Thanatosensitivité
La thanatosensitivité décrit une approche épistémologique et méthodologique dans la conception numérique qui recherche activement à intégrer la mort dans le monde informatique, malgré la conception traditionnelle centrée sur l'utilisateur.
Mentionnée pour la première fois par Michael Massimi et Andrea Charise de l'Université de Toronto dans un article présenté à la conférence de 2009 de la série Conference on Human Factors in Computing Systems (en), la thanatosensitivité fait référence à une approche humaniste fondée sur la recherche et la conception de l'interaction homme-machine (IHM, ou HCI en anglais pour Human-Computer Interaction) qui reconnaît et aborde les problèmes conceptuels et pratiques entourant le décès dans la création de systèmes interactifs[1]
Le terme thanatosensitivité est dérivé de la personnification mythologique grecque antique de la mort, Thanatos (En grec : Θάνατος, Mort). L'interdisciplinarité est cruciale pour l'étude thanatosensitive parce que, contrairement à beaucoup de domaines de recherche sur l'IHM, celles sur la mort sont rarement soumises à des activités en laboratoires ou à des approches traditionnelles sur le terrain. Comme Massimi et Charise le soutiennent, l'aspect humaniste de la thanatosensitivité offre effectivement « une stratégie non-invasive pour mieux comprendre les problèmes conceptuels et pratiques entourant la mort, l'informatique et l'expérience humaine »[1].
Applications conceptuelles et pratiques
[modifier | modifier le code]Historiquement, la conception et la recherche en informatique ont rarement considéré les problèmes liés au décès de l'utilisateur. La prolifération des données personnelles en ligne, des identités numériques, souvent protégée par des mots de passe ou des données biométriques qui oblige que l'utilisateur soit en vie, rend l'accès aux données de plus en plus problématiques après la mort de celui-ci, pour les particuliers et les proches, mais aussi pour les institutions et les sociétés, qui peuvent avoir des prétentions ou des enjeux juridiques par rapport à ces données. Un article de 2004 décrit comment Yahoo! a refusé à la famille de Justin Ellsworth, un marine américain mort à 20 ans, l'accès à son mail, les empêchant d'accéder aux informations pour gérer les conséquences du décès du jeune homme (comme clôturer ses réseaux sociaux)[2].
Déterminer comment les données numériques « peuvent être léguées, hérités et réutilisés de façon appropriée »[3] par la famille du défunt tout en prenant en compte la complexité des chartes de sécurité de la vie privée sur internet est un nouveau champ de recherche important sur les interactions homme-machine. « À un niveau plus fondamental, ces enjeux deviennent davantage importants à mesure que les entreprises décident de gérer les comptes internet des personnes décédées »[4]. Des études récentes dans le domaine ont appelé au développement d'applications et fonctionnalités plus ciblées pour faciliter le contrôle posthume des données numériques[5].
De plus, les façons dont les gens utilisent la technologie dans les pratiques concernant leur mort ou celles de leurs proches, sont des domaines de recherche qui ont toujours peu reçu d'attention[6]. Bien que les initiatives liées au décès en informatique soient de plus en plus nombreuses (les mémoriaux en ligne par exemple), la recherche académique dans ce domaine n'en est qu'à ses débuts. Ces thanatechnologies[7] visent à répondre à de nombreux besoins comme la commémoration, l'aide au deuil, l'archivage, l'accès aux informations et ressources, etc. De nombreuses thanatechnologies existent, mais peu sont le produit d'un processus de conception thanatosensitif, ce sont plutôt des appropriations de technologies générales, même si certains services comme ceux de Google[8] ou Facebook[9] ont ce genre de technologies. Par exemple, les forums en ligne ne sont pas explicitement concernés par la mort de leurs utilisateurs, cependant, ce sont des lieux communs pour les personnes endeuillées pour communiquer à ce sujet sous la forme de mémoriaux en ligne formels ou, plus communément, informels[10]. De plus, les mondes virtuels en 3 dimensions commencent à être explorés comme des espaces de commémoration[11].
Références
[modifier | modifier le code]- (en) Michael Massimi et Andrea Charise, « Dying, death, and mortality: towards thanatosensitivity », Proceedings of the 27th International Conference Extended Abstracts on Human Factors in Computing Systems, , p. 2459–2468 (DOI 10.1145/1520340.1520349, lire en ligne)
- (en) Jim Hu, « Yahoo denies family access to dead marine's e-mail », sur CNET (consulté le )
- (en) Wendy Moncur et Annalu Waller, « Digital Inheritance », Academia, (lire en ligne)
- (en-US) Siân Lindley, Eduardo H. Calvillo Gámez et Juan José Gámez Leija, « Remembering rituals of remembrance: Capturing Xantolo through SenseCam », CHI 2010 workshop on HCI at the End of Life, (lire en ligne, consulté le )
- (en) Cyndi Wiley, Yun Wang, Ryan Musselman et Beverly Krumm, « Connecting Generations: Preserving Memories with Thanatosensitive Technologies », HCI International 2011 – Posters’ Extended Abstracts, Springer, communications in Computer and Information Science, , p. 474–478 (ISBN 978-3-642-22098-2, DOI 10.1007/978-3-642-22098-2_95, lire en ligne, consulté le )
- (en) Michel Massimi, Will Odom, David Kirk et Richard Banks, « HCI at the end of Life: Understanding Death, Dying, and the digital », CHI 2010, (lire en ligne)
- (en) Carla Sofka, Kathleen Gilbert et Illene Noppe, Thanatechnology: Dying, Death, and Grief in an Online Universe. Springer Publishing Company, (ISBN 978-0-8261-0732-9)
- « Envoyer une demande concernant le compte d'un utilisateur décédé »
- « Qu’adviendra-t-il de mon compte Facebook en cas de décès ? »
- (en) Jed Brubaker et Janet Vertesi (Article présentée durant le CHI 2010), « Death and the social Network », Workshop paper presented at the CHI 2010 workshop HCI at the End of Life, (lire en ligne)
- (en) James Braman, Alfreda Dudley et Giovanni Vincenti, « Death, Social Networks and Virtual Worlds: A Look Into the Digital Afterlife », IEEE, , p. 186-192 (ISBN 978-1-4577-1028-5, DOI 10.1109/SERA.2011.35, lire en ligne)