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La main dans la sienne se raffermit, pendant que l'épaule sous sa tête se redressa légèrement, presque imperceptiblement.
Link ouvrit légèrement les paupières, ses yeux balayant le profil de son ami, appréciant le jeu de lumière sur sa peau et l'étincelle dans ses yeux. Le soleil couchant le parait toujours des plus belles couleurs et rien de mieux qu'une conversation passionnante pour l'enflammer.
La fatigue de la journée menaçait de lui clore les paupières une bonne fois pour toute, mais il tenait bon. Il aura toute la nuit pour dormir, la soirée avait à peine commencé…
Inconsciemment, il resserra sa prise sur la main dans la sienne, et Jehd se tourna légèrement vers lui, curieux. Un simple sourire d'excuse suffit pour qu'il retourne à son échange.
C'était mignon.
Il avait cette habitude de réagir au moindre de ses soupirs, de s'inquiéter à la seconde où son sourire vacillait, de se mettre en quatre juste pour l'entendre rire. Et malgré lui, Link sentait son cœur vaciller à chaque fois qu'il en était témoin.
C'était une mauvaise idée, mais ce n'est pas comme si c'était possible d'ordonner à son cœur d'aimer et qui aimer. Alors il accueillait chaque marque d'affection de la part de l'érudit, s'inventant des intentions romantiques dès qu'il se retrouvait seul pour que ça fasse moins mal, et tant pis si ça ravivait la flamme à chaque fois. Ce n'était pas le genre de feu qu'il voulait étouffer. S'il devait se brûler à chaque fois qu'il s'y réchauffait, ainsi soit-il.
Lorsque Telma les taquinait en les appelant « les amoureux » ou que Ash faisait semblant de vomir en les apercevant ensemble, commentant ô combien ils avaient l'air niais, il se forçait à rire et sourire pendant qu'intérieurement, son cœur semblait sombrer.
Jehd ne relevait jamais les surnoms ou les potins à leur encontre, passant outre comme si tout cela n'avait aucune importance ni prise sur lui, voguant à travers les bêtises de leurs proches ou d'inconnus comme s'ils n'existaient pas. Il ne lui en reparlait jamais quand ils étaient tous les deux, il ne corrigeait personne, ni dans un sens, ni dans un autre. Il se contentait de vivre sa vie comme si de rien n'était.
Et lui, il ignorait comment il fallait l'interpréter, et plus encore comment lui en parler.
Mais c'était inutile d'y réfléchir à deux fois, Jehd faisait comme si de rien n'était… car il n'y avait rien, tout simplement. Il n'avait aucune raison de reprendre les persifflages en leur encontre car ce serait leur donner corps et qu'il valait mieux que ça.
Quand ses réflexions tournaient ainsi, Link avait tendance à se reculer, à quitter la lumière pour se mettre dans un coin et dorloter son cœur endolori, rejoindre les ombres pour souffler sur ses plaies à vif. Pour pouvoir l'observer de loin, mettant une distance de sécurité entre eux deux afin de continuer de le contempler en réduisant les risques de se blesser.
Telma avait l'air de s'en être rendu compte – mais existait-il quelque chose ou quelqu'un que la demi Gerudo ne remarquait pas ? – et elle lui offrait plus d'une fois une boisson avec ce petit sourire contrit en une maigre tentative de réconfort. Au moins respectait-elle son besoin de silence dans ces moments où ses pensées s'assombrissaient au point que les larmes bordaient pratiquement ses yeux et qu'il devait se faire violence pour ne pas les laisser couler.
Pourquoi ne rentrait-il pas ? Ou, au pire, pourquoi ne scellerait-il pas Épona afin de les emmener tous les deux à travers le royaume et même au-delà de ses frontières, découvrir de nouveaux paysages, de nouvelles cultures, de nouvelles têtes ? Rien ne le retenait, au fond, ni à la Citadelle, ni à Toal. Il pouvait empaqueter ses affaires en dix minutes, montre en main, et avoir le château dans le dos avant que le soleil ne se couche ! Et même avec la lune comme lumière, il était capable de continuer sa route.
L'obscurité n'avait plus rien d'inquiétant, maintenant.
Mais à peine cette possibilité lui traversait-il l'esprit que son corps réagissait, une violente nausée le traversant ou des frissons le jetaient presque à terre. C'était comme si quelque chose ou quelqu'un lui interdisait la moindre paix, la moindre retraite.
Et puis, quel héros était-il à fuir ses sentiments ?
Un héros lâche, sans le moindre doute. Mais tant que rien n'était mis au clair, il n'était pas obligé de voir la situation en face et pouvait continuer de se complaire dans ce mensonge. Il pouvait continuer de tenir la main de Jehd en prétextant vouloir rester à sa hauteur quand ils marchaient. Il pouvait continuer d'être un peu plus proche de lui quand ils parlaient, sous la fausse excuse d'un tympan faible. Il pouvait le câliner ou déposer sa tête contre son épaule en rendant cela naturel et en mettant ça sur le compte des habitudes de Toal. Il pouvait veiller sur son bien-être, cuisiner ou faire son ménage en prétendant que c'était pour le remercier de ses propres attentions à son encontre.
Les excuses sortaient si naturellement de ses lèvres, sans même qu'il n'ait à y repenser à deux fois ni même à les travailler, et Jehd semblait les accepter à chaque fois, sans sourciller, hochant la tête et retournant à son activité précédente. Rajustant sa prise sur sa main et marchant un peu moins vite. Se tournant vers lui et parlant moins vite en veillant sur son articulation. Répondant à ses affections en ajustant l'angle, du à leur différence de taille. Le remerciant une fois mis devant le fait accompli, l'air troublé, et tentant de lui rendre la pareille.
Ils agissaient tous les deux avec une familiarité surprenante, coulant dans des rôles respectifs qu'ils ignoraient s'être attribués, créant des habitudes confortables qui faisaient battre toujours plus vite et plus douloureusement le cœur meurtri du jeune hylien qui avait toujours plus de mal à se dépêtrer de cette comédie, d'ouvrir les yeux et de se souvenir que, non, Jehd n'était toujours pas aux faits de ses réels sentiments à son encontre, et que toute cette amitié – certes étrange selon la norme – reposait sur des mensonges.
Mais la douleur était toujours mieux que de faire voler aux éclats toute cette comédie et d'avoir à affronter l'éventuel air blessé de Jehd, d'avoir à faire face à tous ses stratagèmes et devoir expliquer leur motivation. Bref, de mettre son cœur à nu et d'en payer les conséquences.
Ce n'est pas si mélodramatique de prétendre qu'un rejet de la part de l'érudit pourrait le tuer. Il y survivrait, bien sûr, mais il se laisserait sans aucun doute à mourir, incapable de passer par-dessus.
Fronçant les sourcils face à toutes ces pensées bien sombres, Link secoua la tête avant de se blottir un peu plus contre le côté de son ami, sa main libre agrippant le bras dont il tenait déjà la main. Le faisait-il pour se rassurer ou pour empêcher Jehd de s'enfuir ? Il n'en savait rien lui-même, mais il n'allait pas le relâcher pour autant.
Tout entier à sa conversation, son ami ne se tourna pas vers lui, cette fois, il tendit juste la main pour tapoter la sienne, peut-être pour le rassurer et peut-être pour lui demander de desserrer légèrement sa prise. Dans le doute, il ouvrit un peu ses doigts mais resta accroché malgré tout.
Pensivement, il joua avec le tissu de sa veste, le parfum de Jehd frôlant ses narines à chaque mouvement de l'un ou l'autre.
Depuis qu'il avait revêtu sa forme de loup, Link avait l'impression de redécouvrir ses sens. Peut-être étaient-ils devenus plus perçants suite à cette expérience, peut-être n'avait-il juste pas conscience jusque-là de leur portée. Toujours est-il qu'il n'avait à faire beaucoup d'effort pour capter les senteurs typiques de l'érudit, et encore moins alors qu'il avait le visage pratiquement fourré dans sa veste. Au moins n'avait-il pas à prendre de profondes inspirations absolument pas discrètes pour en bénéficier !
La conversation finit par prendre fin – du moins il semblerait, Link n'y avait vraiment pas prêté attention – et ils s'écartèrent tous les deux, s'isolant des gens sans que ça ne soit trop évident. Juste eux tournés de trois-quarts dans la direction inverse, observant le ciel nocturne se mettant lentement en place.
Ni l'un ni l'autre n'avait bougé, autrement, Jehd caressant distraitement la main étreignant son biceps, ses doigts pâles et déliés dansant sur la peau abîmée en un ballet sans but.
— Quelle soirée paisible, commenta-t-il.
Son attention était tournée au loin, son regard perdu dans le paysage s'assombrissant au fur et à mesure que les derniers rayons du soleil disparaissaient.
Peu confiant de sa voix, Link émit un assentiment du fond de la gorge, relevant la tête pour le contempler lui et ses traits détendus.
— C'est déjà bientôt l'automne, reprit-il. Que le temps passe vite. Toal célèbre-t-il la moisson ou les récoltes ?
— La moisson, généralement. Mais ça dépend d'à quel point elle est fructueuse. Pourquoi ?
— Que dirais-tu que nous nous y rendions pour l'occasion ?
Pris au dépourvu, Link se figea alors que Jehd plongeait ses yeux dans les siens, l'air aussi sérieux qu'à l'ordinaire.
— Nous rendre… à Toal ? Pour la moisson ?
Mais as-tu la moindre idée de la signification d'une telle visite ? ajouta-t-il intérieurement.
— Eh bien, oui ? À moins que tu n'estimes que ce ne soit trop tôt ?
— Trop tôt pour ? croassa pathétiquement sa voix.
Son cœur battait aussi vite que celui d'un rongeur et il avait bien l'impression que la terre allait s'ouvrir d'une seconde à une autre pour l'engloutir. Ou qu'il allait simplement s'évanouir.
Bon sang, que faisait Ganondorf quand on avait si cruellement besoin de lui pour une diversion ?
Jehd le fixa un instant, fronçant les sourcils, avant de reprendre.
— Eh bien, pour rencontrer tes parents. Techniquement, je connais Moï depuis quelques années, bien sûr, mais je me suis dit que ce n'était pas une raison et qu'il valait mieux faire ça dans les règles.
Cette fois, c'était son souffle qui se raréfiait, des taches noires dansant dans son champ de vision. Il allait vraiment s'évanouir, finalement.
— Jehd, parvint-il à articuler. Est-ce que nous parlons seulement de la même chose ?
Sa mâchoire lui semblait de plomb alors qu'il la mouvait avec difficulté, mais il lui était urgent de l'interroger. Son esprit lui jouait un tour, ce n'était pas possible !
— Eh bien, je ne suis pas aux faits des coutumes de chez toi, bien sûr, mais j'estime qu'après presque six mois de relation, c'est dans l'ordre des choses d'au moins me présenter à eux, tu ne penses pas ? Ou alors, c'est plus ritualisé ? Il y a une manière de faire, une durée particulière à atteindre avant ?
Les réflexions de Jehd devinrent un bruit de fond alors que Link le fixait, les oreilles bourdonnantes et clairement sonné. Mais qu'est-ce qu'il racontait ?
La fête de la moisson, à Toal, avait deux significations. On remerciait Farore pour ses bienfaits et sa bénédiction qui leur permettaient de remplir les greniers et les réserves afin de tenir l'hiver imminent. Mais c'était aussi l'occasion des demandes en mariage et des annonces de grossesses. La terre n'était pas la seule à être fertilisée, loin s'en faut…
Alors, faire venir Jehd à cette date… Ce n'était pas innocent. Ce serait aussi proche d'une demande en mariage qu'il était possible.
Le lâchant, Link se recula, l'observant de la tête aux pieds. Il y avait quelque chose qui clochait, non ?
— Six mois de… relation ? finit-il par relever.
Leur conversation commençait à attirer l'attention mais Link n'en avait cure. En avait-il seulement conscience, au fond ? Pour le moment, il se focalisait uniquement sur Jehd à l'exclusion de tout autre chose. Comme à l'ordinaire, me diriez-vous, mais ce n'était pas le même genre d'intensité, cette fois…
— Eh bien, oui ? Depuis le bal de commémoration où nous avons dansé ensemble. À partir de quand comptes-tu ?
Même si Jehd avait les sourcils froncés, sa voix restait calme et posée. Il attribuait le comportement de Link à une différence culturelle et il était donc inutile de s'énerver. La communication était la clé.
— Mais… compter quoi ? Je croyais que nous n'étions qu'amis…
Cette simple phrase parut être soudainement de trop pour le jeune hylien et il baissa la tête alors que les larmes roulaient enfin, sa gorge serrée sous la tristesse qui le prenait.
— Amis ? Oui, bien sûr, mais comme je le disais, ça fait bientôt six mois que nous sommes passés à l'étape supérieure.
Soucieux, il se pencha vers lui, tentant d'apercevoir son visage. Il finit par l'attraper par le menton, l'invitant à le lever pour qu'ils se fassent face, les traits adoucis mais les yeux aussi tristes que confus.
— Que se passe-t-il, Link ? Parle-moi, je ne comprends rien.
— Nous sommes ensemble ?
— Oui ? Depuis six mois, comme je l'expliquais.
Mais au lieu de s'étendre sur le sujet, Link attrapa sa tête à son tour et écrasa maladroitement leurs lèvres entre elles, les mordant pratiquement.
C'était leur premier baiser. Et c'était vraiment affreux. Les larmes étaient désagréables sur leurs peaux, l'angle était inconfortable et le pouce de Jehd était sur le chemin, écrasé entre leurs mentons.
Rapidement, Link le relâcha et s'éloigna d'un pas, rougissant. Il rougit d'autant plus fort alors que leurs spectateurs infortunés les huèrent et les applaudirent, certains morts de rire.
— Enfin ! s'exclamait-on.
— Félicitations ! rugirent d'autres.
— Je tiens à préciser que nous sommes ensemble depuis pratiquement une demi-année, maugréa Jehd en essuyant ses verres sur un coin de chemise.
— Avec Link se desséchant comme une salade sans eau ? ricana Ash.
Se tournant vers le concerné, l'érudit remit ses lunettes et fronça les sourcils en sa direction.
— J'ai l'impression d'être la cible d'une mauvaise farce. Que dois-je comprendre, Link ?
Mais la réponse vint de Telma qui les accosta d'une tape virulente dans le dos, manquant de jeter Jehd à genoux.
— Je t'avais prévenu, grande tige, que danser avec quelqu'un ne signifiait pas la même chose dans la culture hylienne.
— Comment ça ?!
Agité, il se tourna vers l'aventurier qui se frottait le visage avec gêne.
— Link ! As-tu accepté mon invitation sans- sans savoir ?
— Savoir quoi ?
Riant à gorge déployée, Telma prit le ciel d'encre en témoin.
— Ce n'était pas une simple invitation à danser, pour le peuple Gerudo, c'est l'équivalent de demander la permission afin de courtiser.
Les deux amoureux – maintenant qu'il était officiel qu'ils avaient tous les deux le béguin pour l'autre – piquèrent un fard et évitèrent soigneusement de croiser le regard de qui que ce soit, eux inclus.
— Mais alors, si nous étions ensemble, à tes yeux Jehd, pourquoi ne m'as-tu jamais embrassé ? Ou… plus ?
— Parce que je pensais que tu voulais y aller lentement et que je n'avais pas l'intention de te brusquer, déclara-t-il en enfouissant son visage dans ses mains.
Ils étaient mortifiés, autant de la situation ridicule que d'être le centre d'attention d'autant de gens pour une situation pareille.
Consciente de ça, Telma les gratifia d'une dernière tape dans le dos avant d'ordonner à tout le monde de les laisser tranquille et de fusiller du regard quelques sans-gêne, les isolant efficacement.
Encore bien rouge, Link observa Jehd par en-dessous avant de le rejoindre maladroitement, tendant le bras pour écarter une main de son visage brûlant. Il entremêla leurs doigts gauchement et sourit à l'œil turquin qui se darda timidement sur lui.
— Eh bien, je ne m'attendais pas à ça, mais est-ce que tu accepterais de sortir avec moi ?
Il embrassa les doigts repliés, les tenant de ses deux mains.
— Oui, de tout cœur ! s'empressa de répondre l'archiviste.
Il attrapa leurs mains emmêlées de celle restante, se rapprochant de lui et se redressant.
— Te présenter au village à l'occasion de la fête de la moisson sera un honneur, ajouta Link.
Il se percha sur la pointe des pieds tandis que Jehd se pencha, permettant à leurs lèvres de se rencontrer de manière plus idéale.
— Et je ne suis pas contre que tu me brusques un peu, souffla-t-il finalement contre son oreille.
Le fard qui les recouvrait était toujours aussi virulent alors qu'ils se reculaient pour se faire face, mais la raison était différente, cette fois, l'étincelle illuminant le bleu de leurs iris n'ayant rien de sage.