Discussion:Une vie
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Articles de journaux
Le Temps 27 avril 1883
Le style de George Sand et l’auteur d’Une Vie.[1]
Je trouvais hier dans un article d’un très remarquable écrivain, un nouveau venu, M. Guy de Maupassant, qui vient de donner sous ce titre Une Vie un des livres les plus profonds et les plus fermes, dans leur simplicité, que nous ayons pu lire depuis longtemps, je rencontrais dans une étude sur les Femmes de lettres une opinion qui me semble être sur George Sand celle de la jeune école littéraire :
« Le Beau littéraire n’est point, dit M. de Maupassant, ce que la femme cherche. La première des femmes-écrivains, George Sand, ne semble jamais avoir été effleurée par ce mal étrange, par cette torture des artistes que travaille l’amour, l’appétit, la rage du style. » Non, elle n’a pas besoin de se torturer pour arriver à ces pages émues et vibrantes…
Le Temps 13 mai 1883
Le Mouvement littéraire
Romans -- Publications géographiques
Commençons cette revue par le livre de M. Guy de Maupassant. L’auteur est un jeune homme. Une Vie est son premier roman, et signaler les talents nouveaux est le meilleur plaisir que puisse donner un travail du genre de ces courtes notices.
M. de Maupassant est né sous une étoile heureuse ; il n’a pas lutté contre l’obscurité ; le patronage de Flaubert, son parent, a entouré sa jeunesse d’amis qui se sont chargés de sa réputation ; il n’a eu qu’à produire pour être connu. Il a commencé par un volume de vers, exercice d’un homme bien doué où s’annonçait un tempérament de styliste plus qu’une vocation de poète ; puis sont venues des nouvelles qui, par sa faute, à cause du choix malséant des sujets, n’ont point eu le public que les qualités qu’il y montrait auraient mérité. Ceux dont le métier est de tout lire y voyaient éclore un artiste remarquable que l’on connaîtra dans Une Vie.
Ce n’est pas que ce roman soit encore un de ceux qu’il me serait agréable de voir entre les mains d’une personne à la fraîcheur d’imagination de laquelle je m’intéresserais. Il est deux scènes que j’en voudrais enlever. Elles n’ont été faites ni par recherche du scandale ni par goût du scabreux, M. de Maupassant est un écrivain d’une autre volée : il les a crues nécessaires ; il en est au moins une qui l’est en effet, mais, si décemment qu’il les ait traitées, elles ne sont pas assez décentes encore. Ce sont les entrepreneurs de pornographie qui essayent de présenter le dédain calcule de toute convenance comme une récente conquête de la littérature française. Ils ne l’ont pas enrichie pour cela d’une bonne page de plus. M. de Maupassant a trop d’étoffe pour supporter longtemps que ces industriels en quête de pavillons à couvrir leur marchandise aient quelque apparence de raison pour joindre son nom à ceux dont ils se recommandent.
Triste vie que la vie qu’il raconte. Après trente pages jolies comme une jolie matinée de mai ou comme un printemps de jeune fille, Jeanne entre dans le malheur par la porte du mariage et elle n’en sort plus. Tout lui ment, tout la fait souffrir et pleurer. Son mari la trompe, ses amies la trompent ; elle découvre que son père, qu’elle adore, a agi en son tepms comme son mari, et que sa mère, qu’elle n’aime pas moins, a fait jadis comme ses amies. Son honnêteté ne trouve aucune autre honnêteté auprès de laquelle elle puisse se reconforter. Son fils, sur qui repose ses dernières espérances, qui est devenu son unique joie, l’abandonne pour suivre une fille. Tout ce qu’elle aime la trahit. On sort du livre sous une impression affreuse.
Flaubert a été un des bons écrivains de notre temps. Son style sobre et fort ne porte point la marque de ces influences de mode qui vieillissent si vite ceux qui les ont subies ; il restera toujours jeune. Le style de M. de Maupassant est de la même famille ; aucune des manières en faveur aujourd’hui n’y a laissé de trace ; point de couleurs surchargées, point d’adjectifs voyants, point de néologismes destinés à raviver l’attention endormie du lecteur, point d’archaïsmes non plus. C’est le style d’un écrivain qui sent bien toute la saveur de notre langue et qui n’a pas à se torturer pour la rendre expressive. Il choisit ses mots, il ne les recherche point ; et il lui suffit qu’ils soient justes pour obtenir une phrase sonore et un coloris harmonieux. Cette belle simplicité si sûre d’elle-même donne un grand charme à ses descriptions ; ce n’est pas lui qui, craignant de ne pas représenter suffisamment un tableau, s’acharnera sur les détails de longues pages durant ; quelques traits caractéristiques vivement saisis et fortement exprimés lui suffisent ; puis il passe, certain d’avoir ému. Il a des paysages de quelques lignes qui font songer à Tourguéneff.
Ce qui pèche dans Une Vie, c’est la composition. Quel a été le dessein de l’auteur ? N’en a-t-il pas eu ? Le titre exprime-t-il vraiment tout ce qu’il a voulu faire, raconter une vie ? Il n’y a point d’oeuvre d’art dans une pensée maîtresse dont elle est le développement. Qu’est-ce que cela prouve, une vie ? Pourquoi celle-là plutôt qu’une autre ? Pour- quoi en avoir commencé le récit alors que l’héroïne a dix-huit ans et pourquoi ne pas l’avoir poussée jusqu’à sa mort ? J’imagine que M. de Maupassant ne s’est pas contenté de si peu, il a voulu montrer les dangers des mariages rapides tels qu’on les bâcle trop souvent : la jeune fille et le jeune homme se connaissant à peine, deux âmes ignorées l’une de l’autre et qui se découvrent alors qu’il est trop tard pour se séparer. Mais, du moment qu’il y a une pensée maîtresse dans un roman, il y a aussi une logique qui doit y ramener chacune des parties. Parmi les misères de Jeanne, il en est qui ne découlent pas nécessairement de son mariage. Elles font longueur.
Autre chose m’inquiète. Quelques qualités qu’il y ait dans Une Vie, M. de Maupassant est supérieur à cette œuvre ; il fera mieux encore certainement mais, sous ces promesses en fleur, je crois voir poindre un ver qui gâterait ce talent. Nous sommes d’un pays où Molière n’a pas été de l’Académie, mais où deux ou trois écrivains ont été de l’Académie pour avoir commenté Molière. Nous sentons mal le sérieux des choses contemporaines. Nous avons en ce moment des philosophes qui vont étudier le pessimisme en Allemagne, en Angleterre, en Italie et même aux Indes ; aucun d’eux ne s’avise de l’étudier en France, quand c’est le mal qui nous ronge depuis vingt-cinq ans. La forme qu’il y a pris est la pire de toutes ; cherchez dans la plupart des romanciers de la nouvelle école leur pensée intime sur l’homme et sur la vie, vous trouverez un sentiment intense de la médiocrité humaine, une conviction à tout instant sensible que la vie est vaine et mauvaise.
Le persiflage d’un Schopenhauer, la révolte d’un Leopardi, sont encore des modes de l’énergie. Nos pessimistes ne se révoltent même plus : ils acceptent cette médiocrité et cette vanité et ils s’y complaisent. Monsieur de Maupassant, s’il en est temps encore, par un légitime orgueil pour votre talent, défendez-vous comme d’une peste de cette triste façon de voir. C’est elle qui a empêché Flaubert de se renouveler, et c’est elle qui frappe M. Zola d’incapacité psychologique. Pourquoi votre tableau est-il si violemment poussé au noir ? Qu’est-ce que cet esprit de dénigrement qui souffle en certaines pages ? Le mal vous gagne-t-il ? Le jour où vous en serez atteint, croyez-le bien, c’en sera fait du romancier que l’on attend de vous. La moitié du monde vous deviendra inintelligible, pour ne pas dire le monde tout entier ; vous aurez aliéné votre liberté d’esprit ; un parti pris vous dénaturera la réalité ; inconsciemment vous ne chercherez plus la vérité, mais des preuves pour un système. Le pessimisme ramène toutes les actions humaines à deux principes : l’égoïsme et la lâcheté ; cela est beaucoup trop simple pour expliquer la société qui est si complexe, et ce n’est pas avec cela qu’un écrivain qui veut faire vivre des personnages reconstituera les caractères qui s’y meuvent. Concevez-vous Shakespeare ou Balzac pessimistes, qu’auraient ils fait ? Rien n’est infécond comme l’hypocondrie. Tous les grands créateurs ont été des cœurs généreux, des imaginations facilement échauffées, plus portés à l’enthousiasme qui grandit les choses qu’au dénigrement qui les rapetisse, et c’est parce qu’ils avaient le cœur chaud qu’ils ont senti ce qu’il y a de noble en nous aussi bien que ce qu’il y a de bas, et que l’âme humaine n’a pas eu de secrets pour eux.
Un secret instinct incline les écrivains vers des sujets appropriés à leur façon d’écrire. La force du style de M. de Maupassant est dans la justesse de l’expression ; il choisira plus volontiers des sujets dont il peut observer avec exactitude tous les détails. Le style de M. Cherbullez est très compliqué, et il se plaira aux types exotiques, aux cas rares où ce style est mieux à l’aise que dans les sujets de la vie courante…
Paul Bourde
Polybiblion janvier 1884
Revue bibliographique universelle [3]
On a jeté la pierre à la maison Hachette, parce qu’elle n’a pas voulu introduire Une Vie dans sa Bibliothèque des chemins de fer. Au risque de passer pour un sot, parmi les pornographes, j’estime que les directeurs de la maison Hachette ont bien agi. Il n’y a, en effet, que les entrepreneurs de pornographie qui essayent de présenter le dédain calculé de toute convenance comme une des plus brillantes conquêtes de la littérature française contemporaine. Or, dans Une Vie, sans parler de plusieurs tableaux libertins, il existe deux scènes complaisamment et longuement pimentées d’ingrédients pornographiques. Je dis aussi que la scène odieuse et absolument invraisemblable, dans laquelle l’abbé Tolbiac écrase à coups de pied, sous un prétexte de morale ridiculement étroite et inhumainement farouche, une pauvre chienne au moment où elle met bas ses petits, ne peut comporter aucune excuse. Car, dans sa préméditation calculée, elle est de nature à inspirer la haine du prêtre. C’est avec des pages semblables qu’aux heures de Révolution les fusilleurs d’évêques et de moines bourrent leurs chassepots. Bien entendu que M. Guy de Maupassant, qui, dit-on, professe des idées politiques modérées, n’a pas porté ses vues si loin, en écrivant Une Vie. Il n’en reste pas moins acquis, que ce livre est fort dangereux, d’autant plus dangereux qu’il témoigne d’un remarquable talent, et contient même des pages ravissantes. C’est l’histoire d’une jeune fille, Jeanne de Lamarre, appartenant à l’aristocratie terrienne de la Haute-Normandie. Après une jeunesse heureuse et calme comme une matinée de mai, Jeanne entre dans le malheur par la porte du mariage et n’en sort plus. Trompée par son mari, par ses amies, par ses domestiques, elle découvre petit à petit que son père a trompé sa mère et que sa mère elle-même n’a pas été à l’abri de tout reproche. Dès lors, le découragement, le scepticisme, l’indifférence s’emparent de cette âme faible, et elle n’essaie même plus de réagir. Son mari meurt, victime d’une horrible vengeance. Il lui reste un fils mais ce jeune homme, élevé sans religion, s’abandonne à tous ses mauvais penchants, ruine presque sa mère et la quitte pour suivre une fille. Telle est Une Vie. Sa lecture produit l’impression désolante et désolée que produirait un chapitre de Schopenhauer ou de Léopardi, chantant le désespoir ou prêchant l’anéantissement. Du pessimisme et du plus affreux mis en roman ! On n’en peut louer que le style, qui est vraiment d’un maître ? Pourquoi faut-il que l’écrivain à qui Dieu a donné une si belle intelligence en fasse un si déplorable usage ?
Le Gaulois 10/04/1883
http://gallica.bnf.fr/ark:/12148/bpt6k524596h/f1.image
Aujourd’hui paraît, chez Havard, le roman de notre collaborateur M. de Maupassant, Une Vie.
Ce livre nouveau ne peut manquer d’avoir le grand succès qu’ont eu les œuvres précédentes du conteur hors pair, dont nos lecteurs ont pu apprécier la vigueur de style et la force de pensée.
Le Figaro 12/04/1883
http://gallica.bnf.fr/ark:/12148/bpt6k2785364/f1.image
M. Guy de Maupassant vient de publier, chez Victor Havard, un roman des plus intéressants, une étude très approfondie, intitulé : Une Vie.
Le succès très justifié de l’œuvre ne s’est pas fait attendre, car elle en est déjà à sa troisième édition.
Nous reparlerons d’ailleurs, dans notre Revue Bibliographique, de ce roman qui aura certainement une importance dans la vie littéraire de M. de Maupassant.
Le Figaro 20/04/1883
http://gallica.bnf.fr/ark:/12148/bpt6k278544q/f3.image
Une Vie, le roman de M. Guy de Maupassant, vient d’être refusé par la maison Hachette qui possède le monopole de la vente des livres dans les gares.
Surpris de cette décision inattendue, l’écrivain s’est immédiatement concerté avec plusieurs de ses confrères, qui s’étaient vus également exclus des bibliothèques des lignes ; et une note a été rédigée, qui va être remise incessamment à la Chambre des députés.
Un très grand nombre de signatures sont déjà apposées sur cette pétition, dont voici le texte.
Nous n’avons pas à prendre parti, actuellement. dans cette querelle.
Messieurs les députés,
Les hommes de lettres soussignés viennent vous exposer une situation qu’ils estiment préjudiciable à leurs intérêts et même dangereuse pour ceux du gouvernement, et ils viennent protester devant vous contre le monopole de la vente des livres et des journaux dans les gares, cédé exclusivement à la maison Hachette par les grandes Compagnies de chemins de fer.
Cette situation est tellement anormale que des plaintes incessantes s’élèvent.
Voici les faits :
Comme on le sait, l’État, jusqu’à ces dernières années, se considérant comme le tuteur moral des Français, exerçait un contrôle sur le colportage ; et, par suite d’un raisonnement peu logique ; les livres vendus dans les gares étaient assimilés à ceux que les marchands ambulants promènent dans les villages et soumis à la même formalité du timbre officiel.
La maison Hachette, concessionnaire du droit de vente dans toutes les gares, jouait un rôle purement passif d’intermédiaire et ne pouvait exposer à ses étalages que des ouvrages munis du visa de l’État. Ce visa constituait le « laissez-passer » ; et les vendeurs distribuaient immédiatement à leurs employés des lignes le roman marqué du timbre ; ils gardaient comme commission un droit de 40 0/0.
Or, cette tutelle morale du gouvernement amena tant de réclamations, d’indignations, de révoltes, de railleries et d’attaques que la République, comprenant mieux son rôle que les pouvoirs précédents, y renonça.
Toute la presse cria « victoire ».
Alors, une chose surprenante eut lieu. La maison Hachette qui détenait le droit excessif et abusif de vente dans toutes les gares de France, quittant le rôle d’intermédiaire passif qui pouvait seul faire tolérer cet exorbitant monopole, rétablit à son profit l’ancien visa, l’ancien veto.
Elle reprit l’idée abandonnée par l’État comme odieuse et ridicule, et jugeant en péril la conscience des voyageurs, estimant que la moralité des trains ne se trouvait plus sauvegardée, elle nomma dans ses bureaux une sorte d’agent des mœurs chargé de veiller à ce qu’aucun voyageur ne pût se procurer un livre dangereux.
Donc, dès qu’un homme, muni de son billet, qui devient alors une sorte de billet de confession, a franchi le seuil des salles d’attente, il ne se peut plus procurer que les livres et les journaux spéciaux qu’il convient à la maison Hachette de lui fournir.
S’il plaisait demain à cette maison de ne vendre plus que l’Univers ou que la Lanterne, les voyageurs en seraient réduits à ces deux journaux. C’est là, pour les voyageurs d’abord, une situation absolument intolérable qui les prive systématiquement des livres qu’ils peuvent désirer au profit d’ouvrages ou de feuilles qui peuvent devenir, en certains moments, des armes de propagande soit politique, soit religieuse. Il importe pour nous tous qui voyageons chaque jour, que les gares conservent absolument leur caractère de lieu public, comme une rue, et que nous y puissions trouver, sans exception, toutes les œuvres qui conviennent à nos goûts différents, à nos croyances, à nos opinions, sans en être réduits aux bibliothèques choisies et épurées par un employé quelconque.
À d’autres points de vue encore cette situation est condamnable.
Au point de vue des auteurs, elle les classe en deux catégories, bons et mauvais, reprenant cette idée enfantine de la moralité dans l’art, sauvegardant le plus souvent la conscience du lecteur au profit du faux goût et de la sottise, abétissant par la morale, abrutissant par l’honnêteté puérile et niaise.
Faut-il répéter la phrase de Flaubert? « Il faudrait s’entendre sur cette question : « La moralité dans l’art », ce qui est beau est moral ; voilà tout, selon moi. La poésie comme le soleil, met de l’or sur le fumier. Tant pis pour ceux qui ne le voient pas. »
Est-ce l’employé de M. Hachette qui distinguera un livre d’art comme Mlle de Maupin d’un livre imbécile et pieux ? Auquel des des deux donnera-t-il son visa ?
Au point de vue de l’influence secrète que peut donner ce monopole, la situation est plus grave encore.
Admettons un moment que la maison Hachette soit animée de tendances contraires au gouvernement, quel qu’il soit.
Qu’arrivera-t-il ?
En temps ordinaire, elle exercera, malgré et contre le gouvernement, une influence considérable, par le choix imposé des lectures, sur les centaines de mille voyageurs qui parcourent la France chaque jour.
Dans beaucoup de petites villes il n’existe point d’autre librairie que celle des gares. Ces villes seront soumises à la même influence.
En temps d’élections, elle pourrait favoriser exclusivement les journaux de son opinion, arrêter la vente des autres, quitte à renvoyer le lendemain comme rebuts les exemplaires dissimulés et non vendus ; elle exercerait donc encore une influence formidable, décisive, sans effort, sans action visible, sans pouvoir être dévoilée ou inquiétée.
Le ferait-elle ? Peut-être non. Mais quel est l’homme qui, disposant d’une pareille force, ne l’emploierait point au profit de ses idées politiques et de ses convictions religieuses.
La maison Hachette emploie bien son influence contre certains hommes de lettres, pourquoi ne le ferait-elle pas, en un moment de crise, contre certains hommes politiques ?
Au simple point de vue du monopole, d’un monopole exorbitant établi sur toute la France, cette situation est condamnable sans même qu’il soit besoin de discuter.
Nous venons donc vous demander, messieurs les Députés, au nom de la simple liberté, de la liberté de pensée, que ce monopole soit détruit ; que les gares redeviennent des lieux publics non assujettis à un contrôle moral quelconque, afin que nous puissions, nous, voyageurs, y trouver les publications qui conviendront à nos goûts ; afin que nous puissions, nous, auteurs, y être vendus comme partout sans distinction et sans catégories.
Le Figaro 25/04/1883
REVUE BIBLIOGRAPHIQUE
LITTÉRATURE. ROMANS
Dans notre dernière revue nous avons seulement donné le titre du dernier ro- man de M. Guy de Maupassant, paru chez Havard. Ce titre pour ne tenir qu’en deux mots, le résume cependant tout entier Une Vie; c’est en effet l’histoire de toute une existence, année par année jour par jour, presque heure par heure, que M. de Maupas- sant vient d’écrire. Je ne sais jusqu’où l’opinion publique va porter le succès de ce roman, succès qui ne peut être dou- teux, mais ce que je tiens à dire, avant d’entrer plus amplement dans l’aua- lyse de ce procès-verbal minutieux ét émouvant de la vie d’une créature hu- maine, c’est que son auteur vient de faire un grand pas et s’est placé sur un terrain assez élevé ptjur que sa person- nalité s’y puisse détacher nettement. M. Guy de Maupassant qui a commencé comme élève de M. Zola vient de sortir d’un bond de l’école.
Une vie, c’est l’histoire d’une jeune fille de petite noblesse de .province, élevée entre un père et une mère qui l’adorent, dans un milieu paisible respi- rant l’honneur, labonté, toutes ces belles choses qui deviennent si rares aujour- d’hui.
La jeune fille est mariée presque au sortir, du couvent et épouse, avec con- fiance, celui que le baron et la baronne ont cru devoir assurer le bonheur de sa vie. Les désillusions de la jeune fille commencent et c’est leur défilé qui for- me l’ensemble du roman. Le mari, le vicomte Julien de Lamare, est le type de l’égoïsme banal; il a dos défauts mais les défauts d’une âme vulgaire, il a des vices, mais ces vices bourgeois qui n’ont pas la grandeur de la franchise; il trompe sa femme bestialement, pour la tromper, et noue firialemetit une in- trigue avec une amie de sa femme, la comtesse Gilberte de Fourville. Le mari n’est point homme à endurer la situa- tion qui lui est faite, et, surprenant sa femme et son amant enfermés dans une cabane de berger, au haut d’une côte, les envoie, d’un coup d’épaule, contenant et contenu, s’écraser au fond de la vallée. Je n’ai cité que les grandes lignes du roman, mais là n’est pas, on le pense bien, l’intérêt de l’œuvre; il est dans le détail exquis des impressions de cette âme à travers les courtes joies, les cha- grins, les douleurs de la vie. Pourquoi l’auteur y a-t-il mis parfois quelques touches trop réalistes, je ne sais; mais il faut les lui pardonner ce ne sont que de très légères taches.
La première partie l’idylle char- mante et printanière de cette âme hon- nête est un véritable chef-d’œuvre; plus loin ce sont les déceptions de la maternité; rien de plus navrant, de plus cruel, de mieux dépeint que ces cris du cœur quand sonnent les heures des séparations éternelles, rien de plus charmant que le regard de cette femme,’ devenue grand-mère a son tour, et ten- dant ses bras à son petit enfant dont la douceur doit-être un baume sur les plaies faites par son fils lui-même. Je n’insis- terai pas sur le mérite du livre, il est fa- cile a tout le monde de le constater. J’ai tenu à marquer non pas le premier suc- cès de M. Guy de Maupassant, mais à signaler tout particulièrement l’œuvre qui nous révèle un romancier de plus. Je m’aperçois, un peu bien tard que j’ai promis à mes lecteurs un extrait du livre; je l’écourte bien malgré moi,,mais je tiens ma promesse. J’emprunte le passage qui suit au chapitre consacré à la mort de la mère de Jeanne. La pau- vre femme n’est plus et sa fille s’est as-; sise près d’elle pour la veiller; l’abbé qui a donné l’extrême onction vient de; partir:
Alors le vicomte, de sa voix ordinaire, demanda « Vas-tu prendre quelque chose? » Jeanne ne répondit point, ignorant qu il s’adressait à elle; il reprit « Tu ferais peut- être bien de manger un peu pour te soutenir.» Elle répliqua d’un air égaré « Envoie tout de suite chercher papa. a Et il sortit pour expédier un cavalier à Rouen.
Elle demeura abîmée dans une sorte da douleur immobile, comme si elle eût attendu, pour s’abandonner auflotmontant des regrets désespérés, l’heure du dernier tête-à-tête. Les ombres avaient envahi la chambre, voilant la morte de ténèbres. La veuve Dentu se mit à rôder, de son pas léger, cherchant et disposant des objets invisibles avec des mouvements silencieux de garde-malade. Puis elle alluma deux bougies quelle posa doucement sur la table de nuit couverte d’une serviette blanche, à la tête du lit.
Jeanne ne semblait rien voir, rien sentir, rien comprendre. Elle attendait d’être seule. Julien rentra; il avait dîné; et, de nouveau, il demanda « Tu ne veux rien prendre. » Sa. femme fit « non a do la tête.
Il s’assit, d’un air résigné plutôt que triste, et demeura sans parler.
Ils restaient tous trois, éloignés l’un de l’autre, sans un mouvement sur leurs sièges.
Par moments, la garde, s’endormant» ronflait un peu, puis se réveillait brusque-: ment.
Julien, à la fin, se leva, et, s’approchant de Jeanne « Veux-tu rester seule maintenant?» 9 Elle lui prit la main dans un élan involon- taire « Oh! oui, laissez-moi. » Il l’embrassa sur le front, en murmurant î « Je viendrai te voir de temps en temps. » Et il sortit avec la veuve Dentu qui roula sou fauteuil dans la chambre voisine.
Jeanne ferma la porte, puis alla ouvrir tou. tes grandes les deux fenêtres. Elle reçut ea pleine figure la tiède caresse d’un soir de fe- naison. Les foins de la pelouse, fauchés la- veille, étaient couchés sous le clair de lune. Cette douce sensation lui fit mal, la navra comme une ironie.
Elle revint auprès du lit, prit une dés mains inertes et froides et se mit à considérer sa mère. `
Elle n’était plus enflée comme au moment de l’attaque elle semblait dormir à présent plus paisiblement qu’elle n’avait jamais fait; et la flamme pâle des bougies qu’agitaient des souffles, déplaçait à tout moment les om- bres de son visage, la faisaient vivante comma si elle eut remué.
Jeanne la regardait avidement et du fond des lointains de sa petite jeunesse une foule de souvenirs accouraient.
Elle se rappelait les visites de petite mère au parloir du couvent, la façon dont elle lui tendait le sac de papier plein de gâteaux, une multitude de petits détails, de petits faits, de petites tendresses, des paroles, des inlona- tions, des gestes familiers, les plis de ses yeux quand elle riait,son grandsoupir essoufflé quand elle venait de s’asseoir.
Et elle restait là, contemplant, se répé- tant dans une sorte d’hébétement « Elle est morte » et toute l’horreur de ce mot lui ap- parut. Celle couchée là maman petite mère– > madame Adélaïde, était morte? Elle ne re- muerait plus, ne parlerait plus, ne rirait plus, ne dînerait jamais plus eniace de petit père; elle ne dirait plus « Bonjour, Jeannette. » Elle était morte
On allait la clouer dans une caisse et l’ea- fouir, et ce serait fini. On ne la verrait plus. Etait-ce possible? Comment? elle n’aurait plus sa mère ? Cette chère figure si familière, vue dès qu’on a ouvert les yeux; aimée dès qu’on a ouvert les bras, ce grand déversoir d’affection, cet être unique, la mère, plus im- portant pour le cœur que tout le reste des êtres, était disparu. Elle n’avait plus que quelques heures à regarder son visage, ce vi- sage immobile et sans pensée et puis rien, un souvenir.
Et elle s’abattit sur les genoux dans une crise horrible de désespoir; et, les mains cris- pées sur la toile qu’elletordatt, la bouche col- lée sur le lit, elle cria d’une voix déchirante, étouffée dans les draps et les couvertures « Oh maman, ma pauvre maman, maman » Puis, comme elle se sentait devenir folle. folle ainsi qu’elle l’avait été dans cette nuit da fuite à travers la neige, elle se releva et cou- rut à la fenêtre pour se rafraîchir, boire de l’air nouveau, qui n’était point l’air de cetta couche, l’air de cette morte.
Les gazons coupés, les arbres, la lande, la mer là bas se reposaient dans une paix si- lencieuse, endormi sous le charme tendre de la lune. Un peu de cette douceur calmante pénétra Jeanne et elle se mit à pleurer lente-
ment.
Puis elle fôviat auprès dd lit et s’assit en reprenant dans & main la mata de petite mère, comme si ellô î’eût veillée mai^ae. Un gros insecte était £itré, attiré pi. bougies. Il battait les murs cv.mweuuuija. allait d’un bout à l’autre de là chambre. Jeanne, distraite par son vol ronflant, .levait les yeux pour te voir; .mais elle’ n’apsrcôyîS Jamaïs que sou ombre errante sur le blanc du plafond.
Puis elle ne l’entendait plus. Alors elle re- marqua le tic-tac léger de la pendule et un autre petit bruit, ou, plutôt, un bruissement presque imperceptible. C’était la montre de petite mère qui continuait à marcher, oubliée dans la robe jetée sur une chaise au pied du lit. Et soudain, un vague rapprochement entre cette morte et cette mécanique qui ne s’était point arrêtée raviva la douleur aiguë au cœur de Jeanne.
Elle regarda l’heure. Il était à peine dix heures et demie; et elle fut prise d’une peur horrible de cette nuit entière à passer là. D’autres souvenirs lui revenaient ceux de sa propre vie Rosalie, Gilberte, les amères désillusions de son cœur. Tout n’était donc que misère, chagrin, malheur et mort. Tout trompait, tout mentait, tout faisait souffrir et pleurer. Où trouver un peu de repos et de joie? Dans une autre existence, sans doute! Quand l’âme était délivrée de l’épreuve de la terre. L’âme! Elle se mit à rêver sur cet in- sondable mystère, se jetant brusquement en des convictions poétiques que d’autres hypo- thèses non moins vagues renversaient immé- diatement. Où donc était, maintenant, l’âme de sa mère? l’âme de ce corps immobile et glacé? Très loin, peut-être. Quelque part dans l’espace? Mais où? Evaporée comme le par- fum d’une fleur sèche? ou errante comme un invisible oiseau échappé de sa cage? Rappelée à Dieu ou éparpillée au hasard des créations nouvelles, mêlée aux germes prés d’éclorel 1
Très proche, peut-être? Dans cette chambre, autour de cette chair inanimée qu’elle avait quittée! Et brusquement Jeanne crut sentir un souffle l’effleurer, comme le contact d’un esprit. Elle eut peur, une peur atroce, si vio- lente qu’elle n’osait plus remuer, ni respirer, ni se retourner pour regarder derrière elle. Son cœur battait comme dans les épou- vantes.
Et soudain l’invisible insecte reprit son vol et se remit à heurter les murs en tour- noyant.
Je ne crois pas qu’on puisse lire sans émotion les lignes qui précèdent et qui donnent, une impression juste du mé- rite général de l’oeuvre. Bien d’autres, maintenant, vont découvrir la haute va- leur de M. de Maupassant; mais je m’estime heureux d’avoir été un des premiers à la constater.
Informations sur l’édition
Aide pour remplir le modèle : voir ici
Informations sur l’édition de Une vie |
Édition : Ollendorf, Paris, 1901 Source : Gallica Acélan 2 2 100.0% 2013-02-28 14:18 2013-02-28 14:20 109 s Remarques : Relu et corrigé par : |