Dans la rue (Bruant)/À La Glacière
À LA GLACIÈRE
C’était l’pus beau, c’était l’pus gros,
Comm’ qui dirait l’Emp’reur des dos,
I’ gouvernait à la barrière,
À la Glacière.
Son pér’, qu’est mort à soixante ans,
L’avait r’levée aussi dans le temps ;
Sa mère avait été daufière,
À la Glacière.
Lui, quand il était tout petit,
I’f’sait des galipet’s dans l’lit
D’la Bièv’, qu’est eun’joli’rivière,
À la Glacière.
Plus tard i’conduisit les veaux,
Après i’fit trotter les ch’vaux,
En s’agrippant à leur crinière,
À la Glacière.
Quand i’fallait r’cevoir un gnon,
Ou bouffer l’nez d’un maquignon
Il était jamais en arrière,
À la Glacière.
I’ racontait, avec orgueil,
Qu’i’ s’avait fait crever un œil,
Un soir, au coin d’eun’ pissotière,
À la Glacière.
I’ parlait aussi d’un marron…
D’eun’ nuit qu’on yavait sonné l’front
Ça yavait r’tourné la caf’tière,
À la Glacière.
I’ vient d’tomber comme un César,
Comme un princ’ du sang, comme un czar
On l’a crevé la s’main’ dernière,
À la Glacière.
C’est pas un gros, c’est un p’tit mac
Qui ya mis d’ l’air dans l’estomac.
En y faisant eun’ boutonnière,
À la Glacière.
C’était l’pus beau, c’était l’pus gros,
Comm’ qui dirait l’Emp’reur des dos,
I’ gouvernait à la barrière,
À la Glacière.