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La Navigation intérieure de la France - Paris port de mer

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La Navigation intérieure de la France - Paris port de mer
Revue des Deux Mondes3e période, tome 19 (p. 630-657).
LA
NAVIGATION INTÉRIEURE
DE LA FRANCE

PARIS PORT DE MER.

En 1872, l’assemblée nationale, préoccupée des modifications à introduire dans le système des voies de transport en France, notamment dans les voies de navigation intérieure, concurrentes naturelles des chemins de fer, avait nommé une commission d’enquête pour lui présenter un rapport. Il s’agissait d’assurer, par tous les moyens possibles, les transports à bon marché, qui sont en tout pays le premier élément de la prospérité agricole, industrielle et commerciale et le fondement du bien-être. Ce fut un des secrétaires de cette commission, M. J.-B. Krantz, ingénieur en chef des ponts et chaussées, qui rédigea le rapport sur la navigation intérieure, à l’entière préparation duquel il ne consacra pas moins de deux ans. Les projets définitifs de M. Krantz concluaient à une dépense de 833 millions pour l’amélioration et l’achèvement du réseau des voies navigables en France. Le rapporteur divisait les travaux à entreprendre en trois catégories, La première comprenait les ouvrages qu’il appelait urgens, dont l’entreprise ne pouvait être retardée et qui exigeaient une dépense de 435 millions; la deuxième, les ouvrages nécessaires, s’élevant à 192 millions; la troisième enfin, les travaux utiles, pouvant, comme les précédens, être ajournés; ceux-là atteignaient à une dépense de 206 millions. La première catégorie se partageait elle-même en deux sections : l’une, ayant trait exclusivement à l’amélioration des voies existantes, fleuves, rivières ou canaux, n’exigeait de l’état qu’une avance de 150 millions; pour l’autre, on réclamerait le concours et les capitaux du pays. N’est-ce pas la meilleure preuve qu’une affaire est d’utilité générale, quand le public consent à s’y intéresser de ses deniers ?

En 1876, le conseil général des ponts et chaussées approuvait en partie les projets de M. Krantz, les modifiait sur plusieurs points, et dans la séance du 11 juillet le ministre des travaux publics présentait à la chambre des députés trois projets de loi, dont le premier décrétait qu’il serait procédé à l’exécution des travaux nécessaires pour porter à 3 mètres le tirant d’eau de la Seine entre Paris et Rouen; le deuxième avait pour objet l’amélioration du canal de Bourgogne, celle de la rivière d’Yonne entre Auxerre et Montereau, celle de la Haute-Seine entre Montereau et Paris; le troisième enfin était relatif à l’amélioration du Rhône entre Lyon et la mer. L’ensemble de ces projets comprenait une dépense de 89 millions : 24 pour la Seine, 20 pour le canal de Bourgogne et ses aboutissans, et 45 pour le Rhône.

Sans attendre que toutes ces sommes, ou plutôt que les annuités destinées à pourvoir à la dépense des travaux projetés fussent votées, la commission du budget décidait d’ouvrir d’urgence au ministre des travaux publics un crédit préliminaire de 4 millions pour commencer immédiatement les œuvres les plus indispensables d’après les plans arrêtés. Le ministre mettait en même temps à l’étude l’amélioration à un point de vue d’ensemble de toutes les voies navigables, pour réaliser l’uniformité du tirant d’eau au minimum de 2 mètres, et l’élargissement et l’allongement des écluses partout où il était nécessaire. On avait enfin compris qu’il fallait que les transports par eau se fissent autant que possible, même en passant d’une voie à une autre, au maximum de charge et sans transbordement, comme cela a lieu pour les chemins de fer. Dans sa séance du 2 décembre 1876, la chambre des députés a voté un crédit extraordinaire de 14,800,000 francs proposés par la commission du budget pour des travaux d’amélioration sur les rivières et les canaux; mais ce n’est là encore qu’un crédit de prévision, sans préjudice de ceux que doivent consacrer les lois spéciales sur lesquelles la chambre sera plus tard appelée à voter. Tel est, financièrement et législativement, le point où en est la question; étudions-en les conditions techniques et commerciales.

I. — LA CANALISATION FRANÇAISE. — LE BASSIN DE LA SEINE.

On compte en France environ 8,000 kilomètres de rivières navigables et 5,000 kilomètres de canaux. Ceux-ci ont coûté tous ensemble un peu moins de 820 millions, ou 164,000 francs par kilomètre, et ont été exécutés par l’état ou des compagnies. Sur ces rivières et ces canaux, le prix de transport revient au maximum à 5 centimes par tonne et par kilomètre, tous frais compris, même ceux d’intérêt et d’amortissement des capitaux, péages ou droits de navigation, et il peut être abaissé de moitié. Le seul chiffre de 5 centimes, comparé au coût du transport sur une voie de terre, qui est au minimum de 25 centimes, et même à celui sur une voie ferrée, qui ne peut descendre sans perte au-dessous de 5 centimes, permet de mesurer d’un coup d’œil l’importance qu’ont eue de tout temps pour les transports intérieurs les rivières et les canaux. L’agriculture et la grande industrie sont restées jusqu’aujourd’hui en partie tributaires de ces voies, et cela en dépit de bien des inconvéniens, dont quelques-uns peuvent, il est vrai, disparaître.

Dès l’antiquité, nous trouvons les canaux en usage. En Chine, ils sont employés de temps immémorial. Nous ne parlons ici que des canaux à pente insensible, uniforme, en quelque sorte de rivières artificielles, coulant le long d’une même vallée. Les Romains n’en ont pas connu d’autres, mais ils ont surtout utilisé, comme la plupart des peuples de l’Orient, les Assyriens, les Égyptiens, les rivières naturelles, endiguées ou non. Strabon, décrivant la Gaule, relève l’admirable disposition de ses fleuves et l’heureux emploi qu’on en fait pour les transports des marchandises, soit dans l’intérieur du pays, soit d’une mer à l’autre. Du Rhône à la Seine ou à la Garonne, et de la Loire au Rhin, il y avait un transit incessant; mais entre deux vallées opposées on était forcé de recourir aux chars, les canaux que nous nommons à point de partage n’ayant pas même été soupçonnés par les ingénieurs de Rome, qui sont restés cependant les premiers des hydrauliciens. Celui qui si hardiment jeta l’aqueduc de Nîmes sur trois rangs d’arches superposées, ou apporta sur des arcs de triomphe aux fils de Romulus les eaux vives de l’Apennin, ne sut pas deviner l’écluse.

Sous Charlemagne et ses successeurs, sous les premiers rois capétiens, on semble faire un pas de plus, mais non encore décisif. Les capitulaires, les ordonnances de Philippe le Rel, de Louis XI, s’inquiètent de la canalisation, de l’endiguement des cours d’eau, surtout de la Loire ou de la Seine; néanmoins les droits féodaux gênent partout la navigation. Dès le règne de François Ier apparaissent les canaux à écluses superposées, inventées, dit-on, par un Italien qui maniait aussi bien le compas que le pinceau, Léonard de Vinci. Par elles, on apprend à passer aisément d’une vallée dans une autre, quelle que soit la différence de niveau du point de départ et du point d’arrivée, et dès lors nous trouvons ces voies de communications nouvelles justement préconisées. Henri IV et Sully, Louis XIII et Richelieu, Louis XIV et Colbert y appliquent successivement une partie de leur génie et tout leur bon vouloir. En 1638, on commence le canal de Briare, qui unit la Loire à la Seine en passant à Montargis; en 1662, Riquet présente à Colbert le projet de canal du Languedoc ou des deux mers, qui bientôt reliera la Méditerranée à la Garonne, Cette et Agde à Toulouse, et fera l’étonnement de Vauban. L’impulsion une fois donnée se continue. Les états provinciaux, les princes du sang, de grands personnages, se mettent à la tête de ces sortes d’entreprises. Au XVIIIe siècle, on ouvre le canal de Bourgogne, qui unit le Rhône à la Seine, et le canal de Saint-Quentin, qui marie la Seine à l’Escaut. En somme, pendant trois siècles, de François Ier à Louis XVI, les progrès que fait la navigation intérieure de la France ne s’arrêtent pas un instant. Sous le premier empire, la restauration, le règne de Louis-Philippe, et même pendant les premières années du règne de Napoléon III, on continue à améliorer avec sollicitude le régime des rivières et à creuser des canaux. L’habile ingénieur Brisson et le directeur général des ponts et chaussées, M. Becquey, avaient même présenté successivement, de 1815 à 1830, des projets d’ensemble remarquables et auxquels on n’avait point songé avant eux, car les entreprises avaient été jusqu’alors purement régionales.

Les projets de Brisson et de M. Becquey n’ont reçu malheureusement qu’un commencement d’exécution, et les canaux, bien négligés par l’état depuis quelques années, ont vu diminuer de plus en plus leur trafic, par suite de la concurrence effrénée des chemins de fer. Ceux-ci, sur quelques points, pour mieux réduire à néant la batellerie, ont acheté les canaux; autant eût valu les combler. Notre réseau de voies navigables, déjà incohérent dans l’ensemble, est resté incomplet, inachevé. Les deux conditions principales de tout transport par eau sur une grande étendue, l’uniformité de mouillage et d’écluse, ne s’y trouvent nulle part réalisées. Il est tel bateau que son tirant d’eau ou sa longueur empêchent d’entrer dans tel canal. Il faut alléger ou transborder ce qui rend le fret plus cher, interrompt la continuité de la navigation, soumet la marchandise à un déchet. Se figure-t-on un wagon obligé de passer d’une ligne à une autre dont l’écartement des rails serait différent? Eh bien ! quelque chose d’analogue a lieu sur nos canaux. Chacune de nos voies navigables a été établie sur un type particulier de tirant d’eau, de longueur et de largeur d’écluse; aucune homogénéité. Sur la Seine et sur l’Oise, la dimension des écluses, qui ont au minimum 8 mètres de large sur 51 de long, permet de faire naviguer des chalands ou picards du port de 500 tonnes, tandis que la Sambre canalisée, avec des écluses de 5m, 20 sur 41m, 50, ne peut admettre que des péniches flamandes portant 280 tonnes, et que, sur le canal de Saint-Quentin, où les écluses sont réduites à 38 mètres et même à 35, le chargement est lui-même réduit à 260 tonnes. Il en résulte qu’entre Mons ou Charleroi et Paris, où le transport des houilles donne lieu à un si grand mouvement, pour qu’un bateau puisse naviguer sur l’ensemble du réseau, il faut que ses dimensions correspondent au type d’écluse minimum, c’est-à-dire à 5m, 20 de large sur 38 et même 35 de long, ce qui limite le chargement à 260 tonnes[1].

Voiturer les marchandises par masses aussi grandes que possible, sans transbordement, a sans rompre charge, » surtout quand il s’agit de matières lourdes, encombrantes, de peu de valeur, qui ne peuvent supporter des manutentions répétées, est pour les entreprises de transports un desideratum auquel elles s’efforcent toutes d’atteindre. C’est pourquoi un de nos ingénieurs de la marine les plus éminens, M. Dupuy de Lôme, avait imaginé, il y a trois ans, de traverser la Manche, non point par un tunnel sous-marin comme on va le faire, mais au moyen d’un bateau-porteur armé de rails sur le pont, pour y recevoir tout un train de chemin de fer et le remettre à destination à travers le détroit. Ce qu’on fait pour les voies ferrées, encore plus le doit-on faire pour les canaux en en rendant partout les conditions de parcours uniformes, car les canaux portent précisément les matières à la fois les plus volumineuses et de moindre valeur, et il faut que le prix du fret y descende au minimum.

Notre réseau de voies navigables n’est pas seulement hétérogène, il est resté, avons-nous dit, inachevé. Faute d’un canal de très petite longueur entre Vitry et Arcis-sur-Aube, il n’y a pas de ligne de navigation continue, directe, entre Strasbourg et Nantes. Il n’y a pas non plus de jonction entre l’Aisne et l’Oise, et cette jonction était encore tout récemment à grands cris réclamée par les départemens intéressés. Des lacunes du même genre existent dans chaque bassin. A plus forte raison, les raccordemens manquent-ils presque partout d’un bassin à l’autre, comme le fait remarquer M. Krantz dès le préambule de son rapport. Ainsi la Moselle, la Meuse, la Marne, n’ont aucune communication avec la Saône; le Rhône reste séparé de la Loire, le bassin de la Garonne des bassins du Nord. Que dire aussi de nos rivières? Si quelques-unes, de moyenne importance, telles que l’Oise, la Marne, la Sambre, la Moselle, sont en assez bon état, les autres sont à peu près telles que la nature les a créées. Et nos fleuves, la Seine, la Loire, le Rhône, la Garonne? A-t-on fait pour eux tout ce qu’on devait, pour la Loire et le Rhône notamment, tous deux au lit mobile, au cours capricieux? Et cependant, grâce à ces fleuves, nous pourrions jouir du plus beau réseau de navigation intérieure qu’il y eût en Europe; ils arrosent et fécondent nos plus belles provinces, et donnent au cœur de la France on ne sait quoi de charmant et d’animé. Le bassin de la Seine, cette cuvette doucement arrondie qui tourne sa concavité vers la Manche, c’est le pôle en creux vers lequel tout converge, comme l’a dit si bien le géologue Élie de Beaumont. C’est là que les arts, c’est là que la civilisation ont choisi leur demeure depuis des siècles; c’est là que la France est née, c’est là qu’est son « île » et sa capitale; c’est là aussi que court notre plus belle voie fluviale, celle qui a toujours tenu la première place dans la navigation et les transports intérieurs. Elle a vu passer les nautes de César, de Julien, et bien des fois les mariniers et les pirates normands. Aujourd’hui c’est la vapeur qui pacifiquement la sillonne, et la Seine, à elle seule, entre Paris et Rouen, transporte une quantité de marchandises équivalente à plus de 1 million de tonnes de 1,000 kilogrammes pour le parcours entier, ou à 250 millions de tonnes voiturées à 1 kilomètre. C’est le huitième de tous les transports par eau qui se font en France, et le vingt-cinquième de ceux par chemins de fer.

Le réseau des voies navigables dont la Seine forme l’artère principale est non-seulement le plus considérable pour le trafic, mais encore pour la longueur. Il pourvoit à l’approvisionnement de Paris et présente, y compris l’Oise, la Marne, l’Yonne et les canaux qui en dépendent ou qui s’y rattachent, un développement de plus de 2,500 kilomètres. On peut dire que le canal de Saint-Quentin, celui des Ardennes, celui de la Marne au Rhin, ceux du Nivernais et de Bourgogne, se soudent à ce vaste réseau. L’Oise, la Marne, l’Yonne, sont navigables sur une grande partie de leur cours, mais le régime de ces rivières est très variable et capricieux. Autrefois la navigation y avait un caractère spécial. Sur la Marne, surtout à la descente, elle ne se faisait qu’aux moyennes eaux. On accumulait dans de grands bateaux dits marnois jusqu’à 400 tonnes de marchandises, du bois, du charbon de bois, et quand les échelles aux piles des ponts accusaient une profondeur d’eau suffisante, on se lançait au courant. Les bateaux tiraient 2 mètres d’eau, mais avec leur chargement élevé avaient peine à passer sous les ponts. Ils entraient ainsi en Seine et venaient en toute hâte s’amarrer au port. Saint-Nicolas du Louvre, où ils restaient en déchargement quelquefois pendant une couple d’années. Cette navigation rudimentaire n’était pas sans périls; le taux du fret, fort élevé, payait amplement toutes les fatigues et couvrait tous les risques. Les améliorations apportées de nos jours au régime de la Marne et la création d’un chemin de fer, celui de la ligne de l’Est, dans la vallée de cette rivière, ont changé cet état de choses, qui durait depuis des siècles.

Dans l’origine, chez tous les peuples, on a ainsi utilisé les rivières principalement à la descente. Sur le Tigre et l’Euphrate, sur le Nil, les naturels naviguent encore au moyen de radeaux où l’on charge, comme aux temps de Ninus et de Sésostris, la marchandise à découvert. Le flottage, aujourd’hui presque partout délaissé en Europe, a été longtemps un des principaux moyens d’approvisionnement des grandes cités populeuses. Sur le Rhin, le passage des « flottes » destinées à la Hollande était un événement; la peinture maintes fois s’est plu à le reproduire. Sur la Marne, l’Yonne, la Seine, ce flottage, qui remontait à une haute antiquité, était surveillé et protégé par les pouvoirs publics. C’est surtout à propos de ce système de transport que le mot profond et si souvent répété de Pascal sur « les chemins qui marchent » se trouve justifié.

La vieille navigation de l’Yonne était un peu différente de celle de la Marne : on n’attendait pas la crue, on la provoquait. Comme celle de la Marne, cette navigation est restée très longtemps primitive, et n’en a pas moins concouru pendant des siècles et pour une notable part à l’approvisionnement de Paris. Elle se faisait naguère encore par éclusées ou lâchures. La rivière ne donnant qu’un mouillage insuffisant pendant une partie de l’année, et les crues naturelles étant incertaines et souvent se succédant à des intervalles trop rapprochés, on résolut de faire des crues artificielles et de les utiliser seulement quand il en serait besoin. Pour cela, sur le haut de l’Yonne et le long de tous les affluens, on établit des réservoirs contenant le volume d’eau nécessaire pour former « le flot. » Au moment voulu, la crue artificiellement provoquée descendait avec la rivière, donnant partout le mouillage prévu, et emportant les trains et les radeaux qui l’attendaient aux diverses escales. La flottille, bien dirigée, arrivait heureusement en Seine, mais des manœuvres incorrectes pouvaient troubler l’ordre du train et devenir l’origine de plus d’un danger. Un bateau écarté du chenal s’échouait parfois sur la grève. Tous les traînards et les écloppés, restés en route, attendaient la prochaine éclusée. C’est ainsi que cette navigation en descente ne laissait pas d’avoir ses incidens et même ses périls; mais dans l’ensemble elle donnait de très sérieux résultats. A la remonte, on ne pouvait naviguer qu’à vide ou avec une faible charge. On faisait environ cinquante éclusées par an. Telle était, sous sa forme rustique empruntée sans doute aux Gaulois, cette antique navigation de l’Yonne, que la construction des canaux du Nivernais et de Bourgogne a commencé par faire peu à peu disparaître, et qui finalement, avec les améliorations apportées à la rivière elle-même, a été remplacée par une navigation continue.

La Marne, l’Yonne, sont des tributaires forcés de la Seine, et si la navigation y est restée active, c’est parce qu’elle aboutit à Paris. La Seine, malgré toutes ses imperfections, malgré la concurrence du chemin de fer de l’Ouest, favorisé encore par une distance plus courte, dessert, nous l’avons dit, un puissant trafic. La voie ferrée présente sur le fleuve un raccourci de 105 kilomètres, soit 45 pour 100, celui-ci mesurant 241 kilomètres du pont de la Tournelle (île Saint-Louis) à Rouen. La lutte entreprise dans de telles conditions atteint presqu’à l’héroïsme, et il faut bien que l’utilité, l’économie du transport par eau soient universellement reconnues pour qu’un fleuve comme la Seine, aux rives presque partout sinueuses, au lit assez peu profond et relativement peu large, lutte avec quelque avantage contre une voie ferrée qui offre tout d’abord au commerce un parcours à peu près moindre de moitié. Et ce n’est pas tout. La Seine, au commencement du siècle, n’était navigable à la traversée de Paris qu’en certain état des eaux, de telle sorte que les bateaux venant du haut du fleuve s’arrêtaient en amont du pont de la Tournelle, au port de Bercy, et ceux du bas ne remontaient pas au-delà du port Saint-Nicolas, au pont du Carrousel. La Seine se trouvait ainsi scindée en deux parties qui n’avaient que de rares communications entre elles. Le canal de Saint-Denis et celui de Saint-Martin ont été construits pour parer à cet inconvénient, et ont offert en outre aux bateaux montans ou descendans un raccourci de 60 pour 100 environ sur la traversée sinueuse de Paris. Aujourd’hui, au moyen d’écluses spéciales, l’écluse de la Monnaie, le barrage écluse de Suresnes, et par l’emploi de remorqueurs mettant en œuvre le touage sur chaîne noyée, on a paré d’une autre manière aux inconvéniens de la navigation de la Seine à Paris.

Le bassin de La Villette, où aboutissent non-seulement le canal Saint-Martin et le canal de Saint-Denis, mais encore le canal de l’Ourcq, est un véritable port intérieur. Il présente, à l’entrée et à la sortie, un mouvement annuel moyen de 2 millions de tonnes au total; c’est autant que le port du Havre. Cela ne saurait nous surprendre, car il s’agit ici d’une ville de 2 millions d’âmes, qui est une des premières places industrielles du monde. C’est le cas de rappeler que le ravitaillement de Paris, en 1871, après le siège des Allemands, s’est surtout opéré par la voie de la Seine, et qu’à cette occasion on a pu faire passer en un seul jour 40,000 tonnes de marchandises à l’écluse de Bougival. Quelle gare de voie ferrée aurait pu réaliser ce prodige? On sait combien longtemps, à l’époque qui suivit les jours néfastes de l’invasion, nos gares restèrent encombrées, et quelles plaintes fit entendre à ce sujet tout le commerce de la France. Ces faits sont significatifs, et montrent que les voies navigables intérieures répondent encore de nos jours à des besoins réels, quelquefois même à des nécessités stratégiques, et n’ont pas épuisé, comme quelques-uns ont pu le croire un instant devant l’extension de plus en plus grande et absorbante des chemins de fer, toute leur période féconde d’activité.

Les diverses voies navigables du bassin de la Seine représentent comme longueur parcourue le cinquième, comme dépense de premier établissement le tiers, comme trafic enfin les deux tiers de la longueur, du coût et du tonnage de l’ensemble du réseau français. Ce seul rapprochement, mieux que toutes les descriptions, suffit à marquer l’importance qu’a pour notre pays la Seine avec tous ses aboutissans, et le rôle supérieur qu’elle joue dans notre navigation intérieure. Aussi est-ce dans cette région privilégiée que presque tous les perfectionnemens, toutes les recherches, toutes les applications nouvelles, ont été tentés, mis à l’essai. C’est sur l’Yonne, c’est sur la Seine, que les barrages mobiles, dus à nos ingénieurs des ponts et chaussées, à la tête desquels il faut placer le regrettable M. Poirée, ont été pour la première fois appliqués. C’est sur la Seine aussi que le touage à chaîne noyée a été expérimenté avec une parfaite réussite. Il convient de s’arrêter un moment sur ce système de remorquage à la fois nouveau et curieux, et qui donne aujourd’hui des résultats si importans et presque inespérés.

En terme de marine, se touer c’est se haler sur un câble fixé à l’une de ses extrémités par une attache, une ancre. Le touage dit à chaîne noyée a lieu quand un bateau se haie sur une chaîne à maillons plats ou un câble métallique, immergés au fond d’une rivière et placés dans le chenal de celle-ci. La chaîne ou le câble, guidés par des poulies, s’enroulent sur un treuil à l’avant du remorqueur, se déroulent sur un treuil à l’arrière, et ce mouvement, joint à la résistance qui a lieu à l’avant, détermine la progression du bateau. Les treuils sont mis en jeu par une machine à vapeur installée à bord. L’idée première du touage serait due au maréchal de Saxe, lequel devait en avoir reçu la confidence de quelque mécanicien ou marinier. Quoi qu’il en soit, il avait, dit-on, imaginé de remorquer les bateaux sur les canaux et les rivières au moyen d’un câble attaché solidement à la rive, et qui s’enroulait à bord autour d’un cabestan vertical mis en mouvement par des chevaux, à la façon d’un manège de maraîcher. Quand on était arrivé vis-à-vis ou à proximité du point d’attache, on recommençait l’opération en allant tout d’abord amarrer le câble un peu plus loin. Cette ingénieuse idée ne reçut, dans sa conception première, aucune application pratique. En 1819, en 1828, des essais à peu près infructueux de touage furent faits, cette fois au moyen de machines, à Lyon sur le Rhône, à Paris sur la Seine. En 1850, il n’y avait plus sur la Seine qu’un petit toueur qui faisait, sur 6 kilomètres, le service du pont d’Austerlitz au Port-à-l’Anglais ou d’Ivry, en amont du confluent de la Marne avec la Seine, pour débarrasser les ports de Paris des bateaux vides qui les encombraient.

C’est ce petit toueur qui a servi en 1856 comme point de départ à des expériences entreprises par la Compagnie de touage de la Basse-Seine, en vue d’organiser enfin des services qui pussent satisfaire à un important trafic. Ces expériences ont eu le plus grand succès. La longueur de la concession de la compagnie sur la Seine a été primitivement de 72 kilomètres ; elle va aujourd’hui de Conflans à la mer, et la compagnie possède sept bateaux teneurs, construits en Angleterre, d’une force de 75 chevaux chacun. Ils sont munis d’une hélice et descendent librement le fleuve sans se servir de la chaîne. A la remonte, on calcule que le rendement moyen du touage est de 80 pour 100 du travail dynamique développé par la machine à vapeur du bateau. C’est un maximum : les meilleurs remorqueurs, munis de roues à palettes prenant leur point d’appui sur l’eau, ne donnent que 60 pour 100.

La Compagnie de touage de la Basse-Seine est des mieux organisées; elle est en possession de presque tout le trafic du fleuve, du moins pour le remorquage, car il ne lui est pas permis de trans- porter pour son compte. Est-ce là ce qu’on appelle la liberté de la navigation? En 1868, cette compagnie a remonté à Paris plus de 1,600,000 tonnes de marchandises de toute espèce. Le tonnage d’un train ainsi remorqué peut aller de 1,500 à 2,000 tonnes, et les prix de traction sont abaissés d’environ 40 pour 100 sur le halage par chevaux ou la remorque avec des bateaux munis de roues à palettes. Ceux-ci ne tentent même plus de lutter avec le touage dès que les eaux du fleuve s’élèvent et que la vitesse du courant devient plus sensible. A plus forte raison, le halage par locomotives routières, qui a été quelquefois essayé, ne saurait-il l’emporter sur le touage. Nous ne parlons pas du halage par hommes, indigne de notre époque, qui trop longtemps a pesé sur notre navigation intérieure et rendu tristement fameux, par les grèves, les disputes, les désordres qui y naissaient à chaque instant, les « relais » de nos canaux et de la plupart de nos voies navigables.

La Compagnie de touage de la Haute-Seine est loin d’être aussi puissante que celle qui dessert le bas du fleuve. Elle n’a que des toueurs d’une force de 35 chevaux et dont le tirant d’eau est seulement de 40 centimètres. Une autre compagnie s’est établie sur l’Yonne, et l’on calcule que la longueur totale des lignes ainsi exploitées atteint environ 450 kilomètres. En Russie, en Belgique, en Angleterre, en Allemagne sur le Rhin, aux États-Unis, il existe des entreprises analogues de touage; mais aucune, sauf peut-être aux États-Unis, où les rivières et les canaux jouent toujours un si grand rôle dans les transports intérieurs, aucune n’a l’importance de celle qui fonctionne en ce moment sur la Basse-Seine. Avec ce système particulier et si ingénieux de remorquage, non-seulement les prix de traction sont abaissés, mais encore les avaries et les sinistres réduits et la durée des voyages abrégée. Au lieu de voyages qui durent des semaines, comme dans l’antique système de la batellerie, et même des mois, on peut ne faire maintenant que des voyages de quelques jours. C’est une révolution du genre de celle que la vapeur a introduite sur mer dans l’ancienne navigation à voile. Quoi qu’il en soit, n’oublions pas que c’est surtout grâce au touage que la batellerie de la Seine, et par suite celle des canaux du nord, qui aboutissent au fleuve, peuvent soutenir aujourd’hui la concurrence avec le chemin de fer. Si le touage n’est pas encore plus répandu en France, c’est presque uniquement à cause de l’insuffisance du trafic sur nos voies navigables. Nous savons d’où vient cette insuffisance. Qu’on améliore enfin nos rivières, qu’on creuse où il est nécessaire de nouveaux canaux, que tous les bassins hydrographiques communiquent entre eux, qu’il y ait partout uniformité de tirant d’eau et d’écluse, et l’on verra le fret revenir aux voies d’eau, et notre navigation intérieure se relever complètement de l’état d’affaissement et d’atonie où l’on n’aurait jamais dû la laisser tomber.


II. — LE BASSIN DU RHÔNE.

Comme étendue et comme importance, le bassin du Rhône vient immédiatement après celui de la Seine. Le Rhône, par ses affluens naturels ou artificiels, pénètre au loin dans l’intérieur des terres, contourne le massif des Alpes, peut desservir non-seulement le centre et le nord de la France, mais encore la Suisse, la Belgique, l’Allemagne occidentale. Au point de vue des relations commerciales du continent avec le bassin de la Méditerranée, aucun autre fleuve de l’Europe ne peut lui être comparé. Aucun non plus, sauf peut-être le Rhin, ne saurait lutter avec lui pour les souvenirs qu’il réveille, pour le pittoresque des rives. Sur chaque cime, sur l’un et l’autre bord, c’est un vieux castel démantelé qui raconte plus d’une sombre légende; puis ce sont les basaltes de l’Ardèche, dernières coulées des volcans éteints de l’Auvergne, du Velay et du Vivarais, qui dressent à de grandes hauteurs leurs têtes noires, découpées en prismes, ou bien les coteaux semés de vignes où se produisent le vin de l’Hermitage et les vins blancs mousseux de Condrieu et de Saint-Peray. En descendant le fleuve, on salue Viviers, siège d’un évêché antique, Avignon et ses murailles crénelées du moyen âge qui rappellent celles des cités toscanes, Tarascon et Beaucaire avec leurs imposans châteaux-forts, modèles classiques de la vieille architecture militaire, Arles et ses magnifiques ruines romaines. Les ponts sur le fleuve ont je ne sais quoi d’élégant. C’est ici que les premiers pères pontifes édifièrent quelques-unes de leurs œuvres hardies : le pont Saint-Esprit, le pont d’Avignon, sont restés célèbres, même dans la chanson ; c’est ici encore que furent audacieusement jetés les premiers ponts suspendus en fil de fer, inventés en France par M. Seguin, d’Annonay, ou quelques-uns de ces ponts métalliques au tablier plat ou cintré que les voies ferrées ont depuis fait adopter partout. Quelle richesse dans les campagnes environnantes ! C’est depuis Probus le pays de la vigne, où chaque coteau donne son nom à un crû fameux ; c’est, depuis Sully et Henri IV, le pays des mûriers et de la soie, et depuis le Persan Althen, qui dota Avignon d’une racine précieuse, le pays de la garance. Et, comme si le règne minéral avait voulu aussi entrer en lutte, c’est ici que sont les mines fécondes de l’Ardèche et de l’Isère, riches en fer, en plomb, en cuivre, en zinc et en argent, et les usines métallurgiques, dont les cheminées, la nuit, éclairent les rives du fleuve comme des phares gigantesques.

La Saône, qui rejoint le Rhône à Lyon, est comme le prolongement du fleuve, ayant la même direction que lui; mais elle ne coule plus dans les mêmes terrains et ne nous raconte plus les mêmes histoires. Au point de vue de la navigation, le rôle qu’elle joue n’en est pas moins capital; elle reçoit les produits amenés par le Rhône et destinés au nord, et confie aux eaux du fleuve tous ceux qu’elle transporte vers le midi. Le groupe de la Saône comprend la rivière elle-même, le canal du Rhône au Rhin, réduit pour la France, depuis la perte de l’Alsace-Lorraine, à 192 kilomètres, et qui se soude à la Saône à Verdun, le Doubs, la Seille, etc. C’est en tout 673 kilomètres de voies navigables. Sur la rive droite, la Saône reçoit à Saint-Jean-de-Losne le canal de Bourgogne, à Châlon le canal du Centre ; mais le premier de ces canaux se rattache plutôt à la navigation de la Seine, l’autre à la navigation de la Loire.

Par l’étendue de son bassin, par la fertilité des campagnes qu’elle arrose, la longueur de son cours, qui est de 366 kilomètres, et l’abondance de ses eaux, par la faiblesse et la régularité de sa pente et les nombreux affluens qu’elle reçoit, la Saône serait l’une de nos plus utiles artères de navigation intérieure, si l’on avait su en tirer parti, et si l’art était venu y seconder plus heureusement la nature. Entre Saint-Jean-de-Losne et Lyon, la Saône transporte moyennement un peu moins de 400,000 tonnes de marchandises par an. Le mouvement était autrefois beaucoup plus considérable, mais la concurrence du chemin de fer de Paris à Lyon et surtout le mauvais état du Rhône ont détourné les longs transports et amoindri le tonnage de moitié. Plus d’un se rappelle le temps où la Saône tenait le premier rang parmi les voies navigables de la France. Parcourue en tout sens, couverte de trains de bois, sillonnée par de rapides bateaux à vapeur, qui avaient remplacé les coches d’eau que connurent si longtemps nos pères, elle était la grande artère naturelle par laquelle le nord et le midi communiquaient, échangeaient leurs produits. Elle alimentait une nombreuse population de mariniers et enrichissait les entrepreneurs de transport.

La batellerie de la Saône et du Rhône a été un moment la plus considérable, la plus puissante qui ait jamais exploité nos voies fluviales. Il y a vingt-cinq ans, 80 bateaux à vapeur transportaient encore quantité de marchandises et de voyageurs de Marseille à Lyon, de Lyon à Châlon. Il en reste à peine une dizaine, composant un matériel mal entretenu qui se détériore chaque jour, et que le trafic laissé par la compagnie du chemin de fer de Paris-Lyon-Méditerranée ne suffit pas même à occuper. Aussi les doléances de notre marine fluviale sont-elles incessantes, et son syndicat s’adresse-t-il à chaque occasion aux ministres compétens, qui lui répondent par de bonnes paroles, mais ne font peut-être pas tout ce qu’il faudrait[2]. L’antique prospérité de la Saône et du Rhône, que les populations riveraines ont tant de motifs de regretter et que tous les intéressés rappellent toujours avec tant de raison, renaîtra quand on le voudra avec l’amélioration de la rivière et du fleuve. M. Krantz n’évalue la dépense des travaux à faire pour porter le mouillage la Saône de 1m,60 à 2 mètres qu’à 17,500,000 francs, et il espère par là doubler le trafic de la rivière et lui rendre son ancien éclat. Avec le Rhône, il y a non moins d’urgence, mais ici surgissent tout à coup des difficultés de plus d’un genre et considérables.

La partie vraiment importante du fleuve s’étend de Lyon à Arles sur 283 kilomètres : c’est là ce qu’on nomme le Bas-Rhône. Le Haut-Rhône, entre Lyon, Je lac du Bourget et le Parc en aval de Genève, ne dessert qu’un trafic assez restreint de marchandises et de voyageurs. Des bois, des pierres de taille très recherchées, arrivent à Lyon par cette voie, et dans la belle saison quelques touristes vont visiter la Savoie en remontant le Rhône en bateau à vapeur jusqu’au lac du Bourget. Dans toute cette région, le lit du fleuve est tourmenté, fréquemment encombré de rochers, comme le lit d’un fleuve alpin. Quant au lit du Ras-Rhône, il est mobile, formé de sables et de graviers qui se déplacent comme ceux du Mississipi, qui a du moins une grande profondeur. En outre le débit est inégal, torrentiel, la pente très forte et par conséquent le cours rapide; puis les glaces, les crues souvent redoutables, les basses eaux, les brouillards, y occasionnent de fréquens chômages. La navigation en descente est laborieuse, exige des bateaux longs et plats et des mariniers exercés; la remonte est aussi très difficile : avec tout cela, le trafic va diminuant d’année en année. Naguère le Rhône transportait encore 600,000 tonnes. Aujourd’hui le trafic est réduit de moitié; les deux tiers sont à la descente. En 1873, le tonnage total du Rhône n’a pas dépassé 275,000 tonnes.

Les embouchures du fleuve sont une nouvelle source d’embarras. Elles sont multiples, et composent ce qu’on nomme un delta à cause de la forme même qui les distingue. Le Nil, le Danube, le Gange, le Mississipi, ne sont pas en cela plus favorisés que le Rhône. Ce delta est formé par les sables que le fleuve verse à la mer, et que la direction des courans et des vents marins rejette sur le rivage au lieu de les entraîner. Il s’élève ainsi une digue, une barre, que le jeu des forces naturelles maintient ou déplace fort peu. Le fleuve, incertain, inquiet, modifie à chaque instant son cours, varie la forme et le nombre de ses embouchures, et avance sans cesse dans la mer. Tout cela rend presque impossible la navigation du delta, de ce qu’on appelle le Rhône maritime, et l’on ne peut ici vaincre les forces aveugles de la nature qu’en tournant la difficulté. C’est pourquoi il a été établi au commencement du siècle un canal d’Arles au port de Bouc, et un autre tout récemment de la tour Saint-Louis à la mer. Le canal de Beaucaire à Aigues-Mortes, déjà conçu sous Henri IV, a été ouvert dans le même dessein. Le trafic sur tous ces canaux, autrefois plus prospère qu’aujourd’hui comme sur le Rhône lui-même, renaîtra très certainement quand il existera entre Lyon et Arles une voie réellement navigable. Cette voie, pourquoi s’obstiner à la demander au fleuve, si peu réglé, si capricieux, d’un régime torrentiel parfois si redoutable, et qui toujours détruira le lendemain ce qu’on aura fait la veille pour le discipliner? Ne vaudrait-il pas mieux la demander une bonne fois à un canal sur la rive droite ou la rive gauche, comme des ingénieurs distingués avaient déjà essayé de le faire il y a une soixantaine d’années? Venant après eux, s’inspirant de leurs projets, de leurs devis, en les modifiant eu égard aux conditions actuelles, M. Krantz voudrait qu’on ouvrît un canal latéral au Rhône sur la rive droite. Il préfère cette rive, la rive industrielle, à l’autre, la rive agricole. Si, sur celle-ci, on rencontre à partir de Lyon, Saint-Vallier, Vienne, Tain, Valence, Montélimar, Orange, Avignon, Tarascon, Arles, on rencontre aussi la voie ferrée et ses embranchemens, et des rivières d’une grande largeur et d’un débit parfois torrentiel, la Drôme, l’Isère, la Durance. Sur l’autre rive, au contraire, on reste à peu près maître du terrain. On n’a à franchir que des torrens étroits, et l’on rencontre, sinon Rive-de-Gier et Saint-Étienne, au moins le canal de Givors, puis on traverse des districts industriels comme ceux d’Annonay, la Voulte, le Pouzin et leurs forges. Privas et les mines de fer et de charbon de l’Ardèche, les fabriques de ciment et de chaux hydraulique du Theil. A Beaucaire, on est en communication avec les houillères, les forges et toutes les usines du Gard. C’est pour toutes ces raisons que M. Krantz a choisi de préférence la rive droite du Rhône pour y établir un canal latéral. Il pousse avec raison ce canal jusqu’à Marseille pour en rendre l’efficacité absolue, et il présente à l’appui de son projet un devis qui ne dépasse pas 100 millions de francs, dont 90 pour 300 kilomètres de canal latéral (300,000 francs par kilomètre) et 10 millions pour un canal de 35 kilomètres de Bouc à Marseille.

Loin d’être une concurrence pour le chemin de fer déjà existant sur la rive gauche du Rhône, celui de Lyon à Marseille, et pour celui qui existera bientôt tout le long de la rive droite, le canal latéral du Rhône serait au contraire d’un utile concours pour la voie ferrée. Ne la dégagerait-il point d’une partie des matières, si encombrantes pour ses gares, qui forment comme la dernière classe des transports par petite vitesse, celles dont le fret ne donne qu’un profit apparent? On sait aujourd’hui que ce profit ne devient réel que par des espèces de viremens de compte qui consistent à déverser sur ce chapitre une partie des bénéfices effectués par exemple sur le transport des voyageurs et des matières dites de messageries. Le canal latéral du Rhône n’augmenterait-il pas au contraire le trafic de moyenne et grande vitesse par le développement qu’il apporterait aux diverses industries de la vallée du fleuve, et par suite au mouvement des voyageurs ? M. Krantz calcule que le trafic de ce canal pourra monter rapidement à 1 million de tonnes, et ce chiffre n’a paru exagéré à personne ; on atteindra même 2 millions et plus, si l’on relie efficacement, par une voie de navigation intérieure continue, Marseille à Paris et au Havre. Il serait temps que tous ces travaux se fissent; devant le Havre se dresse Anvers, dont le commerce augmente de plus en plus, a même triplé en dix ans, tandis que le Havre reste stationnaire. En veut-on une preuve décisive? De 1865 à 1875, le tonnage du port d’Anvers, à l’entrée et à la sortie, est passé de 1,500,000 tonneaux à 4,200, 000, tandis que le Havre est demeuré immobile autour de 2 millions de tonneaux. Marseille même n’a augmenté son tonnage, dans l’intervalle de ces dix ans, que de 25 pour 100, passant de 4 millions de tonneaux à 5 millions. Elle sera bientôt atteinte et dépassée elle-même par Anvers, si des mesures énergiques comme celles que nous indiquons ne sont pas prises sans délai. Marseille d’ailleurs est à son tour non moins sérieusement menacée par Brindisi, Gênes, Venise, Trieste. Elle regagnerait, par un canal partant de ses bassins, et que réclament vivement sa chambre de commerce et tous les conseils électifs des Bouches-du-Rhône, une grande partie du transit de l’Europe occidentale, qui, depuis quelques années, semble devoir lui échapper, et lui échappera encore davantage quand le massif du Saint-Gothard sera complètement ouvert.

Par Trieste et Gênes, les Italiens et surtout les Allemands détourneront à leur profit une partie du commerce de la Méditerranée, qui est encore aujourd’hui dans nos mains. Nos voies ferrées ne pourront lutter contre les leurs, à cause de la plus grande distance que les marchandises auront à y parcourir et des tarifs kilométriques plus élevés qu’elles auront à supporter. On peut parer au second de ces inconvéniens, non pas au premier. Nos voies navigables intérieures, améliorées et enfin complétées, rétabliraient seules l’équilibre, si nous possédions surtout la voie du Havre à Marseille telle que tous les intéressés la demandent, avec une navigation continue, sans transbordement, puis deux autres voies divergentes plus convenablement établies que celles qui existent, celles du Havre et de Lyon au Rhin. Déjà on travaille à cette dernière sous le nom de Canal de l’Est. Nous entrerions ainsi en possession de trafics considérables que nul ne pourrait plus nous disputer, qui deviendraient pour notre commerce intérieur et extérieur une source féconde de bénéfices, et de nouveau porteraient le renom de notre marine marchande presqu’aux confins du globe. Ce serait là la plus belle revanche à tirer de l’Allemagne, et il faudrait un peu y songer.

Il semble que toutes ces considérations, qui n’ont rien cependant d’imaginaire ou de risqué, aient échappé à l’esprit vigilant du conseil supérieur des ponts et chaussées, lequel a rejeté le projet d’un canal latéral au Rhône, si bien discuté par M. Krantz. Le conseil considère ce projet comme impraticable, d’abord à cause des difficultés matérielles qu’il présente et de la dépense énorme qu’il entraînerait, — peut-être le triple de ce qui a été calculé, — ensuite parce qu’un côté seulement des riverains serait ainsi favorisé au détriment de l’autre. On a le Rhône ; ne convient-il pas de le garder ? ne faudrait-il pas le conserver dans tous les cas ? On peut l’améliorer en l’approfondissant, en le rétrécissant, par des draguages, par des digues latérales submersibles, destinées à maintenir au courant un minimum de profondeur. On ne parle pas des barrages écluses, en usage sur tous les canaux et rivières de France, mais qui ne conviendraient pas sur un fleuve qui charrie autant de gravier que le Rhône et présente d’aussi fortes pentes. Ces barrages auraient d’ailleurs le grave inconvénient de surélever le niveau des inondations ; mais les digues latérales submersibles ont fait leurs preuves, sont reconnues suffisantes par tous les ingénieurs compétens. À quoi bon créer de toutes pièces un Rhône artificiel ? Le Rhône offre à la navigation descendante une voie plus économique qu’un canal. Ne peut-on plutôt trouver des formes nouvelles de bateaux ? L’art de la navigation et celui de la mécanique n’ont pas dit encore à ce sujet leur dernier mot. Dans tous les cas, c’est là qu’est le nœud de la question, et non ailleurs. Ainsi s’expriment le conseil supérieur des ponts et chaussées et tous les opposans au projet de M. Krantz.

Des formes nouvelles de bateaux ! Le Rhône en a vu passer plus d’une, et il peut sous ce rapport rivaliser avec la Seine. De combien d’inventions le fleuve n’a-t-il pas été le théâtre, et combien de propulseurs n’a-t-il pas servi à essayer, depuis les longs bateaux-porteurs et les grappins jusqu’à ce bateau plat qui ne jaugeait que 1 mètre d’eau, et que le capitaine Magnan, un marin qui ne doutait de rien, conduisit un jour, en 1854, du port de Lyon aux embouchures du Danube ! On voulait avec cela ravitailler économiquement notre armée de Crimée, faire même des descentes dans la Mer-Noire. Le projet plaisait à Napoléon III, qui toujours aima les choses neuves et fantastiques ; bientôt il n’en fut plus question. Il n’est resté de tous les bateaux du Rhône que ces immenses porteurs à vapeur munis de roues à palettes, longs de 115 à 150 mètres, larges de 10 à 15 mètres entre les tambours des roues, et pouvant porter jusqu’à 550 tonneaux avec un tirant d’eau maximum de 1m, 50, et les remorqueurs ou grappins qui ont jusqu’à 105 mètres de long sur 7 mètres de large et qui traînent des convois d’environ 500 tonnes avec un tirant d’eau maximum de 90 centimètres. Le nom qu’ils portent leur vient de ce qu’ils se touent eux-mêmes par une roue à l’arrière, laquelle mord sur le fond sableux du fleuve à la façon d’un grappin. Ce système original est sorti du cerveau fécond d’un ingénieur mécanicien de Rive-de-Gier, M. Verpilleux, qui n’a demandé le propulseur de ses bateaux ni à une hélice ni à une roue à palettes, mais à une sorte de roue à chevilles, dont les rais font saillie sur la jante. Cette roue, suspendue dans une fosse ouverte sur la quille à l’arrière, affleure avec le fond du fleuve. Mise en mouvement par la machine, ses rayons mordent dans les sables et les graviers du lit, et la résistance qui se produit détermine l’avancement du bateau. C’est comme si l’on s’appuyait sur le fond avec une gaffe. Malgré un certain recul dû au draguage, le point d’appui est plus fixe que celui obtenu sur l’eau au moyen des palettes qui font office de rames, et le rendement mécanique est supérieur. Ce système de remorquage est excellent à la remonte sur le Rhône, et il y a rendu un moment autant de services que le touage en rend aujourd’hui sur la Seine. A la descente, à cause de la vitesse du courant, le remorquage par grappins n’est guère possible. C’est ce qui fait que ce système a eu tant de peine à lutter contre celui des bateaux-porteurs munis de roues à palettes ou à aubes, lesquels ont marqué pour la batellerie du Rhône une époque de si grande prospérité. Avant l’ouverture du chemin de fer de Lyon à la Méditerranée, c’était le règne des grands bateaux-porteurs. Le Creusot se distingua dans la construction de ces utiles engins de transport, dans les heureuses dispositions qu’il leur donna. Ce sont eux qui, à l’époque de la disette de 1847, amenèrent rapidement et par grandes masses à la fois, du bord de la Méditerranée au centre de la France, les blés de la Mer-Noire et d’Egypte que Marseille déchargeait jour et nuit sur ses quais.

Aujourd’hui que la lutte est décidément ouverte avec la voie ferrée et que le fleuve menace d’y succomber, il faut trouver mieux que ces porteurs, que ces grappins, s’adresser peut-être au touage, de manière à abaisser le prix du fret jusqu’à 2 centimes et demi par tonne et par kilomètre. C’est la seule limite à laquelle on puisse utilement lutter avec le chemin de fer, qui peut transporter certaines matières, comme les houilles, les minerais, à 3 centimes, nous avons dit au moyen de quel subterfuge de comptabilité. Quelques ingénieurs, renonçant au touage, qu’ils jugent d’application très délicate sur le Rhône, ont fait des devis pour des bateaux de 135 mètres de long, 12 mètres de large, avec un système particulier de grappins ou de coques articulées. De cette manière, on pourrait porter au-delà de 1,000 tonnes avec lm, 20 de tirant d’eau, et remorquer économiquement par exemple les minerais de fer de la Méditerranée, entre autres ceux de l’île d’Elbe et de Mokta, dont les forges de la vallée du Rhône consomment plus de 500,000 tonnes par an. M. Dupuy de Lôme, dont nous avons déjà eu l’occasion de citer une autre expérience, est à son tour entré dans la lice. Il a imaginé récemment, recourant à l’emploi de coques en fer de grande dimension, un navire à deux hélices indépendantes d’un tonnage encore plus élevé. Un premier essai n’a réussi qu’incomplètement, un autre sera sans doute plus heureux. L’indépendance des hélices partiellement immergées doit, selon l’habile ingénieur, fournir un système énergique d’évolutions rapides comme en exige la navigation du Rhône. Il a été conduit à suspendre ses essais jusqu’à ce qu’il ait avisé aux moyens de rendre impossibles les erreurs dans la manœuvre. La question du meilleur propulseur à trouver pour notre navigation fluviale est donc toujours pendante, et il est urgent de la résoudre. Les inventeurs peuvent compter sur une ample rémunération de leurs peines. Le fret ne leur manquera pas : ce sont les houilles, les minerais de toute espèce, les pierres à bâtir, les chaux et les cimens, les bois, le fer, les vins, les huiles, les céréales, à la descente ou à la remonte. Le fleuve en aura sa part, le chemin de fer gardera la sienne, tout en reconnaissant que certaines denrées, telles que les vins, s’accommodent bien mieux du transport par eau que du transport sur rails. On calcule qu’en vins du Midi le Rhône devra transporter à lui seul un poids d’au moins 300,000 tonnes quand il aura été mis dans un état de navigabilité satisfaisant.

Ce n’est pas seulement au point de vue du service public des transports, c’est encore pour l’agriculture, que le Rhône pourrait être largement utilisé. Nous avons là un magnifique fleuve, celui qui roule chez nous les eaux les plus abondantes, dont nous pourrions faire un double instrument de production, et nous le laissons abandonné. Un ingénieur en chef des ponts et chaussées, M. Aristide Dumont, a été chargé par le gouvernement, il y a quelques années, de faire les études d’un canal d’irrigation du Rhône réclamé par nos départemens méridionaux. Il a depuis longtemps rempli sa mission, et ce canal reste à l’état de projet. C’est là cependant une œuvre d’intérêt national, ayant pour but de sauver de la misère et de l’émigration une partie des populations de la vallée du Rhône. On sait combien celles-ci sont en ce moment cruellement frappées par le phylloxéra, la maladie des vers à soie et l’abandon de la culture de la garance, laquelle ne peut plus lutter contre l’alizarine artificielle. Le canal d’irrigation du Rhône, qui ne nuirait en rien à la navigation du fleuve, est évalué à une dépense de 110 millions; il pourrait être achevé en quatre ans. Il aurait une longueur de 400 kilomètres, de Condrieu à Béziers, et traverserait cinq départemens, la Drôme, Vaucluse, le Gard, l’Hérault, l’Aude. Il offrirait une surface irrigable susceptible de produire annuellement 450,000 tonnes de foin et de nourrir au moins 100,000 têtes nouvelles de gros bétail. Il permettrait, sur une étendue en plaine d’au moins 80,000 hectares, la submersion des vignes, moyen reconnu efficace pour combattre le phylloxéra. Cette œuvre grandiose est appuyée par les vœux de tous les conseils électifs, et par des souscriptions personnelles importantes pour la jouissance de l’irrigation.

Revenons à la navigation du fleuve. Il est indispensable que cet autre canal latéral dont nous avons aussi présenté le devis soit ouvert, dût-il coûter 300 millions, comme le prétendent quelques-uns. Quelle meilleure dotation pourrait-on faire aux travaux publics dans l’intérêt de tous, et quelle occasion plus favorable pour reconstruire à la mesure des besoins présens ce qu’on a si souvent appelé l’outillage industriel de la France? Si le Rhône n’est qu’incomplètement amélioré, s’il faut rompre charge à Lyon, que l’on vienne du nord ou du sud, l’entreprise sera toujours à recommencer, et nos petits-neveux se débattront dans les mêmes difficultés que nous. L’auteur du canal de Suez, quand le gouvernement hellénique le consultait en 1869 pour le percement de l’isthme de Corinthe et parlait d’un canal à écluses, répondit qu’il fallait percer un canal à niveau, comme il l’avait fait à Suez. Depuis, sa réponse a été la même à toutes les compagnies, à tous les gouvernemens américains qui ont également fait appel à sa haute expérience pour le creusement d’un canal interocéanique : « On ne saurait naviguer en pareil cas avec des écluses, c’est trop long et c’est trop coûteux, » n’a cessé de dire à tous, et prêchant d’exemple, M. F. de Lesseps. A notre tour, nous ferons remarquer qu’on ne saurait naviguer en France avec des systèmes différens de canaux. C’est trop long et c’est trop coûteux, faut-il encore répéter, et ce mode barbare n’a duré que trop longtemps. Passe ici pour les écluses, elles y sont de mise, et l’on ne saurait se passer d’elles; mais qu’au moins elles soient uniformes et que le même navire puisse aller du Havre à Marseille à travers la France. Si l’on veut d’un système réellement économique et en rapport avec les nécessités actuelles, si l’on veut relever enfin et véritablement notre navigation intérieure, il faut percer ce que nous nommerons l’isthme français, en donnant à la Basse-Seine, comme l’a demandé M. Krantz, un tirant d’eau de 3 mètres, et à tous nos canaux, rivières et fleuves intérieurs un de 2 mètres au moins. De cette façon on pourra aller sans rompre charge de la Manche à la Méditerranée, et l’on fera réellement de Paris ce que demande depuis tant d’années l’instinct populaire : un port de mer.


III, — PARIS PORT DE MER.

Paris port de mer, c’est le rêve de tous les Parisiens et de beaucoup d’ingénieurs, surtout depuis le commencement du siècle. On peut plaisanter de l’idée, mais elle fera son chemin. Nous n’entendons point proposer ici d’amener la mer à Paris par un canal ouvert au milieu des terres, comme l’ont projeté quelques rêveurs, qui ont présenté à ce propos des dessins et des devis que nous croyons au-dessous du vrai. Bien qu’aujourd’hui aucune limite ne semble imposée à l’audace humaine en matière de travaux publics, il est cependant des barrières devant lesquelles il faut s’arrêter; mais faire de Paris un port de rivière important, en relation directe et continue avec la mer, en un mot, le centre d’un puissant cabotage intérieur et extérieur, il n’y a là rien d’impossible, et tout nous y convie. Le moment propice semble arrivé, et déjà quelques hommes d’initiative ont pris hardiment les devans.

Qui n’a pas vu maintes fois, dans ces dernières années, ancré au port du Louvre, ce petit navire à voile et à vapeur, du port de 200 tonnes, qui faisait régulièrement les voyages de France au Japon, de Paris à Yokohama? Cet intéressant steamer s’est perdu en mer il y a trois ans. D’autres, plus heureux, vont toujours de Paris à Londres par la Seine, la Manche, la Mer du Nord et la Tamise, « En charge pour Londres, » telle est l’enseigne qu’ils portent orgueilleusement au haut de leur grand mât, quand ils sont ancrés à Paris. A l’avenir, ces exemples ne seront plus isolés. En 1866, l’état avait projeté de porter à 2 mètres le tirant d’eau de la Seine entre Paris et Rouen. Il fallait bien faire quelque chose pour nos voies navigables, surtout après la promulgation du traité de commerce de 1860, où l’on avait reconnu que nos transports intérieurs étaient gênés par une foule d’obstacles, et que notre outillage (c’est le mot dont on se servait) n’avait pas atteint le degré de perfectionnement voulu. Sur l’avis que le tirant d’eau de la Seine allait être porté à 2 mètres, les chercheurs s’étaient mis en campagne. Quelques-uns n’avaient pas attendu ce moment. Déjà, en 1855, M. Belgrand, alors ingénieur en chef du service hydraulique sur la Basse-Seine, avait présenté une étude en vue de l’établissement sur le fleuve d’une navigation maritime avec 3 mètres de tirant d’eau, et telle que nulle part les bateaux n’eussent à baisser leurs mâts. Une décision ministérielle prit ce projet en considération, et y prescrivit certaines modifications de détails. M. Belgrand évaluait à 48 millions au maximum les dépenses, si l’on voulait faire disparaître les obstacles au passage des mâts, et à un peu plus de 13 millions seulement celles que nécessiterait le tirant d’eau de 3 mètres[3]. Il en concluait qu’il ne fallait pas songer à voir arriver à Paris des bateaux toutes voiles déployées, mais que si l’on réalisait le tirant d’eau de 3 mètres, on pourrait compter sur la création d’une navigation par navires à vapeur à mâts mobiles.

Aucune suite n’a été donnée au projet de M. Belgrand; mais cela n’a pas découragé les inventeurs. En 1866, un ingénieur de la marine, M. E. Leclert, comptant que le tirant d’eau de la Seine allait être porté à 2 mètres, étudia la possibilité d’établir un service direct et régulier, mais mixte, c’est-à-dire à voile et à vapeur, et de vitesse relativement modérée, pour le transport des marchandises entre Paris et New-York, et réciproquement. C’était une intéressante question d’art naval; la manière dont M. Leclert était arrivé k la résoudre avait obtenu l’approbation des ingénieurs et des marins. Il ne restait plus qu’à lancer le navire; mais toutes choses vont lentement chez nous quand l’administration s’en mêle. Une partie des travaux décidés pour porter le tirant d’eau de la Seine à 2 mètres a seulement été exécutée, et le crédit affecté à ces travaux a été à peine entamé. Espérons que l’on ira désormais plus vite et que les intérêts publics seront mieux sauvegardés. N’oublions pas que les chambres de commerce, non-seulement de Rouen et de Paris, mais encore celles de Lyon, d’Avignon, de Nîmes, ont compris les travaux d’amélioration de la Seine dans les combinaisons financières qu’elles ont récemment soumises au gouvernement en vue d’assurer enfin le perfectionnement de nos voies navigables.

Le navire projeté par M. Leclert, pour aller régulièrement de Paris à New-York, est d’un port utile de 300 tonneaux. L’appareil moteur est calculé de manière à imprimer au navire une vitesse moyenne de route qui permette d’effectuer le voyage du Havre à New-York, soit 3,300 milles marins, en dix-neuf jours, à peu près le double de temps qu’y emploient en été les grands steamers transatlantiques du port de 5,000 tonneaux et d’une force de 2,000 chevaux. La navigation à la voile est assurée pour les temps favorables, particulièrement par ces grandes brises d’ouest qu’on rencontre généralement en retournant d’Amérique en Europe. La mâture est construite de façon à pouvoir se rabattre en Seine. Dans son ensemble, le bateau est marin, c’est-à-dire apte à tenir la haute mer avec sa cargaison par les plus forts coups de vent de l’Atlantique, si fertile en tempêtes. Aujourd’hui que ce n’est plus 2 mètres, mais bien 3 mètres de tirant d’eau que l’état nous promet pour la navigation de la Basse-Seine, il serait temps que des projets comme ceux de M. Leclert passassent enfin des spéculations de la théorie à celles de la pratique. L’accès direct à la mer est pour un pays un élément de richesse certain. Quelle source de prospérité l’Angleterre n’emprunte-t-elle pas à ses fleuves ! Londres est sur la Tamise, Bristol sur la Severn, Liverpool sur la Mersey, Glascow sur la Clyde, et Londres et Liverpool sont les deux premiers ports du globe. Dans l’antiquité, Rome fut redevable au Tibre de son importance commerciale. Ninive et Babylone étaient sur le Tigre et l’Euphrate comme le Caire est sur le Nil, Calcutta sur le Gange, New-York sur l’Hudson, la Nouvelle-Orléans sur le Mississipi, Québec et Montréal sur le Saint-Laurent, Anvers sur l’Escaut. En France, où la nature a été en cela moins généreuse, où elle a plus parcimonieusement alimenté les cours d’eau, où elle les a moins heureusement dessinés, l’homme doit relever ceux-ci de l’espèce d’infériorité où ils sont. L’amélioration de la Seine sera une première conquête. D’autres conquêtes viendront ensuite et comme d’elles-mêmes, avec l’amélioration da Rhône, de la Garonne, de la Loire. N’oublions pas que Paris et Rouen, Lyon et Arles, Bordeaux, Nantes, doivent leur première prospérité à leur situation sur des cours d’eau. Il faut donc faire pour ceux-ci tout ce que la nature a oublié de faire, et comment hésiterait-on un instant lorsqu’on est armé de tous les outils merveilleux que la science a mis aujourd’hui à la disposition de l’homme?

Nous ne voulons pas suivre M. Krantz dans tous les détails de ses intéressans rapports, et après avoir examiné avec lui ce qui a trait à la navigation de la Seine et d’une partie des canaux du nord, du centre et de l’est, ainsi qu’à la navigation de la Saône et du Rhône, reprendre les mêmes études sur d’autres points. Partout l’habile ingénieur a porté le même esprit de critique féconde, dit franchement ce qui manquait, ce qu’il fallait faire pour compléter chaque portion du réseau. Il a su rendre attachante une lecture qu’on croirait aride, et l’on serait ici tenté de le suivre dans le bassin du golfe de Gascogne et sur le canal si heureusement projeté du Maransin. Maris sinus, qui doit donner la vie aux landes sableuses et stériles, ou bien d’étudier avec lui la navigation du bassin de la Garonne et du canal du Midi, ou celle du bassin de la Loire, qu’il complète, comme pour le Rhône, par un canal latéral, ou encore celle de la Charente et de la Sèvre niortaise, enfin celle des canaux de la Manche et de la Mer du Nord, qui se soudent à tout le réseau belge et à la navigation de l’Escaut. M. Krantz n’a rien négligé, ni une vue d’ensemble ni un point de détail, et le plus petit embranchement navigable trouve place dans son intéressant mémoire. Il dit ce qu’est notre canalisation actuelle et ce qu’elle doit être, il l’indique avec l’expérience de l’homme de l’art et par instans avec l’émotion patriotique du citoyen, qui veut que l’on fournisse à son pays tous les moyens possibles de se relever par le travail, par les transports à bon marché et les labeurs féconds du commerce. À ce point de vue, la lecture de ces volumineux rapports, tout pleins de chiffres, sinon de formules, est au plus haut degré saisissante. C’est une de ces études fortes et saines comme il y en a eu quelques-unes après l’invasion allemande, et elle mérite d’attirer l’attention de chacun. La conclusion inévitable, on la connaît : si nous voulons développer notre trafic intérieur et extérieur, donner à nos navires de long cours une partie du fret de sortie qui leur manque, lutter victorieusement contre les marchés voisins, développons nos voies navigables intérieures. Les chemins de fer ne seront pas atteints par cette concurrence prévue, dont ils se sont un moment épouvantés outre mesure, qu’ils ont même essayé de réduire à néant sur certains points du territoire par l’achat des canaux existans, par exemple le canal du Midi. N’avons-nous pas démontré au contraire que les chemins de fer profiteraient eux-mêmes, d’une manière détournée, du mouvement de ces voies navigables? En ces sortes de choses, il y a toujours, comme l’a fait si bien remarquer Bastiat, ce qu’on voit et ce qu’on ne voit pas. On ne saisit pas la portée de ce qu’on voit, et c’est ce qu’on ne voit pas qui est la vérité, l’utilité, l’avantage de chacun et de tous.

Quelques-uns, convaincus que les chemins de fer étaient désormais le moyen de transport par excellence, ont condamné irrévocablement les canaux, comme ils avaient condamné naguère les diligences; mais le cas n’est point le même. Les diligences ne pouvaient lutter avec les chemins de fer, qui transportent plus vite et à meilleur marché les denrées et les voyageurs, tandis que les canaux n’entendent transporter que certaines matières, qui leur sont, pour ainsi dire, acquises, et à un prix inférieur à celui des voies ferrées. Les ennemis des voies navigables n’ont donc jamais entendu les plaintes de l’agriculture, de la grande industrie, qui ne cessent de demander qu’on améliore partout nos rivières et nos canaux, et qu’on y abaisse, ou mieux qu’on y supprime les droits de navigation, ces péages que ne connaissent ni les routes de terre ni les railways? Et si l’on craignait que le fret vînt à manquer à ces voies antiques, qu’on se rassure. Le bois de chauffage et de charpente, le charbon de bois, la houille, la fonte et le fer, les machines et les métaux ouvrés, les engrais et les amendemens végétaux ou minéraux, les pierres et les matériaux de construction de toute espèce, toutes ces matières, qui ont beaucoup de poids et de volume et qui presque toutes valent relativement peu, sont les clientes naturelles des canaux. L’acheteur ne les attend pas à jour et à heure fixes; il est de son intérêt de leur faire prendre la voie d’eau, qui peut les transporter à moitié prix de ce qu’exige la voie ferrée. Nous n’avons pas parlé de la plupart des produits agricoles : le vin, l’huile, les céréales, la betterave, les fourrages, qui, ayant à choisir entre deux moyens de transport, l’un plus régulier, plus rapide et plus cher, l’autre, sujet à quelques chômages, plus lent et plus économique, préféreront toujours le second, sauf les cas de convenances particulières.

De tout temps les enquêtes qu’a provoquées l’administration, les réclamations et les doléances persistantes de nos agriculteurs et de nos industriels, ont éclairé l’état sur ce qu’il avait à faire en matière de canaux. Le moment est donc venu de ranimer de toute façon nos voies navigables intérieures, et alors non-seulement les industries indigènes seront satisfaites et plus aptes à lutter avec la concurrence étrangère, mais aussi, dans nos ports de mer, au lieu de voir beaucoup de nos navires partir sur lest faute d’un fret suffisant de sortie, nous leur verrons charger et nos houilles de Saint-Étienne ou d’Alais, et nos plâtres de Paris, et nos fontes et nos fers du Creusot, nos pierres de taille, nos tuiles et nos briques de Bourgogne, nos chaux du Theil, nos cimens de Vassy ou de Grenoble, puis nos bois des Vosges ou des Landes, nos ardoises d’Angers ou des Ardennes, nos marbres de couleur des Pyrénées, nos phosphorites ou engrais calcaires du Midi, enfin, en plus grande quantité encore, nos vins, nos blés et tant d’autres produits.

N’oublions pas que l’amélioration de nos rivières et de nos canaux est indispensable au progrès de l’agriculture aussi bien qu’au développement de la pisciculture et à la mise en valeur des forêts, qu’en outre les cours d’eau sont susceptibles d’effets dynamiques et que des milliers de chevaux de force vive sont disponibles au seuil d’un barrage, d’une digue, d’une levée. Il faut que l’on utilise tout cela et que l’on se rappelle sans cesse que les villes doivent aux eaux souvent leur origine et toujours une partie de leur développement : aquœ condunt urbes. Répétons-le : où la nature est restée insuffisante, l’homme doit compléter l’œuvre de la nature. C’est là une des plus belles fonctions de l’humanité, et, dans le nombre des pacifiques conquêtes que celle-ci peut faire à la surface du globe, une des plus méritantes. Parmi les nations qui se sont le plus distinguées dans la création des canaux, la France, a tenu un moment l’un des premiers rangs. Aujourd’hui elle est notablement distancée par l’Angleterre, les États-Unis, la Hollande et la Belgique, toutes contrées où les canaux sont tenus en si grande valeur, bien qu’en Angleterre et aux États-Unis on puisse citer des cas où, comme en France, les compagnies de chemins de fer ont essayé d’annihiler les canaux. D’une manière générale, ceux-ci n’ont pas cessé de maintenir leur rôle et leur importance, et l’Allemagne et la Russie en creusent maintenant de tous côtés. La Hollande, qui a toujours été le pays par excellence de ce genre de voies intérieures, cherche encore à augmenter son lot. Elle vient d’ouvrir une nouvelle route d’Amsterdam à la Mer du Nord, un canal direct, celui que tout récemment visitait notre ministre des travaux publics. Espérons qu’il aura recueilli dans cette tournée plus d’une heureuse inspiration. Le 1er novembre 1876, le roi des Pays-Bas inaugurait solennellement ce canal, qui a 25 kilomètres de long. Les bâtimens de 5 mètres de tirant d’eau peuvent déjà le parcourir, et il doit être creusé jusqu’à une profondeur de 7 mètres. À l’entrée du canal dans la Mer du Nord, il y a une écluse qui peut recevoir des navires d’une longueur de 120 mètres. Deux jetées en pierre, larges de 7 mètres et longues de 1,600 mètres, se prolongent en ligne droite dans la mer, enserrant un avant-port de 265 mètres de large et d’une superficie de plus de 100 hectares. Du côté de la mer intérieure, le Zuiderzée, le canal est également fermé par une écluse. Tous ces faits doivent nous servir d’enseignement, et la France n’a qu’à vouloir pour reprendre le rang qu’hier encore elle occupait dans les choses de la canalisation.

L’honorable rapporteur du système de nos voies navigables non-seulement s’est plu à marquer, à tracer d’avance tout ce qui avait trait à l’exécution technique de nos futurs canaux dans des espèces de projets et de devis estimatifs ; mais il a même pris soin d’indiquer par quelles combinaisons financières on pourrait arriver à améliorer et à compléter, sans trop de charges pour la nation et le trésor, le réseau français, qui deviendrait ainsi un des plus importans du globe. Encore une fois, ce réseau, ainsi achevé et mis en mesure de fonctionner utilement sur tous les points du territoire, ne nuirait pas pour cela au réseau de nos voies ferrées. Ainsi que le dit très bien M. Kraniz, « le canal et le chemin de fer n’ont pas les mêmes aptitudes de transport, ne rendent pas les mêmes services, ne s’adressent pas à la même clientèle ; ils peuvent coexister dans la même vallée sans se nuire, et leur action réciproque peut et doit être le concours et non la concurrence ». A son tour, le savant rapporteur de la commission du budget pour 1877, section des travaux publics, a tenu à rappeler que les voies navigables intérieures, dont il défendait la dotation, sont destinées, non pas à faire une concurrence ruineuse aux chemins de fer, mais à remplir l’utile office de « modérateurs et de régulateurs des prix de transport », par suite même de la modicité des tarifs auxquels elles peuvent descendre. Le conseil général des ponts et chaussées lui-même, que l’on aurait pu croire un moment plus dévoué aux chemins de fer qu’aux canaux, défend aujourd’hui les mêmes idées, et presque dans les mêmes termes. Si les transports par eau n’ont pas pour eux la célérité, ils ont en effet sur les chemins de fer l’avantage de l’économie, sur lequel nous avons déjà tant de fois insisté. Il faut y joindre celui de la supériorité de puissance pour le déplacement des masses, et celui d’un matériel moins coûteux et qui peut plus aisément et presque indéfiniment être augmenté. Tout cela n’est pas le lot des voies ferrées, et vaut bien la peine d’être pris en sérieux examen.

On prétend que le premier consul, visitant le Havre en 1802 et vivement frappé de la position de ce port, aurait prononcé ces paroles : « Le Havre, Rouen, Paris, ne sont qu’une même ville, la Seine en est la grande-rue. » Qu’aurait dit le premier consul s’il eût vécu maintenant, et s’il eût vu non plus seulement la Seine, mais le railway, le télégraphe électrique, le bateau à vapeur, relier Paris et le Havre? Il n’eût pas manqué de décréter sans plus de retard l’amélioration du régime hydraulique de la Seine, et de donner un corps au rêve de Paris port de mer, qui semble pour quelques-uns une nuageuse utopie. Nous avons prouvé que ce rêve pouvait sans trop de peine et dans la limite des choses possibles devenir une réalité, et qu’une communication par eau pouvait être enfin utilement établie non-seulement entre le Havre et Paris, mais encore entre le Havre et Marseille, entre la Manche et la Méditerranée. De cette façon seulement on arrivera véritablement à percer ce que nous avons nommé l’isthme français, et à conserver à la France le transit de l’Europe occidentale, qui menace de lui échapper en partie.

Remarquons qu’une grande révolution politique est presque toujours suivie d’une révolution économique correspondante. C’est ainsi, pour en citer un exemple des plus lointains, que les conquêtes d’Alexandre ont effacé Tyr pour la remplacer par Alexandrie, et indiqué au commerce de l’Orient avec l’Europe, qui se faisait auparavant presqu’en entier par les caravanes à travers l’Asie, la voie de la Mer-Rouge et de l’Océan indien. Au temps des découvertes portugaises et espagnoles, le renom de Venise, de Gênes et de Pise, a de même disparu, parce qu’une nouvelle route venait d’être indiquée au commerce par Colomb et par Gama. Plus tard, c’est la Hollande et l’Angleterre qui ont succédé aux Portugais et aux Espagnols. Tirons profit de ces leçons de l’histoire, et disons-nous bien qu’il ne faut pas que les conquêtes allemandes de 1866 et de 1870 soient suivies, au détriment de la France, d’une révolution commerciale analogue; en d’autres termes, nous ne devons pas permettre que l’on isole l’isthme français à l’occident de l’Europe. Pour cela, il faut lui maintenir son transit, ne pas souffrir que le Danube ou les tunnels alpins le lui ravissent, et l’un des meilleurs moyens de conjurer ce péril imminent, n’est-il pas précisément de ranimer, de compléter nos voies de navigation intérieure? Il faut achever définitivement le réseau français, de manière à y rendre le transit uniforme et régulier, et à effectuer, sans rompre charge, de très longs parcours, sur 1,000 kilomètres par exemple. Faisons au moins servir à quelque chose de profitable notre régime de centralisation, et, puisque nous sommes passés de la vie provinciale à la vie nationale, réformons, dans ce qui s’y présente de défectueux, ce que les anciennes provinces nous ont laissé. Notre système de canalisation est de ce nombre, refaisons-le sur un plan d’ensemble général.

En supposant que, sur notre principale ligne ainsi régénérée, celle du Havre à Marseille, on transporte 2 millions de tonnes par an sur un parcours de 1,000 kilomètres, et ces chiffres n’ont rien d’exagéré, l’économie réalisée serait considérable, et s’élèverait à une cinquantaine de millions de francs, comparée au même parcours par chemin de fer. Une chose en résultats si féconde, pourquoi la France ne la tenterait-elle point par le triple accord de l’opinion publique, du gouvernement et des chambres? Accroître la circulation, l’exportation de nos produits, c’est en accroître la production, c’est aussi reconstituer le capital national entamé, détruit sur beaucoup de points aux jours néfastes de la guerre allemande. N’est-ce pas là un but glorieux à atteindre, une entreprise digne des méditations de tous et des encouragemens de l’état? Aussi persistons-nous à croire que la question des transports à bon marché est, parmi toutes celles que l’on peut avoir à résoudre aujourd’hui, peut-être la plus urgente, et celle dont la solution procurerait certainement au pays le plus d’avantages matériels.


L. SIMONIN.

  1. La Navigation intérieure de la France, son état actuel, son avenir, par L. Molinos; Paris, J. Baudry 1875.
  2. Voyez entre autres la lettre adressée à M. le ministre des travaux publics par le syndicat de la marine, à la date du mois de janvier 1875.
  3. Voyez l’exposé des motifs du projet de loi ayant pour objet l’amélioration de la Seine, no 302, chambre des députés, session de 1876.