Work Text:
« Ils sont en retard. »
Ominis luttait contre l’envie de vérifier l’heure, mais il ne parvenait plus à contrôler les battements que son pied droit faisait résonner sur les murs de pierre du hall d’entrée. En face de lui, en sécurité de l’autre côté de son guichet, le gardien fumait tranquillement une pipe, avec un calme qui frôlait l’indifférence et que l’Auror percevait comme une provocation.
Alors qu’il commençait à sérieusement envisager la possibilité de faire les cent pas pour tromper sa nervosité, l’homme finit par hausser les épaules, un sourire amusé sur les lèvres. « Faut pas vous impatienter comme ça, mon brave monsieur : si le Ministère a dit qu’un détenu sortait aujourd’hui matin, c’est que vous avez plus longtemps à attendre.
- Je n’en doute pas, grinça Ominis, mais comme nous approchons de midi, je commence à me demander si la notion du temps est la même pour le gérant de la prison que pour nous, humbles mortels. »
L’homme laissa échapper un reniflement moqueur qui le glaça pourtant jusqu’aux os. « Pour les geôliers humains, oui. Mais pour les Détraqueurs et pour les détenus… Je n’en suis pas certain. »
Ominis déglutit péniblement et se détourna, préférant faire face à la lourde et haute porte qui le séparait encore de son meilleur ami. Il n’y avait pour ainsi dire aucun prisonnier qui avait quitté Azkaban depuis sa création – du moins, vivants – si bien qu’il ne pouvait empêcher son cœur de tressauter dans sa poitrine à l’idée que ce courrier reçu quelques mois plus tôt soit une méprise. Pendant une seconde, il avait même imaginé un tour joué par sa famille, soit par son père soit par son frère aîné, mais il n’avait plus de contact avec eux depuis des années, depuis qu’il était devenu Auror, et il n’avait pas trouvé de preuve allant dans ce sens.
Marvolo avait toujours adoré le martyriser et il avait mis plus de temps que les autres à renoncer à son jouet préféré, mais Ominis avait enfin réussi à couper les ponts, cinq ans auparavant, alors pourquoi aurait-il mis autant de temps et de soin à lui envoyer un courrier si réaliste le convoquant à une audience au sujet d’un prisonnier en faveur duquel il avait régulièrement tenté d’intercéder depuis sa nomination ? Non, même Marvolo n’aurait pas pu aller aussi loin, au point d’imiter la signature du Ministre.
C’était pour cela qu’Ominis s’était présenté au Ministère, malgré la crainte d’être une fois encore l’objet des moqueries cruelles de sa famille, malgré la peur que ses espoirs fous se révèlent vains… Mais l’audience était bien réelle, et le détenu concerné était bien celui pour qui son cœur continuait de trembler. Et même son père n’avait pas l’autorité suffisante pour créer un procès factice uniquement pour le torturer.
Son nom avait résonné dans la salle, paralysant Ominis sur son siège, et la courte mais affligeante liste de ses méfaits avait fait se crisper ses mains sur ses genoux. Mais il avait ensuite été question de son comportement, de sa participation volontaire aux travaux supplémentaires, de son sérieux, de sa repentance sincère, et de son jeune âge au moment des faits. Le dilemme était le suivant : pouvait-on libérer un meurtrier sous prétexte qu’il n’était encore qu’un adolescent influençable à l’époque du crime ? Et si on le libérait, pourquoi ne pas étendre cette exception à d’autres détenus ?
C’était une position qu’Ominis avait défendue depuis son arrivée au Ministère, une requête qu’il avait régulièrement présentée, cherchant une faille dans le système, un moyen légal de tirer son ami de l’enfer d’Azkaban, mais jusqu’ici, en dix ans, ses efforts avaient été vains. Alors, il avait utilisé d’autres moyens de veiller à ce que plusieurs membres du Ministère commencent à partager son idée. Il avait parcouru des dossiers pour voir qui était plus à même de rejoindre son camp, étudié des histoires familiales par cœur, participé à des soupers mondains et à des salons de thé simplement pour se rapprocher des jurés… Et petit à petit, son charme, sa rhétorique et ses idées avaient fait le reste.
Pourtant, malgré son travail en amont, beaucoup de juges présents s’étaient insurgés, refusant de prendre le risque et prétextant qu’autoriser cette sortie revenait à ouvrir la portes aux dérives et aux abus, mais d’autres, plus jeunes – parfois même plus jeunes que lui – ceux qu’Ominis avait régulièrement côtoyé, avaient prôné le pardon, proposé de faire de ce cas un test.
« Nous sommes entrés dans une nouvelle ère, avait proposé un jeune juré avec qui il avait dîné la veille, nous devons réintégrer les criminels de bas étage – bien évidemment privés de magie – dans notre société.
- Et montrer à tous que les crimes restent impunis ?!
- La sanction a été appliquée, la peine presque entièrement purgée. Un passage à Azkaban restera de mise, mais pourquoi ne pas faire preuve de clémence face à un comportement exemplaire et à des circonstances atténuantes ?
- Un homme est mort, Monsieur Ripley, s’offensa une juge plus âgée, je n’appelle pas ça des circonstances atténuantes.
- Nous pourrions procéder autrement. »
Tous les regards s’étaient tournés vers lui, et Ominis n’avait pas besoin de les voir pour en sentir le poids sur ses épaules quand il avait pris la parole, répétant un discours qu’il connaissait par cœur. « Nous pourrions procéder à ce test de libération provisoire en secret, sans le dévoiler à personne. La garde et la surveillance du détenu pourrait être confiée à un Auror expérimenté qui établirait un rapport. Des réunions pourraient avoir lieu tous les mois jusqu’à ce que les membres du jury puissent prendre une décision éclairée sur l’avenir. »
Les cris, autant de soutien que d’effroi scandalisé, avaient éclatés autour de lui, jusqu’à ce qu’un homme hausse le ton, moqueur. « Nous ne pouvons pas nous permettre de nous passer d’un seul sorcier.
- Le recrutement annuel n’est que dans deux semaines, nous aurons nos rangs emplis d’ici quelques mois.
- Et quel Auror se proposerait pour une tâche aussi ingrate ?
- Moi. » Ce simple mot avait fait tomber un silence sidéré dans la salle d’audience et Ominis en avait profité pour lever une main humble vers sa poitrine. « Après tout, c’est mon idée. »
Des murmures l’avaient entouré, le temps que les jurés pèsent le pour et le contre, puis, enfin, le Ministre de la magie s’était directement adressé à lui. « Monsieur Gaunt, tous ceux qui ont lu le dossier du jour savent que vous connaissez le détenu concerné et que vous avez longuement plaidé en sa faveur. D’aucuns doutent certainement de votre neutralité dans l’affaire.
- Et je comprends leurs doutes, avait-il tranquillement répondu, mais je crois que c’est justement pour cela que je suis le mieux placé pour remplir cette mission. J’ai côtoyé cet homme durant ma scolarité, je connais sa manière de penser et d’agir : je suis la personne la plus indiquée pour le surveiller durant cette liberté conditionnelle. Et je peux vous garantir que comme dans toutes les missions menées depuis ma nomination, je serai l’incarnation même de la neutralité. Après tout, ce projet a été nourri de mon expérience, d’où mes plaidoyers concernant ce prisonnier, mais mon souhait serait que ce système puisse être appliqué à tous les détenus qui font preuve de remords sincères. »
Il avait su immédiatement qu’il avait choisi les bons mots quand, après de longues secondes, le Ministre avait lentement refermé le dossier. « Entendu. Nous procéderons à cet essai dans le secret le plus complet. »
Certains, soit terrifiés à l’idée que ce plan tourne mal ou simplement par haine envers le nom d’Ominis, avaient tenté de le faire changer d’avis, mais quand le marteau avait frappé le bureau du Ministre, le sort avait été scellé et Ominis avait quitté la pièce, le visage neutre mais le cœur battant à tout rompre.
Il avait participé aux préparatifs avec les jurés qui soutenaient le projet, avait aménagé une chambre dans son appartement londonien, avait dressé des protections supplémentaires dans son quartier et dans chaque pièce de son logement, avait rapporté tout artefact magique dans son bureau au Ministère… Et quand, enfin, il avait reçu un hibou du Ministre l’informant de la date et de l’heure de libération, il avait senti son souffle se couper.
Rien de tout cela ne paraissait réel… Il avait atrocement peur de se réveiller et de constater que tout n’avait été que le fruit de son imagination…
Mais il était bien là, quinze ans après leur séparation, debout devant la prison d’Azkaban, serrant la dernière lettre officielle du Ministre dans ses mains gantées de noir comme pour se rappeler qu’il ne rêvait pas.
Quinze ans… Quinze ans depuis ce matin où son meilleur ami s’était dénoncé, quinze ans depuis qu’Ominis hurlé et pleuré en apprenant la nouvelle, quinze ans depuis que l’amour de sa vie lui avait été enlevé et qu’il lui avait promis qu’il l’attendrait, qu’il serait là quand il sortirait… Parce que même si c’était un rêve fou, il n’avait jamais pu imaginer qu’ils ne puissent plus jamais se revoir, c’était tout bonnement impensable.
Pourtant, quelque chose d’autre l’inquiétait atrocement : il ne savait pas dans quel état, autant physique que psychique, serait celui qu’il venait chercher… Et cela le terrifiait. Il ne serait soulagé qu’une fois les portes refermées et leurs dos tournés à cet endroit maudit. Mais accepterait-il de le suivre ? Normalement, on avait dû lui expliquer les circonstances de sa libération provisoire et devait savoir qui l’attendait à la sortie, mais cela lui convenait-il seulement ? Il avait beau dire qu’il le connaissait mieux que personne, l’Auror devait avouer qu’il ne savait s’il connaissait l’homme qui lui ferait bientôt face. Tant de temps avait passé, tant de choses étaient arrivées… Ominis se secoua mentalement : il n’avait pas eu d’autre choix que d’accepter, et comme il avait signé cet accord de ses propres mains, il n’y avait plus de retour en arrière possible.
« Ah, les voilà. Vous voyez qu’il fallait pas s’en faire. »
Un grincement d’outre-tombe résonna enfin, faisant trembler le sol sous les pieds de l’Auror qui inspira profondément, se redressant pour se donner l’air noble qui imposait le respect chez ses interlocuteurs. Il ne pouvait pas voir le trio qui approchait, mais il lui suffit de serrer sa baguette pour remédier à cela.
Ominis sentit son souffle se transformer en givre, sa peau se couvrir de chair de poule, quand le Détraqueur qui escortait le dirigeant d’Azkaban et le prisonnier glissa sur le sol avec un soupir désincarné, mais il n’était plus un enfant. Il n’avait plus peur de la peur. Il s’ancra dans la pierre et s’accrocha aux souvenirs heureux, à ceux qu’il avait appris à magnifier avec le temps, ceux qui transformaient parfois la joie sur la peine, et cela suffit à faire reculer le froid.
Le bruit des chaînes le frappa ensuite. Il pouvait deviner qu’on avait donné des vêtements aussi neufs que possible au prisonnier et qu’on lui avait permis une douche pour paraître un minimum présentable en quittant les lieux, mais il se demandait à quel point les geôliers souhaitaient cacher au Ministre la réalité complète de ce que renfermaient les murs d’Azkaban.
« Monsieur Gaunt, je présume ? »
La voix le fit se détourner de la silhouette enchaînée, celle qu’il ne permit pas encore à sa baguette de détailler de peur de fissurer son masque d’assurance.
« En effet, répondit-il d’une voix ferme, plus ferme que ce que les palpitations de son cœur laissaient croire. »
L’homme grimaça, il le devina même sans sa baguette quand un sifflement las s’échappa des lèvres du gérant. « Vous savez, je crois vraiment que c’est une très mauvaise idée, les choses ne peuvent pas bien se passer si on…
- Ce sera au Ministère d’en juger, l’interrompit-il d’un ton sec. »
Un grommellement lui répondit mais il ne s’en formalisa pas. Au lieu de cela, plutôt que de s’éterniser, Ominis tendit sa main libre vers la droite.
Vers son meilleur ami.
Vers cet homme maigre et aux épaules squelettiques redressées qu’il devait encore traiter comme un inconnu durant quelques minutes.
« Monsieur Pallow… » Sa voix, légèrement radoucie, menaça de se briser en prononçant ces mots, en prononçant son nom, mais la pratique rendit son émotion invisible aux yeux des témoins présents. « Je suis chargé de votre sécurité et de votre réintégration dans le monde des sorciers durant cette période de test. Si vous voulez bien me suivre. »
Il y eut une seconde de flottement, d’hésitation, puis, enfin, Sebastian fit un pas en avant, et Ominis dut lutter pour ne pas l’imiter, pour ne pas courir pour le rejoindre et le serrer dans ses bras. Il brida son instinct, fit taire les hurlements et les sanglots de son âme, et il resta de marbre quand son ami le rejoignit enfin, quand ils furent face à face et qu’Ominis réalisa avec stupeur et douleur qu’il dominait maintenant Sebastian d’une bonne tête. Il serra les dents, ne dit pas un mot quand il approcha lentement la main de ses poignets, comme pour éviter de le brusquer. Il ne réagit pas quand ses doigts effleurèrent sa peau glaciale, les os saillants de ses mains. Il se contenta de murmurer un Alohomora qui fit tomber les menottes sur le sol avec un bruit métallique presque assourdissant dans le silence du lieu.
Il sentit que Sebastian écarquillait les yeux, levait un regard incertain vers lui, et il devina que le gardien s’était reculé précipitamment, que le gérant avait laissé échapper un hoquet et que le Détraqueur avait fait un mètre vers eux.
« Vous ne… Vous ne devriez pas lui ôter ses chaînes, ça ne fait pas partie de l’accord !
- C’est maintenant à moi d’en juger, feula Ominis en foudroyant l’homme du regard, ce n’est désormais plus votre responsabilité mais bien la mienne. »
Il referma doucement la main sur le poignet de Sebastian pour le placer derrière lui, faisant rempart de son corps face à ceux qui s’étaient soudain raidis. Avait-il reconnu ce simple tapotement contre son pouls ? Ce code secret qui annonçait un transplanage imminent ? Ominis n’aurait su le dire.
« Le Ministère vous remercie pour votre coopération. Vous serez bien évidemment convié aux réunions et informé du verdict. Je vous souhaite une excellente journée. »
Il inclina légèrement la tête pour les saluer puis, raffermissant légèrement sa prise sur le poignet de Sebastian, il transplana, l’emmenant avec lui loin de cet enfer.
Ominis savait que c’était beaucoup lui en demander après avoir été privé de magie pendant quinze ans, et il savait donc exactement comment réagir quand, une fois arrivés à destination, Sebastian s’effondra dans l’herbe avec un haut-le-cœur.
« Je te tiens, le rassura-t-il en le soutenant quand un flot de bile lui échappa, tout va bien. »
Ce ne fut qu’à ce moment, quand ses mains encadrèrent ses épaules maigres et que son esprit fut entièrement tourné vers lui, qu’Ominis réalisa à quel point son meilleur ami était mal en point.
Il pouvait sentir ses côtes sous le manteau trop grand, devinait des hanches saillantes qui s’enfonçaient dans ses cuisses et la ceinture trop petite autour de sa taille… Et même sans voir son visage, l’Auror sur qu’il devait être gris, les yeux cernés, les traits tirés…
Le cœur d’Ominis tomba dans ses talons et il sentit son estomac se nouer quand cette image se heurta au souvenir qu’il avait conservé de Sebastian, à celui d’un garçon aux joues encore un peu arrondies, au rire pétillant, à la vivacité assurée… L’homme qu’il tenait entre ses mains était une ombre, un fantôme de ce qu’il avait été, sans une once de lumière pour auréoler son visage…
Sa gorge se noua et il pinça les lèvres avant de souffler. « Je suis désolé, je voulais t’emmener loin de là au plus vite. J’ai voulu te prévenir mais…
- Je sais… »
Ominis se raidit et un grand frisson dévala sa colonne vertébrale.
« J’avais reconnu ton signal. »
Bien sûr, il s’était préparé à ce que la voix de Sebastian soit différente, mais il s’était simplement attendu à une voix plus grave, toujours forte et posée…
Il s’était préparé au passage du temps, mais pas à ce murmure rauque et étouffé.
Pas à ce souffle trop rauque à force de pleurs et de hurlements.
Pas à cette voix qui tremblait de ne plus avoir été utilisée pendant des années…
Ses yeux se remplirent de larmes sans qu’il puisse les en empêcher et ses mains serrèrent les épaules de Sebastian si fort qu’il l’entendit siffler de douleur.
« Omi-…
- Qu’est-ce qu’ils t’ont fait ? »
Son ami se raidit sous ses doigts, tous ses muscles tendus… Mais il ne répondit pas. Plutôt que de se laisser aller contre Ominis, comme il l’aurait fait quinze ans auparavant, il se dégagea et se releva lentement en essuyant ses lèvres de l’arrière de sa main. « Rien qu’ils n’ont pas fait subir aux autres. »
L’Auror se redressa, le visage plissé par l’inquiétude et les remords, et il tendit de nouveau la main vers lui, un geste incontrôlable, presque instinctif. Mille paroles s’affrontèrent dans son esprit sans qu’un vainqueur ne puisse se dessiner.
Pardonne-moi.
J’aurais voulu te sortir de là plus tôt.
Je suis si heureux de te revoir.
Tout va bien se passer maintenant.
Je vais rester avec toi.
Je t’aime encore.
Tu m’as tellement manqué.
Rentrons ensemble.
Pardonne-moi.
« Pourquoi es-tu venu ? »
Ominis s’ébroua, bouche-bée, et il cligna plusieurs fois des yeux avant de se racler la gorge. « Je suis venu pour te sortir de là.
- Non, je veux dire… J’ai lu le contrat, je sais que c’est un essai et que j’ai eu la chance d’être choisi mais… Pourquoi toi ? »
Sa baguette vibra dans sa main, lui renvoyant l’écho d’un regard à la fois méfiant et inquiet, et même s’il avait cru cela impossible, son cœur se brisa une fois de plus. « Parce que je… »
Non.
Non, il ne pouvait pas lui imposer ses sentiments, pas maintenant, à peine éloignés d’Azkaban.
« Parce que tu es mon meilleur ami et que je tiens à toi. Plus que tout. »
Ominis entendit distinctement Sebastian inspirer brièvement, comme une exclamation bravement retenue, comme si tout son était étouffé à jamais dans ses poumons.
« Alors pourquoi ne m’as-tu pas écrit ? »
L’Auror se figea, estomaqué. « Quoi ?
- Pourquoi ne m’as-tu pas écrit ? Une lettre, un simple mot aurait suffi à ce que je sache que tu ne m’avais pas oublié. »
Ominis manqua de reculer d’un pas, soufflé par le mélange de souffrance et de colère contenu dans cette voix qu’il ne reconnaissait pas, dans ce corps devenu celui d’un étranger.
« Tu ne peux pas me faire croire que tu es là pour moi alors que pendant quinze ans, je n’ai reçu aucune nouvelle. Je suis mort tous les jours dans cet endroit en me disant que tu me détestais, et maintenant tu me dis que tu es venu pour moi ? Tu n’as même pas pu m’écrire pour me dire qu’Anne était-… »
Ses reproches s’étranglèrent dans sa gorge en un sanglot, se brisèrent sans parvenir à prononcer les mots qui serraient encore le cœur d’Ominis. Sebastian se figea et se mordit la lèvre jusqu’au sang avant de gronder. « Je l’ai appris des gardiens ! Juste avant que les Détraqueurs passent dans les cellules ! Juste pour que je sois au plus bas à leur arrivée ! »
Une violence terrible faisait trembler sa voix, une rage qui n’avait pu être exprimée pendant des années et qui menaçait d’exploser en contact avec l’air, loin d’Azkaban et des Détraqueurs, mais Ominis ne recula pas. Il avait affronté des mages noirs confirmés, des créatures magiques sauvages, récupéré des artefacts dans des lieux hantés… Il n’allait pas trembler devant son meilleur ami.
« Je t’ai écrit. »
Sebastian se figea, son souffle se coupant dans sa gorge et l’Auror en profita pour continuer, lentement, prudemment. « Je t’ai écrit toutes les semaines pendant trois ans, puis chaque année à ton anniversaire, et je t’ai écrit pour t’annoncer la mort d’Anne mais… Mais tu n’as jamais répondu, alors j’ai cru… Je ne sais pas ce que j’ai cru, mais j’ai supposé que ton silence était une réponse valable, que tu ne voulais plus de moi dans ta vie, et que je n’avais pas le droit de t’imposer ma présence si tu n’en voulais pas. »
Sebastian semblait pétrifié en face de lui. Ses poings étaient serrés le long de son corps maigre, si fort qu’ils en tremblaient presque, et le murmure qui lui échappa était si bas qu’Ominis manqua de ne pas l’entendre. « Vraiment ? »
L’Auror tenta de chasser la vague de rage qui l’envahissait soudain, la fureur qui faisait bouillonner son sang dans ses veines.
Ils ne lui avaient pas donné les lettres.
Aucun prisonnier ne recevait le courrier qui lui était destiné.
On avait fait croire à l’amour de sa vie que le monde l’avait abandonné, qu’Ominis lui avait tourné le dos.
« Bien sûr, répondit-il doucement, et je serais venu te voir si j’en avais eu le droit. »
Après de longues secondes qui semblèrent durer une éternité, Sebastian renifla et le soulagement perça dans sa voix. « Ils ne m’ont jamais… Je croyais… J’étais certain que tu ne voudrais plus jamais me voir. Quand j’ai appris que c’était toi qui devais me superviser j’ai cru… J’ai cru que c’était une erreur, qu’ils avaient juste trouvé un nouveau moyen de me faire souffrir. »
Ils restèrent un instant silencieux, ce silence qui autrefois était complice était désormais empli d’inconfort, mais l’Auror parvint à répondre prudemment. « Ça fait des années, depuis que je travaille au Ministère, que je cherche à implémenter un système, à trouver une solution pour te faire sortir de prison. Mais quand le test a été accepté, quand j’ai reçu l’autorisation de t’accompagner dans ta réintégration, j’avoue que j’ai eu la même crainte… J’avais peur que tu ne souhaites pas me voir.
- Pourquoi ?
- Parce que je n’avais reçu aucune réponse de ta part. Parce que je n’ai pas pu… » Il hésita, chercha ses mots. « Parce que je n’ai pas pu te sauver. Parce que je n’ai pas pu te rendre visite pendant tout ce temps. »
Sebastian fit mine de se rapprocher, Ominis l’entendit au bruit des feuilles sous ses semelles trop grandes, mais il s’immobilisa au bout d’un ou deux pas, à seulement une longueur de bras. « Tu n’as rien fait de mal. Ce qui est arrivé était de ma faute et je devais en payer le prix.
- J’aurais voulu éviter tout ça. Toutes les nuits je rêve de revenir en arrière et de faire en sorte que ce drame n’ait pas lieu. »
Son souffle était haché, sa respiration irrégulière tandis qu’il luttait contre la boule dans sa gorge, et il ôta ses gants pour tendre lentement la main vers l’avant, les doigts ouverts.
Une prière.
Une question muette.
Elle resta sans réponse pendant de longues secondes, un temps infini qui le fit souffrir le martyr.
Puis, enfin, les doigts de Sebastian effleurèrent les siens, glacés, squelettiques. Et leurs mains se lièrent lentement, maladroitement, se retrouvant avec un soupir presque audible qui les fit frissonner tous les deux. Ominis leva son autre main, timidement, et Sebastian se pencha légèrement en avant après une brève hésitation.
Lentement, l’Auror dessina les nouveaux traits de son meilleur ami, effaçant avec un pincement au cœur les pommettes rondes pour les remplacer par des os saillants, ajoutant les cernes à l’image mentale qui l’accompagnait toujours… Avec un soupir tremblant, il effleura ses cheveux, plus courts qu’avant, sans doute coupés maladroitement et précipitamment avant son départ. Il sentit ses lèvres trembler, tout son être s’effondrer quand Sebastian murmura.
« Je pensais que tu m’avais oublié…
- Jamais.
- Pourtant tu en avais le droit.
- Je n’aurais jamais pu t’oublier. Parce que je ne peux pas vivre dans un monde où tu n’existes pas. Et je suis tellement désolé de ne pas avoir pu venir te sauver plus tôt. »
Le temps d’une inspiration, ils restèrent ainsi, immobiles, avant qu’un soupir rauque, tremblant, s’élève.
« Est-ce que… Est-ce que c’est réel ? Est-ce que tu es vraiment là ? »
Une larme roula sur la joue d’Ominis quand il hocha la tête et resserra sa prise sur les doigts de Sebastian pour l’attirer vers lui. « C’est réel. Et je ne te laisserai pas retourner là-bas. Nous allons rentrer chez moi – chez nous – à Londres, et je t’aiderai à reprendre une vie normale. À partir de maintenant, je serai toujours avec toi. Je te le promets. »
Avec des gestes hésitants, lentement pour lui permettre de se reculer s’il le souhaitait, l’Auror passa les bras dans son dos, serrant son amour de toujours contre lui, étouffant un sanglot quand il dut légèrement se pencher là où il devait autrefois se dresser sur la pointe des pieds.
Restant d’abord raide contre lui, véritable ombre squelettique dans ses bras, Sebastian finit par refermer les bras sur lui, lentement, les mains tremblantes… Puis il s’accrocha au tissu du manteau, inspirant l’odeur d’Ominis avec un soupir à la fois brisé et soulagé. Et quand il put enfin enfouir son visage contre lui, quand la chaleur se propagea de son ami à lui, quand son cœur se remit à battre et que la lumière perça les ténèbres, il laissa échapper un sanglot.
« Tu as triché.
- Quoi ?
- C’est quoi cette poussée de croissance ? C’est moi qui aurais dû être le plus grand des deux. »
Un son secoua les épaules d’Ominis, à la fois un rire et un hoquet larmoyant, et ils raffermirent leur prise sur l’autre – quoique légèrement contrôlée pour l’Auror, qui avait presque peur de briser Sebastian dans ses bras tant il était maigre.
« Je te demande pardon, Ominis, hoqueta-t-il, je n’ai jamais voulu te blesser et je n’ai jamais voulu que les choses dégénèrent à ce point.
- Je sais. Et je t’ai déjà pardonné, tu te souviens ? Tout est réglé entre nous, tu ne dois pas t’en faire.
- Mais tu mets ta réputation en danger pour moi alors que je t’ai…
- Ma réputation n’est pas en danger, parce que je te connais et que je sais quand tu es sincère. Je sais que tu regrettes et que tu ne feras plus aucun écart. Et puis, je le fais parce que je le veux. Parce que je t’aime, asséna-t-il après une seconde d’hésitation, et je me moque de ma réputation. Je sais que je fais le bon choix et que tu seras à ta place avec moi. »
Les mains de Sebastian tremblèrent dans son dos. « Je croyais que tu ne voudrais plus jamais de moi. Tu avais le droit de faire ta vie avec quelqu’un d’autre.
- Je sais, et tu as aussi ce droit maintenant. Mais j’ai pris ma décision il y a quinze ans : je voulais t’attendre, voir si nous avions encore une chance. »
Un soupir tremblant caressa sa gorge, une litanie presque inaudible de ‘C’est un rêve, c’est un rêve, c’est un rêve’ qui le brisa un peu plus. « C’est bien réel. Et tu es libre, à présent. Je ferai en sorte que les rapports te rendent définitivement libre de faire des études, de trouver un travail, d’épouser quelqu’un de bien, de fonder une famille et de…
- Je voudrais rester avec toi. »
Sa voix avait pris un accent désespéré, comme une supplique terrifiée. « S’il te plaît, je sais que je te dois tout, mais laisse-moi juste rester avec toi après la période d’essai. Je… Je n’ai jamais cessé de… »
Il se tut et se raidit à nouveau, sur ses gardes, et malgré son envie d’entendre ces mots, malgré le besoin qu’il avait de savoir que ses sentiments étaient aussi intacts, Ominis n’insista pas, préférant passer une main rassurante dans ses cheveux. « Nous aurons tout le temps de parler quand nous serons rentrés. Et je serais heureux que tu acceptes de vivre avec moi. »
L’Auror sentit que ces paroles rassuraient Sebastian, que pouvoir prendre son temps et réfléchir à ses sentiments était devenu un luxe, alors il n’insista pas.
Ils n’auraient pas su dire combien de temps ils restèrent ainsi, enlacés sous les arbres sombres de la forêt dans laquelle ils étaient apparus, mais cela dura tout le temps que leurs pleurs se calment. Alors, et seulement à ce moment, Ominis emmena Sebastian sur un chemin invisible aux yeux du reste du monde.
« Est-ce qu’on est déjà à Londres ?
- Pas encore. Je voulais te montrer quelque chose avant de rentrer. C’est un endroit que tu connais bien et je suis souvent revenu pour en prendre soin en attendant ton retour. »
Avançant d’un pas hésitant, les yeux plissés malgré l’obscurité du lieu, Sebastian lui emboîtait le pas en silence, et Ominis pouvait sentir sa nervosité.
« Quand on sera chez nous, je t’expliquerai comment les choses fonctionneront durant les prochains mois. Mais d’abord, je voulais que tu puisses respirer un peu, reprendre pied petit à petit. Et je crois que cet endroit peut t’aider. »
Ominis avait parcouru ce chemin des milliers de fois, avait préparé son itinéraire avec une précision millimétrée. Sebastian n’avait pour ainsi dire plus vu la lumière du jour depuis quinze ans : il ne pouvait tout simplement pas transplaner directement en plein soleil. Il devait être patient, avancer progressivement, d’où cette marche lente dans les sous-bois obscurs de la forêt qui s’éclaircissaient petit à petit.
Sebastian allait-il reconnaître les lieux ? Allait-il en être heureux ou chagriné ? Ominis savait que c’était un pari risqué, que tous les souvenirs heureux de Sebastian avaient dû lui être arrachés pendant ces quinze années à Azkaban, mais il nourrissait l’espoir fou que, quelque part au fond de lui, cet endroit avait survécu.
Au bout de quelques minutes, quelque chose changea dans l’attitude de Sebastian qui se redressa légèrement, le souffle rendu court par ce maigre effort. « Est-ce que c’est… La forêt interdite ?
- Bingo. »
Plus ils avançaient, plus les bois semblaient s’éclaircir, les branches rayonner du soleil d’automne, et quand ils contournèrent un tronc d’arbre effondré sur le sol, quand leurs mains glissèrent d’instinct sur l’écorce et que Sebastian laissa échapper un hoquet surpris, Ominis sentit ses lèvres se redresser en un sourire.
« Je crois que je me souviens de cet endroit… Il y a un framboisier un peu plus loin, non ? »
L’Auror hocha la tête, la poitrine nouée par l’émotion. « On en ramenait régulièrement au dortoir en revenant de nos expéditions.
- Oui… Oui, je me souviens… Mais on les amenait aussi ailleurs, dans notre… »
Le souffle de Sebastian se coupa dans sa gorge quand Ominis repoussa une dernière branche et qu’ils débouchèrent sur une clairière, un coin de paradis au milieu de la forêt interdite.
Leur jardin secret.
« Oh… Oh, Ominis c’est… »
Ominis avait veillé à l’entretien régulier du banc en bois, des chaises de jardin en métal blanc, de la petite table ronde et des chandelles ensorcelées qui s’illuminaient une fois que la nuit tombait. Il avait même pris soin de déposer un drap et deux oreillers sur le sol à l’endroit où ils faisaient parfois la sieste, le samedi ou le dimanche.
« Je ne sais pas si c’est comme dans tes souvenirs, mais j’ai fait en sorte que rien ne bouge et que…
- C’est exactement pareil, l’interrompit son ami en le dépassant et en lâchant sa main pour s’avancer dans la clairière. »
La voix de Sebastian s’était faite un peu plus assurée, remplie d’un nombre incalculable d’émotions, et Ominis y reconnut un élément qui l’émut presque aux larmes.
Dans sa voix, il y avait du bonheur.
Pour la première fois depuis quinze ans, un sourire étira les lèvres de Sebastian. Un sourire béat et soulagé.
« Je me souviens de cet endroit. C’est le souvenir auquel je me suis accroché, celui de nos pique-nique au soleil, des taches de framboise sur ma chemise et d’un brin d’herbe dans tes cheveux. Je me souviens de nous, allongés sur ce drap, de comment on était blottis l’un contre l’autre. Je me souviens de tout ce qu’on a fait ici. »
Une larme glissa sur son visage.
« C’est le seul souvenir heureux que j’ai gardé… Parce que j’ai refusé de laisser les Détraqueurs le prendre. »
Leurs mains se trouvèrent une nouvelle fois quand Sebastian l’attira dans la lumière et inspira profondément, laissant le soleil caresser son visage, l’englober de sa chaleur après quinze ans. « Mais j’avais oublié à quel point même le souvenir du bonheur est incomparable à la réalité.
- Alors nous allons créer de nouveaux souvenirs, ensemble. Je veillerai sur ton bonheur. »
Sebastian embrassa tendrement ses doigts, comme s’il n’osait en faire plus. « Je ne te décevrai pas, je te le promets.
- Tu ne pourrais pas me décevoir. J’ai confiance en toi.
- Ominis.
- Hm ?
- Dis-moi encore que ce n’est pas un rêve. »
Ominis effleura sa joue, l’encadra de sa paume. « C’est bien réel.
- Alors j’ai le droit de te le dire ?
- De dire quoi ? »
Le temps d’une seconde, la baguette de l’Auror sembla modifier l’image mentale de l’ombre qui était sortie d’Azkaban, la remplaça par un visage toujours amaigri mais soudain rayonnant, comme un souvenir de celui qu’il était auparavant.
« De te dire que je n’ai jamais cessé de t’aimer. »
Pour une respiration, ils furent projetés presque vingt ans en arrière, au jour où Sebastian lui avait déclaré sa flamme et où Ominis lui avait offert son cœur en retour.
Les yeux brillants d’émotion, l’Auror se pencha en avant et posa son front contre celui de son meilleur ami. « J’ai tant prié pour que tes sentiments ne changent pas non plus. »
Un soupir interrogatif effleura ses lèvres et il inclina simplement la tête, faisant se rencontrer leurs âmes en un baiser tant attendu qu’il semblait être l’eau bénie d’une oasis dans le désert.
Ils s’enlacèrent à nouveau, avec un soulagement radieux qui les accompagna quand ils s’allongèrent sur le drap pour simplement profiter du soleil. Et quand, presque instantanément vaincu par l’épuisement, Sebastian s’assoupit contre lui, serrant fermement son manteau dans ses poings fermés, Ominis savoura enfin la disparition de ce poids qui ne l’avait pas quitté en quinze ans.
Tout était arrangé.
Ils étaient ensemble.
Enfin.