Roqya (islam)
La Roqya (arabe : الرقية), ou Ruqiya charia, est une utilisation de la parole divine propre à l'Islam. Elle fait partie d'un corps large de la médecine islamique appelé « médecine prophétique ».
C'est un ensemble de méthodes spirituelles qui consisteraient selon ses adeptes à guérir des maladies occultes, comme la possession, par la récitation de versets coraniques.
D'après le Coran :
« Et Nous faisons descendre (par révélation) du Coran, ce qui est une guérison et une miséricorde pour les croyants. Mais cela ne fait qu'accroître la perdition des injustes. »
— [17.82]
Étymologie
[modifier | modifier le code]L'expression رقية (ruqiya) provient du verbe رقى (raqa) qui signifie d'après le Larousse ensorceler ; charmer (serpents)[1].
Cette expression s'utilisait dans l'Arabie préislamique pour désigner les paroles ou actes utilisés par ceux qui apaisaient les maladies occultes[2].
Pratique
[modifier | modifier le code]La roqya permettrait, par la permission d'Allah, d'annuler les effets de la magie (appelée sihr) et d'exorciser les possessions démoniaques.
En pratique, elle consiste en une lecture soutenue et répétitive de versets choisis du Coran. Il s'agit soit de versets glorifiant la puissance et l'unicité d'Allah (e.g 2.255 āyatu-l-kursī, Surât Al-Ikhlâs), soit de versets parlant de magie (La Vache.102, Ta Ha.68 → 70, El-Araf.117 → 122, Jonas.81 → 82 Surât Al-Falaq et Surât Al-Nâs).
Exorcisme et roqya
[modifier | modifier le code]La possession par les esprits est généralement définie comme un état de conscience inhabituel ou altéré et des comportements prétendument causés par le contrôle du corps par des esprits ou démons.
Les symptômes d'un besoin d'exorcisme peuvent aller du hurlement et crise de la victime possédée, aux vomissements, douleurs dans l'utérus, insomnies, maux de tête, crises d'épilepsie et paroles dans une langue incompréhensible.
Parmi les causes de la possession, Ibn Taymiyah explique qu'une personne peut faire du mal à un djinn ou le tuer sans se rendre compte. d'autres raisons aussi comme le fait qu'un démon tombe amoureux d'un humain.
La Roqya, selon ses praticiens, ramène de force les Djinns et les démons en invoquant les noms de Dieu, et leur ordonne d'abandonner leur méfait. Ceci est censé réparer les dommages qui auraient été causés par la possession de djinns, la sorcellerie (sihr) ou le mauvais œil[3].
Exemples de Roqya
[modifier | modifier le code]Ruqiya bi-l-Fâtihat
[modifier | modifier le code]C'est l'incantation par la Fatiha, première Sourate du Coran.
Ibn Qayyim al-Jawziyya rapporta dans son livre at-tibb an-nabâwî (médecine prophétique) sa propre histoire de talisman à base coranique :
« Il m'est arrivé de tomber malade alors que j'étais à la Mecque. En l'absence de médecin et de médicaments, je me suis soigné de la façon suivante : j'ai pris une gorgée d'eau de zemzem et j'ai récité sur elle plusieurs fois la fatiha avant de la boire. J'ai retrouvé une santé complète. Puis, j'ai pris l'habitude de procéder ainsi la plupart du temps quand j'éprouvais des douleurs, j'obtenais le résultat souhaité »
Les sourates protectrices
[modifier | modifier le code]La sourate 113 al-Falaq et la sourate 114 al-Nâs sont appelées sourates protectrices. Elles sont récitées conjointement comme protection contre la sorcellerie et les djinns[5].
Procès et controverses
[modifier | modifier le code]D'après le magazine Marianne, la ruqyia est pratiqué par des milieux radicaux — salafistes ou Tabligh notamment — pour en faire un marché lucratif et se livrer à des violences sexuelles et physiques, dont plusieurs personnes sont mortes[6]. En 2019, la Mission interministérielle de vigilance et de lutte contre les dérives sectaires (Miviludes) a mené une enquête sur les dérives liées à la ruqiya en France, qui toucheraient principalement des jeunes femmes d'origine maghrébine et de classe populaire.
Nabil Ennasri a publié en 2017 une vidéo pour mettre en garde les musulmans vis-à-vis des personnes qui cherchent à profiter de la faiblesse d'autrui et donne des conseils pour identifier les arnaques et des pistes pour se soigner correctement[7].
Affaire Louisa
[modifier | modifier le code]Mohammed Kerzazi, l'ancien imam de Roubaix, a tué une jeune fille de 19 ans, Louisa Lardjoune, au cours d'une séance d'exorcisme, a été condamné le à sept ans d'emprisonnement par la cour d'assises du Nord[8]. D'après la journaliste Lou Syrah, le jeune imam s'était récemment formé en Arabie saoudite à l'université islamique de Médine et auprès d'un maître exorciste[9].
Affaire Latifa Hachmi
[modifier | modifier le code]Jeune fille de 23 ans, Latifa Hachmi est décédée le après avoir subi, pendant un mois, des séances violentes d'exorcisme musulman.
Les rituels de roqya se sont déroulées dans l'appartement du couple à Bruxelles, assisté du mari de la victime et de trois « sœurs » musulmanes[10].
Six accusés, dont le prédicateur marocain Abou Chayma, ont été reconnus coupables par la cour d'assises de Bruxelles pour acte de torture et de cruauté sur Latifa Hachmi[11].
Affaire Layla
[modifier | modifier le code]Le , Layla, 18 ans, habitante d’Anvers est retrouvée morte de graves brûlures sur les pieds, les genoux et la poitrine. Layla aurait été brûlée à mort lors d’une séance d’exorcisme[12]. D'après une partie de sa famille, l'exorcisme aurait été voulu par les parents après que la jeune femme a révélé son homosexualité[6].
Affaire à Pavillons-sous-Bois
[modifier | modifier le code]En , un couple a été placé en garde à vue, pour actes de torture et mauvais traitements qu'ils auraient infligés à une femme de 47 ans. Des suites de l’exorcisme cette dernière a séjourné dans le coma plusieurs jours[13].
Affaire de l’Imam Khattabi
[modifier | modifier le code]Fin 2019, une jeune femme a porté plainte contre l'imam de Montpellier Mohamed Khattabi, proche de Tariq Ramadan, pour des agressions sexuelles et des viols qui se seraient produits lors de séances d'exorcisme[14].
Janvier 2021, Mohamed Khattabi est poursuivi en justice par sa belle-fille qui porte plainte. Elle l’accuse de l'avoir agressée sexuellement durant 2 ans lorsqu'elle avait 14 ans, lors de séances de roqya. Le jugement est de nouveau renvoyé en correctionnel devant une juridiction plus compétente en matière de viol au vu de la gravité des faits[6].
Notes et références
[modifier | modifier le code]- Daniel Reig, Dictionnaire arabe-français, Paris, Larousse, , 802 p. (ISBN 2-03-451213-8), p. 254.
- (en) Gerda Sengers, Women and Demons: Cultic Healing in Islamic Egypt, (ISBN 978-9-004-12771-5), p. 50.
- « roqya et les maux occultes », sur ROQYAONLINE.
- Albert de Surgy, Religion et pratiques de puissance, L'Harmattan, coll. « Anthropologie, Connaissance des hommes », (ISBN 2-7384-5035-0 et 978-2-7384-5035-7).
- Constant Hamès, « L'usage talismanique du Coran », Revue de l'histoire des religions, Armand Colin, vol. 218, no 1 « Les usages du Livre saint dans l'islam et le christianisme. », , p. 83-95 (ISSN 0035-1423, lire en ligne, consulté le ).
- Timothée de Rauglaudre et Jade Serrano, « "Roqya" : les dérives de l’exorcisme islamique », sur www.marianne.net, (consulté le ).
- Nabil Ennasri, « Pour en finir avec la "Roqya-Scandale" et la "Hijama-Business" », sur Youtube.ch, (consulté le ).
- Brigitte Vital-Durand, « Le procès de l'imam Kerzazi aux assises du Nord : Sept ans de prison et la promesse de ne plus exorciser », sur Libération, (consulté le ).
- Lou Syrah, Louisa, (ISBN 979-10-96906-18-5, OCLC 1143465585, lire en ligne).
- « Bruxelles: jugés pour un exorcisme fatal », sur LEFIGARO, (consulté le ).
- Belga News, « Procès d'exorcisme : Abdelkrim Aznagui était convaincu que Latifa était possédée », sur RTBF, (consulté le ).
- J. La., « Layla, brûlée à mort lors d’un exorcisme », sur La Libre, (consulté le ).
- Carole Sterlé, « Pavillons-sous-Bois : dans le coma après une séance de médecine occulte », sur Le Parisien, (consulté le ).
- Nejma Brahim, « A Montpellier, un imam sera jugé pour agressions sexuelles sur mineure », sur mediapart.fr, (consulté le ).
Voir aussi
[modifier | modifier le code]Bibliographie
[modifier | modifier le code]- Saâdia Radi, Surnaturel et société : L'explication magique de la maladie et du malheur à Khénifra, Maroc, Rabat, Centre Jacques-Berque, (ISBN 9791092046137, DOI 10.4000/books.cjb.470, lire en ligne).
- Élisabeth Longuenesse, Santé, médecine et société dans le monde arabe, L'Harmattan, coll. « Comprendre le Moyen-Orient / Études sur le monde arabe » (no 6), (ISBN 2-7384-3550-5 et 978-2-7384-3550-7).
- Jean-Pierre Desmoulin, Jeux identitaires, traces mémorielles et mutations sociales : Étude anthropologique des populations du Moyen-Drâa au Maroc, Desmoulin Édition (ISBN 2-9534916-2-7 et 978-2-9534916-2-3).
- Constant Hamès (dir.), Coran et talismans : Textes et pratiques magiques en milieu musulman, Karthala, coll. « Hommes et sociétés », (ISBN 2-84586-873-1 et 978-2-84586-873-1).
- Pierre Lory et Annick Regourd, Sciences occultes et Islam, Institut français de Damas, (ISBN 2-901315-04-6 et 978-2-901315-04-9).
- Hanifa Touag, « Guérir par l’islam : L’adoption du rite prophétique – roqya – par les salafistes en France et en Belgique », dans Farid El Asri et Brigitte Maréchal, Islam belge au pluriel, Louvain-la-Neuve, Presses universitaires de Louvain, , 326 p. (ISBN 978-2-87558-103-7, lire en ligne), p. 201-217