Kaddour Benghabrit
Si Kaddour Benghabrit (en arabe : سي قدور بن غبريط) ou Abdelkader Ben Ghabrit[1], né le à Sidi Bel Abbès en Algérie et mort le à Paris, est un théologien et haut fonctionnaire algérien[2],[3] (il reçoit par ailleurs la nationalité marocaine comme d'autres Algériens résistants établis au Maroc[4],[5],[6]) qui occupe successivement des fonctions dans la magistrature en Algérie, puis diplomatique pour la France avant d'entrer, dans le cadre du protectorat, au service du sultan du Maroc[7].
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Nationalité | Algérienne Française |
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Interprète auxiliaire à la légation de France à Tanger et haut fonctionnaire du ministère des Affaires étrangères français, il est le fondateur de l'Institut musulman de la mosquée de Paris[8].
Il participe à la Conférence d'Algésiras de 1906 et aux négociations aboutissant au traité de Fès de 1912. Il dirige une mission diplomatique française à La Mecque en 1916 pour faciliter le pèlerinage du Hajj et convaincre Hussein ben Ali, le chérif de La Mecque, de rompre avec l'Empire ottoman[9] et de rejoindre les Alliés en échange de la reconnaissance de son califat par les musulmans malékites de l'Empire colonial français[10],[11]. Hussein le reçoit avec honneur et lui accorde le droit de nettoyer le sol de la Kaaba et de s'asseoir à côté de lui lors de la prière du vendredi à La Mecque[12].
Pendant l'Occupation, il cache et sauve des Juifs dans les sous-sols de la Grande mosquée de Paris[13]. Avec Abdelkader Mesli, il s'engage dans la résistance et protège de nombreuses victimes, parfois estimées à plus d'un millier[14],[15],[16].
Il est grand-croix de la Légion d’honneur (1939) et titulaire de la médaille de la Résistance française avec rosette (1947).
Biographie
modifierOrigines et début de carrière
modifierKaddour Benghabrit naît le à Sidi Bel Abbès, aujourd'hui chef lieu de la wilaya de Sidi Bel Abbès en Algérie, dans une famille bourgeoise originaire de Tlemcen (en Algérie), établie au Maroc pour fuir la colonisation française[17]. Après des études secondaires à la médersa d’Alger (Thalibiya), puis celle de Tlemcen[18], il poursuit ses études à l'université Al Quaraouiyine de Fès[19], il commence sa carrière professionnelle en Algérie, dans le secteur de la magistrature en tant que conseiller en législature musulmane. En 1892, il devient interprète-auxiliaire à la légation de France à Tanger et intègre ainsi officiellement le corps des cadres du ministère des Affaires étrangères français[18]. Remarqué pour la qualité de ses notes en français et sa maîtrise des codes religieux, il se voit confier des missions officieuses à partir de 1895. Il démontre une capacité à négocier avec les tribus marocaines révoltées et devient agent de liaison entre le makhzen et les autorités religieuses. Il participe activement à la mise en place du protectorat français sur le Maroc, et devient cadre titulaire à la légation de France, puis consul général honoraire à Fèz pour le compte de la France et enfin directeur du protocole du sultan marocain[18].
D'un point de vue administratif, né dans une Algérie sous régime colonial, il avait en tant qu'indigène la nationalité française[20] ,[note 1], puis plus tard, également, la nationalité marocaine, donnée par dahir aux Algériens résidant au Maroc, notamment les plus lettrés[21],[note 2].
Mission à La Mecque
modifierEn 1916, il est envoyé au Hedjaz et œuvre pour faciliter l’accomplissement du pèlerinage et pour garantir le bien-être à ses coreligionnaires durant leur séjour dans les lieux saints de l'islam. Il fonde à la Mahkama d’Alger (tribunal civil ou cadi), la Société des Habous des Lieux saints de l'islam[22], sous forme d'une association cultuelle musulmane, destinée à faciliter le pèlerinage des musulmans de l'Afrique du Nord française, en faisant l'acquisition de deux établissements hôteliers : à Médine et à La Mecque[23]. Il est également une des personnalités musulmanes qui soutiennent la révolte arabe de 1916-1918 face à l'Empire ottoman[18]. En soutien de la révolte, il propose à Hussein ben Ali de reconnaître ses prétentions au califat[10],[11],[24],[25]. Hussein le reçoit avec honneur et lui accorde le droit de nettoyer le sol de la Kaaba et de s'asseoir à côté de lui lors de la prière du vendredi à La Mecque[12].
En 1920, la Société des Habous et Lieux saints de l'islam est déclarée à la préfecture d’Alger, comme association loi de 1901 ayant pour objet la construction à Paris d'un institut et d'une mosquée, qui symboliseraient sur le sol français l’amitié éternelle de la France et de l'islam, mais qui serait aussi un hommage aux milliers de soldats musulmans tombés durant la Première Guerre mondiale, notamment à Verdun en 1916.
Création de la mosquée de Paris
modifierSur son initiative, il fonde dans la capitale française, la mosquée de Paris[26], dont le but est de venir en aide, tant au point de vue spirituel que matériel, à tous les musulmans habitant ou visitant la métropole. Il s'agit de la première mosquée du monde occidental après la chute d'al-Andalus.
Habitué des salons parisiens, accordant son patronage à des expositions (comme celle du peintre Florimond Météreau à la galerie Charpentier en 1932)[27], il fut surnommé « le plus Parisien des musulmans »[28]. Si Kaddour Benghabrit était grand-croix de la Légion d'honneur. Il est inhumé dans un site réservé au nord de la mosquée de Paris, selon le rite malékite.
À sa mort, le , son neveu Ahmed Benghabrit prend la direction de la mosquée de Paris. Il en est expulsé par la police française en en raison de ses prises de position en faveur de la révolution algérienne[26].
La Seconde Guerre mondiale et les Juifs
modifierLe documentaire de 1991
modifierDurant la Seconde Guerre mondiale, Kaddour Benghabrit aurait sauvé la vie d'une centaine de juifs, dont celle du chanteur Salim Halali, en leur faisant octroyer par le personnel administratif de la mosquée des certificats d'identité musulmane, qui leur permirent d’échapper à l'arrestation et à la déportation[29],[30],[31].
Dans un documentaire de 29 minutes intitulé La Mosquée de Paris, une résistance oubliée, réalisé pour l’émission Racines de France 3 en 1991, Derri Berkani rapporte que ce sont les Francs-tireurs et partisans (FTP) algériens, essentiellement constitués d'ouvriers, qui avaient amené ces juifs à la mosquée de Paris afin de les protéger[32]. Ces Algériens du FTP avaient pour mission de secourir et de protéger les parachutistes britanniques et de leur trouver un abri. Les FTP algériens ont par la suite porté assistance à des familles juives, des familles qu’ils connaissaient, ou à la demande d’amis, en les hébergeant dans la mosquée, en attente que des papiers leur soient fournis pour se rendre en zone libre ou franchir la Méditerranée pour rejoindre le Maghreb.
Les chiffres concernant le nombre de juifs hébergés et sauvés par la mosquée de Paris durant cette période divergent selon les auteurs. Annie-Paule Derczansky, présidente de l'Association des Bâtisseuses de paix, précise que « selon Albert Assouline, qui témoigne dans le film de Berkani », 1 600 personnes auraient été sauvées. Au contraire, pour « Alain Boyer, ancien responsable des cultes au ministère de l'Intérieur français, on serait plus proche des 500 personnes »[réf. nécessaire].
Un appel à témoin de juifs sauvés par la mosquée de Paris entre 1942 et 1944 a été lancé le pour que la médaille des justes soit remise par le mémorial de Yad Vashem aux descendants de Kaddour Benghabrit[33].
Fiction et histoire
modifierKaddour Benghabrit est l'un des personnages principaux du film Les Hommes libres d'Ismaël Ferroukhi, sorti en 2011. Il est incarné par Michael Lonsdale.
Kaddour Benghabrit a également inspiré Mohamed Fekrane dans son court-métrage Ensemble, sorti en 2010. Le rôle de l'imam est interprété par l'acteur Habib Kadi.
Jean Laloum, chercheur au CNRS, a publié un article sur les démarches du Commissariat général aux questions juives, qui demandait à Kaddour Benghabrit de prouver ou d'invalider la qualité de musulmans de personnes que le Commissariat « soupçonnait » d'être juives. Pour le chercheur, l'attitude prêtée, dans le film, au directeur de la mosquée de Paris « à partir d'un nombre réduit d'indices » n'est pas sans équivoque : « Son rôle, à la lumière d'autres archives, semble plus ambigu qu'il ne ressort du film »[34].
En 2012, le journaliste Mohammed Aïssaoui a publié le livre L'Étoile jaune et le Croissant (Gallimard). L'auteur explique le sens de son enquête : « Il m'importait de montrer qu'un jour, au moins une fois, des Arabes et des Juifs ont marché main dans la main. J'avais envie de prononcer le mot philosémite […]. Alors que les témoins directs ont pour la plupart disparu, j'ai retrouvé plus de personnes et de faits que je ne pouvais l'imaginer au début de ma quête. Cela ne constitue pas des preuves irréfutables… »[35].
Famille
modifierNouria Benghabrit-Remaoun, sociologue et chercheuse, est la petite-fille du frère de Kaddour Benghabrit. Elle fut ministre de l'Éducation nationale en Algérie du au .
Distinctions
modifier- Grand-croix de la Légion d’Honneur (1939)[36].
- Médaille de la Résistance française avec rosette (1947)[37],[38].
Voir aussi
modifierNotes et références
modifierNotes
modifier- Applicable au statut de l'indigénat en Algérie depuis 1848.
- Un dahir de 1894 donne la nationalité marocaine à tous les Algériens du royaume, Juifs compris (partis d'Algérie avant le décret Crémieux). Le makhzen était en effet très satisfait des classes de lettrés formés dans les medersas algériennes.
Références
modifier- « Dictionnaire des orientalistes », sur dictionnairedesorientalistes.ehess.fr.
- David Motadel, Les musulmans et la machine de guerre nazie, La Découverte, , 493 p. (ISBN 978-2-348-04253-9, lire en ligne)
- Gerbert Rambaud, La France et l'islam au fil de l'histoire : Quinze siècles de relations tumultueuses, Éditions du Rocher, , 324 p. (ISBN 978-2-268-09768-8, lire en ligne)
- Trous de mémoire à la Mosquée de Paris, Journal Liberation
- Lawrence d'Arabie, Christian Destremau
- Grande Mosquée de Paris, « Kaddour Ben Ghabrit ».
- L'Islam en France, Alain Boyer, 1998
- « Kaddour Ben Ghabrit », sur mosqueedeparis.net.
- (en) Martin Thomas, Empires of intelligence : security services and colonial disorder after 1914, Berkeley, University of California Press, , 428 p. (ISBN 978-0-520-25117-5, lire en ligne)
- (ar) IslamKotob, الشريف الحسين الرضي والخلافة لنضال داود المومني, IslamKotob (lire en ligne)
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- Jean-Yves Le Naour, Djihad 1914-1918 : la France face au panislamisme, Paris, Perrin, , 299 p. (ISBN 978-2-262-07083-0)
- «L’Etoile jaune et le croissant», sur letemps.ch, .
- Raphaël de Bengy, « Mohamed Mesli : « Mon père, l’imam sauveur de juifs » », sur leparisien.fr, (consulté le ).
- « Une « résistance oubliée » : quand la Grande Mosquée de Paris venait en aide aux juifs », sur middleeasteye.net (consulté le ).
- Glenn Cloarec, « Abdelkader Mesli, l’imam parisien qui a sauvé des Juifs pendant la Shoah », sur fr.timesofisrael.com, (consulté le ).
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- François Pouillon, Dictionnaire des orientalistes de langue française. Nouvelle édition revue et augmentée, Karthala Éditions, , 1112 p. (ISBN 978-2-8111-0791-8, lire en ligne)
- France-Algérie : 50 ans d'histoires secrètes-Vol.2, Naoufel Brahimi El Mili
- Vincent Geisser et Aziz Zemouri, Marianne et Allah : les politiques français face à la question musulmane, Paris, Découverte, , 297 p. (ISBN 978-2-7071-4961-9, lire en ligne)
- Sadek Sellam, La France et ses musulmans : Un siècle de politique musulmane 1895-2005, Fayard, , 396 p. (ISBN 978-2-213-67984-6, lire en ligne)
- Traduction de l'acte constitutif de la Société des Habous des Lieux Saints, 16 février 1917.
- Seul l'achat d'une hôtellerie à La Mecque a été réalisé.
- (en) « The Great War and the Beginning of Emancipation », sur academic.oup.com (DOI 10.23943/princeton/9780691147055.003.0017, consulté le ).
- (en) Henry Laurens, « Part III. Europe and the Muslim World in the Contemporary Period », dans Part III. Europe and the Muslim World in the Contemporary Period, Princeton University Press, (ISBN 978-1-4008-4475-3, DOI 10.1515/9781400844753-005, lire en ligne), p. 255–404
- « Trous de mémoire à la Mosquée de Paris », sur Libération.fr, .
- Galerie Charpentier, plaquette d'exposition, 1932
- L'institut musulman, Paris, Kaddour Ben Ghabrit, biographie
- (en) "The Holocaust's Arab Heroes", The Washington Post, 8 octobre 2006, Robert Satloff. L'article ne mentionne pas, cependant, la Mosquée de Paris.
- (en) "Among the Righteous : Lost Stories of Arabs Who Saved Jews During the Holocaust", Par Allan C. Brownfeld. L'auteur reprend les affirmations et témoignages du documentaire de Derri Berkani.
- Ofer Aderet, The Great Mosque of Paris that saved Jews during the Holocaust, Haaretz, 24 March, 2012. [réf. obsolète]
- "Des juifs ont été sauvés par la Mosquée de Paris, L'association 'Les Bâtisseuses de paix' veut rappeler les faits", dimanche 8 juin 2008, SaphirNews.com.[réf. obsolète]
- "Si Kaddour Benghabrit, un juste qui mérite reconnaissance", El Watan, édition du 16 mai 2005
- "La Mosquée de Paris sous l'occupation", Jean Laloum, Le Monde, 7 novembre 2011.
- L'Étoile jaune et le Croissant, Mohammed Aïssaoui, 2012, p. 14-15.
- « À la dignité de grand'croix. M. Si Kaddour ben Ghabrit, ministre plénipotentiaire honoraire, président de la Société des Habous des Lieux Saints de l'Islam, directeur de l'institut musulman et de la mosquée de Paris », in Journal officiel de la République française, 1939, p. 2975.
- Décret du 31 mars 1947, Base des médaillés de la résistance, site Mémoire des Hommes (voir en ligne)
- La médaille de la Résistance française a été décernée à 65 295 résistants et dans son grade supérieur, la médaille de la Résistance avec rosette, à seulement 4 586 personnes.
Annexes
modifierBibliographie
modifier- Abdellali Merdaci, Auteurs algériens de langue française de la période coloniale : Dictionnaire biographique, L'Harmattan, 2010.
Liens externes
modifier
- Ressource relative à la recherche :
- Ressource relative aux militaires :
- Biographie de Si Kaddour Ben Ghabrit, site officiel de la grande mosquée de Paris.
- Une résistance oubliée… la Mosquée de Paris 1940-44