« Deux cents familles » : différence entre les versions
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Résumé introductif répondant aux questions quoi, quand, pourquoi, par qui, postérité et jugements |
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[[Fichier:Maîtres et valet. Contre les 200 familles vive l'Union du Front populaire.JPG|vignette|<center>''Maîtres et valet. Contre les 200 familles, vive l'Union du [[Front populaire (France)|Front populaire]] !''<br>Affiche communiste éditée par ''[[L'Humanité]]'' dépeignant la {{Citation|finance internationale}}, les régimes [[Troisième Reich|nazi]] et [[Fascisme|fasciste]] ainsi que [[Francisco Franco|Franco]], les grands groupes industriels et bancaires français subventionnant censément la [[Cagoule (Osarn)|Cagoule]], le [[Parti social français|PSF]] dirigé par [[François de La Rocque]] ainsi que son quotidien, Le Petit Journal<br>(Paris, [[Bibliothèque nationale de France|BnF]], [[Département des estampes et de la photographie de la Bibliothèque nationale de France|département des estampes et de la photographie]], 1936).</center>]] |
[[Fichier:Maîtres et valet. Contre les 200 familles vive l'Union du Front populaire.JPG|vignette|<center>''Maîtres et valet. Contre les 200 familles, vive l'Union du [[Front populaire (France)|Front populaire]] !''<br>Affiche communiste éditée par ''[[L'Humanité]]'' dépeignant la {{Citation|finance internationale}}, les régimes [[Troisième Reich|nazi]] et [[Fascisme|fasciste]] ainsi que [[Francisco Franco|Franco]], les grands groupes industriels et bancaires français subventionnant censément la [[Cagoule (Osarn)|Cagoule]], le [[Parti social français|PSF]] dirigé par [[François de La Rocque]] ainsi que son quotidien, Le Petit Journal<br>(Paris, [[Bibliothèque nationale de France|BnF]], [[Département des estampes et de la photographie de la Bibliothèque nationale de France|département des estampes et de la photographie]], 1936).</center>]] |
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Les '''deux cents familles''' est en France, une des expressions symboliques, parfois données {{citation| sous la [[Troisième République (France)|Troisième République]], aux dynasties bourgeoises représentées dans de nombreux conseils d'administration de grandes sociétés industrielles, financières ou commerciales}}<ref> Dictionnaire Larousse en ligne, entrée famille [https://www.larousse.fr/dictionnaires/francais/famille/32798].</ref>. |
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Dans le contexte de la [[Grande Dépression]] économique des [[années 1930]], d’une série de scandales financiers, de la critique du capitalisme, des luttes sociales et du mécontentement d’une partie de la population, l’expression ''deux cents familles'' qui renvoie originellement aux 200 plus gros [[actionnaire]]s (sur près de 40 000) qui constituaient l'Assemblée générale de la [[Banque de France]], est popularisée par [[Édouard Daladier]] lors du {{31e}} congrès du [[Parti radical (France)|Parti radical-socialiste]], tenu à Nantes en {{date| octobre 1934}}.
Les ''deux cents familles'' joueraient un rôle dominant et tiendraient en main la majorité des leviers économiques de la France, contrôlant ainsi les destinées politiques du pays. |
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Les '''deux cents familles''' constituent un mythe politique{{note|groupe=n|{{citation|Tous les travaux cités (après la note 19…) ont eu pour premier bienfait, il va sans dire, de rompre avec l'atmosphère de suspicion systématique qui entourait toute observation du patronat au temps des « 200 familles » et qu'ont alors « illustrée » les livres d'[[Emmanuel Beau de Loménie|E. Beau de Loménie]] et d'[[Augustin Hamon|A. Hamon]]<ref>{{Article |prénom1=Jean-Pierre |nom1=Rioux |lien auteur1=Jean-Pierre Rioux |titre=Les élites en France au {{s-|XX|e}}. Remarques historiographiques |périodique=Mélanges de l'École française de Rome. Moyen Âge, Temps modernes |volume=95 |année=1983 |lire en ligne=http://www.persee.fr/doc/mefr_0223-5110_1983_num_95_2_5196 |pages=20, {{n.}}23}}.</ref>}}.}}{{,}}{{note|groupe=n|{{citation|Que n’a-t-on écrit {{incise|et ce dès les années trente}} sur la subordination du pouvoir politique à la toute-puissance des milieux d’affaires ? Les mythes ont couru sur « [[Emmanuel Beau de Loménie|les dynasties bourgeoises]] », « la [[synarchie]] », les trusts et le [[Comité des forges]]<ref>{{Ouvrage |langue=fr |prénom1=Sylvain |nom1=Schirmann |préface=[[Raymond Poidevin]] |titre=Les relations économiques et financières franco-allemandes, 24 décembre 1932-{{1er}} septembre 1939 |éditeur=Ministère de l'économie, des finances et de l'industrie, Comité pour l'histoire économique et financière de la France |collection=Histoire économique et financière de la France |lieu=Paris |série=Études générales |année=1995 |pages totales={{XI}}-304 |isbn=2-11-087835-5 |lire en ligne=http://books.openedition.org/igpde/2186 |numéro chapitre={{XVIII}} |titre chapitre=Vers le « Munich économique »}}.</ref>.}}.}}{{,}}{{note|groupe=n|{{citation|En France, les études publiées sur le patronat ont avant tout visé à mettre au jour les pratiques de l'ombre entre organisations patronales et institutions politiques, avec une dimension journalistique ou militante davantage qu'historique. Ceci est parfois le fait de polémistes (Cf. les mythologies affairistes, des « banquiers juifs cosmopolites » aux « 200 Familles » ou au « Mur d'argent ». Très significatif à ce sujet est [[Emmanuel Beau de Loménie|Beau de Loménie (E.)]], ''Les responsabilités des dynasties bourgeoises'', Paris, Denoël, 1943.), mais les études historiennes scientifiques sont aussi marquées par le prisme de « la réalité d’une oligarchie patronale, finalement assez restreinte, qui détient les leviers de l’influence. Cette oligarchie des affaires s'est évidemment transformée, adaptée, modernisée au fil du temps », et ce serait là l'objet de l’analyse. On l'a compris, le couple patron/politique a généré des représentations négatives, et ce sont d'abord ces dernières {{incise|les « affaires », les complots }} qui ont été travaillées, plus que ne l'ont été les passages et les passeurs, c'est-à-dire les engagements directs des patrons dans l'arène électorale<ref>{{Article |prénom1=Philippe |nom1=Hamman |titre=Patrons et milieux d'affaires français dans l'arène politique et électorale ({{sp-|XIX|e|-|XX|e}}s)|sous-titre=quelle historiographie ? | périodique=[[Politix]] |numéro=84 |titre numéro=Hommes d'affaires en politique |lieu=Paris |éditeur=Armand Colin |année=2008 |lire en ligne=http://www.cairn.info/revue-politix-2008-4-page-35.htm |pages=37, {{n.}}13}}.</ref>.}}.}} selon lequel un petit nombre de familles tiendrait en main la majorité des leviers économiques de la France, contrôlant ainsi les destinées politiques du pays. Ce [[Théorie du complot|discours complotiste]]<ref>{{harvsp|Parry|1998|p=173}}.</ref>{{,}}<ref>{{harvsp|Taguieff|2008|p=162}}.</ref>{{,}}<ref>{{harvsp|Dard|2012|p=137}}.</ref> trouve son origine dans les deux cents plus gros [[actionnaire]]s (sur près de {{formatnum:40000}}) qui constituaient originellement l'Assemblée générale de la [[Banque de France]], avant que celle-ci ne soit [[Nationalisation|nationalisée]]. |
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L'expression fait mouche auprès des partis de gauche composant ou soutenant le [[Front populaire (France)|Front populaire]], reprise comme [[slogan]] par les leaders politiques ou syndicaux tels [[Léon Blum]], [[Maurice Thorez]] ou [[Léon Jouhaux]] ; elle se propage parmi les intellectuels, notamment [[Comité de vigilance des intellectuels antifascistes|antifascistes]] ainsi que dans la presse satirique et, de manière opportuniste, dans la presse [[Antisémitisme|antisémite]]. |
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Dans la continuité de représentations comme le {{citation|[[mur d'argent]]}}, les deux cents familles sont stigmatisées en tant que symbole de {{citation|l'argent-roi}}, de la {{citation|féodalité financière}} et des {{citation|gros contre le peuple}} par des polémistes de diverses tendances politiques. Elles sont notamment évoquées durant l'[[entre-deux-guerres]] par la propagande des [[Parti politique|partis]] composant ou soutenant le [[Front populaire (France)|Front populaire]]<ref>{{Article |prénom1=Louis |nom1=Trotabas |lien auteur1=Louis Trotabas |titre=Les nouveaux statuts de la Banque de France |périodique=Revue critique de législation et de jurisprudence |volume=56 |lieu=Paris |éditeur=Librairie générale de droit et de jurisprudence |année=1936 |lire en ligne=https://gallica.bnf.fr/ark:/12148/bpt6k6258538q/f342 |pages=331}}.</ref>. |
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Le Front populaire ayant inscrit à son programme la réforme de la Banque de France ; le système de régence est réformé le {{date|24 juillet 1936}}. Le nouveau système de gouvernance impose désormais à la banque un conseil de vingt membres parmi lesquels ne siègent que deux représentants de l’actionnariat privé, tous les autres étant des hauts fonctionnaires, des dirigeants d’organismes publics de crédit ou des représentants des forces productives. Le pouvoir des mythiques « ''deux cents familles'' » est ainsi contrôlé. L’expression disparait alors progressivement. Elle ressurgit toutefois sporadiquement dans la vie politique française. |
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Le {{date-|24|juillet|1936}}, le président de la République promulgue une loi réformant les statuts de la Banque de France. La loi, votée par les deux assemblées du Parlement, a été voulue et proposée par le [[Gouvernement Léon Blum (1)|gouvernement de Léon Blum]]<ref>{{Article |titre=Loi du 24 juillet 1936 tendant à modifier et à compléter les lois et statuts qui régissent la Banque de France |périodique=[[Journal officiel de la République française]] |numéro=173, {{68e}} année |jour=25 |mois=juillet |année=1936 |lire en ligne=https://gallica.bnf.fr/ark:/12148/bpt6k6550655t/f2 |pages=7810-7811}}.</ref>. Bien que l'expression « les deux cents familles » perde ensuite progressivement sa {{citation|capacité mobilisatrice}} au profit d'autres représentations comme {{citation|la [[technocratie]]-[[École nationale d'administration (France)|énarchie]]}} ou {{citation|l'[[establishment]]}}<ref>{{Article |prénom1=Jack |nom1=Hayward |titre=N. Mayer, P. Perrineau : ''Le Front national à découvert'' [compte rendu] |périodique=Revue française de science politique |volume=40 |numéro=2 |lieu=Paris |éditeur=Presses de Sciences Po |mois=avril |année=1990 |lire en ligne=http://www.persee.fr/doc/rfsp_0035-2950_1990_num_40_2_394478 |pages=275}}.</ref>{{,}}<ref>{{harvsp|Birnbaum|2012|p=266-278}}.</ref>, elle continue d'être employée sporadiquement dans la vie politique française. |
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Les observateurs et chercheurs ont classé les « deux cents familles » dans la catégorie des discours relevant des mythologies politiques, tout en reconnaissant, pour quelques uns, que le mythe n'est pas le fruit d’un imaginaire pur, et qu'aucun des mythes politiques ne se développe dans un univers d’entière gratuité, libre de tout contact avec les réalités de l’histoire. Pour plusieurs, cela ne devrait pas empêcher d’analyser sa complexité, ni la part de vérité qui s'y trouve. |
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== Histoire == |
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{{citation bloc|Ce sont deux cents familles qui, par l'intermédiaire des conseils d'administration, par l'autorité grandissante de la banque qui émettait les actions et apportait le crédit, sont devenues les maîtresses indiscutables, non seulement de l'économie française mais de la politique française elle-même. Ce sont des forces qu'un État démocratique ne devrait pas tolérer, que [[Armand Jean du Plessis de Richelieu|Richelieu]] n'eût pas tolérées dans le royaume de France<ref name="m" />. L'empire des deux cents familles pèse sur le système fiscal, sur les transports, sur le crédit. Les deux cents familles placent leurs mandataires dans les cabinets politiques. Elles agissent sur l'opinion publique car elles contrôlent la presse<ref>{{harvsp|Birnbaum|2012|p=65-66}}.</ref>.}} |
{{citation bloc|Ce sont deux cents familles qui, par l'intermédiaire des conseils d'administration, par l'autorité grandissante de la banque qui émettait les actions et apportait le crédit, sont devenues les maîtresses indiscutables, non seulement de l'économie française mais de la politique française elle-même. Ce sont des forces qu'un État démocratique ne devrait pas tolérer, que [[Armand Jean du Plessis de Richelieu|Richelieu]] n'eût pas tolérées dans le royaume de France<ref name="m" />. L'empire des deux cents familles pèse sur le système fiscal, sur les transports, sur le crédit. Les deux cents familles placent leurs mandataires dans les cabinets politiques. Elles agissent sur l'opinion publique car elles contrôlent la presse<ref>{{harvsp|Birnbaum|2012|p=65-66}}.</ref>.}} |
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Dans le contexte de la [[Dépression]] économique des années 1930, du chômage<ref>{{article|auteur=Baverez Nicolas|lien auteur= Nicolas Baverez|titre= La spécificité française du chômage structurel de masse, des années 1930 aux années 1990|périodique=Vingtième Siècle, revue d'histoire|numéro=52|date=octobre-décembre 1996| passage =41-65|doi=10.3406/xxs.1996.3561|lire en ligne=https://www.persee.fr/doc/xxs_0294-1759_1996_num_52_1_3561#xxs_0294-1759_1996_num_52_1_T1_0042_0000}}.</ref>, après une série de scandales financiers comme l'[[affaire Stavisky]]<ref>{{article|auteur= Sarah Diffalah| titre= Le 6 février 1934, des émeutiers d'extrême droite tentent de renverser la République| périodique=[[L’Obs]]|date= 5 février 2019|lire en ligne= https://www.nouvelobs.com/histoire/20190205.OBS9705/le-6-fevrier-1934-des-emeutiers-d-extreme-droite-tentent-de-renverser-la-republique.html}}.</ref>{{,}}{{sfn|Anderson|65}}, ou plus tôt, les bilans truqués de la Banque de France<ref>{ |
Dans le contexte de la [[Dépression]] économique des années 1930, du chômage<ref>{{article|auteur=Baverez Nicolas|lien auteur= Nicolas Baverez|titre= La spécificité française du chômage structurel de masse, des années 1930 aux années 1990|périodique=Vingtième Siècle, revue d'histoire|numéro=52|date=octobre-décembre 1996| passage =41-65|doi=10.3406/xxs.1996.3561|lire en ligne=https://www.persee.fr/doc/xxs_0294-1759_1996_num_52_1_3561#xxs_0294-1759_1996_num_52_1_T1_0042_0000}}.</ref>, après une série de scandales financiers comme l'[[affaire Stavisky]]<ref>{{article|auteur= Sarah Diffalah| titre= Le 6 février 1934, des émeutiers d'extrême droite tentent de renverser la République| périodique=[[L’Obs]]|date= 5 février 2019|lire en ligne= https://www.nouvelobs.com/histoire/20190205.OBS9705/le-6-fevrier-1934-des-emeutiers-d-extreme-droite-tentent-de-renverser-la-republique.html}}.</ref>{{,}}{{sfn|Anderson|65}}, ou plus tôt, les bilans truqués de la Banque de France<ref>{{Article|auteur= Bertrand Blancheton|titre=Les faux bilans de la Banque de France dans les années 1920|périodique = L'entreprise, le chiffre et le droit |éditeur= J.G. Degos et S. Trébucq|lieu= Bordeaux|année= 2005|passage=73-89|lire en ligne=https://econwpa.ub.uni-muenchen.de/econ-wp/eh/papers/0503/0503004.pdf|format= pdf}}.</ref>, le slogan des « 200 familles » est très largement repris visant les dynasties d'industriels ou de banquiers comme les [[Famille de Wendel|Wendel]], [[Famille Rothschild|Rothschild]] ou le [[Comité des forges]]{{sfn|Berstein|1972}}. |
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L'expression connaît un glissement politique, du fait de son utilisation par des milieux politiques très divers. |
L'expression connaît un glissement politique, du fait de son utilisation par des milieux politiques très divers. |
Version du 8 janvier 2024 à 01:07
Les deux cents familles est en France, une des expressions symboliques, parfois données « sous la Troisième République, aux dynasties bourgeoises représentées dans de nombreux conseils d'administration de grandes sociétés industrielles, financières ou commerciales »[1].
Dans le contexte de la Grande Dépression économique des années 1930, d’une série de scandales financiers, de la critique du capitalisme, des luttes sociales et du mécontentement d’une partie de la population, l’expression deux cents familles qui renvoie originellement aux 200 plus gros actionnaires (sur près de 40 000) qui constituaient l'Assemblée générale de la Banque de France, est popularisée par Édouard Daladier lors du 31e congrès du Parti radical-socialiste, tenu à Nantes en . Les deux cents familles joueraient un rôle dominant et tiendraient en main la majorité des leviers économiques de la France, contrôlant ainsi les destinées politiques du pays.
L'expression fait mouche auprès des partis de gauche composant ou soutenant le Front populaire, reprise comme slogan par les leaders politiques ou syndicaux tels Léon Blum, Maurice Thorez ou Léon Jouhaux ; elle se propage parmi les intellectuels, notamment antifascistes ainsi que dans la presse satirique et, de manière opportuniste, dans la presse antisémite.
Le Front populaire ayant inscrit à son programme la réforme de la Banque de France ; le système de régence est réformé le . Le nouveau système de gouvernance impose désormais à la banque un conseil de vingt membres parmi lesquels ne siègent que deux représentants de l’actionnariat privé, tous les autres étant des hauts fonctionnaires, des dirigeants d’organismes publics de crédit ou des représentants des forces productives. Le pouvoir des mythiques « deux cents familles » est ainsi contrôlé. L’expression disparait alors progressivement. Elle ressurgit toutefois sporadiquement dans la vie politique française.
Les observateurs et chercheurs ont classé les « deux cents familles » dans la catégorie des discours relevant des mythologies politiques, tout en reconnaissant, pour quelques uns, que le mythe n'est pas le fruit d’un imaginaire pur, et qu'aucun des mythes politiques ne se développe dans un univers d’entière gratuité, libre de tout contact avec les réalités de l’histoire. Pour plusieurs, cela ne devrait pas empêcher d’analyser sa complexité, ni la part de vérité qui s'y trouve.
Histoire
Deux cents actionnaires de la Banque de France
Lors de la création de la Banque de France en 1800, l'article 11 de ses statuts (fixés par la loi du 24 germinal an XI, loi confirmée par Napoléon Ier le 22 avril 1806), dispose que « les 200 actionnaires qui composeront l'Assemblée générale seront ceux qui seront constatés être, depuis six mois révolus, les plus forts propriétaires de ses actions ».
Ces deux cents membres de l'assemblée générale avaient ainsi le pouvoir de désigner les quinze membres du Conseil de régence de la Banque de France. Ce pouvoir est toutefois tempéré par les lois de 1803 et 1806 : le gouvernement nommera une partie (minoritaire) de membres du Conseil général, dont le Gouverneur de la Banque de France, assisté de deux sous-gouverneurs.
Des recherches récentes[évasif] montrent que la réalité du pouvoir ne réside pas au sein de l'Assemblée générale mais à la direction même de la Banque de France (Conseil général, Comité des livres et portefeuilles). Il faut considérer les banquiers régents de sa direction comme les représentants actifs des Deux cents familles (largement rentières - donc en faveur de la stabilité monétaire) mais aussi de leur périphérie (les autres grands entrepreneurs)[pas clair][3][réf. non conforme].
Création du mythe des « deux cents familles »
Professeur d'histoire économique contemporaine, Jean-Claude Daumas souligne que le problème de « l'influence du patronat sur la politique » est aussi ancien que le capitalisme lui-même. Cela a « nourri des mythologies qui, des « féodalités industrielles et financières » aux « deux cents familles » en passant par « les juifs rois de l'époque » et les « trusts », proposent des visions simplistes et trompeuses qu'il faut disséquer pour s'en libérer et faire progresser la connaissance des mécanismes réels[4]. ». Serge Berstein pour sa part expliquent que « dans la vie politique française, l'argent a toujours eu mauvaise réputation. Les valeurs politiques de la France des xixe siècle et xxe siècle siècles, nourries des idéaux démocratiques hérités d'un siècle de révolutions, consolidées par la connotation morale de la gauche, sont fondées sur le postulat que le seul combat politique qui vaille est celui qui débouche sur la promotion des « petits » », que « le vocabulaire politique de la France de l'entre-deux-guerres porte la trace de ces conceptions ». Aussi « confronté à ces thèmes qui constituent, au niveau des mentalités d'une grande partie de l'opinion, une des incontestables réalités de l’entre-deux-guerres, l'historien est-il amené à s'interroger sur la part de vérité qu'elles contiennent […] pour dépasser le mythe, retrouver le fait authentique derrière le réquisitoire ou le plaidoyer, également entachés de partialité »[5].
En 1869, à la fin du Second Empire, le journaliste proudhonien Georges Duchêne préfigure le thème des deux cents familles[6] lorsqu'il dénonce l'éviction des petits porteurs d'actions au sein des conseils d'administration en évoquant une « féodalité » financière dans laquelle « les 20 milliards de valeurs mobilières sont à la discrétion de 200 nababs, qui n'y ont pas engagé 200 millions. L'antiquité ne fournit pas d'exemple d'oligarchie aussi concentrée »[7].
Le slogan des « deux cents familles » est lancé par Édouard Daladier lors du 31e congrès du Parti radical-socialiste, tenu à Nantes du 25 au [n 1]
« Ce sont deux cents familles qui, par l'intermédiaire des conseils d'administration, par l'autorité grandissante de la banque qui émettait les actions et apportait le crédit, sont devenues les maîtresses indiscutables, non seulement de l'économie française mais de la politique française elle-même. Ce sont des forces qu'un État démocratique ne devrait pas tolérer, que Richelieu n'eût pas tolérées dans le royaume de France[11]. L'empire des deux cents familles pèse sur le système fiscal, sur les transports, sur le crédit. Les deux cents familles placent leurs mandataires dans les cabinets politiques. Elles agissent sur l'opinion publique car elles contrôlent la presse[12]. »
Dans le contexte de la Dépression économique des années 1930, du chômage[13], après une série de scandales financiers comme l'affaire Stavisky[14],[15], ou plus tôt, les bilans truqués de la Banque de France[16], le slogan des « 200 familles » est très largement repris visant les dynasties d'industriels ou de banquiers comme les Wendel, Rothschild ou le Comité des forges[17].
L'expression connaît un glissement politique, du fait de son utilisation par des milieux politiques très divers. À gauche, les antifascistes, les anarchistes ainsi que le Front populaire (quoique les socialistes « suivent en maugréant ») mobilisent aussi l'expression[18].
Léon Trotski écrit « Dans le cadre du régime bourgeois, de ses lois, de sa mécanique, chacune des « deux cents familles » est incomparablement plus puissante que le gouvernement Blum »[19].
Le leader communiste Maurice Thorez fournit également le même type d'« explication simple » à la crise économique persistante en France en dénonçant « les deux cents familles »[20].
Produit par le Parti communiste français et réalisé par Jean Renoir, le film de propagande La vie est à nous (1936) fustige les grandes fortunes par le biais d'un personnage instituteur, interprété par le comédien Jean Dasté, qui lance la réplique suivante : « La France n'est pas aux Français, car elle est à deux cents familles. La France n'est pas aux Français, car elle est à ceux qui la pillent »[21].
Dans La Banque de France aux mains des 200 familles (Comité de vigilance des intellectuels antifascistes, 1936), Francis Delaisi tente de recenser les supposées « 200 familles ».
L'extrême droite largement antisémite s'en empare également : Jacques Doriot, transfuge du PCF et fondateur en 1936 du Parti populaire français (PPF), affirme ainsi, en 1937, qu'il faut lutter « contre les deux cents familles capitalistes et contre l'état-major communiste, parfois complices contre le pays »[22].
Des périodiques satiriques comme Le Crapouillot continuent d'asseoir le thème durant l'entre-deux-guerres.
-
« Les 200 familles », couverture du Crapouillot, mars 1936. François de Wendel (1), Théodore Laurent (2), Eugène II Schneider (3), Alexandre Dreux (4), Louis Marlio (5) et André Lebon (6).
-
Article de la série « Et voici les 200 familles… » d'Augustin Hamon, publiée dans L'Humanité, no 13549, .
(Paris, BnF). -
Encart publicitaire dans Le Populaire pour un texte de Francis Delaisi, Les financiers et la démocratie publié par Le Crapouillot. ().
Postérité et effacement progressif
Le Front populaire fait de la réforme de la Banque de France un thème de campagne électorale. Le système de régence est réformé par la loi du qui remet à plat le système de gouvernance en imposant « la nomination par le gouvernement de personnalités qualifiées au sein du Conseil en remplacement des représentants de l’actionnariat privé. L'assemblée générale est étendue à tous les actionnaires. Le pouvoir des mythiques « deux cents familles » (…) est ici visé. La loi officialise plus qu'elle promeut la recherche d'un intérêt général. Elle opère une nationalisation de facto de la Banque de France, qui reste néanmoins une banque d’émission privée », précise Bertrand Blancheton[23].
Un gouverneur, assisté de deux sous-gouverneurs, continue de diriger la Banque, mais il n'a plus à justifier de la propriété d'actions de la Banque. La pratique du serment, tombée en désuétude, est rétablie. Le conseil général voit sa composition être remaniée : il regroupe le gouverneur, les deux sous-gouverneurs, les trois censeurs élus par l'assemblée, ainsi que vingt conseillers (remplaçant les quinze régents précédents) : deux sont élus par l'assemblée, neuf représentent les intérêts de la nation, huit sont choisis au titre des intérêts économiques et des usagers du crédit, un est élu par le personnel de la Banque. Par souci d'égalité, au sein de l'assemblée générale, un actionnaire pèse une voix[réf. nécessaire].
Cette réforme éteint progressivement le mythe des deux cents familles. Sous la Quatrième République, la nouvelle formule du magazine de Jean Galtier-Boissière « recens[era] Les Gros, ceux qui détenaient la fortune nationale, cette reviviscence du mythe des deux cents familles »[24].
Cependant, si le système des « 200 actionnaires » a été réformé, les Accords de Matignon du 7 juin 1936, pris entre la Confédération générale du travail et la Confédération générale de la production française (CGPF, ancêtre du MEDEF), sont parfois considérés comme nuisibles aux petites entreprises, favorisant la concentration industrielle.
Ainsi dans Organized Business in France (1957, traduit en français sous le titre La politique du patronat français : 1936-1955, Colin, 1959), le professeur Henry Walter Ehrmann[25], du Dartmouth College, écrit :
« Beaucoup d'industriels et de commerçants moyens affiliés à la CGPF estimaient, et ils n'avaient pas tort, que leurs propres organisations les excluaient des activités de l'association.
Les trusts qui les contrôlaient et une douzaine de « grands commis » qui dirigeaient la CGPF en leur nom étaient, aux yeux de beaucoup, de petites entreprises industrielles et commerciales, aussi néfastes que la propagande du Front populaire.
Craignant les conséquences de la nouvelle législation sociale, les petits patrons avaient le sentiment d'avoir été trahis et persistaient à croire à un complot entre « les 200 familles » et le gouvernement marxiste. »
Le terme est réutilisé sporadiquement dans la vie politique française, soit par complotisme pour désigner une influence supposée de ces familles sur les décideurs politiques, soit pour désigner la caractéristique de certains membres du personnel politique à être entourés de familles riches. En 1990, Gabriel Milési publie Les Nouvelles 200 Familles[26]. Christian Eckert utilise le terme pour critiquer le président Nicolas Sarkozy qui s'affichait avec des amis issus des familles parmi les plus fortunées de France[26]. La sociologue Monique Pinçon-Charlot affirme qu'en 2012, la France « fonctionne toujours comme au temps des 200 familles de Daladier, en 1934. Nous sommes toujours une France de l’héritage »[27], tandis que depuis 2017, le député François Ruffin de La France insoumise use fréquemment d'une formule relative à « 500 familles qui se gavent », ressuscitant ainsi le mythe des deux cents familles[28],[29].
Notes et références
Notes
- D'après la presse de l'époque et l'édition des actes du 31e congrès du parti radical, Édouard Daladier prononce ce discours le [8],[9] mais Georges Lefranc et Jean Garrigues le situent à la date du [10],[11].
Références
- Dictionnaire Larousse en ligne, entrée famille [1].
- Plessis 1982, hors-texte, explication de la gravure ornant la couverture de l'ouvrage.
- Alain Plessis, Yves Leclercq.
- Jean-Claude Daumas, « Regards sur l'histoire du patronat », Vingtième Siècle : Revue d'histoire, Paris, Presses de Sciences Po (PFNSP), no 114 « Patrons et patronat en France au XXe siècle », , p. 10 (DOI 10.3917/vin.114.0003, lire en ligne).
- Berstein 1978.
- Guy-Pierre Palmade, Capitalisme et capitalistes français au XIXe siècle, Paris, Armand Colin, , 297 p.
- Georges Duchêne, L'Empire industriel. Histoire critique des concessions financières et industrielles du Second Empire, Paris, Librairie centrale, , 319 p. (lire en ligne), p. 299.
- « Le congrès du parti radical-socialiste : la séance de samedi après-midi (suite) », Le Temps, no 26721 (74e année), , p. 2 (lire en ligne)74e année)&rft.stitle=la séance de samedi après-midi (suite)&rft.date=1934-10-29&rft.pages=2&rfr_id=info:sid/fr.wikipedia.org:Deux cents familles">.
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Annexes
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Articles connexes
Liens externes
- « Le mythe des "200 familles" ferait-il son come-back sur Marianne2.fr ? », Conspiracy Watch, 6 mars 2010, lire en ligne.
- [audio] Gérard Noiriel, « Pourquoi le Front Populaire dénonça-t-il les "deux cents familles" ? », sur France Culture, .