Encéphalisation
En anatomie comparée, le terme encéphalisation correspond à deux notions distinctes mais reliées. D'une part, l'encéphalisation désigne l'écart mesuré entre la taille du cerveau dans une espèce animale et la taille théorique calculée à partir de la taille du reste du corps. Dans un deuxième sens, l'encéphalisation désigne le phénomène d'accroissement de la taille du cerveau, notamment par rapport au reste du corps, observé au cours de l'évolution. La notion de télencéphalisation désigne plus précisément l'accroissement de la taille du télencéphale, qui reflète la pression de sélection s'exerçant sur les capacités cognitives des organismes, et en particulier au cours de l'évolution humaine.
Coefficient d'encéphalisation
[modifier | modifier le code]Principe
[modifier | modifier le code]L'idée que l'évolution de nombreuses espèces, en particulier de l'espèce humaine, était marquée par une augmentation importante de la taille de l'encéphale a émergé à la fin du XIXe siècle, notamment dans les travaux d'anatomistes comme Eugène Dubois[1] ou Louis Lapicque. Ces derniers étaient ainsi parvenus à montrer que la taille du cerveau suit une loi de puissance décroissante par rapport au reste du corps[2] :
où (pour encéphale) désigne la masse du cerveau et , la masse corporelle de l'organisme. Le coefficient est dit coefficient de céphalisation et , coefficient de relation.
Le coefficient de puissance est une constante qui met en valeur la proportion du cerveau non dédiée au somatique et donc purement cognitive. Il est de 0,28 pour les primates et de 0,56 ou 0,66 pour les mammifères en général[3].
Le coefficient d’encéphalisation (CE) est calculé sur la base du volume endocrânien adulte estimé, de la masse corporelle adulte estimée, reliés par l'équation de McHenry (1992). Il mesure le rapport entre la taille du cerveau d'une espèce et sa taille prédite par la relation allométrique.
Équation de McHenry (1992) : CE = volume endocrânien / 0,0589 x (masse corporelle en grammes ^ 0,76)
L'emploi de cette mesure se justifie car le seul volume endocrânien moyen d'une espèce ne rend pas compte de ses capacités cognitives relativement aux autres espèces. De même, la différence de volume encéphalique brute entre individus, la différence de volume moyen entre hommes et femmes chez l'espèce humaine par exemple, n'est pas un moyen pertinent de mesurer leurs capacités intellectuelles respectives. Le coefficient d'encéphalisation est une piste féconde pour comprendre la variation de la capacité crânienne des individus en anthropologie, et l'évolution de la capacité crânienne des espèces en paléoanthropologie.
Mammifères
[modifier | modifier le code]Espèces | CE[2] | Espèces | CE[2] |
---|---|---|---|
Humain | 7,44 | Chien | 1,17 |
Dauphin | 5,31 | Chat | 1,00 |
Bonobo | 2,80 | Cheval | 0,86 |
Chimpanzé commun | 2,49 | Brebis | 0,81 |
Macaque rhésus | 2,09 | Souris | 0,50 |
Éléphant | 1,87 | Rat | 0,40 |
Baleine | 1,76 | Lapin | 0,40 |
Hominines
[modifier | modifier le code]La masse corporelle et le volume encéphalique montrent une augmentation au cours de l'évolution humaine, avec un maximum atteint par l'Homme moderne, alors que le volume encéphalique brut est supérieur chez Néandertal. Le coefficient d'encéphalisation n'a pas valeur de loi explicative dans la variation intellectuelle humaine, étant donné sa propre variation au sein d'une même population, mais il donne une information utile à l'échelle des espèces[4],[5].
Coefficients d'encéphalisation entre les Néandertaliens de la Sima de los Huesos, les Néandertaliens classiques, et les Hommes modernes[6],[7].
Fossiles | Espèces | Volume endocranien |
Masse corporelle |
Coefficient |
---|---|---|---|---|
AL 288-1 (Lucy) | Australopithecus afarensis | 387 | 27 | 2,81 |
StS 5 / StS 14 (Mrs. Ples) | Australopithecus africanus | 485 | 30 | 3,25 |
MH1 | Australopithecus sediba | 420 | 32 | 2,68 |
KNM-ER 1470 | Homo rudolfensis | 752 | 46 - 51 | 3,65 - 3,37 |
KNM-ER 1813 | Homo habilis | 510 | 31 - 35 | 3,34 - 3,04 |
OH 24 | Homo habilis | 863 | 30 - 36 | 3,99 - 3,47 |
KNM-ER 3883 | Homo ergaster | 804 | 57–58 | 3.31–3.27 |
KNM-ER 3733 | Homo ergaster | 848 | 59–65 | 3.4–3.16 |
KNM-WT 15000 (Garçon de Turkana, 8 ans) | Homo ergaster à 8 ans | 909 | 80 | 2.89 |
D2700 (Crâne Dmanissi 3) | Homo georgicus | 645 | 49.4 | 2.96 |
D4500 (Crâne Dmanissi 5) | Homo georgicus | 546 | 48.8 | 2.53 |
DH 1 (male) | Homo naledi | 560 | 39.7–55.8 | 2.34–3.04 |
DH 2 (female) | Homo naledi | 465 | 39.7–55.8 | 1.94–2.52 |
Zhoukoutian XI (Homme de Pékin XI) | Homo erectus | 1015 | 45.75 | 4.94 |
Zhoukoutian XII (Homme de Pékin XII) | Homo erectus | 1030 | 51.93 | 4.56 |
LB1 | Homo floresiensis | 426 | 16–36 | 4.61–2.49 |
Sources des données de volume endocrânien :
- KNM-ER 1470, 1813, 3733, 3883 (Holloway, 1983) ;
- OH 24 (Tobias, 1991) ;
- MH1 (Berger et al., 2010) ;
- D2700 (Vekua et al., 2002) ;
- D4500 (Lordkipanidze et al., 2013) ;
- KNM-WT 15000 (Begun & Walker, 1993) ;
- AL 288-1, StS 5 / StS 14 (Holloway et al., 2004) ;
- Zhoukoudian XI, XII (Weidenreich, 1943) ;
- LB1 (Kubo et al., 2013) ;
- DH1 (Berger et al., 2015).
Sources des données de masse corporelle :
- KNM-ER 1470, 1813, 3883, 3733, OH 24 (Kappelman, 1996) et Aiello & Wood (1994), respectivement ;
- MH1 (Berger et al., 2010) ;
- D2700, D4500 (Lordkipanidze et al., 2007) ;
- KNM-WT 15000 (Ruff & Burgess, 2015) ;
- AL 288-1 et StS 5 / StS 14 (McHenry, 1992) ;
- Zhoukoudian XI, XII (Rightmire, 2004) ;
- LB1 (Brown et al., 2004) ;
- DH1 (Berger et al., 2015).
Références
[modifier | modifier le code]- Dubois, E. 1897. Sur le rapport du poids de l'encéphale avec la grandeur du corps chez les Mammifères, Bull. Soc. Anthropol. Paris 8:337- 376.
- (en) Thinking about brain size
- Gérald Fournier, Évolution et civilisation : de l'anthropologie de Charles Darwin à l'économie évolutionniste étendue, Saint-Étienne, Fournier, , 815 p. (ISBN 978-2-9540304-0-1), p. 484
- Gennaro Auletta, « Les premiers humains modernes », dans Sur le chemin de l'humanité : Séminaire de l'Académie Pontificale des Sciences d'avril 2013, CNRS éditions, (1re éd. 2015) (ISBN 978-2-271-08756-0), p. 387-389p. 387-389&rft.isbn=978-2-271-08756-0&rfr_id=info:sid/fr.wikipedia.org:Encéphalisation">
- (en) David Geary, « Hominid Evolution and the Motivation to Control. », dans The origin of mind: Evolution of brain, cognition, and general intelligence, Washington, American Psychological Association, (DOI 10.1037/10871-003, lire en ligne), p. 54
- (en) Juan Luis Arsuaga, Carlos Lorenzo, José-Miguel Carretero et et al., « A complete human pelvis from the Middle Pleistocene of Spain », Letters to Nature, Nature, 399e série, , p. 255-258 (DOI 10.1038/20430, lire en ligne)p. 255-258&rft_id=info:doi/10.1038/20430&rfr_id=info:sid/fr.wikipedia.org:Encéphalisation">
- (en) Alejandro Bonmatí, Asier Gómez-Olivencia, Juan Luis Arsuaga et et al., « Middle Pleistocene lower back and pelvis from an aged human individual from the Sima de los Huesos site, Spain », Proceedings of the National Academy of Sciences of the United States of America, 43e série, vol. 107, , p. 18386-18391 (DOI 10.1073/pnas.1012131107, lire en ligne)p. 18386-18391&rft_id=info:doi/10.1073/pnas.1012131107&rfr_id=info:sid/fr.wikipedia.org:Encéphalisation">
Voir aussi
[modifier | modifier le code]Articles connexes
[modifier | modifier le code]Liens externes
[modifier | modifier le code]- Histoire de l'encéphalisation, de Cuvier à Lapicque, texte BibNum.
- (en) History of the Concept of Allometry. Jean Gayon. Integr. Comp. Biol., Oct 2000; 40: 748 - 758.