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Feu et glace

Chapter 2: Partie deux

Notes:

Si vous remarquez un changement dans le style d'écriture de ce chapitre, c'est parfaitement normal : il y a trois années qui séparent le début et la fin du texte...
Bonne lecture !

(See the end of the chapter for more notes.)

Chapter Text

Loki se préparait pour rejoindre Thor et ses amis qui devaient sûrement l’attendre. Il vérifia une nouvelle fois le contenu de son sac en cuir. Des pierres de guérison en quantité, un petit jeu de runes que lui avait offert sa mère avec d’autres symboles utiles gravés dans de petites pierres polies, ainsi que deux dagues jumelles. En levant les yeux, il croisa son reflet à travers l’ouverture de la salle d’eau. Ses cheveux tressés sur les côtés de son visage étaient fortement serrés pour empêcher les mèches de venir lui obstruer la vue. Il sentait son crâne le tirer, mais cette sensation lui permettait de rester ancré dans la réalité. Loki se concentra sur l’image que lui renvoyait le miroir. Son habit en cuir épais lui conférerait une protection efficace, tout en lui permettant de se déplacer presque aussi aisément qu’il en a l’habitude. Il ne pouvait pas se laisser vagabonder dans son esprit. Le jeune prince savait qu’il devait rester attentif durant leur voyage et ne pas se laisser distraire par une pensée intrusive. Thor se plaignait souvent qu’il réfléchissait trop. Mais Loki devait réfléchir pour deux, et pour les prochains jours, il aura à le faire pour six. Peut-être seulement cinq, Hogun n’était pas aussi impulsif que les autres, mais tout de même, Loki ne considérait aucun des amis de Thor comme particulièrement intelligents. Il vêtit la bandoulière de sa petite besace et rejoignit rapidement les autres.

Les départs d’asgardiens au combat étaient habituellement fêtés en fastueuses cérémonies dans le Hall d’Asgard. Pourtant, cette fois-ci, les adieux se passèrent sobrement, en comité extrêmement réduit dans la salle du trône du palais de Valaskjalf. Seuls le Père et la Mère de Tout étaient là, pour souhaiter bonne chance à leurs fils. Frigga parlait avec Thor, les mains sur ses épaules et un sourire rassurant aux lèvres. Odin s’était d’abord approché de Loki. Il le sentait tendu, mais le prince aurait été incapable d’en donner la raison, ou même d’être certain que son sentiment était vrai. Son père commença à lui parler de stratégie guerrière, comme il avait commencé à l'enseigner à ses fils quelques années auparavant. Odin n’avait pas accordé plus de temps pour ces leçons personnelles et le roi pensa qu’il serait bon de les reprendre à leur retour. Loki écoutait attentivement les paroles de son père et certaines en particulier le marquèrent : L’ardeur d’un combat peut priver quiconque de son aplomb… Loki fronça les sourcils, touché par ces mots. Un léger poids commençait à grossir sur son cœur. Lui faisait-il comprendre qu’il n’accordait pas la même confiance à lui qu’à Thor ? Pourquoi lui dire cela maintenant ? Frigga entourera chaleureusement les épaules de son fils de ses bras. Odin s’éloignait d’eux et rejoignait son fils aîné. La reine fit face à Loki et plongea ses yeux dans ceux de son enfant.

— N’oublie pas que tu as tes propres armes, lui rappela sa mère. Tu les maîtrises très bien, alors sers-t'en si tu en as la nécessité.

Frigga embrassa avec douceur le front de son fils, elle avait immédiatement compris qu’il avait besoin d’être rassuré. Un peu gêné par cette soudaine marque d’affection, Loki se retira des bras de sa mère. Il plongea une dernière fois son regard dans ses yeux bleus qui avait l’air de lui dire : tout se passera bien. Les deux frères quittèrent le palais, et rejoignirent les écuries au rythme des pas frénétiques de l’aîné. Thor était satisfait de savoir que, cette fois-ci, son Père le soutenait pleinement dans cette expédition.

Les montures étaient toutes bridées. Les amis de Thor les attendaient devant les écuries, prêts à partir. Tous courbèrent légèrement l’échine à l’arrivée des princes. Thor alla saluer chaleureusement Lady Sif et le Trio paladin, et Loki préféra s’approcher directement de sa monture. Thor échangea des poignées de mains avec Fandral et Hogun qui étaient déjà en selles. Le mercenaire blond portait une épée à la ceinture et le Vanir s’était équipé de Hridgandr, dont la sphère scintillait au soleil. Loki remarqua que tous les compagnons de Thor portaient des tenues de combat assez légères, alors il conclut qu’ils connaissaient déjà leur destination. Les rayons du soleil étaient très forts à cette heure-ci et une goutte de transpiration coula le long de la tempe de Volstagg. Thor enlaça son ami le plus âgé, à grand renfort de tape dans le dos. Finalement, il prit à son tour Sif dans ses bras. Loki soupira imperceptiblement avant de se mettre en selle à son tour.

— J’espère que Haldor ne m’en voudra pas de ne pas l’avoir invité à nous rejoindre ! S’exclama Thor tandis qu’il attrapait les brides de son cheval.

Sif s’approchait aussi de sa monture et elle n’eut pas le temps de répondre, Fandral s’en chargea à sa place.

— Si Haldor cherche quelqu’un pour une activité physique ici, il n’aura pas de mal à trouver une occupation…

— Ne parle pas de choses que tu ne connais pas Fandral, l’interrompit Thor.

— Je parle d’entraînement, de combats ! C’est vous qui me prêtez des mots que je n’ai jamais, au grand jamais, prononcés de ma vie, s’offusqua-t-il faussement. 

— Nous n’avons même pas encore quitté les écuries, et déjà, tu trouves le moyen d’être de plus en plus agaçant…

Tous les cinq riaient et Thor noua des sacs de provision à sa selle. Volstagg approcha son cheval pour faire de même. D’où il était, Loki pouvait sentir l’odeur du pain et de la brioche préparée ce matin pour leur départ. Les amis de son frère continuent leur discussion, alors il commença à s’agiter sur le cuir de sa selle.

— Le jeune prince commence à s’impatienter ! Et moi aussi. Fandral sortit la fine épée de son fourreau pour la brandir devant lui et en inspecter la lame.

— C’est le problème avec les adolescents, répondit Volstagg en plaisantant à moitié. Alric non plus ne connaît plus la patience, pire que lorsqu’il était un petit garçon. Mais c’est une excellente chose que Loki viennent avec nous ! Il est important que nos princes connaissent les contrées des Neufs Royaumes, n’est-ce pas ?

Volstagg lança un sourire radieux à Loki, comme il le faisait avec ses propres enfants. Loki ne répondit pas, se contentant de lever les yeux au ciel, alors que le guerrier fixait un autre sac en toile à la selle du jeune prince. Fandral sourit légèrement à la réaction de Loki. Il était facile de voir que Son Altesse n’était pas des plus heureuses d’avoir le Trio paladin et qui plus est Sif les accompagner, dévoilant une certaine nervosité. En réalité, la seule chose qui confortait le jeune épéiste que Loki appréhendait cette sortie était le fait qu’il n’avait pas encore ouvert la bouche. Lui qui est pourtant le meilleur dans l’art des paroles empoisonnées… Une fois tous les sacs de provision fixés et que chacun était en selle, ils se mirent en route. Thor prit la tête du groupe, suivi de Loki. Les sabots des montures battaient le pavé qui menait au carrefour des Mondes, Himinbiorg. Thor sentait le sang pulser de plus en plus dans ses veines, au même rythme que le claquement des sabots de son cheval qui accélérait sur le Bifrost, résonnant comme du verre. Face à lui, l’Observatoire de Heimdall se rapprochait et l’impatience d’enfin poser pied à Muspelheim le gagna d’autant plus. Le gardien les attendait. Heimdall se tenait comme à son habitude au centre de Himinbiorg, devant le réceptacle de Hofund. Quand il bougea pour s’incliner, les reflets de son armure d’or se diffusèrent à l’intérieur de la sphère. Le dôme imitait la galaxie, et Loki ne put empêcher son regard de se perdre dans les étoiles. C’était devenu un réflexe à chaque fois qu’il se rendait ici. Thor parla et il reporta son regard sur le gardien. Heimdall savait déjà que les princes quittaient Asgard mais il ignorait où ils comptaient se rendre. Loki fronça les sourcils en regardant Thor. Ce dernier donna leur destination à Heimdall. « Muspelheim ». Pendant une fraction de seconde, Loki crut sentir les yeux pénétrant du gardien se poser sur lui. Mais la nature du pouvoir de Heimdall fit douter le jeune prince de la véracité de son sentiment. Il se tenait droit face à leur petit groupe. Il ne cilla pas, égale à lui-même.

— Nous ne prenons pas les montures avec nous. Elles ne supporteraient pas le climat du Royaume du feu et nous n’avons des provisions que pour nous.

— Le Bifrost vous déposera à plusieurs pieds des Montagnes de Soufre, annonça Heimdall. C’est le point le plus proche de l’Inferno Hall…

Sa phrase resta en suspens, les jeunes gens devant lui attendant qu’il ajoute quelque chose, comme des enfants attendant la suite d’une histoire, mais Heimdall resta droit et silencieux. Le silence resta suspendu le temps nécessaire pour que la scène devienne risible, puis chacun descendit de son cheval et se chargea de décrocher les sacs de vivres. Le gardien éleva Hofund dans les airs et l’introduit dans son réceptacle. Les mécanismes complexes de Himinbiorg se mirent en marche tandis que Thor et ses amis avancèrent là où le passage s’ouvrirait d’un instant à l’autre. Loki regarda une dernière fois au-dessus de son épaule pour apercevoir les reflets scintillants de l’armure du gardien se mêler aux couleurs du Bifrost. Le pont les engloutissait pour les emmener bien loin de leur royaume.

 

 Dès le premier souffle de chaleur, Loki sut. Le prince n’avait jamais craint les étés à Asgard. En fait, Loki n’avait jamais eu chaud, jamais autant que tous les autres asgardiens, même de Thor. Il lui arrivait de se vanter d’être plus résistant que son frère pour l’irriter. Mais il sut à la première seconde dans ce Royaume que la chaleur de Muspelheim était bien différente des étés doux d’Asgard. Un instinct primaire. Il lui hurlait de partir immédiatement. De ne jamais revenir.

Une main se posa sur son épaule. Le voile pourpre devant ses yeux s’estompait à mesure qu’il revenait à la réalité. Il distinguait Thor et quatre autres carrures avancer vers des volcans de sable rouge face à eux. Le contact sur son habit lui fit tourner la tête sur la gauche pour voir Fandral. Les lèvres de l’ami de son frère bougeaient, mais Loki ne l’entendait pas. Fandral était plus grand que lui de quelques centimètres, et Loki abaissa son épaule pour se défaire de cette main en se décalant légèrement sur la droite. Il regardait autour de lui. Des kilomètres et des kilomètres de terres calcinées les entouraient, seules les Montagnes de Soufre se détachaient du paysage plat. Loki sentit tout à coup qu’il respirait vite. Puis, c’est toute la tension dans son corps jusqu’à son visage qu’il ressentit. Il ralentit du mieux qu’il put son souffle et essaya de détendre les muscles tendus de son visage. Des crépitements. Le sol à ses pieds tremblait légèrement en petites secousses, et certaines failles laissaient passer des étincelles de feu. La voix de Fandral arriva finalement à ses oreilles.

— Est-ce que tu m’entends ? Loki, ça va ?

Que venait-il de vivre exactement ? Une chaleur horrible s’était emparée de lui et maintenant, elle avait disparu. Combien de temps cela avait-il duré ? Loki devait avoir eu l’air paniqué et perdu. Thor et les autres l’avait-il vu ainsi ? Il n’espérait pas. Ils venaient à peine de poser pied sur Muspelheim, Loki ne devait pas déjà faillir et ainsi donner la preuve à tous qu’il n’était pas aussi capable que Thor. Il était hors de question de repartir. Il prit une inspiration qu’il feint assurée.

— Avançons, où nous ne les rattraperons jamais.

Loki commença à avancer dans la même direction prise un instant plus tôt par ses compagnons. Fandral n’avait pas la moindre idée de ce qui venait d’arriver. Alors que Thor, Sif et le reste du Trio paladin avaient déjà commencé à rejoindre la chaîne de montagnes qui se dressait face à leur groupe, Loki était resté immobile. Fandral l’avait remarqué, car seulement lui se tenait derrière le jeune prince à leur arrivée. L’épéiste l’avait bien appelé cinq fois avant qu’il ne réagisse. Et quelle réaction ! Du Loki tout craché, Fandral devait bien se l’avouer. Il ne lui avait même pas répondu. Devait-il parler aux autres du comportement soudain étrange de Loki, ou au moins à Thor ? Les autres commençaient à prendre de la distance, et Fandral rattrapa Loki aussi vite qu’il le put, écrasé entre la chaleur du ciel et de la terre. Ils se rapprochaient de plus en plus des monts rouges qui s’élevaient vers le ciel orangeâtre. Arrivés au pied de la montagne, il fallait à présent la gravir. 

Autour d’eux, Fandral ne distinguait que les roches sèches. Dès qu’il levait la tête pour observer les alentours, sa vision était brouillée par les mirages. Mais pour sûr, ils étaient bel et bien les seules âmes à randonner sur ces Montagnes. Le paysage qui entourait les deux princes, Sif et le Trio paladin était abandonné de quelconque Démon des Flammes ou de Dragon en écaille d’obsidienne. Des kilomètres et des kilomètres de rien sous un soleil de plomb. Fandral se demandait même s’il n’y en avait bien qu’un seul. Ou alors, Muspelheim était elle-même un soleil, et ils étaient condamnés à marcher jusqu’à ce que leurs chaussures fondent. Heureusement, les coulées de lave refroidie leur permettaient de progresser plus facilement que sur les parties sableuses. Depuis le sommet, il y avait une vue imprenable sur tout le Royaume de Feu. À sa droite, Fandral distinguait l’Ardente Mer où d’immenses vagues de laves s’agitaient. Le magma se jetait sur une falaise faite de pics et couleur cendre de l’autre côté, coupant la Terre des Flammes en deux parties. Il plia les genoux pour détendre les muscles de ses cuisses qui le tiraillaient depuis que leur groupe s’était arrêté pour observer le paysage. La transpiration avait envahi le duvet blond qui lui servait de moustache.

— Par là, Volstagg désigna du doigt la chaîne de montagne de cendre. De l’autre côté, il y a tous les hauts lieux de Muspelheim.

 

Fandral jeta un coup d’œil à ce qui les attendait en descendant la pente. Avant d’atteindre l’Ardente Mer, il leur faudrait au moins une journée entière. Il lui semblait y avoir aussi du mouvement à certains endroits, qui sait ce qui se cache sous la terre calcinée de Muspelheim ? Des trois membres du Trio paladin, lui n’était encore jamais venu ici. L’épéiste s’épongea une nouvelle fois le front. Il faisait de plus en plus chaud au sommet de cette montagne. Fandral détailla ses compagnons : le reste du Trio semblait bien résister à la chaleur ; Sif et Thor, à l’instar de Fandral, étaient légèrement essoufflés et la peau de leurs visages brillait ; Loki, quant à lui, avait retrouvé son apparence habituelle. Aucune sueur, le souffle régulier… Comme s’il soufflait constamment sur lui un vent frais qui lui privait de la chance de connaître cette chaleur caniculaire ! Sûrement un tour qu’il a appris chez les sorcières d’Asgard.

— Pourquoi Heimdall nous a-t-il déposés si loin si notre objectif est de rejoindre l’Inferno Hall ? intervint Hogun.

— Certainement car il n’avait aucune idée de ce qu’est « notre » objectif.

Loki fixait Thor en délivrant ses paroles. Il avait immédiatement regretté d’avoir dit cela, mais il le cacha bien. À présent, Thor le regardait aussi et les frères ne lâchèrent pas leurs regards. Alors c’était ça. Thor n’avait rien dit. À absolument personne et surtout pas à leur père. Le gardien devait gagner du temps, alors il les avait éloignés le plus possible de la demeure de Surtur et surtout d’Elderstahl. Mais ça, Thor ne l’avait pas compris. Il n’y avait même pas réfléchi, trop enivré à l’idée de rapporter son trophée. Loki se mordait l’intérieur des joues. Et si c’était cela, le mauvais pressentiment qu’il avait eu à leur arrivée ? Que devait-il faire à présent ? Continuer sachant que le Père de Tout sera furieux de savoir que ses fils lui avaient menti pour potentiellement déclencher une guerre entre le Royaume du Feu et le Royaume des Dieux ? Le regard de Thor était désapprobateur. De toute façon, il était trop tard maintenant, et Thor ni ses compagnons ne rebrousseraient chemin, bornés qu’ils étaient. Loki ne pouvait plus qu’espérer ne pas avoir à supporter les conséquences du choix de Thor. Il ne restait plus qu’à avancer et prier que Heimdall fasse vite. La mâchoire de Thor était serrée, la rendant plus carré qu’elle ne l’était déjà. Mais ce n’était pas le moment de lancer une querelle entre lui et son petit frère. Encore moins devant Sif et ses amis. Il devait se concentrer sur son objectif, ne pas ralentir maintenant. Il prit une inspiration aussi profonde qu’il put. La chaleur allait lui monter à la tête. Il fixa intensément Loki, le priant de ne pas commencer, mais il avait déjà détourné le regard. La tension accumulée de l’échange de regard des princes pesait sur tout le groupe et laissait maintenant place à un certain malaise. Fandral se racla la gorge.

— Il y a du mouvement en bas. Il faudrait que l’on continue de longer le sommet sur plusieurs mètres avant de descendre.

Sif se tenait accroupie à côté de lui, les deux mains en visière pour protéger ses yeux de la lumière aveuglante. Elle observait attentivement le sol à plusieurs pieds en dessous d’eux. Sa vision s’était accommodée à la luminosité du lieu et elle parvenait à distinguer des mouvements derrière les mirages. Elle reprit son épée qu’elle avait plantée dans la roche dans un frôlement métallique. Elle les observa, attendant qu’ils se mettent en marche et, comme personne ne bougeait, prit finalement les devant.

— Vous avez entendu la demoiselle ? En avant !

Volstagg fut le premier à suivre, secondé de près par Hogun et Fandral. Thor se retourna vers Loki mais le regard de son frère était de nouveau tourné vers l’horizon de feu. Il s’apprêtait à parler, mais il n’avait rien à dire. Alors il se tourna et suivit les autres. Les phalanges de Loki étaient devenues blanches, serrées autour de la bandoulière de sa besace. Un goût métallique envahissait sa bouche et le prince reprit finalement contact avec la réalité. Il ne restait plus qu’à avancer.

 

Le soleil commençait à toucher l’horizon et le groupe progressait dans sa descente. Hogun avait convaincu les autres d’explorer le plus possible la zone de nuit, tant que son peuple était le moins actif. Ainsi, ils purent trouver une zone cachée par de hautes broussailles calcinées qui seraient propices à un campement pour la nuit. Aussi, Thor, Sif et Hogun allèrent en éclaireurs repérer les passages à prendre le lendemain un peu avant l’aube. De leur côté, Volstagg, Fandral et Loki étaient chargés de tendre les toiles qui leur serviraient de tentes. Fandral – comme tous les autres – avait bien remarqué que les deux princes ne s’étaient plus adressé la parole depuis leur dernière altercation. Tout en sortant, une autre toile d’un sac, il regardait Loki qui s’était assis à même le sol et semblait perdu dans ses pensées. Ou bien il méditait. Quelle différence ? Le mercenaire s’occupait d'installer la deuxième tente tout en regardant le prince. Il était plus que certain que Loki avait prévu de partager sa tente avec Thor, compte tenu de l’amour inconditionnel que le jeune prince portait à Sif et même à Volstagg ou Fandral lui-même. Chose dès lors compromise depuis plusieurs heures de marche dans un silence très pesant. Très loin de l’ambiance à laquelle on peut s’attendre quand on vous propose de participer à une quête légendaire avec le prince héritier de son propre royaume. En soulevant le sac de piquets, Fandral ne retint pas son soupir. Loki était toujours assis, attendant sûrement une occasion de faire payer quelqu’un pour le malheur qui s’abattait sur lui. À l’opposé, Volstagg avait fini d’installer la tente qu’il partageait avec Hogun alors il préparait les portions de vivre pour chacun ce soir. Fandral alla le rejoindre.

— Si tu as de la brioche en trop, glisse-la-moi sous le tissu de ma tente. Je meurs de faim !

— N’y compte pas trop, Fandral. Nous avons avec nous assez de vivres pour trois jours et tu viens de me livrer mon principal suspect s’il manque une miche de brioche… (Fandral se contenta de soupirer) Si tu continues à le dévisager, c’est vers toi qu’il va tourner sa frustration.

— Quoi ? Fandral, sans pouvoir se l’expliquer, rougit brusquement.

— Pas que ça me dérange ! J’ai été épargné par ses tours jusqu’à présent. Du moins, je le crois… Mais tu vas sûrement être l’heureux élu, remplaçant de Thor dans la tente princière.

Volstagg, à son tour, tourna son regard vers Loki . Fandral crut – ou voulut – y voir de la peine. Le prince était toujours assis en tailleur, l’air concentré. Du bout du doigt, il dessinait des symboles dans la terre devant lui. Un bruissement de tissu indiqua au jeune épéiste que Volstagg s'attela de nouveau à sa tâche.

— Il faudrait peut-être aller lui parler… Suggéra Fandral.

— Peut-être.

Fandral était légèrement désabusé, la réponse de Volstagg n’étant pas des plus tranchées. Il lui faisait bien comprendre qu’il était seul sur ce coup-là, surtout qu’il concernait Loki. Avant de lui laisser le temps de bouger, les silhouettes de Thor, Sif et Hogun traversèrent la barrière des broussailles et tous les trois rejoignirent le camp. Le groupe se rassembla naturellement au centre du camp – où se trouvait Loki qui n’avait pas daigné relever la tête – pour écouter les découvertes des éclaireurs. Sif déclara que le lieu où le campement avait été établi n’était pas des plus idéal. Il se trouvait dans une plaine en forme de cuvette, ce qui les rendait vulnérable en cas d’attaque. Fort heureusement, Hogun affirma qu’il n’y avait aucune trace de présence récente dans les environs, ce qui laissait supposer que l’endroit était abandonné depuis plusieurs jours. Les chances de tomber dans une embuscade nocturne seraient donc faibles. Thor conclut que le mieux serait tout de même de distribuer des tours de garde pour la nuit et de partir dès le lever du soleil le lendemain. Alors, le campement devrait faire l’affaire pour cette nuit. Les trois éclaireurs informèrent aussi du trajet qu’ils emprunteront demain pour se rapprocher le plus rapidement possible de l’Inferno Hall. Alors que Thor attribuait l’ordre des rondes, Loki se releva et il effaça distraitement du bout de sa botte les symboles qu’il avait dessinés dans la terre. L’annonce tant redoutée finit par franchir la barrière des lèvres de Thor : Loki partagera la tente de Fandral. Le jeune prince releva à peine et prit congé en emportant sa ration de vivres pour ce soir avant de disparaître sous la toile. Réaction qui ne rassura en rien Fandral, s’attendant à retrouver toutes sortes de bêtes repoussantes dans sa couche. De son côté, Thor fulminait. Il le cachait tant bien que mal, mais sa mâchoire contractée et son regard sombre ne trompaient personne, encore moins ses meilleurs amis. Du point de vue de Fandral, la situation était des plus embarrassantes… Le jeune homme était pris entre deux feux qui ne faisaient que s’attiser un peu plus l’un l’autre. 

Dans la tente, Loki faisait les cent pas, se retenant de déchiqueter le pain qu’il serrait dans sa main. L’obstination de Thor était de plus en plus ridicule. La simple idée de dérober Elderstahl à Surtur l’était déjà bien assez, il ne leur restait plus qu’à rentrer avant que quelque chose d’irrémédiable n’arrive. Le bon sens l’aurait exigé, mais apparemment, le bon sens ne commande pas le puissant Thor. Quelle aubaine ! Odin ne se montrera pas compréhensif lorsqu’il apprendra que Thor lui a caché une partie de la vérité. Il le sait déjà sans aucun doute là-dessus. Et que pensera Frigga ? Que ses successeurs mettent en danger son royaume et les vies de leurs compagnons ? Non, pas Loki. Loki n’était le compagnon de personne, il continuait d’avancer sous la contrainte, il n’était le responsable de rien. Mais quelle différence, à présent ? Il était là, debout au milieu d’une tente, seul, et il ne faisait rien à part broyer de la mie dans sa main. Il en prit une bouchée furieuse. Une marée d'incertitudes l’entourait. Que pouvait-il faire face à Thor et à ses amis ? Loki avait besoin d’être sûr de quelque chose, n’importe quoi. Que se passait-il à Asgard ? Heimdall avait-il déjà prévenu le Père de Tout du nouvel itinéraire de Thor ? Odin était-il déjà à Muspelheim, à leur recherche, des idées infinies de châtiments inventées spécialement pour ses fils ?

Dehors, chacun était retourné à ses occupations. Sif, Thor et Volstagg dormaient dans leur tente respective, tandis que Hogun et Fandral surveillaient les alentours. Le soleil s’était couché depuis plusieurs minutes et l'obscurité se faisait de plus en plus intense rapidement. Fandral prenait son rôle de sentinelle à cœur. Il faisait attention à chaque mouvement dans les fourrées calcinées, à chaque bruit de pierres qui se roulaient sur le sol… Rien n’aurait pu lui échapper. Il anticipait déjà ses mouvements en cas d’embuscade, répétant silencieusement ses pas face à des ennemis imaginaires. Le bruit d’une tente qu’on ouvre le ramena vers le centre du campement. Fandral vit Loki sortir de leur tente. Le prince jeta un regard noir sur celle que partageaient désormais Sif et Thor, puis il se dirigea d’un pas décidé vers leur réserve de vivres pour y prendre de l’eau, avant de disparaître une nouvelle fois derrière la toile. Les yeux de Fandral ne quittaient pas le tissu de la tente, essayant de voir à travers ce que pouvait bien tramer Loki. Il n’entendit pas les pas qui se rapprochaient de lui. Fandral sursauta brusquement, un rapide frisson parcourut sa colonne vertébrale depuis son épaule où Volstagg avait posé sa main. Il entendit Hogun rire.

— Tu parles d’un guetteur.

— J’étais extrêmement concentré, c’est tout ! se défendit Fandral. Et puis, qu’est-ce que tu fais ici ? Tu devrais être plus à l’est, toi !

— Je prends ta place, je n’arrive pas à dormir, Volstagg retira sa main de l’épaule de Fandral et lui adressa un sourire amical. Tâche de te reposer pour demain.

En dépassant le seuil de la tente, Fandral trouva Loki à la recherche de quelque chose. Le prince ignorait royalement le jeune homme qui venait d’entrer. La petite flamme qui dansait au centre lui permettait à peine de distinguer à quoi le prince s’affairait. Fandral ne savait trop que faire, alors il resta planté là, à regarder Loki.

— Dis-moi que tu as quelque chose de lisse et plat.

— Quoi ?

— Tu entends mal ou tu ne comprends pas ?

Une discussion qui commençait sur de bonnes bases… Fandral réprima son envie de coller sa main dans la figure de Loki. Il devenait un professionnel en la matière. Loki laissa échapper un soupir de frustration en s'asseyant par terre. Il se saisit de l’outre qu’il avait remplie d’eau quelques minutes auparavant et releva ses yeux vers Fandral.

— Qu’est-ce que tu attends ? Viens.

Fandral retint un nouveau « Quoi ? », de sorte à éviter un nouveau sarcasme du prince, et se plaça face à Loki. Il lui indiqua de mettre ses mains en coupe en serrant bien les doigts. Fandral s’exécuta sans réellement réfléchir, intrigué par le projet de Loki. Le prince ouvrit l’outre et versa l’eau dans le récipient de fortune que formaient les mains de Fandral. Les deux garçons se penchèrent au-dessus de l’eau, l’observant attentivement. Loki y trempa deux doigts et les mut doucement, comme s’il mélangeait le liquide. Les murmures qui sortirent ensuite de sa bouche firent relever le regard de Fandral vers son visage. Il regardait les lèvres de Loki bouger imperceptiblement. Il n’aurait certainement pas pu l’entendre s’ils n’étaient pas si proches. Fandral reconnaissait l’asgardien, mais il était incapable de comprendre un traître mot de ce que disait Loki. Comme par réflexe, Fandral eut un mouvement de recul.

— Qu’est-ce que tu fais ? s’exclama Fandral.

— Ne bouge pas !

Loki l’avait retenu par les poignets pour éviter que l’eau ne soit renversée. Il fixait toujours la surface de l’eau d’un air concentré. Du côté de Fandral, l’appréhension se faisait de plus en plus intense. Le jeune homme se retrouvait piégé entre les serres d’un apprenti sorcier, et il lui était impossible de prévoir ce que la magie, en particulier celle de Loki, pouvait lui réserver. La lueur dans les yeux du prince était discrète, mais Fandral aurait juré que les iris verts s'étaient mis à briller. Une faible lueur verte qui envahissait aussi à présent le visage de Loki. Le regard de l’épéiste se reposa sur ses propres mains. C’était la surface de l’eau qui scintillait. Fasciné, Fandral se rapprocha un peu pour essayer de discerner quelque chose dans le liquide mais il ne réussit à rien voir. Et soudainement, plus rien. La lumière avait disparu comme la flamme d’une bougie sur laquelle on souffle. Loki poussa un long soupir et se laissa tomber en arrière, retenu par ses coudes.

— Qu’est-ce que c’était ? interrogea Fandral. La panique avait repris la place de la curiosité et Fandral commençait à s’agiter de nouveau éloignant ses mains de son visage.

— Il n’y avait pas assez d’eau, alors je n’ai rien pu voir… répondit le prince. Fandral sentait la frustration dans la voix de Loki. En plus, la magie de l’eau est la plus difficile à manier, j’ai besoin de plus de pratique. Étrangement, Loki semblait se justifier de son échec et cette idée fit légèrement sourire Fandral. Ce qui est sûr, c’est que de gros ennuis vont nous attendre grâce à Thor, et sûrement bien avant d’avoir atteint les côtes de la Mer Ardente.

L’épéiste essaya de comprendre la combine de Loki. L’eau devait lui servir de fenêtre vers Asgard, mais il n’a pu rien voir d'intéressant si ce n’est que leur quête sera interrompue d’ici quelque temps. Et les ennuis, ça aussi il avait bien compris. Mais ça faisait aussi partie de l’aventure, non ? Ses bras commençaient à lui faire mal à être soutenu dans les airs et Fandral se rendit compte de la ridiculité de sa posture. Toujours peu rassuré, il éloigna encore un peu plus ses mains du reste de son corps.

— Et qu’est-ce que je fais de ça maintenant ? 

— Je ne vais pas laper dans tes mains, rétorqua Loki sans cacher son dégoût.

Image dérangeante, effectivement. Fandral n’avait pas à cœur de gaspiller les réserves d’eau mais consommer un réceptacle de magie – de la magie de Loki – ne l’enchantait pas plus. C’est donc assez lâchement qu’il laissa l’eau couler sur le sol qui la but rapidement.

Loki avait déjà rejoint sa couche et tournait le dos à Fandral. Ce dernier l’imita, soufflant d’abord sur la flamme de la bougie au centre de leur tente avant de se coucher à son tour. En fermant les yeux, il revit le visage de Loki concentré à sa tâche et il ne put s'empêcher de reconnaître qu’il avait égoïstement apprécié ce petit échange, certes assez particulier. Mais, après tout, Loki était quelqu’un qu’il qualifierait d’assez particulier.

 

Le soleil n’avait pas encore dépassé l'horizon lorsque Loki ouvrit les yeux. L’intérieur de la tente était baigné d’une douce obscurité. Il distinguait à peine la silhouette de Fandral s’agiter en face de lui. Dehors, il entendait des pas légers, s’approchant, puis s’éloignant, probablement Hogun. Sinon, que le silence. Loki mit un certain temps à se rendre compte qu’il avait froid . Et il faisait si sombre. L’obscurité envahissait peu à peu sa vision, jusqu’à l’assaillir complètement. Le jeune prince voyait sa progression s’accélérer, une multitude de petits points qui apparaissaient et disparaissaient incessamment. Il voulut apporter sa main à son visage mais son corps refusa de lui obéir. La sensation de ses muscles contractés lui apparut soudainement et il sentit la transpiration qui avait inondé ses draps. Loki restait immobile, il ne parvenait même plus à fermer les yeux, ni à éloigner son esprit de la douleur fulgurante qui pulsait sur ses tempes. Sur sa peau, sa transpiration arrêta de couler. Les gouttelettes se condensèrent partout sur son corps et s’y cristallisèrent. Ses organes s’affairaient à combattre la chaleur assommante qui l’attaquait depuis plusieurs heures tandis que son esprit se plongeait dans un état de léthargie. Loki ne remarquait rien de ce qui l’entourait, qu’il s'agissait des bruits de pas à l’extérieur de la tente, des mouvements de Fandral qui peinait à sortir de son sommeil ou encore du tissu qui le recouvrait qui commençait à geler.

Dans un sursaut, Loki se redressa sur sa couche. Le prince se pressa de retirer la chemise qui couvrait son corps. Entre ses mains, le tissu était souple, aucune trace de glace. Les terres de Muspelheim ne se rafraîchissaient jamais, même lorsque tous ses soleils étaient couchés. Tout cela n'avait aucun sens. Loki venait-il de rêver ? Ce froid intense… Impossible. Il ne pouvait venir que du jeune sorcier, seulement la magie n'apparaît pas comme ça, il faut toujours qu'elle soit invoquée. Et Loki n’avait rien fait. La chemise blanche qu’il tenait était sèche. Les simples cauchemars ne remuent pas les sens aussi intensément, Loki en était maintenant convaincu, quelque chose se préparait et Elles lui envoyaient ce présage. Il n’avait plus aucun doute. Mais que devait-il faire ? Ses yeux suivaient la trame du tissu qui se déformait entre ses doigts, comme pour y déceler la réponse qu’il cherchait. La lecture des fils ne lui apprit rien, et lorsque Fandral commença à s’extirper difficilement de sa couche, Loki se hâta de remettre sa chemise. Alors que l’épéiste se rhabillait, Loki restait assis en tailleur à attendre, inlassablement plongé dans ses pensées. Peut-être Fandral lui adressa-t-il la parole, mais Loki ne le regarda pas et il n’entendit rien. Il attendit que Fandral sorte de la tente pour se revêtir à son tour, puis Loki rejoignit les autres à l'extérieur.

Dehors, l’aube se réveillait à peine. Le ciel teinté d’un bleu violacé éclairait assez la troupe qui s’occupait de lever le camp. Hogun et Sif avaient déjà fini de démonter une tente tandis que Volstagg s'occupait de l'autre. Fandral le rejoignit pour lui apporter son aide. Thor rassemblait ce qui restait de leurs vivres dans les sacs en toile. À voir ses êtres s’affairer devant lui, ignorant tout ce qui les attendaient, le ventre de Loki se crispait, ses dents mordaient l’intérieur de ses joues et ses ongles s’enfonçaient dans la paume de ses mains. Si le prince ne pouvait pas apporter de réponse à ses propres questions, il était au courant que quelque chose les attendait. Lui seul savait. Et, seul encore une fois, Loki devait porter le fardeau de cette connaissance. Ce rêve lui avait été adressé, alors devait se montrer capable d’y répondre. À l’écart du groupe, Loki se remémorait les sensations qui l'avaient assailli, les sensations d’un autre, les sensations qu’il n’aurait jamais pu ressentir ici. La chaleur accablante, l’obscurité enserrante puis le froid perçant. Dans les ténèbres, glace contre feu…

Avant que l’aurore ne se levât, le groupe reprit son chemin à travers les fourrés qui les avaient protégées durant la courte nuit. Thor les guidait toujours, marchant d’un pas assuré, tandis que Volstagg refermait la marche à quelques pas de Loki qui faisait mine de ne pas traîner des pieds. Mais les bras croisés, les sourcils froncés et les épaules rigides du plus jeune prince n'auraient pu tromper personne. Un vrai livre ouvert , pensa Fandral en jetant un œil sur son camarade de tente. La nuit avait été courte, mais elle semblait l’avoir été encore plus pour Loki, à en juger par la couleur qui cernait – plus qu’habituellement – ses yeux. En à peine quelques minutes, le groupe atteignit la lisière des hautes herbes sèches qui les protégeait en même temps que l’aurore éclaircissait le ciel. Dans moins d’une heure, les soleils auraient dépassé l’horizon et les créatures de Muspelheim seraient bien moins discrètes.

Thor se retourna vers ses camarades, les poings sur les hanches, prêt à donner un discours saisissant pour réaffirmer l’incroyable quête dans laquelle ils s’engageaient tous en tant qu’Asgardiens, mais avant tout en tant qu’amis. Le tout devant le lever de soleil le plus brillant qui leur ait été donné de voir. Ce genre d’exhortation faisait toujours sourire gentiment Fandral qui aimait entendre de belles paroles. Mais plus délicieux à déguster encore, c’était ce mélange de hargne et d’ennui qui faisait lever au ciel les yeux de Loki. À peine Thor avait-il pris une inspiration franche que la terre trembla furieusement. Avant qu’il ne s’en rendît compte, les pieds de Fandral quittèrent le sol et sa tête rencontra la terre craquelée. Pendant une seconde, tout était devenu noir et Fandral avait oublié où il était. Un rugissement tonitruant gronda, Frandral mit la main à l’épée avant d’ouvrir les yeux, et se redressa aussi vite qu’il le put. Sa vision aurait dû encore être troublée par le coup qu’il venait de prendre, mais face à l’urgence tout était clair.

 

À quelques mètres de lui, un géant de feu s’extirpait des entrailles de la terre. Des gerbes de lave léchaient sa peau rouge et dégoulinaient sur ses muscles hypertrophiés. Une flamme effroyable embrasait le regard du monstre, et quand il se fixa dans ses yeux asséchés, le cœur de Fandral arrêta de battre. Le jeune homme resta figé malgré lui face à la masse qui ne faisait que grandir devant lui. Sa main resserrait sa prise à mesure que le corps titanesque se dévoilait ; sa paume, soudainement inondée de transpiration, glissait sur le métal qui se réchauffait dangereusement. Mais la lame ne sortit pas de son fourreau. Fandral était tétanisé, incapable de sentir son corps qui tremblait, comme un lapereau qui voit un loup pour la première fois… et souvent en même temps la dernière. Le jeune homme, tombé à genoux sous les tremblements de la terre qui s’ouvrait, n’entendait plus que son pouls pulser violemment contre ses tempes. Le mirage de chaleur et les vapeurs qui l'entouraient ne lui permettaient de ne rien voir d’autre que le titan rouge prêt à l’avaler tout cru. En voyant la main géante s’élever dans le ciel, Fandral aurait voulu poser un pied à terre et se relever, mais il restait pétrifié, incapable de reprendre le contrôle de son corps. Le poing fermé du monstre s'apprêtait à s’abattre sur le petit corps frêle du jeune homme, mais Fandral sentit son corps être aspiré en arrière. Le poing frôla son visage et le souffle fit s’envoler les mèches blondes de Fandral qui s’étaient collées à son front. Lorsque la main s'abattit sur le sol, il fit s’ouvrir davantage la terre devant les pieds de Fandral, qui aurait pu s’attendre à tomber dans la rivière de flamme souterraine si les gros bras de Volstagg ne continuaient pas de le tirer en arrière.

Ce sursaut fit reprendre ses esprits à Fandral. Les démons de feu de toutes formes s’approchaient d’eux, de plus en plus nombreux, sortant de tous les côtés – de derrière les herbes sèches, d’entre les fissures de la terre, du ciel lui-même. Ses compagnons, leurs armes à la main, émergeaient de nuages de fumée grise pour s'engouffrer dans d’autres. Les bras qui entouraient sa taille se détachèrent de lui, et Fandral vit l’éclat de la hache de Volstagg s’abattre à quelques centimètres de ses yeux. En retombant sur ses pieds, Fandral dégaina son épée dans un tintement vif pour transpercer le corps du petit diablotin qui était sur le point de sauter sur le dos de son ami.

— Bien joué ! lança Volstagg.

Le guerrier posa un bref instant sa main sur l’épaule du jeune homme, son poids le faisant légèrement pencher sur le côté, mais Volstagg était au moins rassuré de le voir remettre les pieds sur terre. Le géant se trouvait à présent à une dizaine de mètres d’eux. Il se déplaçait lentement, mais il ne fallait pas perdre sa vigilance. Sur le visage du géant, les veines de sang pulsaient sur le visage déformé par une colère animale. Il n’était plus question de reculer à présent. Volstagg donna un coup de lame sec dans le vide pour faire tomber au sol les morceaux de chair volcanique qui la parsemaient. Le vieux guerrier se positionna pour attendre la charge du colosse, le tranchant de sa hache d’armes en avant. Fandral imita son ami, se plaçant dans son dos pour le couvrir des attaques des autres démons. La terre surélevée par l’émersion du géant permit à l’épéiste d’avoir une vision plus large sur la scène qui se jouait sous ses yeux. Premier point important à souligner : le géant de feu était leur ennemi le plus imposant. Deuxième point : ses amis et Loki semblaient s’en sortir assez bien face aux démons qui les assaillaient. À présent que tout était clair, sa poigne se resserra fermement sur son épée et elle ne glissa pas.

Les démons qui entouraient Loki avaient plus l’allure de petits lutins de feu, mais ils étaient nombreux. Leurs pas sautillants enserrèrent le jeune prince au centre d’une ronde dansante des plus déplaisantes. Une dague à la main et dans l’autre la rune Isa, le prince ne se laissait pas impressionner par ces petits êtres. La pierre froide dans sa main augmentait sa concentration, et dès qu’il sentit que l’un des lutins était à portée de sa lame, il s’élança sur lui, lui trancha la gorge d’un coup vif. Libéré du cercle, il lança la petite pierre au centre, tendit la main vers celle-ci, et, en un clin d’œil, des rayons de glace en jaillir pour transpercer les petits corps des lutins. Les stalagmites fondirent aussi vite qu’ils apparurent, laissant tomber les cadavres des démons, devenus cendre, sur le sol calciné. Fier de son coup, Loki s’avança pour récupérer sa rune. Il lui fallut peut-être une demi seconde pour vraiment sentir l’impact sur ses côtes qui l’envoya valser à plusieurs mètres de là. Ses os le faisaient souffrir mais l’adrénaline lui permit de se redresser et de voir une créature bipède, à la tête de bouc et au poil couleur sang de bœuf le charger encore avec ses cornes en forme de lyre. Loki sortit sa deuxième drague de sa ceinture, prêt à sauter à la gorge du monstre. À mi-genoux sur le sol, il s’élança quand la bête fut assez proche mais ne rencontra que le vide. Un vent furieux lui balaya le visage en même temps qu’il emportait le satyre avec lui. D’un seul coup de Jarnbjorn, Thor décapita le bouc qui avait renversé son petit frère.

Thor revint vers Loki, sa hache pleine de sang et de cendre reposant prétentieuse sur son épaule. Les poings de Loki se refermèrent sur les poignets de ses dagues.

— J’allais l’avoir.

Thor se contenta de toiser Loki, évaluant les petites dagues qu’il rangeait dans sa ceinture.

— Un simple merci suffira.

Pour ne pas voir le sourire satisfait de son frère, Loki détourna le regard et passa sa main sur son front pour y retirer la sueur qui y perlait, ainsi que les mèches qui s’étaient échappées de ses tresses. Hogun et Sif rejoignirent les deux princes. Leur souffle était court et ils scintillaient de transpiration. Des gouttes glissaient activement sur les tempes de Hogun, tandis que la guerrière posait la main sur son cœur pour retrouver un rythme plus apaisé. Autour d’eux, les cadavres calcinés retournaient à l’état de cendre, à d’autres endroits la lave venait les réclamer.

Un grognement rauque emplit la plaine aride. Le sol trembla encore, manquant de faire tomber au sol les Asgardiens. Le petit groupe réuni autour de Loki se retourna dans la même direction. Il ne restait plus que ce colosse recouvert de lave et au regard ardent. Volstagg envoya sa lame pour le toucher au genou, mais le géant parra l’attaque en attrapant l’allonge. Volstagg perdit l’équilibre et tomba sur le sol. Le monstre leva son immense bras pour l'abattre sur le guerrier quand Fandral s’élança sur lui, sa rapière transperçant la main du monstre.

— Le combat n’est pas fini mes amis ! hurla Thor, levant Jarnbjorn vers le ciel. Pour Asgard !

Hogun et Sif suivirent ce cri de guerre en levant leurs armes à leur tour, et se lancèrent à la suite de Thor dans une course effrénée pour venir en aide à leurs camarades. L’épée de Fandral était restée plantée dans la paume du géant qui secouait frénétiquement sa main dans les airs pour s’en débarrasser. Loki observa d’abord de loin l’assaut sur le monstre. Malgré les plaies qui ponctuaient son corps, les cris qu’il lâchait, le géant de feu ne semblait pas faiblir sous les attaques de Thor, Sif et du Trio Paladin. Le chaos qui se jouait sous ses yeux lui embrouillait l’esprit. Il se retourna, marcha en direction du lieu où il avait laissé sa rune. En traversant le champ de bataille, il enjambait les dépouilles des démons sans les voir. Il s'arrêta et observa l’Isa qui reposait à ses pieds. Feu contre glace. Hétérogènes, inconnus l’un à l’autre, ne peuvent cohabiter, mais les deux doivent exister : charge ontologique indispensable à la réalité. Voilà ce qu’il manque à ce moment précis à Muspelheim, et Loki allait lui apporter.

 

La petite pierre était froide dans sa main. Loki sentit son corps s’emparer de cette sensation qui se diffusa dans ton son corps. Son frère et ses camarades attaquaient le géant avec acharnement, sans lui laisser de répit. Des coups venaient de la gauche, des lames fendaient sa peau par la droite, mais rien n’atténuait la fureur du monstre. Les bruits des fers qui transpercent les chairs, des corps qui tombent au sol pour se relever immédiatement et les cris mélangés des Asgardiens et du géant emplissaient la vallée aride. Une fois de nouveau assez proche de la mêlée, mais toujours à bonne distance, Loki prit une grande inspiration et ferma les yeux.

Silence.

Au plus profond de lui-même, Loki sentit Ifa battre au rythme de son cœur. Il pouvait voir ce souffle froid se répandre partout en lui. Tout était devenu noir autour de lui, exeptée cette lueur de glace, vacillante, faible. Il expira doucement, ordonnant à la lueur de grandir, et elle obéit. Le jeune prince ne put empêcher sa fierté de faire poindre un petit sourire sur ses lèvres. Mais il devait rester concentré, quitter son corps pour replonger dans celui des éléments. Ce feu froid, il devait le maintenir, et Ifa l’aida à diriger son esprit vers sa tâche et sa tâche seulement. Il n’y avait que Loki qui pouvait faire quelque chose ici, les sauver tous. Il n’était plus question de force, de courage, ou même de subterfuge. Il était question de magie. Et le plus dur était à venir.

Il fallait maintenant trouver l’autre énergie. Loki chercha dans ce noir profond. Elle ne devait pas être loin, mais il ne la sentait pas. Où est-elle ? Tout autour de la glace, rien, rien que sa luminescence ne puisse dévoiler. Et s’il ne la trouvait pas, qu’adviendrait-il ? La lumière diminuait. Le poids qui écrasait sa gorge, le même que celui qui avait tordu son ventre la première fois que son père l’avait surpris en train de faire de la magie, que le regard borgne oscillait entre dégoût et déception, allait lui faire perdre pied. Tout cela pour n’être bon à rien, bon qu’à rendre le fond de l’air frais ? Grotesque. Ifa irradia soudain au centre des ténèbres. Le Père de Tout s'évanouit. Il ne restait plus que la glace.

Boum, Boum. Boum, Boum. Un cœur battant, voilà ce qu’il fallait chercher. Les vibrations lourdes de ces pulsations recouvraient celles du cœur de Loki. Il n’y avait qu’à s’en approcher pour qu’apparaissent enfin le brasier qui servait de cœur au géant de feu. Les flammes jouaient une danse dangereuse, prêtes à donner un coup de langue mortelle à celui qui osera s’approcher. Mais le prince n’avait nul besoin de venir plus près. Il ne lui fallait que sentir. Cette chaleur qui se diffusait le picotait, mais rien qui ne lui soit étranger. La magie du feu est peut-être la plus dangereuse, mais elle n’est pas la plus difficile à manier. Il suffisait simplement d’étouffer le foyer d’où s’élève ces flammes, énergie qui anime ce géant de sa vie. Alors, Loki commanda. Les flammes s’excitèrent, elles ne voulaient pas se taire. Mais elles n’avaient pas le choix d’obéir aux pouvoirs du prince. Au cœur du brasier, la clarté bleutée de la glace grandissait, impassible aux langues de feu qui la léchaient sans relâche. Alors que Loki contemplait son œuvre, le souffle chaud repartit en un reflux violent, un véritable incendie l’entoura. L’âme du monstre n’en avait pas fini, et celle de Loki non plus. La ronde de feu engloutit d’une vague le brasier de glace que le prince avait créé. À ce contact, Loki sentit sa peau commencer à se réchauffer. Il ne fallait pas qu’il sorte, pas maintenant. Si Ifa ne pouvait envahir le brasier, alors il fallait autre chose. Loki laissa la glace rapetisser en lui, il allait avoir besoin de place. Il la sentit se briser et s’ouvrir. Un souffle brûlant, terrible s'introduisit en lui. La douleur n’avait jamais été aussi vive, extrême. Le feu s’insinuait partout, ne laissant plus de place à Ifa. Tout n’était plus que fougue, rouge et ardeur. Loki se laissait porter par ce nouveau flux d’énergie qui affluait en lui, sauvage, volcanique, la douleur serait pire s’il résistait trop fort. Il lui faisait croire au feu qu’il prenait le dessus, que la glace avait perdu. En vérité, ce feu, Loki le faisait sien.

Le corps lourd du géant qui tomba au sol fit revenir Loki dans sa chair. Il était tombé à genoux, les deux mains tendues en direction de la scène de bataille. Son souffle était erratique, ses habits trempés de sueur, son cœur pulsait à une vitesse folle. Il avait réussi, le monstre était vaincu, et pas lui. Ses bras se baissèrent lentement, et, trop épuisé pour faire éclater sa joie, un souffle léger laissa échapper un petit rire. Le prince ne souhaitait plus qu’une chose : retrouver son lit royal et des draps propres. Les silhouettes de son frère et ses amis quittèrent celle de la dépouille et se rapprochèrent de lui, passant devant le mirage qui troublait d’autant plus la vision de Loki. Les pas qui s’approchaient progressivement de lui faisaient étrangement vibrer le sol sous ses genoux. Le prince baissa lentement la tête. La terre rouge se craquelait. Les fissures s’élargissaient. Encore. D’un seul mouvement, Loki se remit sur ses pieds et rejoint le groupe. Se relever aussi vite lui donna une sensation de vertige et il ne put prononcer les mots qui lui retournèrent le ventre. Deuxième vague.

Fandral, épuisé et ayant perdu son arme, avait dû observer la fin du combat contre leur dernier ennemi à distance. Lorsque le géant tomba – vraisemblablement en grande partie grâce à l’intervention de Loki –, retirer sa lame de la main inerte lui retourna le ventre. La terre – cette maudite terre ocre – qui se mettait à trembler comme quelques minutes plus tôt le tétanisa. Encore. Il redevenait le lapereau qui attendait que le loup le gobe d’une seule bouchée. La panique dans ses yeux ne rencontra que l’épuisement de Sif et Hogun, leurs armures à moitié arrachées et des plaies d’où coulait le sang. Volstagg et Thor rattrapèrent ensemble le corps de Loki qui s’était précipité vers eux. Fandral n’entendait pas ce que le plus vieux disait à Thor, mais Thor ne le regardait pas. Son regard, froncé, brûlait de rage. Sa mâchoire, serrée, n’avait pas besoin de mot pour trahir sa fureur. Une tempête allait exploser. Ils devaient partir et vite, ils ne survivraient pas. Pourtant, Thor ne semblait pas prêt à annoncer la retraite. La terre devenait folle sous leurs pieds. Fandral vit la poigne de Thor se refermer sur le manche de Jarnbjorn. L’affolement qui saisit tous ses membres lui fit ressortir l’épée de son fourreau, tremblant de fatigue, mais surtout de peur. Sa gorge, trop sèche, ne lui permit pas de déglutir.

Le sol était sur le point de s'ouvrir de nouveau, laissant des flots de monstres volcaniques les submerger, mais, avant que Fandral ne puisse apercevoir les cornes d’un démon, des faisceaux multicolores vinrent les envelopper. Fandral pencha sa tête en arrière, et laissa les lumières du Bifrost lui faire sentir l’air frais salvateur d’Asgard. En arrivant à Himinbjorg, l’allègement que ressentait Fandral s’estompa légèrement lorsqu’ils furent accueillis par le Père de Tout et son œil impassible. Avant que l’un d’entre eux n’ait pu dire quoi que ce soit, Heimdall retira Hofund de son réceptacle et, sans un mot, il les invita tous à le précéder sur le pont arc-en-ciel qui rejoignait la cité, à l'exception de Thor et de Loki. Aucune monture n’attendait le groupe de guerrier revenu de son combat, mais Fandral ne trouva pas pertinent d’en faire la remarque. L’idée de marcher jusqu’au palais d’or réveilla la fatigue et les blessures qui tiraillaient tout son corps, mais se savoir loin de Muspelheim rachetait la peine. Fandral osa cependant jeter un œil par-dessus son épaule, mais ni Thor ni Loki ne purent voir le regard navré qu’il leur lançait.

 

Thor supportait encore le corps de Loki lorsque le Bifrost les déposa à Asgard. Son grand-frère l’aida à se remettre sur pied pour faire face à leur père, mais sans le regarder. Les cheveux blond de Thor barraient son visage, et Loki imaginait sans peine qu’il essayait de reprendre contenance, que la culpabilité ne déforme pas davantage ses traits. Tandis qu’il se redressait pour se positionner à côté de lui, Loki sentit un pincement au cœur. Une brise fraîche – si fraîche qu'elle put presque faire oublier à Loki devant qui il se trouvait – balaya d’un souffle les mèches blondes. Thor se tenait droit, les épaules en arrière, le visage haut, fixant Odin comme un soldat face à son commandant. Son attitude forçait le respect. Dès que les yeux de Loki se posèrent sur la figure de son père, il se sentit fondre comme neige au soleil. Le Père de Tout toisait ses fils du haut de Sleipnir, sa monture légendaire. Sous le regard impérieux de son père, Loki aurait tout donné pour être changé en souris et s’enfouir dans le trou le plus proche. La culpabilité le faisait trembler, lui retournait les entrailles, et Thor semblait à présent si loin de lui… Odin ne disait toujours rien, et les deux princes attendaient désespérément leur sentence. Loki pria pour que sa peur – presque irrationnelle – ne se fasse pas remarquer, mais à côté de l’aplomb de Thor, il devait être bien risible. Au bout de ce qui sembla être une éternité, Thor prit une inspiration, pour commencer à parler.

— Il suffit, asséna Odin.

Sa voix résonna dans le dôme et fit trembler le cœur de Loki. La mâchoire de Thor se referma immédiatement, tous ses traits se resserrèrent et son corps se redressa davantage, ses yeux fixés droit devant lui. L'écho sembla durer une éternité.

— Je ne souhaite pas entendre de vaines paroles, remplies de ton orgueil, jeune homme. Pas après t’être rendu responsable d’une quête illusoire, et que tu m’as à dessein dissimulée, pour satisfaire des désirs puérils. Je pensais pouvoir offrir ma confiance à mon aîné, mais il est encore un enfant qui ne sait pas reconnaître la défaite.

Il ne criait pas, mais parlait avec sa froideur habituelle, ne put s'empêcher de remarquer Loki. Étonnamment, la situation semblait moins sérieuse qu’il ne l’avait craint. Après tout, les terres de Muspelheim étaient depuis plusieurs années sous mandat asgardien, même si les tensions persistaient avec la caste dirigeante des démons. Tout de même… Le cerveau de Loki allait à toute vitesse. Pourquoi Odin était-il plus las et déçu que furieux face à la vanité évidente de Thor ?

— Père, j’ai élaboré cette expédition dans le but d’apprendre à connaître effectivement les Royaumes qui nous entourent et j’étais prêt à…

Odin l'interrompit d’un seul geste de la main.

— Tu n’étais prêt à rien, mon garçon. Tu as laissé tes émotions t’envahir, et j’en suis navré. Si je n’étais pas intervenu, aurais-tu mis en danger tes camarades, ton propre frère et la pérennité de ton Royaume ? Les Nornes soient louées, j’ai été avisé des dangers que tu faisais courir à tes amis à temps – Loki tressaillit en sentant l’œil bleu, acéré, de son père se poser sur lui –, bien qu’il aurait été heureux que tu fusses avisé plus tôt de telles évidences…

Loki ne peut s'empêcher de se renfrogner à ces paroles. Il sentit une goutte de transpiration perler sur sa tempe. Sa gorge se serrait un peu plus. Ce reproche lui était directement adressé, pourtant, il ne le comprenait pas. Alors qu’il essayait de rassembler ses esprits, Odin continua son monologue de reproche, ne laissant Thor s’exprimer, puis il partit, toujours sur le dos de Sleipnir.

À leur tour, Thor et Loki se mirent en route en direction d’Asgard, condamnés à marcher jusqu’à la cité sur le Pont. L’humeur massacrante de Thor rongeait l’atmosphère, et Loki fit tout pour l’ignorer du mieux qu’il put.

À leur tour, Thor et Loki se mirent en route en direction d’Asgard, condamnés à marcher jusqu’à la cité sur le Pont. L’humeur massacrante de Thor rongeait l’atmosphère, et Loki fit tout pour l’ignorer du mieux qu’il put.

— Tu n’as pas pu t’en empêcher, alors ? finit par dire Thor.

La traversée s’annonce longue , pensa le jeune prince.

— Je te demande pardon ?

— Oh, ça serait un prodige que Loki demande pardon. Tu sais très bien de quoi je parle, de quoi Père parlait. Je t’ai généreusement invité à me joindre dans une entreprise qui nous aurait apporté la fierté de Père, mais il a fallu que tu me trahisses. Et pourquoi ? Attirer les faveurs de Père rien que pour toi ?

— ‘Généreusement’ ? Ne t’entends-tu pas parler, ou es-tu aussi vain que Père le prétend ? cracha Loki, qui regretta immédiatement la compassion qu’il avait ressenti pour son frère quelques instants plus tôt. Les paroles d’Odin devinrent soudain limpides : le miroir d’eau avait dû alerter Heimdall ou les sorciers au service de leur père. Si tu veux tout savoir, reprit Loki, je n’ai rien dit à personne, et si tu penses que Père a eu besoin de moi pour découvrir ce que tu cachais alors tu es encore plus bête que je ne le pensais.

— Que… s’étrangla Thor

— C’est évident maintenant… Loki repensa aux paroles énigmatiques de son père à leur départ.

L’ardeur d’un combat peut priver quiconque de son aplomb… Odin ne parlait pas de Loki, mais de Thor. Son esprit tourbillonnait, recollait enfin tous les morceaux de la charade qui étaient pourtant sous son nez depuis le début. Loki venait seulement de comprendre la mission qui lui avait été confiée, celle de s’assurer que son frère ne laisse pas l’adrénaline altérer son jugement. Comme un conseiller à son roi. La culpabilité assaillit Loki. Pourquoi ne l’avait-il pas compris plus tôt ? Il porta la main à son front, sa tête commençant à le faire souffrir.

— Peu importe ! Thor s'empourpra, ne comprenant pas de quelle évidence Loki parlait.

Thor continuait de s’époumoner contre Loki à mesure qu’ils marchaient, mais son petit frère n’écoutait plus. Ce dernier ne rêvait plus que d’une chose, retrouver sa mère, se laisser couler dans une étreinte, et pleurer un peu peut-être. Avec elle, il pouvait. Sa gorge était encore plus sèche qu’elle ne l'avait été à Muspelheim, tout comme ses yeux, et Loki n’était pas sûr que son corps contenait assez d’eau pour lui fournir une seule larme. Au moins, il n'aurait pas de mal à retenir des pleurs tant qu’il marchait avec son frère. Son souffle devenait plus court à force qu’ils avançaient, et Loki porta sa main à son cœur, où une gêne étrange commença à croître. Le sentiment d’urgence qui avait fondu sur lui comme un éclair lorsqu'il avait posé un premier pied sur la terre ardente de Muspelheim se manifesta.

Enfin, il se rendit compte à quel point il avait encore terriblement chaud. 

Loki ?

— Je…

Les mots moururent dans sa bouche. Il ne put que sentir le sol s'effondrer sous ses pieds – ou bien étaient-ce ses jambes qui lâchèrent – et les bras de son frère le rattraper. La voix de Thor semblait si lointaine… Puis tout devint noir.

Notes:

La troisième et dernière partie n'est pas encore écrite, mais elle sera plus courte, à peu près de la même longueur que la première, donc j'espère pouvoir la publier assez vite.
J'espère que ce chapitre vous a plu, merci d'avoir lu jusqu'ici !

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