés centigrades. Pour s’en servir et en retirer un bon effet, il faut les dégeler et les ramener à l’état mou.
C’est une erreur de croire que la dynamite gelée soit plus sensible au choc que la dynamite molle ; mais elle peut détoner par le choc d’un corps métallique, si ce choc est assez violent.
La dynamite est toujours livrée en cartouches faites avec le papier parchemin, papier très solide, qui ne se déchire pas, et n’est pas traversé par l’huile explosive.
Toute dynamite enfermée dans une enveloppe rigide, résistante, ou se laissant traverser par la nitro-glycérine, doit être repoussée par l’industrie.
Les poudres de dynamite sont livrées au commerce en cylindres légèrement plastiques, nommés cartouches, dont le diamètre est ordinairement de 20 à 25 millimètres, sur 2 centimètres de long. On les vend dans des caisses contenant 20 ou 25 kilogrammes de cartouches.
Ces explosifs détonent, comme la nitro-glycérine, sous l’influence d’une capsule au fulminate de mercure, que l’on enflamme au moyen d’une mèche ou cordeau de mineur (bickford). La chaleur et le choc produits simultanément par la détonation du fulminate déterminent l’explosion de la dynamite.
L’emploi de la dynamite pour faire sauter les mines comprend, d’après cela, deux opérations différentes : 1o le chargement du trou de mine, 2o la préparation de la cartouche-amorce.
Pour charger le trou de mine, on prend la quantité de cartouches nécessaire pour constituer la charge, et après les avoir fait dégeler, si c’est nécessaire, car il faut qu’elles soient toutes molles, on les coupe toutes en deux, par le milieu, et on les fend ensuite dans le sens de la longueur, comme l’indique la figure 113. On introduit dans le trou de mine les demi-cartouches les unes après les autres » en ayant soin que la partie coupée se trouve tournée vers le fond, et en écrasant chacune d’elles énergiquement, avec le bourroir en bois. On ajoute ainsi successivement toutes les demi-cartouches les unes sur les autres, toujours dans le même sens, de façon que le bourroir appuie toujours sur le papier qui recouvre l’extrémité non coupée. Il faut comprimer fortement et écraser chaque demi-cartouche l’une sur l’autre, au fur et à mesure qu’on les superpose : cette précaution est importante, car il est absolument indispensable qu’il n’y ait pas de vide dans la charge. Il faut également avoir soin que le bourroir en bois reste toujours bien propre, et l’essuyer avec précaution, surtout si l’on s’apercevait qu’en le retirant du trou il ramène de la dynamite.
Lorsque toute la charge est mise en place, il faut ajouter la cartouche-amorce.
Dans toutes les caisses de dynamite il y a de petites cartouches de 25 à 30 millimètres de longueur destinées à recevoir la capsule et à faire détoner la charge ; c’est ce que l’on nomme les cartouches-amorces.
L’emploi de la cartouche-amorce a pour effet de provoquer l’explosion totale de la charge de dynamite et de donner plus de facilité pour assujettir la capsule convenablement.
Pour exécuter cette dernière opération voici comment on procède :
Après avoir débarrassé une capsule-amorce de la sciure de bois dans laquelle elles sont emballées, ce qui se fait simplement en secouant légèrement l’alvéole pour la vider, on s’assure que le fulminate est bien à découvert, puis on la fixe à la mèche de la façon suivante :
Fig. 117. — Cartouche-amorce serrée.À l’aide du premier cran de la pince à sertir (fig. 114) on abat un morceau de l’extrémité de la mèche d’environ un centimètre, et on introduit la mèche ainsi rafraîchie dans la capsule en ayant soin qu’elle descende jusque sur le fulminate ; puis, à l’aide du second cran de la pince à sertir, on serre solidement la partie supérieure de la capsule sur la mèche (fig. 115 et 116), à deux millimètres environ du bord.
On ouvre ensuite le papier de l’extrémité de la cartouche-amorce, après avoir fixé une ficelle sur la mèche tout contre la capsule en Y (fig. 117), et on introduit celle-ci dans la dynamite jusqu’aux trois-quarts de sa longueur environ. On fait passer la ficelle en X autour du papier rabattu sur la mèche, puis on fait une solide ligature en croix comme l’indique la figure 117.
La cartouche-amorce, ainsi préparée, est poussée sur la charge qui est déjà dans le trou de mine (fig. 118). On presse légèrement pour assurer le contact avec la charge, mais il ne faut jamais frapper dessus avec le bourroir, car on pourrait changer la position de la capsule et même la faire sortir de la dynamite.
Fig. 118. — Capsule-amorce placée dans la cartouche. | Fig. 119. — Autre manière de placer la cartouche-amorce. |
Il arrive quelquefois qu’en bourrant et en tirant sur la mèche cette dernière sort de la capsule ou l’ensemble sort de la dynamite et le coup rate.
Le colonel Locher, entrepreneur d’un tunnel du Saint-Gothard, pour parer à cet inconvénient, faisait confectionner des cylindres en papier, dans le fond desquels on plaçait la cartouche-amorce (fig. 119). On achevait de les remplir avec du sable sec, puis on ligaturait le papier rabattu sur la mèche b b. À l’aide de ce dispositif on a évité presque tous les ratés au tunnel de Pfafensprung. Ce procédé est à recommander à tous les ingénieurs.
On procède ensuite à un bourrage aussi résistant et aussi soigné que possible, en commençant par du papier ou par de petites bourres, et en achevant, soit avec de la brique pilée, soit avec du sable renfermé, comme d’habitude, dans du papier.
À la troisième bourre, il faut comprimer solidement, et continuer de même jusqu’à ce que le trou de mine soit rempli.
Dans tout ce travail, il faut toujours se servir du bourroir en bois. Il est expressément recommandé de ne jamais se servir de bourroir en fer, ou en tout autre métal.
L’ouvrier allume alors la mèche avec un bout d’amadou, et se retire.
Si l’on a suivi exactement les indications qui précèdent il ne peut pas se produire de ratés.
Toutefois si un coup de mine vient à rater, le mineur, qui connaît toujours exactement la hauteur du bourrage qu’il a fait, doit débourrer son trou, de manière à laisser 10 à 15 centimètres de bourrage au-dessus de l’explosif. On y replace alors une cartouche de dynamite munie de son amorce, on bourre de nouveau, et l’explosion de cette deuxième charge détermine, par influence, celle de la première. Ce moyen est le seul pratique.
Il est important qu’aucune sorte de dynamite ne soit employée quand elle est gelée.
L’appareil à dégeler est représenté en coupe dans la figure 120. C’est un seau composé de deux cylindres concentriques en zinc, fermés par un couvercle.
Les cartouches se placent dans le cylindre intérieur et l’on verse de l’eau chaude dans l’espace annulaire.
Quoiqu’il n’y ait aucun danger à faire usage d’eau bouillante, il vaut mieux néanmoins n’employer que de l’eau à 50° environ, car une eau trop chaude désagrège les cartouches et les fait souvent exsuder.
Quand l’eau se refroidit on la change. On ne doit jamais mettre le seau lui-même sur le feu, dans la crainte que, par suite de négligence ou d’oubli, le métal ne soit chauffé à nu, ce qui pourrait déterminer un accident.
L’enveloppe et le couvercle du seau étant formés d’une simple feuille de métal, on peut envelopper l’appareil d’une couverture de laine, pour éviter l’abaissement de la température, par le rayonnement.
Dans le cas où l’on ne serait pas pourvu d’appareil à dégeler, on peut faire cette opération au moyen d’un seau en zinc, dans lequel on met les cartouches, et qu’on plonge ensuite simplement dans un baquet rempli d’eau chaude.
Pour que la dynamite reste en bon état, on doit avoir soin de la couvrir, afin que la vapeur d’eau n’arrive pas jusqu’à elle.
Il ne faut jamais placer le vase contenant la dynamite sur un poêle, sur une chaudière ou sur le feu.
On peut aussi dégeler la dynamite en portant les cartouches, pendant un quart d’heure environ, dans la poche du pantalon. C’est ce que font souvent les ouvriers ; mais il ne faut jamais essayer de dégeler des cartouches amorcées.
C’est au moyen du cordeau de mineur que l’on allume généralement les cartouches de dynamite, dans les mines et carrières. Cependant, dans certains cas l’inflammation des mines par l’électricité offre de grands avantages, et ce procédé se répand de plus en plus. Nous le décrirons, en conséquence, avec soin.
L’emploi de l’électricité (fig. 121) permet de faire partir une ou plusieurs mines exactement au moment voulu et en se plaçant à telle distance qu’on le désire. Cette méthode est encore très avantageuse quand les mines sont dans des positions difficiles, dans le fonçage des puits, par exemple, ou sous une grande charge d’eau.
Enfin le sautage électrique met les mineurs à l’abri des accidents provenant des longs-feux.
L’outillage nécessaire pour la mise à feu électrique se compose : 1o de l’exploseur ; 2o des fils conducteurs ; 3o des fusées, ou amorces.
Exploseur. — Les exploseurs que l’on peut employer sont extrêmement variés. L’exploseur Breguet, que nous avons décrit dans les Merveilles de la science, a été longtemps en usage, et il est encore employé dans l’armée, mais il expose, paraît-il, à de réels dangers, et on l’a remplacé, de nos jours, par des appareils d’inflammation d’un effet plus sûr.
L’exploseur employé par la Société générale de dynamite a été importé d’Allemagne par M. G. Vian, l’un des deux directeurs de cette société.
Il se compose de deux plateaux en ébonite, ou caoutchouc durci, qui reçoivent un rapide mouvement de rotation, par l’intermédiaire d’engrenages commandés, à l’extérieur, par une manivelle.
Ces plateaux tournent entre des frottoirs garnis de peau de chat. L’électricité dont ils se sont chargés par le frottement est recueillie par des peignes, protégés par un disque isolant en ébonite, et mis en communication avec les armatures extérieures d’une bouteille de Leyde.
Un écran indépendant, également en ébonite, est placé en avant des armatures extérieures des bouteilles, entre ces armatures et les disques, dans le but d’empêcher la déperdition du fluide.
L’électricité produite par la petite bouteille de Leyde extérieure est amenée aux conducteurs.
L’appareil est renfermé dans une boîte en bois, de forme rectangulaire, de 0m,38 de haut et de 0m,55 sur 0m,27 de base, divisée en deux compartiments par la cloison. L’un, toujours fermé, contient les appareils producteurs d’électricité ; l’autre, contenant les armatures extérieures et le bouton, est muni d’un couvercle, qui peut être rabattu sur le dessus de la boîte.
Voici maintenant comment on procède pour enflammer une mine avec cet appareil.
On saisit la manivelle de la main droite, et l’on fait tourner avec une vitesse modérée (2 tours par seconde). Pendant le onzième tour, on presse le bouton qui met le courant électrique en rapport avec le fil extérieur, et on appuie sur lui pendant une seconde.
Si, après onze tours, les étincelles ne se produisent pas, il faut recommencer en doublant le nombre de tours de la manivelle ; puis en triplant, etc…, jusqu’à la production de l’étincelle.
Fils conducteurs. — Il faut apporter un soin particulier à l’installation des conducteurs métalliques.
Leur rôle est d’amener à l’explosif, qui constitue la charge, toute l’électricité que l’appareil peut produire. Ils se composent donc d’une suite non interrompue de fils isolés et bons conducteurs de l’électricité.
Dans chaque conduite on distingue deux parties :
1o Les conducteurs principaux, qui sont ordinairement exposés à l’air libre, et le fil de retour ;
2o Les fils d’accouplement, qui réunissent ensemble les diverses amorces électriques.
Pour les grands travaux et quand on veut s’assurer un succès complet, il faut employer des conducteurs isolés. Il ne faut jamais non plus, dans ce cas, fermer le circuit avec la terre, pour économiser un fil conducteur ; car alors, pour produire l’étincelle, on a besoin d’un beaucoup plus grand nombre de tours de la manivelle, et il suffit qu’un des fils d’accouplement touche le sol, pour que le retour se fasse par ce contact accidentel.
Les fils conducteurs dans les galeries sèches peuvent être en fil de fer recuit ; mais dans les puits, où l’humidité oxyderait bientôt le fer, on doit employer des fils en laiton bien recuit, de 1/2 millimètre, ou des fils de cuivre recouvert de gutta-percha. On sait que le cuivre possède une conductibilité six fois plus grande que celle du fer.
Les fils des conducteurs principaux sont tendus sur des isolateurs, qui reposent eux-mêmes sur des potelets, ou sur des morceaux de bois disposés à cet effet (fig. 121).
Les isolateurs dont on se sert habituellement sont en verre, en porcelaine, ou en caoutchouc vulcanisé. Ils ont la forme d’une cloche ; ce qui assure l’isolement, quelles que soient les conditions climatériques extérieures. Ainsi, malgré la pluie la plus abondante, le dessous de la cloche reste-t-il toujours parfaitement sec.
Les manches des isolateurs sont en corne et sont pourvus de deux rigoles, ou rainures, pour la pose des fils conducteurs.
Si les isolateurs sont placés à l’air, il faut faire en sorte que le fil ne touche à aucun des objets environnants, et qu’il soit tendu librement à travers l’espace. Ce n’est qu’à cette condition qu’on obtient un isolement parfait.
Cependant si l’emploi de ces conducteurs ne doit pas être de longue durée il suffit de poser le fil librement sur le sol.
Quand les conducteurs doivent servir pendant un certain temps, comme dans le percement d’un tunnel, il est bon de les soutenir tous les 100 à 150 mètres.
S’il s’agit du fonçage d’un puits, les fils conducteurs enroulés sur des bobines sont descendus au fur et à mesure dans l’approfondissement du puits, et maintenus à 20 mètres du fond, pour éviter les projections des débris.
Ils sont, d’ailleurs, reliés, à l’extérieur du puits, aux pôles de la machine.
Les conducteurs devant aller jusqu’à 250 mètres ont 0m,002 de diamètre ; ils pèsent 36 grammes, et reviennent à 0 fr. 60 le mètre courant.
Ceux qui vont à 300 mètres ont un diamètre de 0m,0023 ; ils pèsent 70 grammes, et reviennent à 0 fr. 75 le mètre courant.
Amorce. — Le troisième facteur important de l’allumage électrique est l’amorce, qui permet la production de l’étincelle électrique destinée à enflammer la capsule.
L’amorce se compose d’un petit cylindre en mastic isolant, qui maintient séparées les deux extrémités des deux fils de cuivre formant le conducteur. Au cylindre fait suite une petite cartouche en papier, renfermant une matière explosive, dans laquelle plongent les deux bouts du fil conducteur, qui sont à une distance d’environ un quart de millimètre l’un de l’autre.
Au-dessous est placée une capsule contenant le fulminate de mercure. Le tout est recouvert d’un enduit de poix. On voit donc que dès que l’étincelle envoyée par l’appareil électrique jaillit, elle enflamme la matière explosive, et par suite, fait détoner la capsule.
Dans les travaux sous-marins on remplace la petite cartouche en papier par une cartouche en métal.
Dans l’armée française, on préfère aux appareils que nous venons de décrire les simples piles.
Avec ces dernières on peut constamment, même pendant la durée de la manipulation, vérifier, à l’aide d’une pile au sel marin, très faible, si le courant passe dans tout le circuit. De plus, l’isolement des conducteurs principaux n’est pas d’une nécessité absolue.
Quand, au contraire, on se sert d’un appareil faisant jaillir une étincelle électrique, il est de toute nécessité que la machine, les conducteurs et les amorces soient en parfaite communication.
Voici maintenant comment on prépare un coup de mine, quand on fait usage de l’électricité, comme agent d’explosion.
Avant tout, on distribue au mineur préposé à la charge des trous de mine les fils conducteurs reliés aux amorces.
Ces fils peuvent être disposés ou sur des bâtons, comme il a été dit plus haut, ou dans des conduits en papier ou dans des gaines de chanvre, ou enfin dans une enveloppe de gutta-percha.
Le mineur devra veiller à ce que les fils isolés soient assez longs pour sortir en partie du trou de mine.
Les conducteurs sur bâtons ne s’emploient que dans les endroits très secs. Les conducteurs à ruban avec enveloppe de chanvre, sont destinés aux endroits humides. Les conducteurs avec enveloppe de gutta-percha, conviennent pour les travaux mouillés.
Le conducteur à gaine de chanvre, soigneusement goudronné, est semblable à la mèche ordinaire à poudre, et relié solidement à l’amorce électrique.
Le conducteur ruban est également relié à l’amorce électrique.
Ce conducteur est solidement conditionné ; les fils sont isolés par du papier très fort, enduit de poix, et ils présentent des garanties suffisantes pour être employés dans les endroits humides.
Les bâtons conducteurs sont des baguettes en bois d’environ 0m,01 carré de section, dans lesquelles on a pratiqué deux rainures opposées où les fils sont logés.
L’assemblage des divers éléments du fil conducteur, c’est-à-dire la réunion, des différentes parties du conducteur général, exige beaucoup d’attention, et ne peut être exécuté que par un manouvrier expert, qui rattache les deux bouts, et consolide la jointure avec les plus grandes précautions.
Quand les trous de mines ont été chargés comme nous l’avons indiqué précédemment, l’ouvrier chargé de l’opération de la pose des fils fait communiquer un des fils de la première charge, par un fil intermédiaire, avec le conducteur venant de la machine électrique et il relie l’autre fil à la seconde charge, par un autre fil intermédiaire. Il continue ainsi le chapelet, de proche en proche, en reliant chaque charge à la suivante, par les fils intermédiaires, jusqu’à la dernière charge, qu’il relie alors elle-même au fil de retour, par un dernier fil intermédiaire.
Ces fils intermédiaires s’appellent fils d’accouplement.
Si ces fils reposent sur des roches ou des terrains très secs, on emploie du fil de fer recuit, de 1/4 à 1/2 millimètre. Sur un terrain humide on emploie des fils de fer pour fleurs artificielles, qu’on enduit de suif. Enfin si les fils sont submergés, ils doivent être revêtus d’un enduit en gutta-percha.
Le petit fil de cuivre entouré de gutta-percha donne des résultats très satisfaisants, dans tous les cas. Cent mètres de ces fils pèsent 1 kilog. 11 et coûtent 0 fr. 12 le mètre courant. On en consomme environ 100 mètres, pour foncer 20 mètres de puits.
La figure 122 indique les dispositions générales pour l’allumage électrique et simultané de plusieurs coups de mine.
Le conducteur négatif, se composant de fils isolés, amène le courant du pôle C de l’armature de la machine électrique placée en A ; le conducteur positif, composé de fil ordinaire, amène le courant du pôle D de l’armature du même appareil. Les fils d’accouplement a a a a servent de liaison entre les charges b b b b qu’ils réunissent entre elles.
Les fils d’accouplement ne doivent pas toucher la terre, ils ne sont pas isolés.
Pour les tranchées de chemin de fer on plante, de dix en dix mètres, des pieux, auxquels on fixe les conducteurs isolés, ou ceux pour lesquels on a employé simplement du fil de fer, suivant les besoins.
Pour opérer, on interpose entre la première charge et le conducteur principal un conducteur intermédiaire, en fil de fer. Ce conducteur ne doit jamais reposer sur rien. On réunit de la même manière le fil de retour du conducteur principal avec la dernière charge, mais alors il importe peu que le fil intermédiaire repose sur le sol environnant.
Dans les puits, on peut faire passer le conducteur principal à travers une petite conduite en bois (tuyau de ventilation), et on le relie à la façon ordinaire, à la première charge.
Le conducteur principal peut être disposé de la même façon dans une galerie de mine. Quand le fil de cuivre recouvert de gutta-percha est posé dans un conduit en bois, il est protégé de cette manière contre tous les chocs qui pourraient l’endommager.
Allumage des charges. — Une fois que toutes les charges communiquent entre elles et avec les conducteurs, l’employé introduit les bouts des conducteurs principaux dans les boucles des récepteurs de l’appareil producteur de l’électricité. Il fixe la manivelle à l’appareil, charge celui-ci, en donnant 30 à 60 tours de manivelle, et il presse le bouton, ce qui détermine l’inflammation simultanée de toutes les charges.
Ceci fait, on dégage les fils fixés à la machine électrique, et on peut visiter le chantier en exploitation sans danger, sans se préoccuper des charges qui ne seraient pas parties, et sans être incommodé des fumées provenant de la combustion des mèches et des gaz délétères produits par la distillation de leur enveloppe cotonneuse.
Tels sont les moyens qui servent à faire sauter les roches et les terres par le courant électrique, pour l’exploitation des mines, pour l’excavation des tunnels et pour le fonçage des puits.
CHAPITRE X
Nous rappellerons les principaux grands travaux qui ont été exécutés, dans notre siècle, au moyen de la dynamite.
Le percement du tunnel du mont Saint-Gothard est un des plus intéressants exemples à citer, sous ce rapport.
Nous n’avons rien à dire du percement du tunnel du mont Cenis, entreprise qui précéda celle du mont Saint-Gothard, attendu que les directeurs (italiens) de l’entreprise, à qui M. Nobel proposa la dynamite, pour la substituer à la poudre, ne voulurent pas même en permettre l’expérience, et firent exécuter tous les travaux à la poudre… Point de commentaires !
La dynamite employée au déblaiement des roches, pour le percement du tunnel du mont Saint-Gothard, permit d’effectuer le travail avec une rapidité inconnue jusque-là. Le tunnel du Saint-Gothard a 8 mètres de largeur, sur 6 mètres et demi de hauteur et une longueur de 15 kilomètres. Voici comment on procéda à son percement.
Six machines perforatrices, mues par l’air comprimé, attaquaient en même temps le roc. Ces six machines, reliées entre elles, fonctionnant en même temps et avec une régularité parfaite, pratiquaient dans le rocher six trous, d’une profondeur d’un mètre environ. Quand ces trous étaient creusés, on y introduisait les cartouches de dynamite. Les travailleurs se retiraient alors, à quelques centaines de mètres, dans des refuges creusés dans l’épaisseur de la galerie, après avoir allumé les mèches, qui devaient faire détoner l’amorce des cartouches. Le rocher sautait, les six cartouches avaient fait explosion ; alors, les ouvriers revenaient et déblayaient le terrain.
On employa pour le percement du Saint-Gothard, qui fut fait en deux ans, 12 000 kilogrammes de dynamite. Si les ingénieurs n’avaient eu que la poudre ordinaire à leur disposition, il en aurait fallu 7 à 8 fois autant, et l’œuvre gigantesque qu’ils avaient entreprise ne serait peut-être pas encore terminée.
On employait 26 kilogrammes de dynamite par mètre d’avancement.
Le port de New-York était en partie barré, du côté de l’est, par un énorme banc de rochers, le rocher de Hallets-Point. À maintes reprises, des navires étaient venus s’échouer sur ce récif. En 1868, le gouvernement des États-Unis décida que cet obstacle serait détruit, et le général Newton fut choisi pour accomplir ce travail gigantesque.
Ce n’était pas chose facile ; le 24 septembre 1876 seulement, les travaux étaient terminés. On avait ouvert dans l’épaisseur du récif deux galeries, ayant, chacune, une longueur d’environ 100 mètres, une largeur de 7 mètres, et une hauteur de 5 mètres ; elles étaient reliées entre elles par des galeries transversales.
Les rochers de Hallets-Point avaient une superficie totale de 12 000 mètres carrés. On creusa 5 000 trous, qui furent remplis, de 40 000 kilogrammes de dynamite. Toutes ces charges furent réunies à l’aide de fils conducteurs, dont le développement total était de 70 kilomètres.
C’était la première fois qu’on faisait détoner en même temps une aussi énorme quantité de matières explosives.
Le général Newton, chargé de l’entreprise, ayant choisi une des plus grandes marées de l’année, les roches qu’il s’agissait de faire sauter étaient surmontées par une colonne d’eau de plus de 12 mètres. Aussi la hauteur du jet liquide fut-elle singulièrement atténuée. On estime que sa hauteur fut de 25 mètres et son diamètre de 100 mètres seulement (fig. 123).
Le reflux de l’eau vint mourir au pied du réduit casematé où le général Newton se tenait, avec sa fille, sa femme et quelques amis. Ce fut par la main de sa fille, enfant de deux ans, que le feu fut mis à la mine, par l’intermédiaire du commutateur que l’enfant fit agir.
La lame balaya le rivage, une seconde avant le bruit de l’explosion.
Quelques minutes après l’explosion, les vapeurs, les yachts, les canots, qui avaient été maintenus à distance par les embarcations de la police de New-York, se précipitaient dans la rade, encore encombrée de débris.
La vibration des terres environnantes avait été très faible. On n’observa pas de commotion atmosphérique ; ni le son ni la secousse ne se transmirent à un rayon de 5 milles de la mine.
Le déblayement des débris commença immédiatement après.
Un correspondant du Journal de Genève a fait le récit suivant de la journée du 24 septembre 1876.
« Quelle décharge allait faire cette pièce d’artillerie, à côté de laquelle les canons Krupp n’étaient qu’un misérable jouet d’enfant ? C’est ce que l’on se demandait à New-York. La foule avait pris position tout le long du rivage de la rivière de l’Est et sur toutes les éminences qui lui permettaient de jouir du spectacle auquel elle était venue assister. Les dernières heures avant le dénouement du drame furent employées à visiter les fils qui se rendaient du rocher à la station de décharge et à disposer la batterie électrique. Tout était prêt. Il ne restait plus qu’à appuyer sur un bouton pour mettre la batterie en communication avec les fils. Le général Newton avait auprès de lui une jeune enfant de deux ans et demi, sa fille. Son père prend sa main dans la sienne, l’approche de l’appareil électrique. Ainsi qu’il avait été annoncé, un coup de canon avait donné un premier signal, une sorte de garde à vous, à 2h,25 ; un second coup avait été tiré à 2h,40 ; un troisième à 2h,48′,30″.
Avant que la détonation eût fini de résonner aux oreilles, on entendit un bruit sourd, suivi d’un grondement semblable à l’écho d’un coup de canon lointain ; la terre vibra l’espace de deux secondes, une gerbe d’eau jaunâtre s’éleva à une hauteur de trente à quarante pieds. C’était tout : le rocher de Hallets Point s’était effondré. »
On entendit le bruit de l’explosion jusqu’à 300 kilomètres de distance.
Il fallut deux ans pour draguer les débris d’un autre écueil que le général Newton fit ensuite sauter, pour continuer de débarrasser le port de New-York. Cette roche sous-marine, qui se nomme Flood Rock (fig. 124), avait une superficie de 3 hectares. L’explosion de cette nouvelle et colossale mine consomma 50 000 kilogrammes de dynamite, deux fois plus que celle du 4 septembre. Mais, grâce à l’expérience acquise, on s’en tira avec deux fois moins d’argent, et en trois fois moins de temps.
Le rocher de Mill Rock (fig. 124), que l’on fit sauter par le même procédé, termina le déblaiement du port.
CHAPITRE XI
Les travaux sous-marins sont tellement dispendieux et difficiles, quand on fait usage de la poudre, substance que l’eau réduit à néant, que l’emploi de la dynamite, dans ce cas, est pour ainsi dire forcé.
Le mode d’opérer est, d’ailleurs, des plus simples. Il suffit de placer, sous la roche qu’il s’agit de briser, une charge de 1/2 ou 1 kilogramme de dynamite en cartouche. Mais c’est là le dernier travail à accomplir.
Il faut commencer par faire nettoyer et racler la roche, par des plongeurs scaphandriers, de manière à mettre le roc bien en contact avec la dynamite : l’effet serait presque nul si on la plaçait sur la vase ou les herbes qui recouvrent souvent les rochers.
Pour de faibles profondeurs, on peut employer la mèche en gutta-percha ; mais à partir de 2 et 4 mètres, il faut avoir recours à l’électricité, à moins d’avoir des mèches spéciales.
En tous cas il faut mettre absolument le fulminate de la capsule à l’abri du contact de l’eau. Dans ces conditions, la destruction des écueils sous-marins par la dynamite est une opération élémentaire.
Le sautage des rochers sous-marins a donné l’idée de la pêche à la dynamite. On voit, en effet, après l’explosion d’une charge sous-marine appliquée à faire sauter des rochers sous-marins, les poissons qui se trouvaient dans un certain rayon, arriver à la surface, complètement étourdis. On peut donc employer ce moyen pour la pêche. Hâtons-nous de dire, pourtant, que cette pêche, qui est très destructive, est sévèrement interdite. Elle peut cependant rendre service dans certains cas, quand il s’agit de pêcher dans des étangs particuliers, remplis de souches, où le poisson trouve des retraites inabordables.
Aux États-Unis, le général Henri Abbot a fait de nombreuses recherches pour appliquer la dynamite à détruire d’un seul coup un navire échoué, et faisant obstacle, d’une manière quelconque.
Ces expériences ne sont pas sans mérite. En 1869, quand le général Abbot commença de les entreprendre, le problème était nouveau, et les lois générales concernant l’action des forces développées n’étaient pas connues ; la théorie de ces recherches devait donc être basée sur des moyens de mesure précis. Il fallait, avant tout, employer un appareil capable d’enregistrer avec certitude les effets des explosions sous-marines. L’appareil imaginé par le général Abbot est le cercle dynamométrique, qui se compose d’un anneau en fer et de 6 dynamomètres.
Avec cet appareil, le général Abbot a constaté que la dynamite, le fulmi-coton et la gélatine explosive pouvaient être employés pour les explosions sous-marines.
De fréquentes applications de l’appareil du général Abbot ont été faites, notamment pour faire sauter les navires échoués à l’entrée d’un port, et dont la présence fait obstacle à la navigation.
Au mois de mars 1885, le steamer Lader s’était échoué à l’entrée du port d’Anvers.
« Après des efforts infructreux, écrit M. Châlon, ce steamer s’était brisé en deux tronçons. Le navire, construit en fer, mesurait 86 mètres de longueur, 11 mètres de largeur et 8 mètres de creux. L’épave, quoique se trouvant en dehors de la passe navigable, occasionnait des remous dangereux pour les navires à faible vitesse ; en outre le jeu des marées produisait des affouillements dans le lit du fleuve, tout autour du navire, et les sables entraînés allaient se déposer dans la passe à 300 mètres en amont. Il y avait donc de puissants motifs pour détruire au plus vite cet obstacle à la navigation. Le commandant des pontonniers, M. Simonis, et le commandant des artificiers militaires, M. Collard, furent chargés de l’opération.
« Les deux parties du navire s’étaient séparées ; l’arrière avait glissé latéralement vers l’aval, d’environ 14 mètres. L’un des tronçons mesurait 38 mètres de longueur, l’autre 48 mètres. On commença l’attaque le 16 avril 1885, par le tronçon d’arrière, qui présentait le plus d’obstacle à la navigation. Les charges furent réparties de la façon suivante : 26 kilogrammes de dynamite-gomme contre l’étambot tout près de l’hélice ; 24 kilogrammes de dynamite à la cellulose à un mètre de la charge précédente ; 24 kilogrammes de dynamite-gomme dans le fond, par la claire-voie du salon ; 23 kilogrammes de dynamite-gomme par l’écoutille de chargement. »
À la suite de l’explosion, l’avant fut détruit, mais l’arrière s’enfonça plus profondément dans le lit du fleuve. On fut obligé de pratiquer une ouverture dans la cale, d’y faire pénétrer des plongeurs pour y déposer 23 kilogrammes de dynamite-gomme. Ce n’est qu’après 45 jours de travail, que l’opération fut complètement achevée.
Depuis les essais du général Abbot, on a fait de fréquentes applications de la dynamite pour faire sauter des vaisseaux engloutis.
Pour indiquer la marche à suivre dans ce cas, nous décrirons les opérations qui furent pratiquées pour la destruction d’un navire sombré en 1874, au mouillage de Mohac (Hongrie), opération qui réussit parfaitement. Le navire avait 22 mètres de long et 6 de large. La profondeur de l’eau était de 5 mètres et le courant avait 1m,50 de vitesse par seconde. Pour assurer la position des charges et amener les conduits à feu à la surface, on commença par enfoncer des pieux de 5 mètres le plus près possible des endroits où l’on devait placer les charges de dynamite. Celles-ci étaient renfermées dans des boîtes en zinc. Il y avait seize charges, onze à l’intérieur et cinq à l’extérieur, contenant chacune 6 kilogrammes de dynamite. Les pétards furent préparés, comme le montre la figure 126, avec des cordeaux à combustion rapide (1, 2, 3, 4, 5) qui furent tous réunis en un seul à la sortie de l’eau. L’explosion de toutes les charges eut lieu simultanément ; le vaisseau fut complètement détruit et les sondages indiquèrent une profondeur d’eau de plus de 6 mètres. On avait consommé 100 kilogrammes de dynamite.
Un bateau en fer, échoué dans la Save sur un banc de sable, fut démoli, en 1875, de la manière suivante. Ce bateau avait 70 mètres de long sur 9 mètres de large. L’ingénieur chargé de l’opération commença par défoncer le pont, au moyen de deux charges de dynamite n° 1, de 840 grammes chacune. Il plaça ensuite, dans le magasin central, deux charges de 8 kilogrammes et six de 4 kilogrammes ; total, 40 kilogrammes. Dans chacun des deux magasins latéraux on plaça quatre charges de 5 kilogrammes de dynamite, soit 20 kilogrammes pour chaque ; dans la cabine, à l’extrémité du bateau, une charge de 5 kilogrammes, et sous le fond du bateau, deux charges de 5 kilogrammes : en tout, dix-neuf charges contenant 95 kilogrammes. La descente des charges, faute de plongeur, s’opéra au moyen de perches.
Toutes les charges ayant été enflammées à la fois au moyen de l’électricité, le bateau fut entièrement détruit, à l’exception d’une partie, qui demeura sous l’eau. On attacha à ces débris deux charges de 4 kilogrammes de dynamite et deux charges de 5 kilogrammes, dont l’explosion simultanée démolit tout ce qui restait du navire (fig. 125).
Quand le cas se présente d’avoir à briser des pièces de fer, la dynamite offre de grands avantages.
Pour briser une pièce de fer rectangulaire, on place la charge sur le grand côté de la section droite, de manière à en occuper toute la longueur. Cette charge croît avec les épaisseurs.
Dans la destruction des charpentes en fer les croisements doivent recevoir des charges doubles.
Les tuyaux doivent être considérés comme des plaques massives, dont la largeur serait la circonférence du tuyau et l’épaisseur celle du fer. Le boudin de dynamite doit entourer le tuyau.
Pour briser des ponts de fer on procède d’après les mêmes principes.
Nous citerons comme exemple la destruction par la dynamite du pont de fer de Culera près Cerbère (Pyrénées-Orientales).
Le magnifique pont en fer de Culera, sur la ligne de Figueras à Banyuls, venait à peine d’être lancé, et d’être posé sur ses piles, qu’un coup de vent le précipitait, d’une hauteur de 15 mètres, dans la vallée qu’il devait traverser. La partie contiguë à la culée restait seule adhérente. Il s’agissait donc de séparer les parties tordues en tronçons utilisables, et de briser, à la dynamite, pour en faciliter le transport, les poutres qui ne pouvaient plus servir à la reconstruction. Pour cela un boudin de dynamite du poids de 500 grammes fut enveloppé de terre grasse, et placé suivant le tracé de la section qu’il s’agissait de déterminer, contre la tôle et les fers composant une des poutres. Cette poutre était formée de deux feuilles de tôle de 1 centimètre d’épaisseur, assemblées par deux cornières, le tout fortement rivé. L’explosion de la dynamite la rompit net. La section totale de la poutre était de 120 centimètres carrés. Or, en admettant que la résistance de la tôle au cisaillement soit de 4 tonnes par centimètre carré, on trouve que les 500 grammes de dynamite employés ont développé, pour rompre la poutre, un effort de cisaillement de 48 tonnes.
La dynamite offre ce caractère remarquable que sa force peut être pondérée, de manière à ne produire que l’effet voulu, sans dépasser les limites que l’ingénieur s’est imposées. Il est toujours facile de produire un effet violent, brutal, mais il est beaucoup plus intéressant, et même dans certains cas, il est indispensable, de pouvoir mesurer d’avance l’étendue du choc que l’on veut produire.
Parmi les exemples que l’on peut citer de cette particularité, nous rapporterons les faits suivants, empruntés à une communication faite le 21 mai 1885, à la Société scientifique industrielle de Marseille, par M. Brunet de Saint-Florent, ingénieur de la Société générale de dynamite.
Il s’agit d’abord du découpage des tôles d’un navire submergé.
Le paquebot l’Ethelwine ramenait d’Espagne un chargement de 1 000 tonnes de minerai de fer, lorsqu’il fut abordé par un autre bâtiment à vapeur, venant de Rotterdam, qui défonça complètement ses tôles de l’arrière. Il coula immédiatement, et le capitaine n’eut que le temps d’enlever sa caisse et ses papiers. Tout le reste fut englouti, mais l’équipage fut sauvé.
Cette collision avait eu lieu près de l’embouchure de la Meuse, à 30 kilomètres de Rotterdam.
Ce navire, quoique complètement sous l’eau, ne pouvait être laissé sur place, parce qu’il aurait constitué un danger permanent pour la navigation, très active dans ces parages.
Le gouvernement hollandais fut donc obligé de mettre en adjudication l’enlèvement complet de ce bâtiment. M. Brunet de Saint-Florent fut chargé de ce travail.
Le paquebot étant complètement sous l’eau, on ne pouvait employer les moyens ordinaires, qui consistent à tirer de très forts coups de dynamite, de manière à écraser, en quelque sorte, le navire, et à accumuler ses débris au fond du lit du fleuve. Il fallait, au contraire, opérer avec beaucoup de méthode, découper et enlever toutes les parties en bois ou en tôle placées sur le pont, la cabine du capitaine et sa passerelle, les cabines latérales en tôle, les petits treuils à vapeur, et ensuite découper tout le pont par bandes (pouvant être enlevées à l’aide de chèvres à vapeur, installées sur 2 navires placés de chaque côté de l’épave), et enfin retirer le minerai, à l’aide de machines à draguer.
C’est cette méthode qui fut suivie par M. Brunet de Saint-Florent. Le découpage du pont en tôle et des poutres en fer qui le soutenaient fut une opération longue et délicate, surtout parce qu’on voulait enlever les treuils à vapeur sans les briser. L’opération réussit complètement. Tout le pont et les parties supérieures furent enlevées. Ensuite on s’occupa d’extraire le minerai à l’aide des machines à draguer. Quand cette opération fut terminée on procéda au renflouage par les moyens ordinaires.
Le mode de découpage, imaginé par M. Brunet de Saint-Florent, peut recevoir de nombreuses applications, non seulement dans les travaux sous-marins, mais aussi dans les travaux du jour, lorsqu’on veut opérer rapidement.
M. Brunet de Saint-Florent fut chargé de la démolition d’une pile de pont, dans les circonstances suivantes :
Dans la petite ville de Kampen (Hollande), l’une des magnifiques piles du pont métallique ayant été affouillée, il fallut la démolir.
Pour y parvenir rapidement et économiquement, on fit d’abord une série de trous de mines sur tout le pourtour, en ne conservant que la partie centrale ; puis cette dernière fut démolie de la même manière. Il ne resta plus alors que la maçonnerie en béton. La profondeur ne permettant pas de faire de nouveaux trous de mines, on commença par tirer des coups de dynamite, en plaçant des paquets de cartouches dans les anfractuosités de la maçonnerie ; puis on enleva les gros blocs détachés par l’explosion à l’aide de grands paniers de feuillards remplis par les plongeurs ; enfin, une drague à vapeur amenée au-dessus de la pile enleva toute la partie désagrégée ; le niveau de la démolition s’abaissa alors sensiblement.
Une nouvelle série d’opérations semblables enleva la tranche inférieure, et peu à peu la maçonnerie fut déblayée jusqu’au niveau du fond de la rivière.
La démolition totale dura 25 jours. On aurait pu opérer beaucoup plus rapidement, mais il fallait agir très prudemment, et ne tirer que de très petits coups de dynamite, pour éviter les vibrations qui auraient pu compromettre la solidité des maisons environnantes, construites toutes sur des sables plus ou moins mouvants.
Le pont métallique de Miramont fut découpé, sous l’eau, par le même ingénieur.
À la suite d’un accident survenu pendant son montage, ce pont s’affaissa subitement, et tomba dans le lit de la Garonne. Il fallait donc le découper par tronçons, qui devaient être tirés sur les bords, à l’aide d’engins convenables, au fur et à mesure de leur rupture.
M. Brunet de Saint-Florent découpa d’abord les tôles, en employant de longues cartouches de dynamite (de 4 à 5 mètres de longueur). Certaines de ces poutres présentaient une grande résistance à la rupture, car elles étaient formées de 10 feuilles de tôle superposées, de 1 centimètre chacune. Sans la dynamite, le découpage de ces pièces de tôle en fer, sous l’eau, eût été une opération extrêmement coûteuse et difficile.
Des moyens à peu près semblables furent employés pour la démolition d’une autre pile de pont, dans la Garonne, près de Muret. Les circonstances permettant d’opérer rapidement, on put faire partir simultanément, par l’électricité, 20 coups de mine. Tous les trous étaient espacés de 1m,25.
À Domremy, près de Sedan, une pile de pont fut démolie de la même manière.
À Witterthiem, près Marquises (Pas-de-Calais), pendant le forage d’un puits, un trépan était resté engagé dans un trou de sonde. Le sondage allait être abandonné, lorsqu’on demanda à M. Brunet de Saint-Florent de le dégager, en brisant le trépan en plusieurs fragments. L’opération présentait des difficultés spéciales, à cause de la grande profondeur du puits, mais elle réussit parfaitement. Le premier coup de dynamite brisa le trépan en 2 points, et le deuxième coup détermina la rupture en un point plus éloigné. Les morceaux furent retirés et le sondage fut repris.
Depuis, deux autres opérations semblables, l’une au sondage de Réty, près Hardinghen, l’autre près de Narbonne, ont été couronnées de succès, et sans ces heureux résultats les sommes considérables dépensées auparavant auraient été complètement perdues.
La dynamite a rendu de précieux services aux vaillants navigateurs qui se dévouent à la recherche de passages du pôle nord. Jadis, bien des navires étaient bloqués par les glaces des mers septentrionales, et l’on a publié bien des récits des terribles souffrances qu’ont endurées de courageux marins, prisonniers dans les glaces. L’histoire tragique des matelots de la Jeannette, par exemple, est encore présente à la mémoire de tous. Aujourd’hui, les hardis explorateurs des régions polaires ne manquent pas d’emporter une ample provision de dynamite. Si leur salut est compromis, ou simplement pour continuer leur route, ils se frayent un passage de vive force, à coups de dynamite, à travers les glaces accumulées.
Pour briser les glaces, on se contente de creuser un trou, dans lequel on place une charge de dynamite, de 3 kilogrammes, contenue dans une boîte en bois. Sur une nappe de glace de 0m,45 à 0m,50 de hauteur, une explosion de dynamite a pratiqué une ouverture de 2m,70 de long, sur 0m,60 de large, dans toute la profondeur de la couche solide.
Des cartouches de 40 à 50 grammes suffisent pour briser une glace de 0m,25 à 0m,30 d’épaisseur.
Pour empêcher la dynamite de geler par le contact de la glace, on entoure la boîte de sciure de bois.
Pour faire sauter des pieux ou des pilotis placés au fond d’une rivière, la dynamite est très avantageuse. Si les pilotis sont émergents, on creuse un trou dans le sens de leur axe, et on les détruit à la hauteur désirée.
Si, au contraire, les pilotis sont au fond de la rivière, on descend les charges à la profondeur voulue, au moyen d’une tige en bois, en ayant soin de maintenir les charges contre l’obstacle à détruire.
L’emploi de la dynamite peut rendre de grands services dans la culture de la terre ; mais les travaux ne peuvent être rémunérateurs qu’à condition de se faire avec un explosif peu coûteux. En Autriche, où ce genre d’emploi a pris le plus de développement, on se sert de dynamite ne coûtant que 2 francs, ou même 1 fr. 80 le kilogramme. En France, ces travaux sont à peu près impossibles, à cause des impôts excessifs dont sont frappées, uniformément, toutes les dynamites, impôts qui pèsent surtout sur celles de peu de valeur. Nous donnerons, néanmoins, un aperçu des circonstances dans lesquelles on peut tirer parti de ces explosifs, tant au point de vue de l’exportation que dans l’espoir que le régime de l’impôt sur cette matière en France sera profondément modifié.
Le sautage des troncs d’arbre par la dynamite est très avantageux dans les grands défrichements, surtout dans les pays où la main-d’œuvre est rare et chère. Ce mode d’exploitation a pour résultat d’écarter et de détruire les insectes nuisibles.
L’espèce de dynamite à employer dans ce cas est le no 2.
Les trous sont faits avec une tarière de 0m,028 ; on leur donne à peu près, comme profondeur, le diamètre de l’arbre. Cette profondeur doit être le triple de la charge. Tout l’espace vide au-dessus de la charge est rempli par un bourrage de terre et de mousse.
Pour des troncs de dimension moyenne, on donne à la charge autant de grammes qu’il y a de centimètres au diamètre. Pour des troncs très forts et noueux, on dépasse cette proportion. Pour des troncs de très grande dimension, on fore deux ou trois trous, à la distance de 0m,30. Il suffit d’amorcer une seule charge ; les autres partent par la commotion.
Il faut soigneusement essarter les troncs que l’on veut faire sauter, en coupant les racines latérales.
Les trous de mine doivent toujours être dirigés dans le pivot de la racine ou dans les racines les plus résistantes.
Les mêmes procédés peuvent être employés avantageusement pour l’arrachage des souches, et la mise en culture des terrains occupés antérieurement par des forêts. On les a employés au Brésil, sur une grande échelle.
Dans ce cas le moyen le plus économique c’est de couper, à la hache, les petites racines, puis de pratiquer à la mèche un trou de mine central A, suivant l’axe du tronc, comme l’indique la figure ci-dessus.
Un défoncement de terre au moyen de la dynamite a donné de bons résultats dans le terrain schistique du Roussillon. On emploie une forte barre en acier, munie d’un tourne-à-gauche, fixé à la partie supérieure. On frappe, avec une masse, sur la tête du ringard, pendant qu’on tourne au fur et à mesure qu’il enfonce.
On pousse le forage à une profondeur de 0m,80 à 0m,90. On charge chaque trou avec 150 grammes de dynamite no 3. Après l’explosion la surface défoncée est de 3 à 4 mètres carrés.
Deux ouvriers employés à ce travail font quinze trous de mine à l’heure. Ils arrivent quelquefois à en creuser trente-cinq en deux heures. Les trous sont espacés de 2 mètres en 2 mètres.
En appliquant cette méthode aux vignes, on est arrivé, à ce qu’il paraît, à faire disparaître le phylloxéra.
C’est ce qui a été constaté en Autriche, où des agents de M. Nobel étaient occupés à défoncer, à l’aide de la mine, le sol, à une certaine profondeur, de l’ameublir en un mot, afin de donner aux racines l’air et l’humidité dont elles ont besoin. Ils percèrent, dans ce but, des trous, d’environ 1 mètre, disposés de façon à ne pas détériorer les plants environnants ; ils purent constater, après l’explosion, que le résultat attendu était complètement atteint. Le sol, en effet, remué jusqu’à une profondeur de 1m,50, s’était parfaitement ameubli. Mais une conséquence à laquelle ils étaient loin de s’attendre, c’est que partout où l’expérience avait été faite, le phylloxéra disparut.
Ajoutons que les agriculteurs italiens utilisent la dynamite sur une vaste échelle, pour le défoncement de l’agro romano. Avec la dynamite sans impôt et à bas prix, les agriculteurs français pourraient suppléer en partie à la pénurie de main-d’œuvre dont ils se plaignent tant.
Concluons que la dynamite, type des corps explosifs, n’est pas seulement un moyen de destruction, mais qu’elle est aussi un agent réel du progrès et de la civilisation modernes.
(explosifs)
- ↑ Tome III, page 296 et suivantes.
- ↑ Tome III, pages 306-307.
- ↑ Les camarades de Beau ont fait placer son buste dans la salle d’honneur du collège de Bourg, où il avait fait ses premières études.
- ↑ Pétition au ministre des travaux publics par les ingénieurs des mines de la Société de l’industrie universelle. — Octobre 1877.