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Échalote et ses amants

La bibliothèque libre.
Échalote et ses amants (1909)
(Roman de mœurs montmartroises)
Illustrations par David Widhopff.
Louis-Michaud, Éditeur.


JEANNE LANDRE

Échalote
et ses amants
(Roman de mœurs montmartroises)
Par faute d’autres jeux plaisants que les autres dames voyent et pratiquent, nous pouvons nous contenter de ceux-ci.
Brantôme. (Les Dames galantes.)

Illustrations de Widhopff
LOUIS-MICHAUD
éditeur
168, boulevard Saint-Germain, 168
PARIS

Au Docteur Félix Terrien




Voici, cher docteur, une analyse qui, si elle a des côtés un peu ébouriffants pour ceux qui n’ont point séjourné sur la butte montmartroise, n’en est pas moins un recueil d’incidents vus, de mots entendus et de péripéties faciles à vérifier. Certes, vous ne vous attarderez pas à les contrôler — vous avez autre chose à faire, et la science, qui s’honore de vous accaparer, vous offre un champ d’études autrement passionnant qu’un monticule peuplé de moulins tapageurs et de personnages plus ou moins amoraux.

Tant mieux pour ceux qui souffrent et tant pis pour moi. Loin de ce lieu, où il m’a amusé de séjourner pendant quelques années, vous croirez peut-être que j’exagère en le dépeignant, et certains détails — cependant si atténués ! — vous choqueront.

Je voulais les éviter, je n’ai pas pu. La vérité d’une étude veut celle de l’anecdote, comme la valeur d’une thèse exige les mots techniques. Il m’était impossible de traduire les discussions d’Échalote et de ses acolytes selon les règles imposées par la bonne compagnie, et je ne pouvais décrire les tableaux vivants de Montmartre comme tel ou tel critique explique et décortique l’art des Botticelli et des Murillo.

Voyez donc ici, cher docteur, une pièce anatomique d’un nouveau genre, et considérez les phénomènes de la rue Lepic comme autant de sujets d’amphithéâtre et de laboratoire.

L’être humain a ses loupes, ses kystes et ses tares. La société, elle aussi, a ses fibrômes. Elle les supporte, faute de mieux, et parce que les chirurgiens en ce genre ne se sont pas encore révélés. Seul, M. Bérenger tente de manier le scalpel moral : il n’y réussit qu’à rebours puisque, telles les têtes de l’Hydre, les vices poussent plus drus quand ils sont entaillés.

Peut-être s’étonnera-t-on que des pages sur le monde spécial où triomphe toujours Échalote aient été écrites par une femme. D’après les pontifes nous devrions nous contenter des petits romans domestiques à l’usage des pensionnats, et le féminisme, tout en nous octroyant une émancipation intégrale, une existence de garçon manqué et des ambitions de conseillers municipaux, n’admet pas que nous parvenions à ces faveurs sans la grâce et les minauderies qui laisseront la députée et la sénatrice femmes tout de même, c’est-à-dire un peu compliquées et très coquettes.

Bah ! je ne suis pas féministe et je vois mal à travers une voilette.

Que les hommes me pardonnent d’oublier mon devoir de dissimulation et de mine guindée.

Et vous, docteur, qui avez la belle indulgence des esprits solides, gardez-moi une amitié dont je suis fière.

Jeanne Landre.
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