Autrui
Autrui désigne un autre que moi, les autres, l'ensemble des hommes[1]. Ainsi, Baudelaire a dit : « l'autre est à la fois proche et lointain[2] » . La question d'autrui pose alors le problème de sa connaissance. À ce sujet, plusieurs conceptions de l'autre existent selon que le regard est philosophique, culturel ou religieux.
Étymologie
[modifier | modifier le code]Ancien cas régime de autre, formé à partir du datif du mot latin alter, *alterui, altération de alteri d’après cui[3].
Peut être rapproché de l'expression alter ego (« autre moi »).
Conception philosophique
[modifier | modifier le code]Divers philosophes sont d'accord sur le fait que l'étude de l'autre passe par la connaissance de soi[4]. Ainsi pour Sartre, la découverte d'autrui est contemporaine de la découverte de soi. Dans tous les cas, on a besoin de l'autre pour se construire, pour exister. En effet rencontrer l'autre comme tel, nous dit Emmanuel Levinas c'est entrer en relation avec lui dans sa proximité. Mildred Szymkowiak[5] décrit l'altruisme comme un dépouillement du sujet au profit d'autrui[6].
Connaissance d'autrui
[modifier | modifier le code]Selon Aristote, l'être humain a besoin d'autrui pour se connaître lui-même : « La connaissance de soi est un plaisir qui n'est pas possible sans la présence de quelqu'un d'autre qui soit notre ami ; l'homme qui se suffit à soi-même aurait donc besoin d'amitié pour apprendre à se connaître soi-même[7]. »
Chaque sujet a un sens intuitif de lui-même. C'est ce qu'illustre le cogito de Descartes. Le cogito cartésien est une expérience personnelle aboutissant à la prise de conscience de soi.
Dans la Phénoménologie de l'esprit (1807) Hegel explique que l'affirmation de la conscience de soi n'est possible qu'à travers la reconnaissance d'autrui[8].
Pour Husserl et Sartre, la connaissance d'autrui relève d'une attitude irréfléchie, intuitive. En effet, d'après la thèse phénoménologique, la conscience de soi présuppose la connaissance d'autrui. Je ne pourrais être conscient de mon existence sans être en même temps conscient de l'existence d'autrui.
On peut connaître autrui par le dialogue, le langage permet le contact avec l'autre avec plus de perspectives selon Merleau-Ponty. Chaque protagoniste exprime sa pensée et se rend disponible pour écouter l'autre. Ce qui peut déboucher sur une compréhension mutuelle.
Pour Paul Ricœur en son ouvrage Soi-même comme un autre, « l'Autre n'est pas seulement la contrepartie du Même, mais appartient à la constitution intime de son sens »
Métaphysique de l'Autre
[modifier | modifier le code]Depuis l'origine[Quand ?], la métaphysique ne s'est préoccupée de l'Autre qu'en tant que Tout-Autre (Dieu)[réf. nécessaire]. De ce fait autrui notre semblable s'est vu condamné à n'être qu'une variante du même, connaissable selon les lois ordinaires de la raison[9][pas clair]. Une certaine pensée moderne représentée notamment par Kierkegaard et Emmanuel Levinas brise ce consensus. L'Autre n'est plus connaissable qu'au travers d'une nouvelle analogie[Laquelle ?].
Conception religieuse
[modifier | modifier le code]Hindouisme
[modifier | modifier le code]Selon Jean Herbert, « il est difficile à un hindou de comprendre que l'on veuille imposer à autrui sa propre conception de Dieu[10]. » Mais cette tolérance envers la conception religieuse d'autrui n'est pas toujours respectée et il existe des conflits inter-religieux en Inde[11].
L'anthropologue Francis Zimmermann a donné en 2008 et 2009 un séminaire d'études sur autrui dans les philosophies indiennes. Selon lui, « l'approche de la compassion dans le cadre des performance studies (en) contemporaines est l’une des voies les plus originales que nous puissions emprunter dans notre enquête sur autrui dans le monde des vivants. Car nos rapports avec autrui, tels qu’ils sont élaborés dans les traditions savantes de la littérature et des arts vivants dans l’Inde, sont fortement et consciemment théâtralisés[12]. »
Bouddhisme
[modifier | modifier le code]Certaines écoles du bouddhisme mahāyāna et vajrayana considèrent que pour atteindre l'état de bouddha, il faut chérir autrui plus que soi-même, c'est-à-dire œuvrer pour le bien d'autrui et ne pas rechercher un bonheur pour soi[13].
Christianisme
[modifier | modifier le code]Le christianisme fonde la reconnaissance de l’existence de l'autre sur l'amitié et l'amour, c'est-à-dire les sentiments: "Voici mon commandement, aimez-vous les uns les autres comme je vous aime. Le plus grand amour que quelqu'un puisse montrer, c'est de donner sa vie pour ses amis."[14] Dieu est donc donné comme modèle d'amour car comme l'écrit Saint Augustin "C'est dans l'amour de Dieu que se fondent les amitiés parfaites". De plus, les sentiments comme la compassion montrent combien nous sommes capables de partager la peine de l'autre c'est-à-dire de faire de l'autre son "prochain".
Conceptions anthropologiques et sociologiques
[modifier | modifier le code]L’ethnocentrisme est un concept ethnologique ou anthropologique qui a été introduit par Claude Lévi-Strauss. D’après ce même auteur, l’ethnocentrisme consiste à refuser toutes les manifestations culturelles et les comportements qui sont différents des nôtres. L’anthropologue précise que cette opposition est enracinée au fond de nous. Cette situation est censée apparaître chaque fois que nous sommes placés dans des situations dérangeantes, de perte de repères. Chaque société a une approche différente suivant les siècles et les mentalités, par exemple lors de l'Antiquité grecque où la population considérait les étrangers comme des "barbares" ( " tout ce qui n'est pas grec est barbare " ). Quelques siècles plus tard, ce sont les Européens qui considéraient les étrangers comme des "sauvages" ( " tout ce qui n'est pas européen est sauvage " ). Comme le souligne Lévi-Strauss, il faut rappeler que les termes "barbare" et "sauvage" ont un sens péjoratif. Donc, l'ethnocentrisme refuse tout ce qui est différent, ainsi que l'autre.
Le vocabulaire des sciences humaines différencie entre autrui significatif (ceux qui nous sont proches affectivement, en particulier dans l'enfance puis le couple, et contribuent à la construction de notre identité[15]) et autrui généralisé. Selon Georges Herbert Mead, l’autrui généralisé désigne l’image typique ou moyenne de l’alter ego qui, acquise sur la base de l’expérience sociale concrète, est "intériorisée par le sujet en tant que pôle de référence constante de son action et de son rapport à soi"[16]. Axel Honneth s'appuie notamment sur ce concept pour développer sa Théorie de la reconnaissance[17].
Notes et références
[modifier | modifier le code]- Informations lexicographiques et étymologiques de « Autrui » dans le Trésor de la langue française informatisé, sur le site du Centre national de ressources textuelles et lexicales.
- Charles Baudelaire, Mon cœur mis à nu, Édition La Cause Des Livres, 2008
- autrui Wiktionnaire
- « Cours de philosophie sur le mal et sur autrui aide au concours hec dissertations,ouvrages philosophiques, synthese,methode, biographie », sur philophil.com (consulté le ).
- Mildred Szymkowiak
- Mildred Szymkowiak, Autrui, Flammarion, 2009
- La Grande Morale, Livre II, Chap. XV
- Isabelle Delcroix, Autrui (Fiche notion) : LePetitPhilosophe.fr : Comprendre la philosophie, Primento, , 33 p. (ISBN 978-2-8062-4461-1, présentation en ligne), p. 7
- Secretan 1984, p. 70
- Jean Herbert, Spiritualité hindoue, Albin Michel, , 576 p. (ISBN 978-2-226-20512-4, présentation en ligne), p. 423
- Bruno Marion, Réussir avec les Asiatiques : business et bonnes manières : Chine, Inde, Japon, Corée, Thailande, Malaisie, Indonésie, Singapour ..., Paris, Eyrolles, , 248 p. (ISBN 978-2-212-55457-1, présentation en ligne), p. 7
- « EHESS : Enseignement 2008-2009 — Autrui dans le monde des vivants : hindouisme, bouddhisme » (consulté le )
- Sogyal Rinpoché, Le livre tibétain de la vie et la mort, Editions de la Table Ronde, , 591 p. (ISBN 978-2-7103-7127-4, présentation en ligne), p. 264
- .Évangile selon Saint Jean, chapitre 15,15-12
- Peter Berger, Thomas Luckmann (trad. Pierre Taminiaux et Danilo Martuccelli,), La Construction sociale de la réalité, Malakoff, Armand Colin, coll. « Individu et Société », , page 221
- G.H.Mead, L’esprit, le soi, la société, Paris, PUF,
- Axel Honneth, « La théorie de la reconnaissance: une esquisse », Revue du MAUSS, , p. 133 à 136 (ISSN 1247-4819, lire en ligne)
Bibliographie
[modifier | modifier le code]- Georg Wilhelm Friedrich Hegel, Phénoménologie de l'esprit, 1807
- Jean-Paul Sartre, L'Être et le Néant, 1943
- Pierre Dubois, Le Problème de la connaissance d'autrui dans la philosophie anglaise contemporaine, Vrin, , 156 p. (ISBN 978-2-7116-0218-6, présentation en ligne)
- Luce Irigaray, Speculum. De l’autre femme, Les Éditions de Minuit, 1974
- Emmanuel Levinas, Entre nous. Écrits sur le penser à l’autre, Paris, Grasset, 1991
- Gilles Ferréol, Rapport à autrui et personne citoyenne, Presses Univ. Septentrion, , 312 p. (ISBN 978-2-85939-712-8, présentation en ligne)
- Peter L. Berger, Thomas Luckmann et Danilo Martuccelli (Avant-propos) (trad. de l'anglais par Pierre Taminiaux, postface François de Singly), La construction sociale de la réalité [« The Social construction of reality »], Malakoff, Armand Colin, coll. « Individu et société », , 340 p., Nouvelle édition (ISBN 978-2-200-62190-2, OCLC 1035558288)
- Omer Massoumou, L'image de l'autre dans la littérature française, Paris, Harmattan, , 228 p. (ISBN 978-2-747-56465-6, OCLC 423899499)
- Henri Nouvion, Le Moi et l'autre : Propos sur la vie et la mort, le monde des images, Paris, La Pensée universelle, (OCLC 1230161)
- Mildred Swymkowiak, Autrui, Flammarion, 2009
- Philibert Secretan, L'Analogie, Paris, PUF, coll. « Que sais-je? », , 127 p. (ISBN 2-13-038381-5).