Mizuchi
Les Mizuchi 蛟 sont un type de dragon oriental, ou parfois des créatures légendaires serpentiformes. Ils sont souvent liés à l’eau et peuvent habiter dans des milieux aquatiques. Plusieurs spécialistes les ont décrits comme étant des divinités des eaux. Ils ont été décrits dans les Chroniques du Japon Nihon Shoki ainsi que dans certains poèmes du Man'yōshū.
Le terme Mizuchi est la lecture japonaise de plusieurs types de dragons orientaux[1], notamment le jiaolong (蛟; kōryū) « dragon aux quatre pattes », le qiulong (en) (虬; kyūryū) « dragon sans cornes » ou encore le chilong (螭; chiryū) « dragon jaune ».
Daniels (1960:157) releva que les divinités serpentiformes japonaises qui avaient pour capacité de contrôler la pluie étaient parfois appelées « dragons ». Toutefois, il affirma qu’il serait imprudent de décrire les formes des « okami » et des « mizuchi » comme étant les mêmes que celles des créatures chinoises qui leur sont associées.
Premières références
[modifier | modifier le code]Les Chroniques du Japon Nihon Shoki font référence aux mizuchi. Pendant la 67e année de règne de l’empereur Nintoku (en 379), il est raconté que dans la province de Kibi, à la diffluence du fleuve Kawashima (川嶋河, l’ancien nom du fleuve Takahashi dans la préfecture d’Okayama), habitait un grand serpent ou un grand dragon (大虬) qui expirait ou crachait son venin, empoisonnant et tuant de nombreux passants[2]. Ce « mizuchi » aurait été tué par un homme appelé Agatamori (県守), un ancêtre du clan Kasa-no-omi (笠臣). Il s’approcha de la rivière et jeta trois calebasses qui flottèrent à la surface de l’eau, il mit alors la créature au défi de faire couler les gourdes, le menaçant de le tuer s’il échouait. La créature se transforma en cerf et tenta sans succès de les faire couler. C’est ainsi que l’homme tua la créature. Il est également raconté dans les Chroniques que « l’homme chercha par la suite les congénères de la créature. Les « dragons d’eau » se réfugièrent dans une grotte au fond de la rivière, avant que l’homme ne les rattrape et les tue tous. L’eau de la rivière se transforma en sang. Par la suite, la rivière fut nommée Agatamori » (Aston 1896: 1, 299; orig. JHTI 2002)[3]. Un dieu de la rivière ayant été vu durant la 11e année du règne de Nintoku (an 323) est également considéré par les spécialistes comme étant un mizuchi, notamment de par la similarité de son apparition avec les autres histoires. Cette année-là, des brèches ne cessaient d’apparaître sur les digues de Mamuta (茨田堤) le long de la rivière Yodo. L’empereur, guidé par un rêve oraculaire, ordonna que deux hommes, Kowa-kubi de la province de Musashi et Koromo-no-ko de la province de Kawachi, soient sacrifiés au dieu de la rivière Kawa-no-kami (河伯). L’un des deux hommes résista au sacrifice et mit au défi le dieu de la rivière de faire couler la calebasse qui flottait à la surface de l’eau afin de savoir si son sacrifice provenait d’une volonté divine ou non. Le dieu tenta de la faire couler avec un tourbillon mais échoua. Ainsi, l’homme échappa à la mort. Même si le dieu de la rivière n’est pas appelé « mizuchi » dans la source de ce récit, Aston affirme qu’ils sont équivalents (Aston 1905: 1, 150–151). De Visser (1913:139) conclut : « Ce passage nous apprend que dans les temps anciens, des sacrifices humains étaient faits aux dieux des rivières ressemblant à des dragons. » Foster (1998:1) suggère qu’il s’agirait « peut-être de la première occurrence de l‘esprit de l’eau, aujourd’hui plus connu sous le nom de kappa. » Dans la mythologie japonaise, le « kappa » est décrit comme étant un diablotin d’eau qui peut être malicieux, à la différence des dragons mortels cités ci-dessus. Toutefois, le « kappa » peut avoir un caractère sinistre, il arriverait qu’il s’introduise dans le corps des humains pour voler leur foie ou leur « Shirikodama (尻子玉) » (voir les #Noms de kappa ci-dessous). Un autre mizuchi est mentionné dans le Man'yōshū, première anthologie de poésie japonaise, avec le tanka composé par Prince Sakaibe (境部王) : « Oh si seulement je pouvais monter un tigre pour bondir sur la vieille cabane, aller à la rivière verdie et capturer le mizuchi, avec une épée » (Man'yōshū, Livre 16; Yoshimoto 1998)[4].
Études folkloriques sur le mizuchi
[modifier | modifier le code]Dans le prologue de son étude nommée Jūnishi kō: mi (hebi)|『十二支考・蛇』| « Étude des douze animaux du zodiaque chinois: le serpent », Minakata Kumagusu affirme que « même dans [son] pays (le Japon), les nombreux serpents effrayants liés à l’eau auraient été appelés « mizuchi », ou « maîtres de l’eau » » (Minakata 1917). Selon lui, le suffixe « -chi » dans « mizuchi » signifierait « nushi » ou « den-maître des lacs », cependant l’historien Motoori Norinaga a par la suite affirmé que « -chi » était une particule honorifique (Minakata 1916). Afin de préciser son propos, Motoori (Kojiki-den, 1822)[5] a ajouté que la racine du suffixe « -chi » était un tatae-na (讃え名, « nom de vénération ») et que l’on peut le retrouver dans le nom du grand serpent Yamata-no-Orochi ainsi que dans le nom des victimes de ce même serpent, à savoir Ashinazuchi et Tenazuchi (ja) (アシナヅチ・テナヅチ). Minakata pensait également que « tsuchi » et « chi » auraient pu signifier « serpent » au regard du nom d’un serpent japonais appelé yamakagachi (Rhabdophis tigrinus) (Minakata 1916, « Dragon »). Le célèbre folkloriste et connaissance de Minakata, Kunio Yanagita pensait que le mot « tsuchi » signifiait « esprit » (Minakata 1916 et Yanagita 2004, 32;573)[6]
Noms de kappa
[modifier | modifier le code]Minakata a relevé des variantes du mot « mizuchi » dans les dialectes locaux, comme « mizushi » (préfecture d’Ishikawa), medochi (préfecture d’Iwate), mintsuchi (Hokkaidō). Asakawa Zenan (Essai, vol. 1, 1850)[7] mentionne le mot medochi (préfecture d’Ehime) et le mot mizushi (préfecture de Fukui). Cependant, ces mots se sont révélés comme étant des noms locaux pour le kappa. Minakata relève cependant que la légende du kappa vient de contes sur le « nushi » (den-maîtres de l’eau) qui se transformait en humain pour faire du mal à ces derniers. Ces origines ont été toutefois oubliées. Les folkloristes tels que Yanagita et Junichiro Ishikawa partagent cette opinion. Minakata a également réuni un certain nombre de connaissances sur les traditions locales partout au Japon concernant les serpents aquatiques capables de tuer les humains. Il a réussi à établir un lien entre ces serpents et la légende du kappa, qui a la réputation d’extraire le « shirikodama » ou l’organe fabuleux appartenant à leurs victimes par l’anus. Ce lien semble être en accord avec sa vision du mot « mizuchi », au départ associé aux serpents aquatiques et par la suite associé au kappa.
Mizuchi, synonyme des noms de dragon chinois
[modifier | modifier le code]Jusqu’à la période d’Edo, les experts japonais se sont reposés sur les textes encyclopédiques classiques chinois et sur les traités d’histoire naturelle. L’une des références largement citées est le Honzō Kōmoku ou Bencao gangmu (本草綱目) en chinois, le recueil de médecine chinoise considéré comme le plus complet. Il fait référence aux « dragon jialong » :
- 蛟龍【釋名】時珍曰︰按︰任 《述異記》雲︰蛟乃龍屬龍;有翼,曰應龍;有角,曰虯龍;無角,曰螭龍也。(Li Shizhen, Chapitre : Écailles (partie 1))
- Li Shizhen : Le livre Shuyi Ji de Ren Fang : Le Jiao est un type de dragon. Lorsque ses sourcils se croisent, il est appelé Jailong (Jiao ≅ rencontré). Le Jialong a des écailles. L’espèce ayant des ailes est appelée Yinglong. L’espèce ayant des cornes est appelée Qiulong et l’espèce n’en ayant pas est appelée Chilong ... (tr. Luo Xiwen (2003), p.3508)
Lorsque ce texte est lu en japonais en usant du Kanbun, on peut lire « Le mizuchi est un type de dragon… » En effet, le caractère 蛟 (jiao) peut être lu « mizuchi » lorsqu’on le lit en « kun’yomi », la lecture japonaise des kanjis. D’autres noms de dragon chinois comme qiulong (en) (虬 ou 虯; japonais: kyū; pinyin: qiú) et chilong (螭; japonais: chi; pinyin: chī) peuvent être lu « mizuchi » en japonais.
Dans la culture populaire
[modifier | modifier le code]- (véhicules et navires)
- Kōryū (sous-marin) (ja) (japonais : 蛟龍), (synonyme de mizuchi), un ancien sous-marin de la marine japonaise.
- Jiaolong (chinois : 蛟龙号), un sous-marin chinois.
- (romans)
- Mizuchi『水霊 ミズチ』, un roman d’horreur écrit par Hirohumi Tanaka (ja) (japonais : 田中啓文) en 1998, et son adaptation cinématographique de 2006 réalisé par Kiyoshi Yamamoto (ja) (japonais : 山本清史) et nommé « Mizuchi ».
- Sohryuden: Legend of the Dragon Kings (en) (roman) – Dans ce dernier, un homme est nommé Mizuchi (水池).
- (manga, anime)
- Eight Clouds Rising (en) - Mizuchi (水蛇) est l’une des sept épées divines.
- Kitaro le repoussant (manga, anime) - un kōryū (synonyme de mizuchi) est l’un des adversaires.
- Omamori Himari (en) (manga, light novel, anime) – le personnage Shizuku est un mizuchi.
- Our Home’s Fox Deity. (en) - Une miko est possédée par un mizuchi.
- Samurai Deeper Kyo (manga) - Kyo aux yeux de démon utilise une attaque nommée « mizuchi » lorsqu’il combat à l’épée.
- Noragami (manga, anime) – le personnage de Nora est appelé Mizuchi par son père, il semble aussi pouvoir marcher sur l’eau.
- Le Voyage de Chihiro (anime, film) – le personnage de Haku ressemble à un Mizuchi, il est de plus l’esprit de la rivière.
- (jeux vidéo)
- Mah-jong Fight Club (ja) (japonais : 麻雀格闘倶楽部) (jeu) – le joueur devient un kōryū (l’un des dragons véritables) lorsqu’il a rempli certaines conditions.
- Monster Hunter 2 (PS2) – un dragon ancien nommé Ōnazuchi est un mizuchi.
- NeoGeo Battle Coliseum (jeu) – un boss nommé Mizuchi, un clone de Orochi de The King of Fighters '97
Voir aussi
[modifier | modifier le code]- Jiaolong, mizuchi chinois
- Nâga, serpent mythique de l’indhouisme.
- Tlaloc, dieu aztèque de l’eau
- Gorgones, créatures issus de la mythologie grecque
Notes
[modifier | modifier le code]- (Shinmura 1976, Kōjien, 2e. ed.)
- Le texte décrit la créature comme étant un qiulong (虬/虯) en chinois (kanbun), mais une annotation donne mizuchi (水父) comme lecture japonaise du terme.
- Citation originale du Nihongi "是歳於吉備中国川嶋河派有大虬令苦人時路人触其処而行必被其毒以多死亡".
- Poème original: 虎尓乗 古屋乎越而 青淵尓 鮫龍取将来 劒刀毛我". Interprétation: Man'yōshū chūshaku (萬葉集釋注), vol. 8, 集英社, (lire en ligne), p. 475
« (三八三三)虎にまたがり、古屋の屋根を飛び越えて行って、薄気味悪い青淵で、その主..蛟龍を捕らえて来られるような、そんな剣大刀があればよいのに。 »
- 『記伝』9-2(神代七之巻【八俣遠呂智の段】
- Yanagita 2004 32:573-「今では虬と書くので、支那の知識を持っている人たちは蛇の類だろうと思っているが、字義からいっても水という言葉に、霊物とか何とかいう意味のチという字がっいているだけなのだから、水の霊ということに外ならない。」.
- Minakata cite une discussion de ce livre portant sur les serpents d’eau de la rivière Mogami et de Sado, Niigata, pertinente sur le sujet du mizuchi.
Références
[modifier | modifier le code]- (Nihongi / Nihon Shoki)
- William George Aston, Nihongi : Chronicles of Japan from the Earliest Times to A.D. 697, vol. 1, Londres, Japan Society of London, (lire en ligne), English translation
- JHTI, « Nihon Shoki », Japanese Historical Text Initiative (JHTI), UC Berkeley, (consulté en ), searchtext resource to retrieve kanbun text vs. English tr. (Aston) in blocs.
- Makoto Yoshimoto, « Manyōshū: volume 16, number 3833 [題詞]境部王詠數種物歌一首 », Japanese Text Initiative, University of Virginia Library, (consulté en )
- 李時珍, 本草綱目(Bencao Gangmu), , wikisource(zh) (lire en ligne), « 鱗之一 »
- Shizhen Li (Translated by Luo Xiwen.), Compendium of materia medica : bencao gangmu, Foreign Languages Press, , snippet (ISBN 978-7-119-03260-3, lire en ligne)
- (Sources secondaires)
- William George Aston, Shinto : (the Way of the Gods), Longmans, Green, and Co., (lire en ligne)
- F. J. Daniels, « Snake and Dragon Lore of Japan », Folklore, vol. 71, , p. 145–164 (DOI 10.1080/0015587x.1960.9717234)
- Michael Dylan Foster, « The Metamorphosis of the Kappa: Transformation of Folklore to Folklorism in Japan », Asian Folklore Studies, vol. 56, , p. 1–24 (DOI 10.2307/1178994)
- Marinus Willern de Visser, The Dragon in China and Japan, J. Müller, coll. « Asian Folklore Studies », (lire en ligne)
- Izuru (新村出) Shinmura, Kōjien (広辞苑), Iwanami,
- Kumagusu (南方熊楠) Minakata, 十二支考(3) : 田原藤太竜宮入りの話, coll. « 太陽 », . Aozora Bunko No.1916
- Kumagusu (南方熊楠) Minakata, 十二支考(4) : 蛇に関する民俗と伝説, coll. « 太陽 », . Aozora Bunko No.2536
- Norinaga(本居宣長) Motoori, 古事記伝, : 雲の筏, « 『古事記傳』(現代語訳) », 雲の筏 (consulté en )
- Yūkichi (武田祐吉) Takeda, Manyōshū zenkō (萬葉集全講), vol. 下(3), Shueisha, (lire en ligne), p. 475
- Kunio (柳田國男) Yanagita, Kappa no hanashi, vol. 32, coll. « Yanagita Kunio Zenshū », , p. 573