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Divorce

Summary:

Auguste veut faire épouser sa fille à Tibère, mais celui-ci résiste. Lorsqu'il se retrouve dos au mur, il prend une décision radicale.

Work Text:

“Je ne comprends pas,” dit Tibère, la voix tremblante.

“C’est simple, pourtant! Tu vas divorcer pour épouser Julia,” Auguste lui répondit avec irritation.

Aussi loin qu’il s’en souvienne, il avait toujours été celui que l’empereur aimait le moins. Auguste avait toujours été ennuyé et impatient avec lui, lui préférant Drusus comme sa mère. Il n’était pas à la hauteur de ses attentes. Tibère s’en était accommodé. Il n’avait jamais été d’un caractère agréable et extraverti comme son frère. Il pouvait compter sur les doigts d’une main les personnes qui l’aimaient sincèrement, mais celles-là il les chérissait de tout son être. Vipsania en faisait partie. Elle l’aimait pour qui il était, tout comme leur petit garçon et Drusus. Il avait pris soin de son frère à la minute où il était venu au monde, et l’avait adoré comme le reste de sa famille. Drusus le lui avait bien rendu. Même lorsqu’il l’avait surpassé en tout, il était resté attaché à Tibère, le défendant contre sa mère et Auguste. Il avait même convaincu ce dernier de le laisser épouser Vipsania…jusqu’à ce que sa mère ruine tout.

“Mais j’aime Vipsania!” il s’écria. “Nous avons un enfant! Elle est même enceinte!”

“Et alors?” lui rétorqua Auguste avec un regard aussi glacé que les plaines de Germanie en hiver. “Ta mère a bien divorcé de ton père alors qu’elle était enceinte de Drusus!”

Tibère ravala sa réplique. Son beau-père n’aimait pas qu’on lui rappelle les rumeurs concernant la véritable paternité de Drusus, mais il était persuadé que son beau-père pensait être son géniteur. C’était pour ça qu’il aimait tant son petit frère.

“Pourquoi vouloir absolument me marier à Julia? Elle a déjà beaucoup d’enfants!”

“Ne discute pas ma décision!” tonna l’empereur. “Tu feras ce que je te dis! Tu l’épouseras dès que ton divorce sera effectif!”

Tibère rentra chez lui ce soir-là le cœur lourd. Son petit Drusus courut à toute allure pour se jeter dans ses bras.

“Papaaa!” il s’écria joyeusement.

Il fit tournoyer son fils dans ses bras, le couvrant de baisers. Il avait cru savoir ce qu’était l’amour avant la naissance de son petit Drusus chéri, mais il avait eu tort. L’amour, le vrai, le divin que peu de mortels connaissaient, l’avait foudroyé à la seconde où il avait posé les yeux sur ce tout petit nourrisson hurlant à pleins poumons, sorti à peine une minute plus tôt du ventre de sa mère.

“Papa! Tu dois dire à maman qu’elle doit me donner une petite sœur!” lui dit son fils.

Tibère rit, le portant jusque dans les appartements de sa mère qui était occupée à tisser.

“Bonsoir, mon amour,” elle le salua avec un tendre baiser.

“Notre fils aimerait une petite sœur,” il lui dit avec un grand sourire, caressant le ventre à peine arrondi de sa femme.

Sa grossesse commençait tout juste à se voir. Son astrologue lui avait prédit un fils fort et en bonne santé.

“Mon chéri, cela ne peut être décidé que par les dieux,” elle dit à Drusus, amusée. “Aller, il faut que tu ailles au lit! Tu as veillé trop tard.”

“Mais je veux rester avec papa!” leur fils protesta, s’accrochant au cou de son père.

“Allez, Drusus. Je vais te raconter une histoire, d’accord?” Tibère lui dit, attendri. “Demain on fera du cheval ensemble.”

“Ouiii!”

Vipsania ne put s’empêcher de rire. Il coucha son fils, lui racontant les aventures embellies de son frère sur le champ de bataille. Drusus s’endormit rapidement, serrant son Drusus de chiffon qu’Antonia, sa tante, avait cousu pour lui lorsqu’elle avait appris que Tibère racontait les exploits de son mari. Il regarda dormir son petit garçon pendant un moment, comme il le faisait souvent. Il pouvait passer des heures à l’observer assoupi.

Il voulait que Drusus grandisse dans une famille aimante et normale, qu’il goûte à ce que Tibère n’avait jamais connu. Il s’était juré lorsque son fils était né qu’il ne serait jamais comme son père ou Auguste. Il s’était promis de tout faire pour lui donner une enfance dorée, mais il avait oublié qu’il n’était pas maître de son destin. Sa mère était celle qui tirait les ficelles. Elle voulait faire de lui sa marionnette dans sa quête effrénée de pouvoir, et Auguste ne faisait rien pour l’arrêter. Ses pensées noires revinrent en force lorsqu’il rejoignit Vipsania.

“Quelque chose ne va pas?” lui demanda-t-elle, lui prenant la main.

Sa douce Vipsania… La seule femme qu’il avait jamais aimée. Elle lui était totalement dévouée, qu’importe l’humeur ou les épisodes de mélancolie de Tibère. Se séparer d’elle était comme lui demander d’arrêter de respirer.

“Tout va bien, mon amour,” il lui répondit avec un sourire, l’attirant à lui sur la banquette et posant un baiser sur sa main. “Les tracas habituels des affaires de l’Etat. As-tu toujours des nausées?”

Vipsania secoua la tête. Elle prit sa main et la posa sur son ventre alors qu’elle se blottissait contre lui.

“Ça fait quelques jours que j’ai pu manger normalement.”

“Je suis content. Je sais que toutes ces nausées continuelles avaient été dures pour toi lorsque tu étais enceinte de Drusus.”

“Le plus dur était surtout d’être loin de toi,” lui dit-elle avec tendresse.

Tibère l’embrassa. Ils passèrent la soirée au calme. Il lui lit sa pièce préférée pendant qu’elle travaillait à son métier à tisser. Lorsqu’ils allèrent se coucher, Tibère se sentit plus serein. Le lendemain, il décida d’aller voir son frère Drusus.

“Il veut te faire épouser Julia?!” son frère s’exclama, incrédule.

“Je ne sais pas quoi faire,” Tibère murmura, désemparé. “Apparemment Mère insiste depuis la mort d’Agrippa pour qu’elle et moi nous marions au plus vite.”

“Elle est vraiment décidée à te faire empereur, alors…”

“Mais je ne veux pas être empereur! Le pouvoir ne m’intéresse pas, tu le sais!”

“Si Mère a convaincu Auguste, il n’y a rien qu’on puisse faire,” Drusus lui dit avec un air désolé.

Tibère prit sa tête entre ses mains, désespéré.

“Il faut que tu lui parles, Drusus, je t’en prie! Je ne peux pas épouser Julia! J’aime Vipsania! On va avoir un autre bébé!”

Son frère soupira.

“J’essaierai de lui en toucher un mot, mais ne t’attends pas à grand-chose. Je suis sincèrement désolé, Tibère.”

Il rentra chez lui complètement démoralisé. Comment allait-il l’annoncer à Vipsania? Comment pouvait-il lui dire qu’il allait vivre avec une autre femme et la laisser élever leurs enfants?

“Tibère?” sa chère femme s’alarma lorsqu’elle le vit.

“Tout va bien, ma douce,” il lui répondit, tentant de se ressaisir.

Il ne pouvait pas le lui dire. Il ne pouvait pas…

“Tu sais que je n’aime pas m’occuper des affaires du principat,” il lui donna comme explication. “Où est Drusus?”

“Il est avec son précepteur.”

Il hocha la tête. Il fit son possible pour ne rien laisser paraître de son désarroi. Il passa l’après-midi avec son fils, lui apprenant l’équitation. Il était encore craintif des chevaux, mais Tibère pouvait déjà dire qu’il serait un excellent cavalier. Ils prirent une collation avec Vipsania alors que le soleil se couchait. Il les regarda rire, et son cœur se serra. Bientôt, leur bonheur ne serait plus qu’un souvenir. Ce soir-là, le sommeil ne lui vint pas. L’angoisse le tenait. Comment pouvait-il annoncer à sa femme que leur famille allait être déchirée pour satisfaire l’ambition de Livie? Alors que l’aube se levait, il prit une décision radicale: s’il ne pouvait pas convaincre Auguste, alors il se soustrairait à sa volonté.

Il s’habilla et alla au Palatin le voir.

“Je suis occupé, Tibère,” son beau-père lui lança, acerbe, lorsqu’il fut admis dans son bureau.

“Je dois te parler.”

“Comme je l’ai dit à Drusus, je ne reviendrai pas sur ma décision.”

Tibère prit une grande inspiration, tentant de calmer son cœur affolé.

“Je n’épouserai pas Julia, Auguste.”

“Oh mais tu l’épouseras, mon cher. De gré…ou de force,” il lui répondit, menaçant.

Cela renforça la détermination de Tibère.

Je ne l’épouserai pas. Tu peux me menacer autant que tu le voudras, je m’en fiche.”

“J’en ai assez!” Auguste cria, furieux. “Je ne te demande pas ton avis! Tu signeras cette foutue demande de divorce ou je ferai exiler Vipsania!”

“Tu ne peux pas–”

“Dehors! Dehors avant que je ne la fasse exécuter!”

Tibère sortit, le cœur au bord des lèvres. Tout était perdu. Non! Il ne pouvait pas abandonner Vipsania! Mais il connaissait Auguste. Plus il refuserait, plus l’empereur s’énerverait. Et quand il était en colère, il faisait des choses que tout le monde regrettait. Il n’y avait qu’une issue possible: il devait mourir. C’était la seule solution.

Lorsqu’il rentra chez lui, il prétexta avoir déjà mangé et n’avala rien de plus que de l’eau.

*

Tibère faisait traîner les choses. Rien ne lui tapait plus sur les nerfs que ses enfantillages. Croyait-il que cela faisait plaisir à Auguste de le séparer de sa femme? Il savait bien qu’il était heureux avec la petite Vipsania, mais il était son meilleur général. Sa popularité avec les légions assurerait une succession stable à Gaius, son petit-fils, si quelque chose devait lui arriver avant que le garçon n’atteigne l’âge adulte. Le principat passait avant tout. Il s’étonnait que Tibère se rebelle ainsi, lui qui avait toujours été si docile. Il devait vraiment tenir à Vipsania. Auguste ne pouvait pas s’empêcher de se sentir coupable. Tibère était rayonnant depuis son mariage et la naissance de son fils, lui qui était si taciturne et renfermé d’habitude. L’empereur savait qu’il n’avait pas été le père dont lui et Drusus avaient eu besoin après la mort de Néron. Il avait d’abord fait de son mieux pour s’entendre avec eux, puis il avait fini par sincèrement s’attacher à eux. Livie s’entendait mieux avec Drusus, qui avait hérité de sa force de caractère. Tibère était plus doux. C’était quelqu’un de modeste et discret, mais fidèle aux gens qu’il aimait. C’était pour ça qu’Auguste le préférait à Drusus.

“Tibère a décidé de faire une grève de la faim,” Livie lui annonça avec irritation lorsqu’il la rejoignit.

“Quoi?! Depuis quand?”

“Deux semaines. Il est allé se terrer hors de Rome pour ne pas que Vipsania le sache.”

“Il n’a pas mangé depuis deux semaines? Et tu le laisses faire?!” Auguste s’alarma.

“Il n’en mourra pas, va,” elle lui dit avec dédain. “Il n’en a pas le courage. Il est aussi lâche que son père.”

“N’en sois pas si sûre, Livie. Nous l’avons acculé. On aurait dû attendre que Vipsania accouche.”

“Et ça aurait changé quoi? Laisse-le piquer sa crise. J’ai informé sa femme, elle le convaincra de divorcer. Il finira par s’y faire.”

Auguste eut un mauvais pressentiment. Le lendemain, il demanda à Drusus d’aller voir son frère, mais aussi de soutenir Vipsania. Le jeune homme ne fit aucun commentaire, mais l’empereur voyait bien les reproches dans ses yeux. Il ne pouvait pas le blâmer. Auguste était responsable. Il fut soulagé d’apprendre plus tard que Drusus avait réussi à faire avaler un peu de nourriture à Tibère. Livie avait peut-être raison. Il allait finir par se résigner. Il essayait juste de montrer son mécontentement. Auguste n’insista donc pas pour accélérer les choses malgré les plaintes de Livie, et Tibère finit par s’alimenter à nouveau. L’empereur était soulagé. Considérant que la chose avait assez attendu, il lui envoya la demande de divorce et précisa dans son message qu’il s’attendait à la retrouver signée sur son bureau le lendemain.

Cette nuit-là, il rêva de Tibère.

Auguste était dans la cour intérieure de son ancienne maison, et Tibère se tenait devant lui. Il était tout ensanglanté, son bras horriblement tordu, des hématomes couvrant son corps.

“Assassin!” il le pointa du doigt.

“Non! Ce n’est pas moi! Je te le jure, Tibère!”

“Assassin! Tu m’a tué!”

Auguste tentait désespérément de lui dire que ce n’était pas de sa faute, qu’il n’avait pas voulu ça, mais les mains glacées de Tibère se refermaient autour de sa gorge et l’étranglaient.

Il fut réveillé en sursaut, le cœur battant alors que l’aube n’était pas encore levée.

“Maître, Vipsania est ici. Elle a quelque chose de grave à t’annoncer,” l’esclave qui l’avait réveillé lui dit.

Auguste s’habilla à la hâte avant de rejoindre la jeune femme dans son bureau. Celle-ci sanglotait.

“Que se passe-t-il?” il demanda, craignant de savoir déjà la réponse.

“C’est Tibère! Il s’est défenestré!”

Auguste se sentit faiblir. Il s’accrocha à son bureau, blême et sans voix.

“Il…Il s’est…?”

“Grâce aux dieux, il a survécu, mais j’ai peur qu’il recommence,” Vipsania sanglota.

Elle se jeta soudainement à ses pieds, s’accrochant à sa tunique.

“Sauve-le, je t’en supplie! Reporte le divorce, je t’en conjure! Je ferai tout ce que tu voudras! Je saurai le convaincre! Je te le promets! Mais tu dois le sauver! Drusus ne peut être orphelin si jeune… Je ne peux pas vivre sans Tibère. Je t’en prie Auguste, au nom de l’amitié que tu portais à mon père, laisse-nous quelques mois!”

L’empereur eut le cœur brisé. Ravalant ses larmes, il la releva, la forçant debout alors qu’elle luttait pour rester prostrée.

“Allons, Vipsania,” lui dit-il, “ne reste pas par terre! Ne te mets pas dans un état pareil, pense au bébé! Bien sûr que je ne laisserai pas Tibère comme ça. Allez, ne pleure plus maintenant.”

Il accompagna Vipsania jusqu’à la villa, la confiant à sa servante en lui intimant de faire en sorte qu’elle se repose. Il fut surpris de voir Drusus faire les cent pas devant la chambre de son frère.

“Je ne pensais pas que tu serais là aussi vite,” lui dit-il.

Le jeune homme le regarda.

Tout ça, c’est de ta faute , son regard semblait dire.

“C’est mon frère, Auguste,” il lui répondit avec brusquerie.

“Qu’est-ce qu’il s’est passé?”

“Il a sauté par la fenêtre de sa chambre. Heureusement un de ses esclaves entrait juste à ce moment-là et a tenté de le retenir. Je pense que ça a freiné sa chute. Il a l’os du bras fissuré et beaucoup d’hématomes selon le médecin, mais heureusement pas de plaie à la tête. Avec un peu de chance il ne s’est pas cogné trop fort en tombant.”

Auguste poussa un grand soupir de soulagement.

“Je vais aller le voir.”

“Il s’est endormi. Il vaut mieux que tu rentres.”

“Je ne le réveillerai pas,” il insista.

“Auguste–”

“J’ai besoin de le voir, tu m’entends?!” il éclata.

Drusus garda le silence. L’empereur prit une grande inspiration, luttant pour regagner le contrôle de ses émotions.

“Je veux juste m’assurer qu’il va bien, après je m’en irai,” il dit doucement.

Le jeune homme soupira, défait. Auguste poussa lentement la porte. La pièce était jetée dans la pénombre, illuminée uniquement par la faible flamme d’une petite lampe à huile sur la table de chevet. Il vint silencieusement s’asseoir sur le siège arrangé près du lit. Il ne pouvait imaginer combien de temps Vipsania avait passé assise à sa place à supplier son mari de vivre. Tibère dormait en chien de fusil, lui faisant face, le petit Drusus contre lui. Auguste sentit les larmes lui monter à nouveau alors qu’il observait le petit garçon sucer son pouce et serrer un général romain de chiffon, blotti contre son père. Par Mars, il avait tant grandi depuis la dernière fois qu’il l’avait vu. Son beau-fils ne venait que rarement avec Drusus au Palatin, et Auguste comme Livie ne l’avaient vu qu’une demi-douzaine de fois depuis sa naissance. Tibère avait un bras autour de son fils, comme si on allait le lui enlever d’une minute à l’autre. Son autre bras avait une attelle. Même dans la pénombre, Auguste pouvait voir les bleus sur le visage de son beau-fils. Ils dormaient paisiblement, comme si Tibère n’avait pas tenté de mourir plus tôt dans la soirée. C’était la faute d’Auguste. Il l’avait poussé au suicide. Il était en train de détruire sa vie.

Soudainement il réalisa que le petit garçon le fixait silencieusement. Paniqué et emprunté, Auguste ne sut que faire. Lorsqu’il vit Drusus tenter de se lever, il s’approcha de lui avec empressement.

“Shhhh,” il lui fit doucement. “Tout va bien, mon cœur. Je suis ton grand-père Auguste, tu te souviens de moi? Je suis le père de Tibère et de ton oncle Drusus. Il fait nuit maintenant, tu dois dormir. D’accord?”

Miraculeusement, l’enfant n’émit pas un son et ferma les yeux sans broncher. Auguste se glissa hors de la chambre en espérant qu’il se rendormirait vite.

“Je préviendrai ta mère,” il dit à Drusus avant de partir. “J’aimerais que Vipsania et toi ne dites pas à Tibère que je suis venu. Tu devrais aller dormir.”

Le jeune homme se contenta d’hocher la tête, mais l’empereur n’était pas dupe. Il savait que tant que Tibère ne serait pas hors de danger, son frère ne connaîtrait pas le repos. Auguste trouva sa femme déjà levée lorsqu’il revint au Palatin, et dut lui annoncer la nouvelle. L’heure qu’il passa fut plus que désagréable. Exténué, l’empereur dut néanmoins se résoudre à aller au Sénat. Alix se glissa vers lui alors qu’il allait à sa litière après la séance.

“Tout va bien?” il lui demanda, inquiet.

“On ne peut mieux,” il lui répondit avec brusquerie.

Auguste n’avait vraiment pas envie de parler. Le regard inquiet de son ami le fit se sentir coupable, néanmoins, et lorsque sa sieste ne lui permit pas de trouver le sommeil dont il avait tant besoin, il fit venir Alix au Palatin.

“Que se passe-t-il?”

“C’est Tibère,” il murmura, “il a tenté de se suicider.”

“Quoi?!”

“Je…J’ai…C’est à cause de moi, Alix.”

Son ami vint s’asseoir à côté de lui, entourant ses épaules de son bras et lui prenant la main. Auguste fondit dans son étreinte. Il remerciait les dieux de lui avoir donné un ami et un amant aussi affectueux qu’Alix.

“Mais non, Auguste,” il le rassura.

“Si, c’est ma faute. Je lui ai ordonné de divorcer pour épouser ma fille.”

“Mais pourquoi as-tu fait cela? Tibère est fou amoureux de Vipsania!”

“Je sais, Alix, je sais… Mais Livie m’a convaincu. Et puis, j’ai besoin que le meilleur général que j’ai protège mes successeurs. Tibère suivra bien moins facilement sa mère si je le marie à Julia.”

Son ami désapprouvait, bien sûr. Il avait le don de savoir dire ce qu’il pensait avec juste un regard.

“Il n’a pas voulu se séparer de Vipsania, n’est-ce pas?”

L’empereur secoua la tête, coupable.

“Et maintenant il préfère mourir plutôt que de m’obéir… Je ne comprends pas. Sûrement il sait que je ne fais pas ça pour le rendre malheureux, n’est-ce pas? Il… Il ne pense tout de même pas que je conspire contre lui?”

On frappa à la porte. Alix se sépara de lui avant qu’Auguste ne fasse entrer l’esclave.

“J’ai un rapport à te faire, maître.”

“Si c’est à propos de Tibère, tu peux parler sans crainte devant le sénateur Gracchus.”

“Les espions surveillent la villa du seigneur Tibère comme tu l’as demandé. Maîtresse Livie est venue le voir durant la matinée, mais elle s’est disputée avec lui. Il a ensuite envoyé un de ses esclaves de confiance voir une certaine Marcia dans l’après-midi.”

“Qui est cette femme?”

“On raconte que c’est une empoisonneuse venue d’Orient.”

“Quoi?!” Auguste s’exclama, sautant sur ses pieds avec panique. “Lui a-t-il acheté quelque chose?”

“Nous ne savons pas, maître.”

“Et tu viens seulement me voir maintenant! Je te jure que tu me le payeras s’il advient quelque chose à Tibère!”

“Allons, Auguste! Calme-toi,” Alix lui dit avec douceur.

“Alix, tu dois aller le voir. Il va tenter à nouveau de se suicider, c’est sûr!”

“Je pense que tu saurais le convaincre mieux que moi,” il lui répondit avec précaution. “Tu as toujours été plus proche de Tibère que de Drusus. Rends-lui visite.”

“Je ne pense pas qu’il acceptera de me voir…”

“Ça ne coûte rien d’essayer. J’irai voir Tibère aussi si ça peut te rassurer.”

“Je te remercie, Alix,” il lui répondit sincèrement.

Le sénateur lui donna un sourire rassurant et affectueux. Il fut un temps où Auguste s’était demandé si Alix était totalement sincère dans leur amitié, et il se sentit coupable de l’avoir douté. Une fois son ami parti, il ne perdit pas de temps et alla immédiatement voir Tibère. Il trouva Vipsania fatiguée et pâle.

“Comment va-t-il?”

“Il mange bien et le médecin pense qu’il n’a pas de blessure sérieuse à la tête,” lui dit-elle avec un sourire plein d’espoir.

“Tu devrais te reposer. Tout ce stress n’est pas bon pour toi et le bébé.”

Elle secoua doucement la tête.

“Ne t’inquiète pas, Auguste. Tant que Tibère va bien, je vais bien.”

Auguste sentit son cœur se serrer douloureusement. Ils s’aimaient tellement l’un l’autre… Il eut la soudaine conviction que la jeune femme le suivrait aux Enfers s’il venait à mourir.

“J’aimerais le voir.”

“Je ne suis pas sûre que–”

“Je veux juste m’assurer qu’il va bien, c’est tout. Je ne resterai pas longtemps.”

Vipsania finit par céder, et le guida jusqu’aux appartements de Tibère. Celui-ci se renferma comme une huître à la seconde où il le vit.

“Ta femme m’a dit que tes blessures étaient en voie de guérison,” Auguste lui dit en guise de salut.

Tibère regarda obstinément ses mains.

“Mère t’envoie, je suppose. Énerve-toi et répand-toi en reproches. Je sais que tu en meurs d’envie, depuis le temps.”

L’empereur s’assit sur le siège près du lit. Son beau-fils était bleu de partout.

“Je m’inquiétais pour toi, Tibère.”

“Je t’en prie, Auguste,” il lui répondit avec un sourire amer, “épargne-moi tes platitudes, ça nous fera gagner du temps. Tu veux que je signe ta maudite demande de divorce mais je ne le ferai pas. Maintenant dis-moi à quel point je suis un raté et une déception pour toi et Mère et laisse-moi tranquille.”

L’empereur allait lui répondre lorsque le petit Drusus entra en trombe, une fiole à la main.

“Papa! Papa! J’ai fait une potion magique pour toi!” il s’exclama alors qu’il courait monter sur le lit. “Ça va te guérir! Tu ne seras plus malade!”

Auguste vit Tibère s’ouvrir comme une fleur au premier rayon de soleil. Il était tout simplement radieux alors qu’il embrassait son fils.

“Bonjour Drusus,” Auguste lui sourit. “Je suis ton grand-père, tu te souviens de moi?”

“T’es pas mon grand-père! Grand-père est mort quand j’étais tout petit!” il lui répondit avec la candeur de la jeunesse.

“Drusus, dis bonjour à l’empereur comme il faut s’il te plaît,” Tibère lui fit, sévère, ayant observé la surprise sur le visage d’Auguste.

“Je te salue, ô Auguste,” Drusus lui dit d’une petite voix, sentant bien qu’il avait commis un faux pas.

L’empereur ne put dire un mot l’espace d’un instant, assailli par la douleur.

“Il ne m’a pas offensé, Tibère,” il finit par dire d’une voix douce. “Il ne m’a pas vu souvent, c’est normal qu’il ne me voit pas comme son grand-père.”

Au fond de lui, Auguste savait que si le petit garçon ne le voyait pas ainsi, c’était parce que son père ne le voyait pas comme ça. Cela le meurtrit profondément, mais il n’en montra rien.

“Allez! Il faut que tu boives la potion!” Drusus insista.

“Si c’est les ordres du docteur…” Tibère sourit, ses yeux remplis d’amour pour son fils.

Il but la fiole d’une traite sans même demander ce qu’il y avait dedans.

“Voilà! Maintenant tu es guéri, papa!” Drusus annonça avec un grand sourire.

Tibère rit, et lui retourna un sourire positivement solaire.

“Il t’appelle encore papa?” Auguste demanda, attendri par la scène.

“Il est encore petit,” son beau-fils répondit sur la défensive.

“C’est vrai. Et il a encore besoin de son père.”

Tibère se figea, blêmissant. Auguste savait qu’il allait lui donner un coup ignoble, mais il était désespéré. Il ne pouvait pas le laisser mourir. Il ne se le pardonnerait jamais.

“J’avais son âge quand la maladie a emporté le mien, tu sais,” il continua. “Ça m’a meurtri plus que je ne saurais le dire. Un petit garçon ne devrait pas avoir à porter les cendres de son propre père, Tibère.”

“Laisse mon fils tranquille,” son beau-fils murmura, blanc comme un linge.

“Papa? Tu te sens mal?” Drusus lui demanda, inquiet.

“Auguste, je te jure devant les dieux que si tu–”

“Je pense qu’il est temps que Drusus reçoive une éducation digne de ce nom,” l’empereur le coupa, faussement serein. “Le précepteur de Gaius et Lucius est le meilleur d’Italie. Je ne doute pas que Drusus serait heureux d’avoir des compagnons de jeu de son âge.”

Tibère passa un bras protecteur autour de son fils. On eut dit une lionne protégeant son petit d’un chasseur.

“Jamais je ne lui ferai vivre ce que j’ai vécu, tu m’entends?” son beau-fils murmura avec une rage contenue qui glaça Auguste. “Drusus ne sera pas ta marionnette, ni celle de Mère. Tu ne me le prendras pas. Je ne le permettrai pas . Est-ce que tu me comprends?”

“Par tous les dieux de Rome,” l’empereur répondit, horrifié, “ ton propre fils? T’ais-je si mal traité que cela, Tibère?”

Son beau-fils lui donna un rictus amer, une larme solitaire roulant sur sa joue.

“Je remercie les dieux chaque jour de m’avoir donné un frère,” il lui dit d’une voix étranglée, “parce que je ne crois pas que j’aurais connu l’amour sinon.”

Le petit garçon se mit à sangloter entre eux. Tibère le serra contre lui, rassurant, alors qu’il jetait un regard positivement haineux à Auguste.

“Pars,” il lui cracha, Drusus pleurant contre lui.

L’empereur s’enfuit presque.

“Retrouve-moi cette maudite Marcia sur-le-champ,” il ordonna à Quintus alors qu’il quittait la villa sur des jambes tremblantes.

*

“S’il te plaît, laisse-moi le voir,” Tibère pouvait entendre Alix dire derrière la porte.

“Non, c’est non! Ça s’est déjà mal passé avec Auguste, je ne veux pas–”

“C’est bon, Vipsania,” il appella, “il peut entrer.”

Elle ouvrit la porte, le regard inquiet.

“Tu es sûr?”

“Oui, ne t’en fais pas ma douce. Pars te reposer. Le sénateur et moi allons discuter un moment.”

Sa chère Vipsania lança un regard lourd d’avertissement à Alix avant de partir, laissant les deux hommes seuls avec Drusus faisant la sieste sur lui.

“Je sais bien que tu ne dois pas avoir très envie de me voir après ce qu’il s’est passé aujourd’hui,” Alix chuchota.

Tibère caressait les cheveux de son petit garçon qui serrait contre lui son Drusus de chiffon. Cette poupée ne le quittait jamais pour dormir.

“C’est de ma faute,” il dit doucement. “J’ai réagi au quart de tour avec Auguste parce que j’étais sur les nerfs après la visite de Mère. Elle m’a tellement mis la pression.”

“Je sais, il m’a raconté comment ça s’était passé.”

“Je n’étais pas sérieux, tu sais,” Tibère lui dit avec sincérité, “quand je lui ai dit que…que je…que je ferais du mal à Drusus s’il tentait de me le prendre. J’ai parlé sous le coup de la colère. Je ne pourrais jamais…”

“Auguste le sait mieux que personne que tu adores ton fils,” Alix le rassura. “Et il sait aussi que le manque de sommeil et l’émotion lui ont fait dire des choses qu’il ne pensait pas non plus. Il t’aime, tu sais.”

“Je sais,” il murmura, regardant son fils.

Il se sentait coupable. Il avait bien vu qu’Auguste était inquiet pour lui, mais la colère l’avait aveuglé.

“Il sait que tu es amoureux de Vipsania. Crois-moi quand je te dis qu’il ne fait pas ça par plaisir. Il fait ça pour Rome.”

“Je ne peux pas, Alix,” il murmura, les larmes lui montant. “Je l’aime trop. C’est au-dessus de mes forces.”

Le sénateur lui donna un regard rempli de sympathie et de tristesse. Tibère avait grandi dans l’ombre bienveillante d’Alix, qui s’était toujours montré affectueux avec lui et son frère. Quelques fois, il avait souhaité l’avoir comme père.

“Je sais, Tibère. Je suis désolé,” lui dit-il. “Je peux t’assurer que je fais mon possible pour convaincre Auguste de renoncer.”

“Merci, Alix, mais ne risque pas ton amitié avec lui pour moi. Je m’en voudrais si je t’entraînais dans ma chute.”

“De quelle chute parles-tu? Auguste t’aime toujours autant. De tous ses enfants, tu es celui pour lequel il a toujours eu le plus d’affection.”

Tibère le fixa, étonné. Lui? Le préféré d’Auguste? C’était complètement absurde.

“Arrête de te moquer de moi, Alix!”

Le sénateur eut un regard indéchiffrable.

“Je t’assure que c’est vrai. Il s’entend mieux avec toi qu’avec Drusus.”

“C’est faux. Toi et moi savons bien qu’il pense que c’est son fils. Comment pourrais-je rivaliser?”

“Il n’a jamais cru ces rumeurs, Tibère. Je suis étonné que tu penses comme ça. Je sais qu’Auguste a du mal à montrer son affection, mais…”

Le petit Drusus s’éveilla dans l’étreinte de son père, frottant ses yeux et regardant le sénateur avec intérêt.

“Alix!” il s’exclama joyeusement.

Il rit avec bonheur alors que le petit garçon se précipitait dans ses bras. Il lui ébouriffa les cheveux avec tendresse.

“Tu as bien dormi?” il lui demanda, amusé.

“Oui! Tu sais, j’ai fait une potion magique pour papa aujourd’hui!”

“Vraiment? Ça explique pourquoi Tibère semble beaucoup mieux!”

Tibère ne put s’empêcher de sourire, son cœur rempli de tendresse pour son petit garçon.

“Dis, pourquoi est-ce que Livie est méchante avec papa? Elle a crié sur lui, elle est pas gentille.”

Tibère sentit son cœur se briser. Drusus tentait tellement de le protéger depuis qu’il était alité. Il savait que le petit garçon sentait qu’il n’allait pas bien, que quelque chose de grave s’était passé. C’était pour ça qu’il ne le quittait plus, allant même jusqu’à avoir ses leçons avec son précepteur dans la chambre de Tibère.

“C’est compliqué, Drusus,” Alix lui expliqua doucement.

“Je suis grand, tu sais!” son fils lui dit fièrement. “Tu peux me dire!”

“Il faut que tu sois encore plus grand pour que tu comprennes tout,” le sénateur lui répondit, attendri.

“Tout le monde est à cran ces derniers temps, mon cœur. Livie ne voulait pas crier sur moi,” Tibère intervint.

Il vit le regard qu’Alix lui donna. Il savait qu’il était surpris de voir qu’il ne parlait pas de Mère comme la grand-mère de Drusus. Il voulait protéger son fils de l’influence envahissante de sa mère et de ses cabales. Il n’avait jamais pu lui résister, mais il espérait que son fils le pourrait.

“L’empereur aussi était méchant avec papa aujourd’hui,” Drusus dit à Alix. “Est-ce que c’est parce qu’il est triste?”

“Que veux-tu dire?” lui demanda le sénateur.

“Il est venu quand papa s’est fait très mal mais on dormait! Il était très triste. Il m’a dit qu’il était mon grand-père, mais c’est pas vrai!”

“Auguste est venu?” Tibère demanda, le cœur battant. “Tu es sûr que c’était ce soir-là?”

Son petit garçon hocha la tête.

“Il était très triste. Tu crois que c’est pour ça qu’il était méchant aujourd’hui?”

Alix et Tibère se regardèrent, stupéfaits.

“Je ne savais pas qu’il était venu… Vipsania ne m’a rien dit.”

“Moi non plus…” Alix souffla.

“Je n’irai pas avec lui,” Drusus dit, déterminé, retournant dans les bras de son père. “Je veux rester avec papa et maman!”

“Personne ne te séparera de nous, mon chéri,” Tibère le rassura. “Ne t’inquiète pas.”

Après un moment passé à discuter, Alix partit avec la promesse de parler à Auguste. Vipsania vint immédiatement le voir, inquiète. Il se sentait si coupable de la jeter dans une telle tempête. Il ne la méritait pas.

“Tout va bien?”

“Oui, ne t’inquiète pas ma douce. Alix est notre ami, il nous aidera,” il la rassura.

Elle lui prit la main avec un sourire plein d’espoir.

“Viens manger avec moi, mon chéri. Drusus doit avoir faim, aussi.”

Il n’eut pas le cœur de refuser encore une fois. Elle essayait continuellement de le faire manger et lever du lit, et jusque-là Tibère avait été déterminé à mourir. Il ne pouvait plus lui faire du mal ainsi, cependant. Il ne pouvait pas sacrifier la femme qu’il aimait, il ne se le pardonnerait pas.

“D’accord,” il lui dit.

Sa femme s’illumina avec bonheur. Elle l’aida à se lever. Drusus vint l’aider aussi, et son cœur se gonfla d’amour et de tendresse pour eux. Il se sentait si mal de les avoir mêler à tout ça. Il avait tant espéré mourir loin d’eux pour les éloigner de tout ceci. Ils mangèrent ensemble dans le triclinium, Vipsania le servant comme si elle était sa servante personnelle. Il dut l’attirer à lui pour la garder assise. Drusus prit le relais immédiatement. Il le couvrit de baisers, incapable de garder plus longtemps pour lui l’affection qu’il avait pour son petit garçon. Drusus rit joyeusement, retournant ses baisers. Ils mangèrent ainsi tous ensemble, et pour un moment l’âme de Tibère était apaisée.

“Maître, le seigneur Drusus est là,” un esclave lui annonça alors que Vipsania l’aidait à faire le tour de la cour intérieure.

“Tonton Drusus!” son fils s’exclama, se jetant dans les bras de son oncle.

“Salut, toi!” Drusus lui répondit avec espièglerie.

Il le porta et s’approcha de Tibère. Son regard était plein d’inquiétude, et à nouveau il se sentit coupable de faire tant de mal aux gens qu’il aimait.

“Tu vas mieux?” son frère lui demandit. “Il paraît que Mère et Auguste sont venus?”

“Oui… Ça s’est mal passé. Alix est passé après et m’a dit que l’empereur regrettait notre dispute.”

“Tu parles! S’il était désolé il ne te demanderait pas de divorcer!” Drusus répliqua avec ressentiment.

Tibère lui jeta un regard lourd de sens, indiquant son fils. La dernière chose qu’il voulait, c’était que son petit garçon soit au courant et commence à s’inquiéter.

“Ça veut dire quoi, divorcer?” il demanda, curieux.

“C’est rien, mon cœur,” son oncle lui répondit avec un sourire. “Je disais des bêtises.”

Son frère passa une partie de la soirée avec eux, promettant d’envoyer Alix le lendemain. Drusus insista à nouveau pour dormir avec Tibère, et comme toujours il n’eut pas la force de lui dire non.

“Pourquoi Auguste il veut que tu divorces?” il lui demanda alors que Tibère le bordait.

Son sang se glaça.

“Qui t’a raconté ça?” il lui demanda.

“Est-ce que c’est parce que je veux rester avec toi et maman qu’il veut que tu divorces?” et Tibère ne put supporter de voir l’inquiétude et la culpabilité qui habitait le regard de son petit garçon adoré.

Il le serra dans ses bras malgré la douleur et l’attelle, sa vue brouillée par les larmes.

“Rien de tout de ça n’est de ta faute, Drusus, tu m’entends? Ce n’est pas de ta faute. Tu n’as rien fait de mal, mon chéri,” il lui assura d’une voix tremblante.

Il lui fit oublier du mieux qu’il put ses inquiétudes avec l’histoire des exploits de son frère jusqu’à ce que son fils s’endorme. Tibère se sentit profondément troublé. Était-il en train de faire croire à Drusus que tout était de sa faute? Il ne supportait pas cette pensée. Il avait fait le serment qu’il ne serait pas comme Auguste ou son père. Il ne pouvait pas faire vivre à son fils l’enfance sans amour et sans attention qu’il avait eu. Peut-être… Peut-être qu’il devrait renoncer, finalement.

*

Auguste venait de terminer sa toilette matinale lorsqu’un esclave vint le voir.

“Le sénateur Gracchus est là, maître. Il dit que c’est urgent. Il est accompagné de Drusus, le fils du seigneur Tibère.”

L’inquiétude le saisit immédiatement. Pourquoi son ami venait-il si tôt, et accompagné de l’enfant? Quelque chose était-il arrivé à Tibère? Il pensait qu’arrêter l’empoisonneuse qu’il s’était trouvé lui donnerait un peu plus de temps pour trouver une issue à son dilemme.

“Amène-les dans mon bureau personnel. J’arrive tout de suite.”

Il les rejoignit avec la boule au ventre. Drusus était vêtu d’une tunique sombre et d’une cape du même ton comme s’il allait à un enterretement.

“Je te salue, ô Auguste,” il lui dit poliment, tout sérieux.

Son ton était à mille lieues de la joie de vivre qu’il respirait habituellement. L’empereur s’agenouilla, lui ébouriffant les cheveux tendrement.

“Bonjour Drusus,” il lui dit avec affection. “Pourquoi es-tu venu avec Alix? Où sont tes parents?”

“Maman et papa sont à la maison, seigneur” il lui répondit comme s’il était un sénateur s’adressant à lui durant une session au Sénat. “Je suis désolé de te déranger si tôt, mais il faut que je te parle.”

Il lança un regard interrogateur à Alix, mais celui-ci haussa les épaules.

“Je t’écoute, mon cœur. C’est à propos de ton père, n’est-ce pas?”

Drusus hocha gravement la tête avant de se mettre à genoux à la surprise d’Auguste et de son ami.

“Ô grand Auguste, s’il te plaît ne fais pas divorcer papa et maman,” il plaida. “Je viendrai vivre avec toi. Je serai très sage, je te le promets! Je ferai tous les jours mes devoirs et je rangerai mes jouets. Mais s’il te plaît, arrête d’être méchant avec papa. Tu le rends très triste, et maman aussi. Je resterai avec toi pour toujours, promis juré.”

Auguste le fixa, sans voix et le cœur brisé. Les larmes lui montèrent alors qu’il observait le regard suppliant du petit garçon qui semblait si sincèrement convaincu que c’était sa faute. Il jeta un regard à Alix, se demandant s’il avait manigancé tout cela, mais il semblait aussi sincèrement choqué que lui.

“Drusus, enfin, ce n’est pas de ta faute!” son ami lui dit avec douceur, ému.

“Je serai vraiment très sage, je te le jure,” l’enfant insista.

L’empereur lui caressa le visage d’une main tremblante, des larmes lui échappant.

“Mon chéri, tes parents mourraient de chagrin si je te prenais avec moi,” il lui répondit d’une voix étranglée, luttant pour ne pas éclater en sanglots. “Tu es très courageux en tout cas de venir me voir, je suis vraiment fier de toi.”

“Papa et maman auront ma petite sœur,” Drusus lui dit, essayant désespérément de faire accepter son marché à l’empereur. “Je serai très gentil avec cousin Gaius et cousin Lucius. Je leur prêterai tous mes jouets, alors arrête de rendre papa triste. Quand il est très triste, il se fait du mal et ça rend maman très triste aussi. S’il te plaît, ne les fais pas divorcer.”

Auguste l’étreigna à lui en briser les os. Par Mars, qu’avait-il fait? Comment avait-il pu pousser un petit garçon à le supplier ainsi? Il vit Alix essuyer des larmes.

“Ne t’inquiète pas, mon chéri,” il lui dit, ému et retenant à peine ses pleurs, “tes parents resteront ensemble, je te le promets. Il n’y aura pas de divorce. Tu n’as besoin de venir vivre avec moi. Il faut que tu restes avec ton père et que tu l’aides à aller mieux, d’accord?”

“C’est vrai? Tu ne vas pas faire divorcer papa?” il lui demanda, la voix débordant d’espoir.

“Je te le jure, Drusus. Tibère ne divorcera pas.”

Le petit garçon lâcha un cri de joie, et se défit d’Auguste pour se jeter avec euphorie dans les bras d’Alix. Cela ne fit que lui briser un peu plus le cœur de voir que son propre petit-fils ne le voyait même pas comme un membre de sa famille.

“Je vais te ramener à la maison, d’accord? Tes parents doivent s’inquiéter.”

Pendant qu’un serviteur distrayait Drusus avec des bonbons, il attira Alix à part pour connaître sa version de l’histoire.

“Tibère m’a envoyé un message me demandant de passer très tôt ce matin,” son ami lui expliqua. “Lorsque je suis arrivé, Aristide, son homme de confiance, m’a amené Drusus et m’a dit qu’il fallait que je l’amène au Palatin te voir. Apparemment c’est Tibère qui le lui avait ordonné.”

Auguste avait du mal à le croire. Il congédia Alix et prit Drusus avec lui pour le ramener chez son beau-fils. Le petit garçon s’endormit en quelques minutes à peine dans sa litière, blotti contre lui et suçant son pouce. Le pauvre enfant devait être exténué. Pris d’une vague de tendresse, il lui caressa doucement les cheveux. Heureusement, les rues étaient pratiquement vides à cette heure, il allait pouvoir se reposer un moment. Maintenant que l’émotion était retombée, l’empereur se demanda qui avait pu concocter une telle combine. Il ne pouvait pas croire que l’idée venait du petit garçon. Était-ce Tibère? Non, il aimait trop son fils et détestait trop les intrigues pour user de lui ainsi. Alix, alors? Il trouvait cela peu probable. Il avait eu l’air sincèrement surpris. Il n’était qu’un intermédiaire innocent dans cette histoire. Livie ne lui semblait pas gagner quoi que ce soit à faire cela, à moins qu’elle n’ait changé d’avis concernant le mariage avec Julia… Mais bien sûr.

Drusus.

Il était bien le fils de sa mère pour penser à un plan pareil. Il avait magistralement usé du point faible d’Auguste. L’empereur n’arrivait pas véritablement à lui en vouloir, cependant. Il savait qu’il avait fait ça pour aider son frère. Drusus et Tibère étaient très protecteurs l’un envers l’autre. Et puis, voir son frère dépérir ainsi avait dû être une véritable torture pour lui.

Il prit le petit garçon dans ses bras lorsqu’ils arrivèrent à la villa, prenant garde à ne pas le réveiller. Lorsqu’il entra, il entendit les voix de Drusus et de Tibère résonner.

“Qu’as-tu fait de mon fils!?” Tibère tonnait.

Auguste ne pouvait imaginer la terreur qu’il avait dû ressentir lorsqu’il s’était éveillé sans son petit garçon chéri à ses côtés.

“Je l’ai envoyé te sauver, voilà ce que j’ai fait!” Drusus répliqua fermement.

Les sanglots de Vipsania pouvaient s’entendre d’ici.

“Baissez d’un ton, vous allez le réveiller,” il leur chuchota lorsqu’il les rejoignit.

Tibère et Vipsania ne semblèrent pas l’entendre. Ils poussèrent une exclamation à l’unisson, se précipitant sur lui pour lui prendre leur fils endormi. Celui-ci commençait à émerger.

“Papa, Auguste a dit qu’il ne te fera pas divorcer,” il dit à son père, encore somnolent.

Tibère fixa l’empereur avec incrédulité.

“Je lui ai donné ma parole que je renonçais à te faire épouser Julia,” il lui confirma. “Et Drusus n’ira nul part.”

“Merci, Auguste. Je ne peux pas te remercier assez!” Tibère lui dit, ému.

“C’est plutôt tes deux Drusus que tu devrais remercier, tu sais,” l’empereur lui répondit avec espièglerie.

Le frère de Tibère le fixa avec défi, prêt à en découdre. Il posa sa main sur son épaule pour agiter le drapeau blanc. Il n’était pas là pour se battre.

“Merci beaucoup, Auguste,” Vipsania lui dit, la gratitude visible dans son regard.

Il les regarda entourer le petit Drusus à moitié endormi, soulagés et joyeux. Auguste était définitivement battu, mais pour une fois il en était soulagé. Il se sentit comme un voyeur à les regarder si heureux, et il se retira en silence. Alix revint le voir au Palatin plus tard dans la journée. Auguste était plus bouleversé qu’il ne l’avait cru de prime abord, et lorsque le sénateur le réconforta le désir se mit à poindre. Ils finirent par se retrouver dans ses appartements privés pour s’y étreindre.

“Livie n’a pas dû être enchantée, je me trompe?” son ami lui dit alors qu’il lui servait du vin.

Auguste s’étira sur le ventre, satisfait. Il sentit le regard d’Alix glissant sur sa peau nue alors qu’il le rejoignait au lit avec sa coupe.

“Tu n’en as aucune idée,” il lui répondit avec un soupir. “Je crois qu’il va falloir que je commence à m’inspirer de Mithridate si je veux survivre les prochains mois.”

“Ne plaisante pas avec ça,” Alix lui dit avec sérieux. “Tu sais que je ne suis pas tranquille quand Livie est furieuse ainsi.”

Auguste planta un baiser sur son épaule avec un sourire.

“Tranquillise-toi, mon ami,” il le rassura. “Je la connais mieux que personne. Elle ne m’aura pas aussi facilement. Et puis me faire mourir ne lui apporterait aucun avantage.”

Il prit une lampée de vin. Alix lui massa le dos avec affection.

“Tu crois qu’il me pardonnera?” Auguste demanda doucement, pensif.

“Qui?”

“Tibère. Je pensais qu’il m’aimait, que nous avions une bonne relation… Comment ai-je fait pour ne pas voir qu’il me détestait?”

“Il ne te déteste pas, Auguste. Il t’aime aussi, tu le sais bien, mais il faut avouer que tu n’as jamais été bon quand il s’agit de parler de tes sentiments.”

“Je n’ai pas été à la hauteur quand son père est mort…”

Il se sentait coupable.

“Ne sois pas aussi dur avec toi-même,” Alix lui dit avec douceur. “Je sais que tu as fait de ton mieux.”

Son ami lui fit oublier avec talent ses inquiétudes et ses regrets pour le reste de l’après-midi.

*

Drusus observa son frère et son neveu assoupis dans la cour intérieure. Le petit garçon était endormi sur le torse de son père, son Drusus de chiffon contre lui. Il se souvenait avec tendresse de Tibère laissant son fils dormir sur lui lorsqu’il était bébé. Il adorait le regarder dormir. Drusus aimait ses enfants plus que tout, mais il n’avait jamais compris cela. Il avait fait des enfants parce que c’était son devoir, mais son frère lui était pour être père. Il avait toujours voulu fonder une famille. Drusus devait tout ce qu’il avait à Tibère. C’était lui qui l’avait élevé. Leur mère et Auguste avaient été trop occupés par la guerre civile pour se soucier d’eux. Tibère avait fait un travail fantastique, et Drusus était devenu un homme accompli grâce à lui même s’il savait qu’il ne le surpasserait jamais. Tibère était le meilleur général de son époque, mais pour une raison qui lui échappait il préférait raconter à son fils les exploits de Drusus comme s’il était un nouvel Alexandre le Grand.

Vipsania le rejoignit. Elle était bien plus sereine et reposée depuis qu’Auguste avait renoncé à les séparer. Drusus ne regrettait rien, même si Tibère lui en avait voulu d’avoir manipulé son fils ainsi.

“Il voulait lui raconter une histoire pour qu’il s’endorme et il a fini par le rejoindre dans les bras de Morphée,” elle chuchota avec un sourire attendri.

Drusus gloussa doucement.

“Le petit lui ressemble de plus en plus, c’est incroyable.”

“Oui, son portrait craché.”

Son ventre s’arrondissait de jour en jour. Drusus espérait que toutes ces émotions fortes n’avaient pas affecté négativement sa grossesse. Il avait hâte d’avoir un nouveau neveu ou une nouvelle nièce.

“J’espère qu’il me pardonnera… Je ne savais plus quoi faire, tu sais.”

“Il t’a déjà pardonné, Drusus,” elle le rassura d’une voix douce. “Tu es son frère adoré. Il sait que tu as fait ça pour le protéger.”

“Merci Vipsania,” il la remercia sincèrement.

Elle lui sourit. Drusus avait à nouveau confiance dans l’avenir. Son frère était une nouvelle fois radieux et heureux, et il remercia les dieux d’avoir réussi à protéger la seule personne qu’il aimait plus que lui-même.

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