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Notre histoire débute dans le petit village français de Hautfort, en l'an 1777 du calendrier grégorien. Cet hameau, entouré de champs et de forêts, était très aimé par ses habitants et tous y vivaient confortablement, appréciant la paisibilité des jours qui coulaient avec indolence.
Les rues pavées étaient toujours foisonnantes de vie et de couleurs. Les marchands de légumes, de vêtements ou de babioles s'épouponnaient et tentaient, en vain, d'éclipser la voix du vendeur de journaux, qui n'avait pas son pareil pour se faire entendre, annonçant les unes avec panache et passion.
Les magasins, n'étaient jamais vides, et on pouvait toujours apercevoir, par les vitrines, les propriétaires discuter avec leurs clients, trop curieux des ragots de voisinages et autres conversations de couloirs.
Les restaurants, quant à eux, ne manquaient jamais de clients, car les habitants de Hautfort étaient tous de bons vivants, appréciant les plaisirs simples de la vie.
Toutefois, une ombre écrasante enveloppait constamment ce petit village paisible. Surplombant avec autorité et majesté ses habitants, le château de Hautfort était un bijou d'architecture classique, tant admiré que jalousé des villageois et des visiteurs. Le duc Victor en était le noble propriétaire. Surnommé Victor L'étrange, il avait pour habitude de s'enfermer dans sa vaste propriété, préférant la solitude glaciale des grands murs de son château, à la compagnie et aux criailleries des habitants de Hautfort.
Les seuls chanceux faisant exception au mépris du duc étaient des chanceuses, jeunes et séduisantes femmes du bourg. Elles se comptaient sur les doigts d'une main car le bon duc était un homme fort exigeant et capricieux, n'acceptant que les plus belles roses dans son jardin.
Elles éclosaient alors dans ses bras et sous ses baisers, n'arrivant bientôt plus à se passer de ce soleil vital et captivant.
Un étranger, viendrait aisément à penser que l'attention de ces femmes ne pouvait porter que sur la richesse conséquente du haut noble. Espéraient-elles le titre de duchesse ?
Mais tous habitants de Hautfort savaient bien que cela était loin d'être la raison principale des soupirs amourachés de ces beautés délicates, et des soupirs envieux des malchanceuses n'ayant pas reçu la grâce de ces roses. Car le duc Victor était un très bel homme, rayonnant dans sa trentaine d'un charme viril et séducteur. Et tout, de son nez droit, sa haute stature et jusqu'à sa voix, étaient séduisants. Son charisme et son élégance achevaient de sublimer le tableau enchanteur qu'il représentait. Un charme éblouissant mais paradoxalement sombre et dangereux. Comment expliquer alors que ces jeunes femmes pleines de vie, devenaient rapidement des coquilles vides au contact du beau Victor. Leurs regards toujours portés sur la demeure du duc quand elles n'étaient pas à ses côtés.
C'est la question que se posait le prêtre de ce paisible village. Hier encore, la somptueuse Jeanne était venu se confesser à lui, parlant, une fois de plus, du feu d'amour qui la consumait avec ardeur et ce depuis sa première nuit dans les bras du duc. Et que dire de Marie de Tours, qui avait quitté le luxe de la capitale et un potentiel titre de reine pour suivre le fier Victor dans ce petit hameau. Non... quelque chose était définitivement étrange, pensait l'homme de Dieu. Le Diable devait se cacher sous ces traits angéliques. Tromper les honnêtes gens était l'apanage du mal personnifié. Mais comment prouver ses pensées ? Qui devenaient de plus en plus nets dans son esprit et qui, croyait-il, étaient guidées par le Seigneur. Comment approcher le duc ? Cet homme inaccessible. Comment le sonder ? Lui qui était indéchiffrable. Comment le convaincre ? Alors qu'il n'arborait que l'ennuie sur son fier visage.
Il tenta d'abord d'envoyer une invitation au noble, mais l'aristocrate n'ayant jamais franchi le parvis de son église, le prêtre ne fut donc pas surpris du refus net qu'il reçut. Le mépris du duc pour ce lieu saint ne faisait d'ailleurs que renforcer ses soupçons. Et l'ecclésiastique avait beau retourner le problème dans tous les sens, il ne voyait qu'une solution, lui offrir une belle rose.
C'est ainsi que le visage de sa cousine Hélène s'imposa à lui avec force. Une beauté pure et délicate qui correspondrait assurément aux hauts standards du duc. Elle serait ses yeux et ses mains pour prouver les malices du Diable. Intelligente, elle pourrait sans aucun doute l'aider dans sa tâche.
Toutefois, un problème subsistait... Elle qui était une femme très pieuse, ne saurait se voir confier un tel rôle, bien plus encore auprès d'un homme si peu scrupuleux. Que faire ? Dieu semblait le presser d'éclaircir ce mystère et, avec un peu de réussite, de sauver ces pauvres âmes. Il devait tenter sa chance. Quant à la vertu de sa chère cousine, elle était bien peu de chose face à sa mission.
C'est un matin du mois de juin que la belle Hélène reçut une lettre de son cousin Alexandre, l'enjoignant de venir à Hautfort pour une mission divine, d'une très haute importance. La douce Hélène, bien que secouée par une telle nouvelle, ne pouvait refuser une chose si cruciale. C'est ainsi qu'elle fit ses bagages et embarqua pour le patelin de son cher cousin.
Elle profita de ses trois jours de voyage pour méditer et prier, espérant que l'esprit d'Alexandre n'ait fait qu'exagérer toute cette situation. Elle n'avait pourtant aucune raison de douter.
A peine fut-elle arrivée, que l'immense château ducal s'imposa à sa vision et elle eut du mal à en détacher ses yeux. Comme beaucoup, une fascination la gagna. Toutefois, elle n'eu pas le temps de digérer la fatigue de son voyage
que l'homme de Dieu la pressa jusqu'à son église et lui expliqua la situation avec beaucoup d'émoi, de soupirs et de grands gestes, insistant sur l'importance du mal que représentait le fier Duc de Hautfort. Il pleurait son désarroi face à la situation et persistait à lui rappelait qu'elle était la seule qui pouvait l'aider dans sa mission. D'ailleurs, encore cette nuit, il avait eu une illumination, cela ne pouvait être que le signe divin et sublime que le Seigneur lui accordait sa bénédiction.
La pauvre Hélène, pouvant difficilement lui demander une explication ou émettre un quelconque doute, fut obligée de se taire et d'assister au discours de son cousin qui, aux yeux de la jeune femme, ressemblait bien plus à une transe. Comme Alexandre l'avait deviné, Hélène n'appréciait aucunement l'idée de séduire un homme ou d'être seul avec lui. Qui faisait cela ? Le femmes de petite vertue assurément, pensa la belle pieuse. Toutefois, si son cousin disait le vrai ? Elle n'avait pas de raison de douter de lui. Si Dieu la guidait dans cette voie, qui était-elle pour refuser ? Pour se dérober honteusement aux yeux du divin ?
Elle se leva brusquement, stoppant nette la harangue de l'ecclésiastique. Et prenant son courage à deux mains, accepta sa mission, regrettant déjà les prochains jours.
Son objectif semblait simple et abordable, surtout au vu des tendances légères du haut noble. Elle devait approcher le duc et espérer que ce dernier porte son intérêt sur elle et lui accorde sa confiance. Enfin, la jeune femme devait accéder à son château pour y mener une investigation et trouver un objet, une note, quoi que ce puisse être de compromettant et prouvant son rôle infâme.
Sous les conseils avisés de son cousin, elle ne perdit pas son temps et se rendit rapidement au parc extérieur au château. Se trouvant devant la demeure du Duc, ce lieu était aussi bien entretenu que les jardins du haut noble. Une multitude de fleurs bleues et violettes coloraient le vert éclatant de la pelouse, des buissons et des arbres, donnant une atmosphère presque irréelle à l'endroit. Là, une allée traversait le parc jusqu'à la porte principale de l'auguste demeure.
Selon les dires de son cousin, il s’agissait du seul lieu où elle pouvait être vue par le Duc. Une simple demande de rendez-vous ayant peu de chances d’aboutir, car le seigneur des lieux était très sélectif quant aux choix de ses invités.
Hélène s’était donc, un peu honteusement, parée d’une très belle toilette et maquillée légèrement ses joues. A dire vrai, elle n’en avait pas besoin, étant, à cet instant, rouge d’embarras. Elle s’imaginait ressembler à ces femmes sans décence qui patientaient le long des rues jusqu’à ce qu’un homme les remarquât, sortant alors avec précipitation et discrétion quelques pièces clinquantes de ses poches pourtant bien vides.
Elle porta sa main à sa poitrine, ayant du mal à respirer après ces pensées méprisables. Elle devait pourtant séduire ce duc, Alexandre était catégorique, il n’y avait aucun autre moyen. Pourtant, un part d’elle ne pouvait s’empêcher d’en douter. Il s’agissait de sa réputation dont il était question. Elle n’était pas sereine, un mauvais pressentiment l’envahissait tout entière. Toutefois, dès qu’elle osait exprimer ses doutes, l’ecclésiastique lui rappelait que Dieu avait ses yeux rivés sur elle.
Plongée dans ses pensées, elle commença à sentir une étrange sensation et elle n'eut qu'à lever les yeux vers le château et ses immenses fenêtres pour apercevoir les contours d'une silhouette masculine l'observant. Pour une raison qu'elle n'expliquait pas, elle savait avec certitude qu'il s'agissait du duc.
La panique la gagna et une multitude de scénarios s'imposèrent à elle. Que dire ? Que faire ? Comment se comporter face à cet homme ? Comment gagner son intérêt ? Comment le tromper ?
Reprenant contenance, elle choisit de s'assoir sur un banc à proximité, invitant, par ce geste, le noble à sa rencontre, si d'aventure ce dernier était intéressé. Elle sortit une petite lecture et attendit.
Elle patienta ainsi deux longues heures, à moitié plongée dans son livre, et relisant plusieurs fois les mêmes passages encore et encore, sans que les mots n'arrivent réellement à se former dans son esprit, bien trop occupé par l'angoisse qui grandissait minute par minute. S'était-elle trompée sur le duc ? Cet homme n'était peut-être pas aussi volage qu'elle le pensait. Où n'était-elle pas à son goût ? Auquel cas, elle ne serait d'aucune aide pour son cousin.
Elle en était là dans ses pensées quand l'immense portail principal du château se fit entendre.
Levant les yeux de ces mots qui n'avaient plus aucun sens pour la jeune femme, elle fut ébloui par le soleil qui commençait à pointer à l'horizon, entamant une lente descente dans les profondeurs lointaines du monde.
Une silhouette, noble et sombre, monté sur un cheval, s'en détacha.
Hélène crut perdre un peu de son souffle alors que la distance entre eux se réduisait. Elle souhaitait se lever et quitter les lieux sans se retourner, mais une sorte d'attraction l'empêchait de bouger de son banc.
Le duc Victor s'approcha lentement d'elle, comme un chasseur désireux de ne pas effrayer la belle biche endormie. Arrivé à sa hauteur, son regard s'ancra dans celui de la jeune femme.
Intimidée par l'homme en face d'elle, Hélène ne sut quoi dire. Le duc qu'elle avait imaginé ne correspondait pas à l'homme qu'elle avait en face d'elle. Habillé de tissus sombres et très coûteux, il se tenait avec aisance sur son étalon à la robe tout aussi noir. Une étrange harmonie englobait ce tableau enchanteur. Comprenant qu'il n'obtiendrait aucun mot de la belle à ses pieds, il consentit à descendre de sa monture et lui présenta sa main.
Ils avaient ainsi marché pendant une bonne heure, discutant de tout et de rien mais surtout d'eux. Se découvrant au fil des mots et des regards. La flamme aux joues, Hélène tentait de garder contenance, s'empêchant, une énième fois, d'observer le duc à la dérobée. Mais si d'aventure ses yeux lui désobéissaient et se levaient vers la haute stature du noble, elle surprenait alors toujours les beaux orbes émeraudes de l'aristocrate sur elle. Et sa voix de baryton finissait de réchauffer l'atmosphère du lieu.
La jeune femme en était profondément confuse, elle était parcourue d'une sensation qu'elle n'avait alors jamais connue. Une chaleur qui passait de son bras, posé sur celui du duc, et qui se diffusait dans le reste de son corps. Elle coulait tel le soleil en face d'eux et chamboulait toutes ses pensées, rendant ses genoux fragiles, et l'obligeant à s'accrocher encore davantage à l'homme à ses côtés.
Alors que le charme du duc s'immisçait jusqu'à son coeur, le visage d'Alexandra s'imposa à elle avec force. Elle ne devait pas oublier sa mission.
Les jours, les semaines et les promenades s'étiolaient en douceur. Une étrange routine s'était installée entre eux, Victor accordait à Hélène tous ses lundis après-midi, qu'ils passaient d'abord dans le parc, en face de la demeure du duc, puis dans les jardins personnels du noble. La jeune femme lui parlait alors de sa ville natale, sa famille et des messes du dimanche auprès de son cousin. Et le duc l'écoutait attentivement mais ne consentait jamais de s'affranchir d'une sorte de distance qu'il imposait malgré tout. Malgré elle.
Avec le temps, toutes les pensées d'Hélène n'étaient tournées que vers ces rendez-vous, dont les astres étaient les seuls témoins. Oubliant par moments que Dieu aussi observait leur complicité toute nouvelle. C'est Alexandre qui se chargeait de lui rappelait, anxieux à l'idée que sa cousine ne se fasse avoir par le Diable.
Mais Hélène tenait bon et progressait avec un calme surprenant, s'immiscant doucement dans l'intimité du duc malgré le mépris des autres roses. Pénétrant d'abord les jardins du noble, elle pouvait désormais s'assoir dans son salon personnel, où ils terminaient leurs discussions autour d'un café. Toutefois, Hélène souhaitait encore davantage, elle voulait passer la porte de son bureau, néanmoins, sans franchir celle de sa chambre. C'est en parlant de l'église et des dons que ses chers parents faisaient régulièrement qu'elle obtint un rendez-vous, soulignant qu'il serait de bon ton qu'un homme aussi fortuné que lui en fasse autant. Amusé par son audace, le duc accepta et lui donna rendez-vous dans son bureau le jour suivant.
C'est ainsi que le prêtre et la jeune femme établirent un plan assez sommaire, mais qu'ils jugeaient suffisant, pour permettre à Hélène de se retrouver seule dans le bureau du duc. Si des choses pouvaient compromettre l'aristocrate, alors elles se trouvaient assurément dans cette pièce très secrète.
C'est donc avec un brin d'angoisse, qu'Hélène passa la porte de son objectif.
Le lieu en question, ressemblait, à première vue, à un bureau tout ce qu'il y avait de plus normal, bien qu'il suffisait d'un seul coup d'œil pour s'apercevoir que tout n'était que meubles luxueux et tapisserie élégantes. Le bureau, en bois massif, trônait au centre de la pièce et imposait, à lui seul, le respect.
Alors que la discussion de la jeune femme et du duc se déroulait dans le calme, le majordome fit irruption dans la pièce pour alerter son maître qu'une chose singulière se déroulait au portail principal du château ; le prêtre était devenu fou et l'accusait de tous les maux, jusqu'à le confondre avec le Malin lui-même. Hormis un léger froncement des sourcils, il n'exprima rien d'autre et se contenta de s'excuser auprès d'Hélène avant de quitter la pièce avec son serviteur.
Dès que les pas des deux hommes furent suffisamment loin, elle sauta de sa chaise et fouilla tous les tiroirs des cabinets qui s'offraient à elle. Son cœur battait si fort qu'elle était en mesure de sentir et entendre chacun de ses battements. La jeune femme ne trouvait que des papiers qu'elle ne pouvait que survoler et qui, visiblement, semblaient peu intéressants.
Elle avait perdu la notion du temps, et la panique la gagna définitivement, jusqu'à ce qu'elle ouvre le premier tiroir du bureau. Un l'intérieur, une petite fiole ronde très singulière, sur laquelle était marquée en encre bleu "Veritaserum". Elle s'empressa de la ranger dans son corset, trouvant cela décidément trop étrange. Elle avait enfin un début de preuve. Un étrange mélange de soulagement et de tristesse se confondait en elle. Au fond, elle avait peut-être espéré ne rien trouver.
Le soir même, Hélène présenta à Alexandre une lettre de change attestant d'un don important pour l'église de Hautfort et la fiole de "Veritaserum". L'homme de Dieu ne cachait pas sa joie, car tout se déroulait bien mieux encore que ce qu'il avait espéré. Seulement, une chose le tracassait, il n'avait aucune idée de ce qu'était le "Veritaserum". Sa première idée fut, naturellement, qu'il s'agissait d'un poison. Pour s'en assurer, il en fit boire quelques goûtes à un moineau, mais rien ne se passa. Toutefois, il ne pouvait se résoudre à l'essayer sur un humain. Ainsi, une semaine après, ils se trouvaient toujours dans le flou et rien ne semblait indiquer une quelconque malice du duc Victor.
Quand Hélène rejoignit l'aristocrate le lundi après-midi suivant, elle oublia cette histoire de fiole et accueillit la rencontre avec plaisir. S'asseyant dans les confortables et luxueux fauteuils du salon, elle savoura son café et l'attention du duc. Ses beaux yeux verts enveloppaient la jeune femme d'un égard tout particulier, rappelant le vert éclatant du jardin qui mettait si bien en valeur ses roses.
- C'est bien vous qui avez volé ma fiole de Veritaserum ? Demanda le duc d'une voix profonde, reposant calmement sa tasse et coupant court à la félicité de l'instant.
Hélène en resta stupéfaite, ne sachant quoi répondre pour se sortir de cette situation. Cependant, elle n'eut pas à réfléchir longtemps alors que sa langue se déliait sans qu'elle ne puisse la contrôle. Elle lutta avec force contre la vérité qui ne demandait qu'à sortir mais son combat fut vain, et son affirmation résonna avec force à ses oreilles.
Elle crut être possédé par le démon et des larmes de détresse se logèrent au coin de ses beaux yeux. De honte, elle n'osait plus regarder le duc, alors que ce dernier continuer de poser ses questions avec un calme sinistre.
Ayant obtenu toutes ses réponses, il consentit à l'éclairer et posa une fiole ronde devant Hélène, une étiquette à l'encre bleue indiquait "Veritaserum". La compréhension frappa la jeune femme et elle observa le duc avec stupeur, tandis que ce dernier sortait un long bâton sculpté avec délicatesse d'une poche intérieure de sa veste. Il joua avec un instant, fronça légèrement ses sourcils de concentration, et enfin, rigola.