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PERCY
Vous vous dites peut-être « Mais Percy ! Tu as déjà vaincu deux monstres mythiques, combattu deux armées tout aussi terrifiantes les unes que les autres et décimé tes ennemies au prix de ta santé mentale…Tu ne peux pas continuer à faire des cauchemars, à présent, si ? »
Eh bien… Figurez-vous que je me pose la même question. Entre deux révisions intenses de mathématiques, il m’arrive de m’endormir profondément sur ma table. Maman dit que c’est parce que je ne me suis toujours pas remis des deux guerres passées. Moi, je pense surtout que les épuisantes maths sont mon némésis, le pire adversaire que j’aie eu à affronter jusqu’à maintenant…Surtout quand leur maîtresse maléfique n’est personne d’autre que ma merveilleuse copine. Et justement, je rêve très souvent d’elle. Beaucoup trop souvent…
Depuis la fin de la guerre, mes rêves ne sont plus pollués par des apparitions terrifiantes de monstres qui souhaitent me décapiter juste devant la fosse du tartare (ahah, j’y ai déjà été). Ils sont noyés dans des peurs que je n’ai toujours pas réussi à abandonner.
Cette fois-ci, plongé dans un nouveau cauchemar, je la vois devant moi. Elle est perdue, les jambes chancelantes, elle me cherche. Ses yeux aveugles pensent me voir, pourtant, je ne suis pas à ses côtés. Elle appelle mon nom, et mon cœur se déchire. Je veux lui crier que je suis là, la prendre dans mes bras, mais mes pieds sont fixés au sol. Les larmes me montent aux yeux et au prix d’un effort exorbitant, je hurle son nom. Annabeth se tourne vers moi, surprise de m’entendre à ses côtés. Elle avance, titubant, vers moi, s’agrippe à mes bras. Je veux la prendre contre moi, sentir ses cheveux contre mon visage, mais je n’arrive toujours pas à bouger. Si seulement je pouvais sortir mon épée pour vaincre cette chose qui nous éloigne l’un de l’autre.
-Tu m’as abandonnée, dit-elle, la voix brisée.
Non…Je ne t’abandonnerai jamais. Mais les mots se coincent dans ma gorge. Quelque part, une voix émane du Tartare pour me rappeler que la vie d’un demi-dieu ne connait jamais de repos, peu importe toutes les guerres qu’il traverse, le pire reste toujours à venir. Annabeth s’effondre, son corps s’effrite, je hurle pour la garder auprès de moi, vivante et bien-portante, mais le décor s’essouffle. Il fait soudainement noir.
Je me redresse subitement, pantelant, prêt à me saisir de Turbulence pour pourfendre la Voix, mais je ne trouve rien dans mes poches. En fait, je n’ai pas de poches, seulement un t-shirt et un short ample. A ma grande surprise, je suis dans mon lit, et je commence à me demander laquelle de ces visions est réelle…Celle de mon lit bien douillet à New York, ou celle des ténèbres m’engloutissant dans le Tartare.
-Percy, tout va bien ? s’exclame maman en ouvrant la porte de ma chambre.
-Annabeth, je souffle entre mes lèvres.
Maman ne me laisse pas le temps de me lever, s’assied sur mon lit pour me caresser les cheveux.
-Elle va bien, m’informe-t-elle d’une voix douce. Elle est chez son père. Il n’y a plus aucun danger.
Aucun danger…J’aimerais y croire. Mais mes membres tremblent. Les rêves peuvent signifier un grand danger. Et peut-être mes parents sont ils en danger en ce moment même. Je sens ma poitrine se gonfler. Je dois les défendre. Mais la fatigue me submerge à nouveau.
-Percy, mon chou, tout va bien, chuchote maman. C’était juste un rêve, un très mauvais rêve.
J’avais tant entendu cette phrase quand j’étais petit. A présent, bien que grandi par toutes ces aventures, on continue de me rassurer comme un petit enfant. Mais je ne suis pas d’humeur à remettre en question ma maturité. Le visage déçu et terrorisé d’Annabeth ne quitte pas mes pensées. Sans m’en rendre compte, je me laisse aller contre ma maman, l’enlaçant très fortement. La première personne pour laquelle j’ai tout sacrifié…C’était elle. Sally Jackson. Puis, ça a été mon meilleur ami, Grover. Et enfin, j’ai tout donné pour sauver Annabeth de l’affreux titan Atlas. On peut dire que le poids du monde m’est tombé dessus lors de cette quête ! J’ai l’impression d’avoir tant de souvenirs et anecdotes vécues durant mon adolescence que ma mémoire pourrait rivaliser avec celle d’un immortel ayant vécu des millénaires. L’esprit plus apaisé, je choisis de faire confiance à celle qui m’a mis au monde. Annabeth est en sécurité. Je peux me rendormir.
*
ANNABETH
Le vent me caresse le visage. L’herbe touche délicatement ma peau marquée par les batailles, et les fleurs à l’odeur enivrante m’entourent, comme pour m’envelopper dans une douce étreinte. Allongée dans ce champ printanier, je contemple le ciel bleu dénué de nuages, dénué d’oiseaux, dénué de vie. Cette dernière remarque me sort de ma torpeur. Je me redresse, mes longs cheveux blonds tombent en cascade sur mes épaules.
Le poids de cette vie est beaucoup trop lourd pour toi. Tu ferais mieux de rester allongée ici pour toujours.
Je châsse cette pensée horripilante de ma tête pour regarder autour de moi, et découvre avec stupeur mon petit-ami. Il est, lui aussi, allongé dans l’herbe, le regard perdu vers le ciel. Mais la scène n’est pas aussi paisible que je l’aurais souhaité. Sous son corps, une flaque de sang s’élargit de seconde en seconde, noyant la terre tout autour sous les effluves écarlates. La blessure ne peut provenir que d’un seul endroit…
Son talon d’Achille. Mon cœur se serre. Jamais je n’aurais permis ça. Une douleur fantôme au bras me rappelle la fois où je me suis interposée entre sa mort imminente et le demi-dieu vengeur, en plein milieu d’une bataille ravageuse. Alors, comment cela se peut-il ? Tremblante, je m’approche de lui, pose ma main sur sa tête.
-Percy…Tu es blessé…
Il sourit lorsqu’il entend ma voix, soulagé de me savoir à ses côtés. Je retiens un sanglot. Pourquoi est-il blessé ? Qui a pu l’atteindre ? Des mots prononcés il y a de cela des années me reviennent à l’esprit. Je suis son point d’ancrage mortel. S’il a pu être touché, c’est que j’ai failli à mon rôle. Je n’ai pas été là pour lui, quand il avait le plus besoin de ma présence. Je ne peux plus retenir les larmes qui coulent abondamment de mes joues, glissent jusqu’à son visage. Il ne semble pas s’en accommoder.
-C’est de ma faute. Je t’ai abandonné.
Tant de fois… Quand il s’est fait exploser avec le Mont Saint-Hélen, quand la jalousie prenait le dessus chaque fois qu’une jolie fille lui faisait de l’œil (et il y en avait un tas !), quand Héra me l’a dérobé sous mon nez, quand il s’est arrogé de toutes ces malédictions pour me protéger dans le Tartare… Tant de fois où je n’ai pas pu être là pour lui, trop aveuglée par mon orgueil.
-Ce n’est pas de ta faute, murmure-t-il difficilement. Tu n’y es pour rien.
Mon souffle se coupe, mes sanglots incontrôlables, alors que je l’entends me répéter que tout va bien. Son défaut fatal…La loyauté. Alors même que son âme le quitte, il persiste à me rassurer.
-Je ne te laisserai pas partir, je lui explique en prenant sa tête contre mes genoux. Je ne te laisserai pas.
La lueur solaire semble s’agrandir, comme pour nous engloutir de sa chaleur, nous emporter dans le royaume d’Hadès, là où tout a été précipité. Les yeux fermés, je garde Percy fermement contre moi, tandis que la supernova nous prend.
Lorsque je me réveille, mon rêve ne semble pas en être un. Mon cœur bat à tout rompre, et un liquide salé humidifie mes joues. J’ai dû m’agiter, ou crier dans mon sommeil, car ma porte est entrouverte. Mon demi-frère, Bob ou Matthew, me regarde d’un air inquiet.
-Je peux entrer ?
Je hoche la tête, trop sonnée pour réfléchir. Au début, il reste debout, penaud et farfouille dans mon bureau, gêné.
-Tout va bien ? demande-t-il enfin.
Je ne sais pas quoi répondre. Ils ont tant grandi depuis la dernière que je les ai vus, son frère jumeau et lui. Il faut dire qu’une éternité s’est écoulée depuis la dernière fois qu’elle les a vus, avant la guerre contre Gaia. Peut-être a-t-il eu le temps de se renseigner sur toute la mythologie grecque et en apprendre plus sur la nature de mon existence. Il doit avoir l’âge que j’avais lorsque j’ai rencontré Percy pour la première fois. Ma poitrine se serre à cette pensée. Comme je ne réponds toujours pas, mon frère se rapproche, soucieux.
-C’est encore un de ces rêves ? Ceux avec les…les araignées, que tu faisais avant ?
Il tripote dans ses doigts une vieille maquette d’un automate que j’ai réalisé l’été dernier, quand je m’ennuyais. Il se souvient donc de mes nuits mouvementées, celles qui m’ont fait quitter le domicile familial lorsque la pression devenait insupportable. Gênée, je secoue la tête. Il fait « oh » de la bouche, comme s’il ne sait comment rebondir, comme s’il ne peut imaginer quel rêve plus horrible que celui impliquant des araignées a pu me réveiller. Au fait, il ne me connait pas vraiment. Nous n’avons jamais vraiment pu passer du temps ensembles. Quand je suis là, ben…ils sont là. Et ils font leur truc de jumeaux.
-Non, j’ai rêvé de…de mon copain, Percy.
Son regard s’illumine, comme s’il semble se souvenir de ce garçon qu’il avait rencontré trois ans auparavant. Il s’abstient de commentaire, se pose contre le rebord de mon lit, le plus loin de moi. Il joue toujours avec mon automate. Je ne tremble plus autant qu’avant.
-Maman nous disait de nous méfier de toi, reconnait-il. Que tu attirais toutes sortes de créatures bizarres, même quand tu ne le faisais pas exprès. Moi, je trouvais ça fascinant. Tu t’es déjà battu contre ces monstres ?
-Oh, pleins de fois.
-C’est trop bien…Enfin, je veux dire, ça doit être quelque chose ! se rattrape-t-il (Puis il me montre le jouet). C’est quoi ?
Il me montre l’automate. Je lui explique leur conception, rôle, existence. Il est très intéressé. Des fois, mes frères me font penser à des enfants d’Héphaïstos. Entre leur père fanatique de l’armée, appareils volants et machines de guerre, et leur sœur stratège et architecte, ils ont l’entourage parfait pour devenir concepteurs de robots avec Léo. L’idée m’a faite sourire.
-Si tu as besoin de quoi que ce soit, s’écrie enfin mon frère, n’hésite pas à me demander. Ma porte est juste à côté.
Et il s’évade de ma chambre. L’échange n’a duré que quelques minutes, mais je me sens allégé d’un certain poids.
*
La machine à laver tournait à une vitesse folle. Percy s’était souvent demandé comment les vêtements parvenaient à en sortir en bon état, alors qu’ils subissaient une centrifugeuse à haute pression haute température à chaque cycle ! Remarque, lui aussi était passé par là avant de finir chez Calypso. Une sacrée affaire.
-Percy, fit Annabeth en apparaissant à l’entrée de la salle de bain. Tu viens manger ?
Souriant, il s’est levé, jetant un dernier regard à la machine à laver où étaient lavés les habits d’Annabeth, ainsi que ses propres chaussures, tâchées de sang de la harpie sanguinolente du Intermarché. Il suivit la jeune fille dans le couloir. A un moment, leurs doigts se sont entremêlés
Paul et sa maman n’étaient pas à l’appartement, ce qui leur laissait le logement pour eux seuls toute la journée… Arrivés à la cuisine, Annabeth se dirigea vers leurs plats : des burgers fumants, des frites et de la salade aux tomates cerises. Son ventre grogna. Il ne s’était pas rendu compte de son niveau de faim, mais à présent, il pourrait engloutir la cuisine entière. D’un geste vif, Percy attira à lui la carafe d’eau. Mais son esprit ne s’était toujours remis de son combat de la matinée, l’eau s’explosa au sol. Annabeth, éclaboussée, eut un rire.
-Cervelle d’Algues, tu as encore beaucoup d’entraînement à avoir avant d’espérer prétendre être un humain normal.
-J’avais presque réussi ! se défendit-il. Tu m’as déconcentrée avec ton charmant regard.
Son commentaire fit mouche. La fille d’Athéna rougit jusqu’aux oreilles avant de lui lancer un torchon.
-Nettoie moi ça, roi des Océans.
Il choisit de la laisser gagner pour ce round, mais il n’avait pas dit son dernier mot. Ils mangèrent ensuite silencieusement, se jetant de temps à autre des regards en biais. Il leur arrivait souvent de faire ça. Juste…Profiter du temps ensembles, dans le calme. Car, même s’ils avaient conjointement décidé d’abandonner les quêtes pour se concentrer sur leurs études, tant qu’ils n’étaient pas dans la sécurité de l’enceinte de la Nouvelle-Rome, ils subissaient de régulières attaques de monstres, attirés par leurs odeurs respectives. Alors, tant qu’ils pouvaient s’asseoir ensemble et manger en silence, sans être menacés par des géants du Tartare ou une attaque imminente d’une armée de titans, ils le feraient.
-Comment c’était ? demanda Percy. Chez ton père.
Annabeth s’interrompit, une frite à mi-chemin entre son plat et ses lèvres. L’air songeur, elle avala sa frite avant de répondre, indifférente :
-C’était bien. J’ai parlé à un de mes frères, Matt je crois, ajouta-t-elle en buvant un peu d’eau.
Subitement, Percy se tendit, le regard sévère. Il avait connaissance des traitements de faveur auxquels avaient droit ses jumeaux, tandis qu’elle n’était bonne qu’à être enfermée dans le placard à balais à cause de ses pouvoirs semi-divins. Mais le visage calme de la blonde l’apaisa.
-Il a été plutôt cool avec moi, expliqua-t-elle. Je crois qu’il comprend maintenant.
C’était étrange à dire, mais ils étaient tous les deux partis de loin. Elle avait fui de ville en ville, toujours en cavale, mais lui aussi avait fui d’école en école, toujours en cavale (à sa façon). Ils en avaient tellement bavé, mais il l’espérait, et il s’en assurerait, jamais un demi-dieu ou un quelconque dieu en vêtements d’ado ne viendrait perturber cette paix qu’il luttait pour conserver. Avec un sourire, il lui prit la main et finirent leur repas, éclairés par la lueur du soleil du début d’après-midi.