Léentin, veux-tu savoir comme
Je vis étant amoureux,
Je ne crois point qu’il soit homme
Vivant plus que moi heureux.
J’ai acquis une maitresse
Belle trop plus que le jour,
Qui me tient en allégresse
Et perpétuelle amour.
Son amour est mutuelle,
Pleine de toute bonté,
Elle ne m’est point cruelle
Comme celle du comté.
Bien qu’un autre la courtise,
Je n’en deviens point jaloux,
Connaissant que sans feintise
Elle m’aime par sus tous.
Je l’embrasse, je l’accolle,
Je la baise quand je veux,
Et d’une main gaie et folle
Je tortille ses cheveux.
Puis de rechef je l’embrasse,
La contemplant ocieux,
En me mirant dans sa face
Et dans ses yeux gracieux.
Ainsi béant je demeure
Comme le milan par l’air,
Et la voyant rire à l’heure
Je recouvre le parler.
Puis de rechef je retourne
Plus fort à la mugueter,
Que si elle se détourne
Je la contrains d’arrêter.
Tenant sa main fretillarde,
Elle pense m’échapper
En faisant de la mignarde
Pour après me refrapper.
Si elle se veut ébattre
Avec moi je lui permets
De me battre pour la battre,
Puis après je fais la paix.
Mais ce battre ne l’attise
A courroux de se venger,
Ce n’est qu’une mignardise
Que je fais pour la ranger.
Car après je l’amadoue
Pour promptement l’apaiser,
Lui disant que je me joue
Et puis je la viens baiser.
Elle se contient pour l’heure
De plus tant me tracasser
Pour d’une grâce meilleure
Ses beaux yeux recommencer.
Pour chose que je lui fasse
Elle n’en prend point d’émoi,
Et je sais bien de sa grâce
Qu’elle n’aime autre que moi.
D’un désir insatiable
Elle me vient embraser
Quand elle voit amyable
Que je la viens caresser.
Nous nous baisotons ensemble
Et mon secret je lui dis,
Et la baisant il me semble
Que je vole en paradis.
Mon Dieu, que j’ai de liesse
D’ouïr les divers accords
Que prononce ma déesse
Quand sur son giron je dors !
Jamais voix d’une Sirène
Ne fut si douce à ouïr
Que la sienne souveraine
Qui tant me fait réjouir.
Et suis certain que la blonde
De son chant mélodieux
Et de sa douce faconde
Endormirait tous les dieux.
Étant penché dessus elle
Comme Vénus sur Adon,
Tout en plaisir je sommeille
Comme Ascane sur Didon.
Ainsi sommeillait Lucine
En éternelle union
Sur la bouchette doucine
De son doux Endymion.
Ainsi prend ma damoiselle
Sur ma face son repos,
Puis quand elle se réveille
Elle me tient ces propos :
Ma barbelette dorée,
Mon miel et mon sucre doux,
Ma douce manne éthérée,
Serez-vous pas mon époux ?
Vous savez que mariage
Nous est ordonné de Dieu
Pour croître l’humain lignage
Dessus ce terrestre lieu.
Je n’ai eu jamais envie
D’autre mari me pourvoir
Que vous, mon bien et ma vie,
S’il vous plaît me recevoir.
Car les Cieux m’ont destinée
Pour être votre moitié.
O que je suis fortunée
D’entrer en votre amitié.
Venez donc, mon Titon, ore
Venez donc toutes les nuits
Dormir avec votre Aurore
Et vous l’ôterez d’ennuis.
Chanson, la main qui te trace
Aujourd’hui pour son guerdon[1]
Toute allègre prendra place
Au dortoir de Cupidon.
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