Work Text:
Victoria passe la première semaine à faire une carte du pays des fées, même si la brume et les paysages ambulants rendent la tâche difficile. Puis elle catalogue les plantes et les animaux, et récupère de multiples échantillons chimiques qu'elle testera le jour où elle trouvera l'équivalent local d'une souris.
Ou sur elle-même, probablement, en petites doses, si elle devient impatiente.
Pendant la même période, elle pose des questions sur l'histoire et la géographie du Pays des Fées à tous ceux qui voudront bien l'écouter. Cette démarche est une déception.
"Ce que je voudrais savoir," déclame-t-elle à la Reine des Fées, "c'est s'ils perdent la mémoire parce que votre esprit s'effrite, ou si c'est parce qu'ils perdent la mémoire que vous ne vous sentez pas très bien."
La Reine laisse échapper un furieux nuage de spores. Victoria essaie d'en récupérer un échantillon dans un noeud de bambou.
"Je serai honnête avec vous." La Reine des Fées incline la tête, présente son oreille. "Votre Majesté, je n'ai pas l'intention de laisser ce pays mourir alors que je viens d'y arriver. Sauf votre respect, les champignons sont de petites choses increvables qui durent plusieurs éternités. Il y a certainement une solution."
"Je te laisse chercher," dit la voix profonde de la Reine des Fées, comme un défi. Comme si elle disait, au moins maintenant, si je meurs je t'aurai prouvé que tu as tort.
Victoria décide de créer une école pour tester sa théorie. Ou plutôt, elle invite tout le monde en leur faisant croire que c'est un spectacle.
(C'est un piège.)
Il n'y a pas d'enfants cette fois ; Victoria s'est plus ou moins juré de ne plus kidnapper d'enfants, sauf en cas d'extrême nécessité ; de plus, ils sont peu nombreux, au pays des fées.
Elle a quelques questions invasives à leur poser, et y a-t-il une meilleure méthode pour cela que de les menacer de mort s'ils ne trouvent pas la bonne réponse, le tout dans un petit labyrinthe ?
En réalité, elle ne tue personne, elle n'est pas une barbare. C'est juste quelques emprisonnements et quelques menaces pour mettre de l'ambiance. Les créatures-champignons se contentent de regarder sans rien dire, ce qui veut dire que ses actions sont acceptées, à priori ? Ou qu'il y aura une réprimande, mais plus tard ?
Finalement, elle finit par trouver un couple - un elfe et une humaine - qui semblent connaître le fonctionnement de leur propre monde beaucoup mieux que les autres. C'est prometteur ! Victoria a beaucoup de respect pour eux.
Voilà pourquoi elle leur permet même de ramper dans les tunnels pour rejoindre les autres prisonniers, de leur souffler les réponses qui leur permettront de sortir d'ici en pleine santé.
Pas de répondre à leur place, cependant ; c'est pour cela que c'est une école.
Elle ne servira probablement qu'une fois, à moins que les habitants aient encore plus de problèmes de mémoire que prévu, mais c'était constructif.
"Mon peuple à peur de toi," dit la Reine des Fées.
Victoria ne peut pas vraiment leur en vouloir. Elle se console en disant que cela ne serait pas une question si elle les avait vraiment tués.
Et puis, le Pays des Fées se porte bien. Victoria a catalogué de nouvelles espèces récemment, et elle est presque sûre qu'elles n'étaient pas là avant. C'est difficile de vivre dans un pays où on ne peut pas lire les notes des autres scientifiques. Bien sûr, pour compenser, elle a l'exclusivité.
"Moi, je n'ai pas peur de toi," dit la Reine des Fées, la voix grave comme une tombe. "Parce que je suis puissante. Parce que tu m'appartiens, et tu me sers. Tout ce que tu fais est pour moi."
Victoria frissonne, essaie de se rappeler sur quoi portait la conversation avant que son esprit divague. Ah oui, c'est vrai. Elle se demande, cependant, pourquoi la Reine éprouve un tel besoin de le préciser.
Ce n'est peut-être pas tout à fait vrai.
"Certainement, Votre Majesté," dit Victoria. Elle veut la rassurer. Même si elle était capable de faire le moindre mal à la Reine des Fées sans détruire le pays tout entier (il faudrait qu'elle y réfléchisse), elle n'est pas une barbare colonialiste. Elle n'envisageait de prendre le contrôle du pays que quand elle pensait qu'il était inhabité.
Si elle change tellement le pays qu'elle change la reine, si elle change tellement la reine qu'elle change le pays, ce sera en grande partie pour sauver tout le monde ! Et le reste sera purement par accident.
Elle ne tient pas à ennuyer la Reine avec ces détails, ceci dit.
Quand elle sort de la grotte qui sert de palais, elle a l'impression que les champignons qui, avant, y pourrissaient, ont plutôt l'air de complètement se dessécher.
Ils ne sont pas, objectivement, en meilleure santé. Mais l'odeur est bien plus supportable qu'avant, et Victoria se demande si on ne pourrait pas en faire du papier. La première histoire rédigée du Pays des Fées, rêve-t-elle.
Et si cela a des complications inattendues, c'est encore plus intéressant.