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Chants of Sennaar

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Chants of Sennaar

Développeur
Rundisc
Éditeur
Compositeur
Thomas Brunet (d)Voir et modifier les données sur Wikidata

Date de sortie
INT : 5 septembre 2023
Genre
Mode de jeu
Plate-forme

Langue

Évaluation
PEGI 7 (d)Voir et modifier les données sur Wikidata
Site web

Chants of Sennaar (litt. « Les chants de Sennaar ») est un jeu vidéo d'aventure et de réflexion créé par le studio indépendant français Rundisc et édité par Focus Entertainment. Il sort le sur Windows, Xbox One, PlayStation 4 et Nintendo Switch.

Dans un univers fictif apparenté au mythe de la tour de Babel, le joueur est chargé de rétablir le lien linguistique entre les peuples par le biais de traductions et d'énigmes à résoudre. Le jeu reçoit dans l'ensemble d'excellentes critiques, qui louent ses mécaniques de jeu et sa direction artistique.

Lors de la cérémonie des Pégases 2024, Chants of Sennaar remporte les prix de meilleur jeu et de meilleur jeu indépendant de l'année 2023.

Système de jeu

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La Tour de Babel vue par Pieter Brueghel l'Ancien au XVIe siècle.

Le joueur incarne un personnage muet, chargé de rétablir le lien linguistique entre les différents peuples de la tour de Sennaar, et confronté à de nombreuses énigmes à résoudre. Celles-ci sont dispersées sur cinq étages, chacun avec une communauté et un langage qui lui sont propres[1],[2]. Le jeu propose des points de déplacement rapide pour faciliter les trajets d'une zone à l'autre[1].

Les énigmes tiennent à la fois de la traduction de glyphes par déduction ou comparaison d'indices, et de casse-têtes plus classiques propres au genre du pointer-cliquer : portes fermées à ouvrir, codes secrets à retrouver ou bien requêtes de personnages à exaucer[3],[4]. Des indices sont trouvables à de nombreux endroits pour guider le joueur dans ses traductions, y compris sous la forme d'une référence au jeu Flappy Bird[5]. Certaines énigmes évoquent aussi le style de la série de jeux d'enquête Professeur Layton[6]. L'ensemble des mécaniques sont non-violentes, une volonté des développeurs de mettre en valeur un protagoniste à l'héroïsme « différent », de type diplomate ou traducteur, qui selon eux résolvent des problèmes non pas grâce à leur courage mais par empathie, capacité d'écoute et ouverture d'esprit[5]. Quelques séquences d'infiltration imposent au joueur de faire preuve de discrétion dans certains environnements pour ne pas se faire repérer par des gardes cherchant à l'expulser de la tour[1].

Chants of Sennaar peut être complété en une dizaine d'heures[3] et propose plusieurs fins[4]. Le principe du jeu invite le joueur à prendre parfois du recul dans ses raisonnements, pour identifier par exemple les préjugés culturels à l'œuvre dans le vocabulaire qu'il faut traduire : l'une des langues décrit ainsi la population vivant à un certain étage de la Tour de manière admirative, tandis qu'une autre les désigne par un terme péjoratif[5]. Le seul point commun des différents dialectes rencontrés tient au vocabulaire ; pour le reste, de la gestion du pluriel à la construction des phrases, les règles grammaticales varient d'un étage de la tour à l'autre[4].

Développement

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Les deux développeurs à l'origine du jeu se rencontrent hors du milieu du jeu vidéo. Julien Moya fait des études d'arts plastiques et de modélisation 3D à l'école Estienne, avant d'estimer que les méthodes de production à la chaîne de l'industrie vidéoludique ne sont pas pour lui, et de se consacrer pendant près de vingt ans à une carrière de designer pour sites web. Thomas Panuel est, quant à lui, développeur pour de grandes sociétés industrielles. À leur rencontre, Moya est en cours de remise en question professionnelle ; tous deux choisissent alors, comme loisir, de se lancer sur un petit projet de jeu, Varion, qui leur donne l'occasion de se familiariser avec des outils tels que le moteur de jeu Unity[7].

Fondation de Rundisc

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Chants of Sennaar est développé par le studio toulousain Rundisc[3]. Fondé en 2018, Rundisc ne compte qu'un seul employé à temps plein, Julien Moya, qui officie comme directeur artistique et comme l'un des deux concepteurs en chef, aux côtés de Thomas Panuel. Trois développeurs indépendants se joignent à eux pour développer le plus gros de Chants of Sennaar, qui est donc conçu par une équipe de près de cinq personnes, un chiffre très réduit pour l'industrie vidéoludique[5].

À l'automne 2018, Moya travaille comme designer graphique en freelance, et Panuel chef de projet digital. C'est donc durant leurs temps libre qu'ils développent et publient leur premier jeu ensemble, Varion, dont le succès limité était attendu puisqu'il s'agissait d'un projet de loisir[2]. C'est donc avec l'objectif de capter davantage de joueurs que tous deux envisagent leur projet suivant[2], même s'ils ont l'esprit que celui-ci risque d'être considéré comme un jeu de niche[7].

La conception de Chants of Sennaar démarre en 2019, avec l'idée initiale de prototyper un jeu basé sur la discrétion et l'infiltration. L'équipe de développement change cependant de direction après que Moya découvre le jeu d'archéologie Heaven's Vault, sorti en 2019[5] ; bien qu'il n'apprécie pas le jeu, il décide après y avoir joué de s'intéresser davantage au concept d'un gameplay basé sur le langage, en reprenant pour les améliorer certaines des idées de [2]. Le studio Rundisc s'inspire également des langages à base de pictogrammes imaginés par le jeu L'Arche du Captain Blood (1988)[5]. Les inspirations artistiques leurs proviennent, quant à elles, d'une église du centre de Toulouse, d'artistes français, de l'architecture romaine, et de la narration non-traditionnelle[2]. D'après Julien Moya, le choix d'une « direction artistique radicale, sans texture et avec peu de personnages, était motivée par deux objectifs : se distinguer au sein des milliers de jeux qui sortent chaque année, et pouvoir produire à moindre coût »[7].

Ils commencent à travailler sur Chants of Sennaar en mars 2020, alors que la France entre dans une période de confinement à la suite de la pandémie de Covid-19. En août 2021, ils se rendent au salon de la Gamescom à Cologne, avec une démo et l'espoir de décrocher un contrat avec l'éditeur Focus Entertainment pour obtenir leur soutien en marketing. Le groupe français est en fait si impressionné par le prototype qu'il leur propose de financer le reste de la production. Libre de contraintes financières, Moya quitte son travail et se consacre entièrement au développement. Ce soutien leur permet également de recruter en renfort un compositeur et designeur sonore en freelance. Panuel conserve cependant son emploi à temps plein, et c'est donc sur ses nuits et ses fins de semaine qu'il se dévoue au design et à la programmation, un rythme brutal qu'il n'envisage pas de reproduire pour un futur projet[2].

Le jeu sort le sur Windows, Xbox One, PlayStation 4 et Nintendo Switch[8].

Fresque La Tour infinie peinte par François Schuiten.

Chants of Sennaar tire son titre de la région dans laquelle aurait été érigée la Tour de Babel, dans le sud de la Mésopotamie : Shinar, ou bien Sennaar en grec ancien. Tout comme les habitants de la mythique Babel, la population de Chants of Sennaar est orgueilleuse et se retrouve divisée lorsqu'elle perd sa langue commune[3]. La direction artistique de Sennaar se base également sur l'architecture du Moyen-Orient[1], et bien qu'épurée, permet par les nombreux plans fixes de la mise en scène d'informer sur les strates de la civilisation de Sennaar : guerriers qui s'adonnent à des exercices martiaux, scientifiques consacrés à leurs recherches, et bardes qui se détendent au théâtre[4].

À cette référence biblique s'ajoutent des influences plus modernes provenant de la bande dessinée franco-belge : le caractère mutique et existentialiste d'Arzach de Mœbius, les titres de science-fiction pétris de psychédélisme de Philippe Druillet, ou encore les univers urbains fantasmatiques de François Schuiten, dessinateur des Cités obscures[3]. Le caractère pop art de Chants of Sennaar est également rapproché du jeu Sable (2021), qui prend place dans un désert[6].

Le langage, thème central au cœur du gameplay, est un moyen narratif qui permet d'évaluer le succès relatif des tentatives d'intégration du protagoniste aux communautés qu'il croise : si un sentiment de complicité se dégage lorsque des animaux se mettent à le suivre et le font rire, il suffit d'une moquerie d'un groupe de bardes masqués qui observent le joueur pour contrebalancer cette impression et faire naître le doute et la rancune[1]. Chants of Sennaar illustre le caractère délicat de la communication et de la compréhension des autres, quand on ne parle pas la même langue[4].

Réception critique

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Aperçu des notes reçues
Presse numérique
Média Ordinateur Nintendo Switch PS4 XONE
Gameblog (FR) 8/10[10]
Gamekult (FR) 8/10[9] 8/10[9] 8/10[9] 8/10[9]
Agrégateurs de notes
Média Ordinateur Nintendo Switch PS4 XONE
Metacritic 85 %[11] 83 %[11] 79 %[11]

Chants of Sennaar reçoit globalement des critiques très positives. Pierre Trouvé du Monde loue l'inventivité de la réflexion, la direction artistique et la bande sonore, mais regrette une ergonomie moins bonne sur la version Nintendo Switch du jeu que sur ses équivalents pour PC et consoles[3]. Cette même direction artistique est néanmoins jugée sans surprise et sans caractère magnétique, bien que jolie, par Mitchell Demorest de Slant Magazine[8], tandis que Benjamin Roure de Télérama y voit un « univers singulier et radical, [qui] explose en beauté les standards du jeu vidéo »[7].

La profondeur des énigmes et l'invitation implicite à retourner sur ses pas en quête d'une solution pour se débloquer sont louées, en même temps que certains journalistes regrettent ne pas bénéficier de davantage de guidage[3],[1],[6]. À cet égard, le jeu est souvent comparé à Return of the Obra Dinn (2019) et The Case of the Golden Idol (2022), car ces titres ont en commun de donner au joueur l'impression d'être plus intelligent en jouant[2].

Malgré la dizaine d'heures que dure le titre, des critiques relèvent que le joueur ne s'ennuie pas et que le jeu parvient à bien se renouveler[4] ; mais l'absence d'une boucle de progression offrant des défis et des récompenses de plus en plus relevés est notée, et, associée au caractère scolaire de la traduction qui constitue le moteur principal du jeu, peut donner l'impression que Chants of Sennaar tient davatange de la « leçon d'anthropologie linguistique interactive et particulièrement créative » que d'une aventure susceptible d'attirer des joueurs qui ne seraient pas déjà amateurs de ce genre[8].

La présence de séquences d'infiltration, une mécanique de jeu qui diffère des énigmes, est remarquée ; la presse note que leur difficulté paraît excessive, du fait de déplacements maladroits du protagoniste, mais apprécie en cas d'échec de ne pas avoir à perdre trop de progrès[1] ; pour certains journalistes, ces phrases d'infiltration ou de plateforme tiennent cependant du « hors-sujet » et auraient mieux fait de ne pas être conservées dans le produit final[4].

Distinctions

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Lors de la cérémonie des Pégases 2024, Chants of Sennaar remporte les prix de meilleur jeu et de meilleur jeu indépendant de l'année 2023[12]. Il est également nommé en novembre 2023 dans la catégorie « Games for Impact » des Game Awards[13].

Plusieurs critiques classent le titre parmi leurs jeux favoris de 2023. Le journaliste spécialisé Jason Schreier de Bloomberg News le salue comme l'un des meilleurs titres de 2023, une année pourtant marquée par un nombre exceptionnel de jeux de grande qualité[2]. Stephen Totilo du site web Axios y voit « l'un des jeux les plus intéressants de l'année »[5], et Emily Price de Polygon l'un des meilleurs jeux à énigme de l'année. Elle relève notamment le caractère expressif de l'univers, qui parvient à faire ressentir au joueur sa place dans une communauté par le biais des interactions spontanées avec les autres personnages[1].

Postérité

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Le succès commercial du jeu, et les prix qu'il reçoit, amènent la société Rundisc à se restructurer en 2024. Julien Moya, désormais directeur créatif du studio à temps plein, annonce que l'équipe se dotera possiblement de quelques renforts, mais restera de taille limitée, afin de « garder la maîtrise de la création comme des risques »[7].

Notes et références

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  1. a b c d e f g et h (en) Emily Price, « When puzzle game Chants of Sennaar is on a roll, there’s nothing else like it », sur Polygon, .
  2. a b c d e f g et h (en) Jason Schreier, « Two Hobbyists Made One of This Year’s Best Video Games », sur Bloomberg News, .
  3. a b c d e f et g Pierre Trouvé, « « Chants of Sennaar », le jeu dans lequel on finit par donner sa langue au chat », sur Le Monde, .
  4. a b c d e f et g Maxime Claudel, « Chants of Sennaar est trop intelligent pour qu’on passe à côté », sur Numerama, .
  5. a b c d e f et g (en) Stephen Totilo, « The hero of this new video game is a translator », sur Axios, .
  6. a b et c (en) Giovanni Colantonio, « Chants of Sennaar review: puzzles and linguistics collide in can’t miss indie », sur Digital Trends, .
  7. a b c d et e Benjamin Roure, « Quand le graphiste se prend au jeu », Télérama,‎ , p. 38.
  8. a b et c (en) Mitchell Demorest, « Chants of Sennaar Review: A Good Time for Linguists with an Anthropological View », sur Slant Magazine, .
  9. a b c et d Kyujilo, « Chants of Sennaar : pas mal non ? C'est français », sur gamekult.com, (consulté le ).
  10. Sélénos, « TEST Chants of Sennaar », sur gameblog.fr, (consulté le ).
  11. a b et c (en) « Chants of Sennaar Review », sur metacritic.com (consulté le ).
  12. « Pégases : "Chants of Sennaar" sacré meilleur jeu vidéo français de l'année », sur France Info, .
  13. (en) Todd Spangler, « The Game Awards 2023 Nominations: Alan Wake 2, Baldur’s Gate 3 Lead the Pack With Eight Noms Each (Full List) », sur Variety, .