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Rédemption et Résilience [Lance]

Notes:

Information avant lecture :

Cet OS a pour but de retracer l'arc de rédemption inexistant de Lance dans le jeu (et aussi d'évacuer une certaine frustration et déception vis-à-vis de sa route).

 

Je n’insinue pas posséder la science infuse, ni même savoir ce qu’avaient les scénaristes en tête. Cet OS a été inventé à la suite des éléments que nous avions à disposition dans TO, les archives et ANE. Et laisse libre court à ce que j’aurais voulu voir dans sa route.

L’écrit commence à la fin de l’épisode 30 de The Origins et progresse jusqu’aux premiers épisodes de ANE. Du point de Lance.
Veillez à être à jour dans l'histoire car j'utiliserai certains éléments du scénario initial.

 

Musique d'ambiance : Lovely - Billie Eilish ft. Khalid

Work Text:

Ma main draconnique est enfoncée dans sa cage thoracique. Je n'entends plus rien autour de moi. Mon regard plonge dans celui mordoré de mon cadet. Nous nous fixons. Nous le savons. Mes griffes se serrent autour de son cœur. Je n'entends pas le cri déchirant d'Erika. Je ne vois rien qui ne semble nous arrêter. Même pas le fantôme de Fafnir. Un faible sourire se dessine sur le visage de Valkyon.

 

« Je t'aime mon frère. Je te pardonne, me souffle-t-il. Prends soin de tout ce que je perds. »

 

Je le fixe. L’adrénaline me fait trembler. Ou alors est-ce son cœur qui s’agite dans ma paume. Ma tête se penche sur le côté. Le souffle de Valkyon s’amoindrit, son corps est pris de léger spasme. Je sens encore son cœur battre dans le creux de mes griffes. Les battements diminuent au fur et à mesure que j'enserre son organe. Je sens son corps convulser. Ses ailes de dragon se déploient dans son dos. Je suis fier de toi, tu as pu les déployer sans te blesser, je le félicite. Comme s'il m'avait entendu, Valkyon me sourit. Ou alors n’est-ce que la réaction d’un corps qui meurt ? Il ne cherche même pas à se défendre. Faible. Tu aurais pu te battre pour éviter ça. Ma main arrache son cœur. Je n’ai pas réfléchi. C’est l’adrénaline. Un rire euphorique, presque fou monte dans ma gorge et secoue mes mâchoires. Je n’ose imaginer mes yeux exorbités et mon sourire dément.

La carcasse sans vie de mon jumeau s'écroule sur le mien. Je sens son dernier souffle au creux de mon cou. Son sang encore chaud cascade le long de mon bras. Je sens quelque chose me quitter. Une moitié. Je lève les yeux vers le toit en verre de la salle du cristal, les larmes coulent au coin de mes yeux. Je n'entends pas les hurlements déchirés de ses alliés. Mes lèvres se posent contre sa tempe.

 

« Je suis désolé, je lui réponds d'une voix rauque, j'aurais voulu que cela se passe autrement. Je te promets de faire attention à tout ce que tu as perdu. Je t'aime. Salue Mère pour moi. »



Ma voix se serre dans ma gorge. Qu’est-ce que j’ai fait ? J'ouvre ma paume et laisse rouler son cœur au bout de mes doigts. Lorsqu'il heurte le sol, je sens Leiftan me percuter de plein fouet. Je tombe. Il me frappe le visage avec toute sa rage de daemon. Je ris. Comme un fou à lier. Erika tente désespérément de l'arrêter. On me hait davantage. Me voilà seul contre tous. Contre mon avenir déjà tracé. Je ne quitte pas les émeraudes de mon ancien partenaire, ce qu’il est bon de le voir enragé. Il n’est pas aussi faible qu’il le pense.

 

« Deux frères ennemis, l'un du froid, l'un des flammes s'affronteront un jour au-dessus des nuées. L'un devra vaincre l'autre pour trouver la paix. L'un devra vaincre l'autre en y laissant l'âme. » dis-je entre deux toux suintantes de sang.

 

Je le méprise. Il m’a abandonné le premier alors qu’il était l’un de mes plus fidèles sous-fifre. Je le déteste de vouloir se racheter les bonnes grâces de la Garde. Leiftan. Lui, il sera pardonné de ses actes passés. Je ne le serai jamais. Mon corps heurte le sol, je me tourne sur le flanc, près de son cadavre. Mon regard fixe les yeux vitreux de mon frère. J'éclate en sanglot en tendant ma main ensanglantée vers ses paupières pour les fermer. Je suis en paix. J'ai réussi ma mission. Je suis une bonne personne. Un soldat loyal. Je n’ai pas à envier Leiftan. On m'assomme. Erika a déversé sa rage sur moi. On me relève. Jamon m'écrase les poignets et me les bloque dans le dos. Je peux l'exterminer. Je suis un dragon. Ezarel me force à boire l'une de ses potions immondes. Mes yeux se posent sur la carcasse de mon frère. Je suis incrédule, dans le déni. Je ne ressens plus rien, plus aucune émotion. Il y a juste un flottement, un engourdissement. Je suis dans un mauvais rêve. Je vais me réveiller. L'énergie me quitte. Mon corps est un poids trop lourd à porter. Mon esprit me torture de cauchemar. Ma main dans sa poitrine, la chaleur de son cœur, la tendresse de son regard, de sa dernière étreinte, ses derniers mots. La mort. Mes larmes coulent sur mes joues, l'étau se resserre autour de ma gorge, je suffoque, je panique. L’abandon.

 

Je me réveille dans une cage suspendue au-dessus de l'eau verte fluorescente. Mon dos me fait un mal de Blackdog, mes joues sont humides. Je m'assois en tailleur et contemple mon habit simple de prisonnier, une pâle tunique rouge. Je hais le rouge. On m'a dépouillé de mon armure. La tunique sent la solitude, la poussière et l’humidité. Des mèches mutines me tombent dans les yeux, je passe une main pour les tirer en arrière. Ce que j’ai mal. Un mouvement attire mon regard. En contrebas, j'aperçois Miiko. Elle me fixe, je plonge mon regard dans le sien. J'ai tout détruit. Un sourire cynique ourle le coin de ma lèvre. La kitsune tourne les talons pour quitter la prison du Q.G. Je suis de nouveau seul avec mes pensées. Les voix se moquent dans ma tête, me félicitent, me glorifient. D'autres me torturent et me donnent la nausée. Je laisse mon dos heurter la cage en acier. Mes bras tombent mollement entre mes cuisses, mes yeux se perdent dans les eaux vertes en-dessous de moi.

 

Je ne sais pas combien de temps on me laisse seul dans cette cage. Ni combien d'heures, de jours. Ma faim me brûle de l'intérieur. Ma soif a rendu ma gorge aussi sèche qu'un désert, c'est un supplice de déglutir. Ma langue pâteuse humecte mes lèvres. On ne me laissera pas mourir aussi pitoyablement. Un bruit attire mon attention. Mon cœur s’échappe de ma poitrine et me fais grogner. La cage est en chute libre. Je reste impassible malgré l'acidité de l'eau sous mes fesses. Mes yeux se lèvent vers l'assemblée qui m'attend. Miiko me toise alors que Jamon ouvre la porte de ma prison, et m'attrape avec violence. L’ogre menotte mes poignets et mes chevilles avec des chaînes dont des boulets traînent sur le sol, m’obligeant à courber l’échine et traîner un semblant de fardeau. Il me force à monter les marches de la cave où je suis enfermé. Mes jambes manquent de céder sous le manque de force. La lumière de la salle des portes m'aveugle et je grogne. On me pousse jusqu'à la salle du cristal. Une ambiance morbide y règne. Tout le monde semble vidé de son énergie vitale. Ils fixent le cristal flamboyant. Je sens sa chaleur raviver la vie de mon dragon. Mon regard se tourne instinctivement vers l’endroit où mon frère est mort. Il n’est plus là.

 

« A genoux. » m'ordonne la kitsune.

 

Je lui jette un regard condescendant du coin de l'œil. Comment ose-t-elle me parler ainsi ?

 

« Tu as toujours rêvé de ça. » je provoque d'une voix caverneuse.

 

Ces quelques mots suffisent à blesser ma gorge. Elle abat sa main contre ma joue. Mon visage se détourne. La colère monte en moi. Peut-être que je l'ai mérité, je pense ironiquement. Mes genoux cèdent et j'obéis.

 

« Regarde ce que tu as fait. » dit-elle en attrapant avec une violence surprenante ma mâchoire.

 

Je lève mes yeux et observe le cristal flamboyant. J'aperçois deux corps à l'intérieur, en état de stase. C’en est presque hypnotisant. Je cille.

 

« Deux êtres importants se sont jetés dans le Cristal pour réparer ton génocide. Regarde qui s'est sacrifié pour nous sauver ! Dénombre les vies que tu nous as retiré. » vocifère la kitsune.

 

Je contemple les corps d'Erika et de Leiftan, impassible. Je ne peux empêcher un sourire mauvais ourler au coin de mes lèvres. Au moins, les plus faibles ont pu faire quelque chose. Leiftan, le repenti a la gloire qu’il a toujours voulu. Et auprès de sa stupide âme-sœur. C’est qu’il a toujours mérité. Le pardonné. Miiko me gifle à nouveau, je lève les yeux vers elle. Son visage est noyé par les larmes. Je suis le paria de la cité d’Eel.

 

« Pourquoi ? POURQUOI ? »

 

Je ne lui réponds pas. Mon regard se détourne vers l'endroit où j'ai tué mon frère. Parce que je le devais. J’aurais aimé être dans ce cristal pour tout réparer moi aussi. Je les envie.

 

« Je te bannis à jamais. Je te renie de ces terres. Je vais te laisser mourir à petit feu. Tu ne participeras pas à l'enterrement de Valkyon. Je te déteste. Je te hais. Je te maudis. » cracha Miiko.

 

Et pourtant tu m'aimais à en mourir. Jamon tire sur mes chaînes, je me laisse traîner comme un poids mort. J'accepte ses nouvelles blessures sur mes cuisses et mes talons qui râpent le sol. Je regarde le cristal disparaître de ma vue, les dernières traces de sang de mon jumeau. Je suis faible. Je ne réalise pas. Qu'est-ce que j'ai fait ? 

 

 

L’eau est montée et est descendue au fil de mon emprisonnement. Je ne sais pas combien de temps a passé depuis la dernière visite de Miiko dans les caves. Des jours, au vue des marées sous-marines. J'ai perdu en carrure, ma barbe a poussé, mes cheveux aussi peut-être. Je ne sais pas depuis combien de temps je ne me suis pas regardé dans un miroir. Encore une fois, cette sensation de mon cœur qui s’échappe de ma poitrine me sort de ma torpeur. Ma cellule chute jusqu'à frôler les eaux fluorescentes et acides. Ebranlée, elle frôle le seul ponton qui permet d'y enfermer quelqu'un. Je grogne et ne prend pas la peine de me relever, les boulets à mes pieds et mes mains m'ont fragilisé les articulations. Mon regard reste baissé, on me balance un cadre qui se fracasse entre mes jambes. Mon corps peine à se pencher pour le ramasser. Je balaie d'un revers de doigts les éclats de verre et scrute le dessin.

 

Il me représente avec mon frère. Mon cœur se serre dans ma poitrine. Je le tiens par les épaules, le sourire radieux. Lui aussi est rayonnant, hilare. Miiko avait réussi à capturer cet instant complice en quelques coups de crayon. Je m'en souviens comme si c'était hier. Je commençais à peine mes débuts dans la Garde de l'Obsidienne en tant que chef. Mon petit frère me suivait docilement chaque jour pour qu'on s'entraîne, qu'on reste soudé, lié comme une seule et même entité. Ce jour-là, nous étions sous le cerisier, c'était notre anniversaire. Je lui avais tendu un paquet vivant, il m'avait regardé avec méfiance et je m'étais contentais de lui sourire :

 

« Un cadeau à la hauteur de ta tendresse. »

 

Sceptique, il avait ouvert le cadeau et éclata d'un rire franc à la vue du bébé musarose. Je l'avais enlacé d'un bras, il m'avait serré contre lui. C'était mon jumeau, ma moitié, mon tout. On ne voulait jamais se séparer parce qu'on avait vu les nôtres se déchirer pour un stupide sacrifice. J'étais sorti le premier de mon œuf, cela faisait de lui mon cadet. Nous étions fusionnels. Si fusionnel que nous partagions une même petite amie : Miiko. Mais plus le temps passait, plus elle s'entichait de moi et plus je me rapprochais d’elle, prenant soin de ne jamais abandonner mon frère.

 

« C'était la seule chose qui restait de toi pour lui. Ce sera la dernière chose qui te restera de lui après l'avoir tué. » dit la voix éraillée de la kitsune.

 

J'ose à peine lever mon regard vers elle. Ses yeux sont gonflés d'avoir trop pleuré. J'entrevois le bout de ses doigts trembler de fatigue, ou de colère, je ne sais pas trop. Je baisse à nouveau les yeux, je n'ai pas la force de me battre, de prendre part à une énième joute verbale.

 

« Il adorait passer du temps avec toi, jamais vous ne vous sépariez. Vous étiez tout le temps ensemble. J'en étais presque jalouse. Comment as-tu pu ? »

 

Je hausse imperceptiblement mes épaules. Pour l'honneur des miens, pour l'équilibre. Je l'entends soupirer. Elle n'a pas non plus la force de se quereller avec moi.

 

« Je vais partir d'ici. Je ne peux plus te regarder. Je ne peux plus vivre avec l'absence de Valkyon. Je n’ai plus la foi de prier l'Oracle pour libérer Erika et Leiftan du Cristal. Cela fait un an et la blessure est toujours aussi béante dans mon cœur. »

 

Mes yeux se posent sur elle, impassible.

 

« Alors toi aussi, tu me quittes. » dis-je d'un timbre sans vie, calme et froid.

 

Elle me foudroie du regard. Pour la première fois depuis mon geste, je sens mon cœur tomber douloureusement dans ma poitrine. Je réalise. L'abandon.

 

« Je ne t'ai jamais quitté, tu l'as fait bien avant moi. » me reproche-t-elle d'une voix serrée.

 

Je lis le déchirement dans son regard. Je hais les adieux. Mon regard se baisse sur mes mains que je vois encore teintes de rouge. Le sang de mon frère. Je déglutis péniblement en fermant les poings. Je hais le rouge.

 

« Je...

- Ne te permets plus aucune parole. Je ne veux plus rien savoir de toi. Je ne veux plus entendre le son de ta voix. Je ne veux plus ancrer la beauté morbide de ton visage dans ma mémoire. Tu n'existes déjà plus à mes yeux. » tranche-t-elle d'une voix froide avant de tourner les talons.

 

Miiko disparaît. Je ne la reverrai plus. Comme Valkyon. C’est mon jugement dernier.

 

La vie a repris son cours au-dessus de moi, comme si rien ne s'était passé. Je suis confrontée à l'absence de mon jumeau, je n'ai pu lui dire un dernier au revoir. Sa voix et son regard, son sourire et ses mimiques, son odeur, sa personnalité, me manquent. C'est si vide sans lui, si fade. Je ne pourrais plus partager de moments complices dorénavant. Je n'ai plus personne. Je suis minable. Je supplie le premier soldat qui vient me surveiller de m'apporter un fouet. Je dois me punir pour évacuer ma souffrance. Il ne cède pas, ni le second. Jamon arrive pour son tour, m'informe que l'on va me changer de cachot. Depuis combien de temps suis-je dans les entrailles de la cité ? On me descend de ma cage suspendue pour me faire avancer dans une geôle à même la pierre. Je marche derrière l’ogre. Je puise dans mes dernière force pour lui dérober le fouet en cuir qu'il cache dans son dos. Lorsqu'il n'y a plus personne, je pose notre portrait devant moi. Ma main est armée du martinet et les lanières giflent à sang la peau nue de mes épaules, de mes côtes. Je me flagelle en grondant et mes yeux ne quittent pas ceux de mon frère. C'est pour toi. Les coups sont plus vifs, le cuir est tâché de sang et je continue jusqu'à ce que des larmes ruissellent sur mes joues, que le ruisseau vermillon colore mon dos. J'entends sa voix me supplier d'arrêter. Je tombe à genoux en éclatant en sanglots, le front contre notre photo. Reviens, je supplie.

 

Les jours passent. J'ai toujours cette impression d'entendre ses pas, sa voix. Valkyon occupe toutes mes pensées, de jour comme de nuit, son parfum m'embaume et je m'endors de fatigue, sous la douleur du fouet qui flagelle mon dos. Les cicatrices ont pris place sur ma chair insensible. Je voudrais me punir pour l’éternité. La porte claque en haut de la cave, je cache l’objet de ma rémission et écoute les pas venir vers ma geôle. Huang Hua apparaît de l'autre côté des barreaux. Je me sens fou à lier alors que je reste assis au sol, le dos contre la pierre. Nous nous fixons et un rire cynique passe la barrière de ma gorge. Ma vie est tout aussi misérable que tout ce qu'il se passe au-dessus de moi.

 

« Je n’ai pas le droit au visite de courtoisie. Mais les soldats sont bavards. Je connais ta position au sein de la cité. Je sais les dernières rumeurs. Tu es tellement désespérée que tu viens à moi pour solliciter mon aide ? »

 

La fenghuang secoue son visage avec dépit et pitié.

 

« Je ne pense pas que tu sois en position pour faire un quelconque commentaire, Lance. » me fait-elle remarquer.

 

Je fais tout aussi pitié qu'elle. Un rire jaune résonne dans ma gorge. La nouvelle cheffe d’Eel reprend :

 

« J'ai besoin de toi. »

 

Quelle ironie. Je croise les bras. Huang Hua soupire et s'accroupit à ma hauteur. Elle veut marchander. M’appâter. Me racheter.

 

« A quel prix ? je demande.

- Celui de sonder ton esprit et lire ton âme.

- Tu pourrais avoir peur du grand dragon, jeune phœnix.

- Grand dragon qui a perdu une partie de lui. » dit-elle d'une voix cassante.

 

La fenghuang me laisse pantois et s'excuse d'un signe de tête. Voilà le visage hypocrite qu’elle manie à la perfection. Culottée pour celle qu’on dit altruiste. Tu as bien changé, ta coupe de cheveux n’en est qu’un reflet. Quel lourd secret caches-tu ? Elle reprend d'une voix douce, me sortant de mes pensées :

 

« J'ai besoin de quelqu'un pour la Garde de l'Obsidienne. J'ai besoin d'un grand soldat, d'une personne prête à mettre sa vie en péril pour Eldarya. Je te propose ce poste en échange de la lecture de ton âme.

- Qu’est-ce que j’ai à foutre de ce statut dorénavant ? Tu trouveras bien meilleur remplaçant que moi. Caméria, par exemple.

-Si tu acceptes mon offre, je te donnerai l'autorisation de te recueillir sur la tombe de Valkyon. »

 

C’est mesquin. Vicieux. Je me rembrunis et ne répond pas. Huang-Hua me fixe avec intensité. Qu’est-ce que j’ai à perdre dorénavant ? Je me rends et accepte d'un signe de la tête. La résilience avant la rédemption. Je ne pourrais pas rester indéfiniment dans cette prison sans faire le geste de trop. Le sacrifice qui me permettra de rejoindre mon petit frère. Au pire on le fera pour moi. Ma réintégration ne fait pas l'unanimité et je le conçois. Mais le peuple finit par faire confiance à la cheffe de l'Etincelante, mon âme est remplie de remords, de regret et de tristesse. Je ne suis plus une menace pour eux. Je ne veux plus l'être. Les choses ont changé depuis deux ans. Nevra est devenu le bras droit de Huang Hua, laissant sa place de chef de l'Ombre à Chrome. Huang-Chu, la demi-sœur de la fenghuang, a rejoint les rangs de l'Absynthe. Ezarel est parti pour vivre de nouvelles aventures et aider les plus démunis. Leiftan et Erika sont toujours coincés dans le cristal, il m'arrive de regarder leurs ombres au travers du joyau avant de quitter les lieux pour rejoindre la plaine de la cité. Tous les soirs, je me repens sur la sépulture de mon frère. Mes paroles se heurtent au marbre, mes larmes arrosent les fleurs qui sont déposées à ses pieds. Il m'arrive parfois de me tuer aux entraînements, je m'étourdis pour oublier ces satanées images de mon fratricide. Je m'explose les phalanges, je rouvre les blessures de mon dos, je laisse ma rage s'évacuer.

 

 

Deux années s'écoulent. Mon quotidien est le même. Je me lève tôt, je déguste les plats très salés de Karuto. Seul. Je m’entraîne une première fois. Seul. Je relève la garde sur les remparts. Seul. J’effectue des missions. Seul ou en compagnie de celles et ceux qui souhaitent m’accompagner pour me poser des questions indiscrètes. Comment je me sens. Qu’est-ce que ça fait de tuer son frère. Comment c’est d’être un dragon. Je rentre. Je fais mes rapports. Seul. Je dîne. Seul. Je vais aux bains quand il n’y a plus personne. Et je recommence ce cycle incessant ponctué par les perturbations davantage présentes à Eel, le Cristal semble ne plus nous protéger. Je me donne corps et âme dans mon poste de chef de l'Obsidienne. Mon deuil ne m'aide pas à me surpasser, j'ai l'impression de régresser. Le plus dur n'est pas passé. Je ne suis pas entouré. Seul, seul, seul. Huang Chu me répète souvent, avec hostilité :

 

« Il faut que tu tournes la page, il faut que tu oublies le passé. C'est derrière toi. »

 

Et ce, à chaque moment où Valkyon me manque le plus, où son absence me pèse. Le jour de notre anniversaire. L'instant où je me sens le plus seul. Je suis à genoux devant sa tombe et lui adresse une pensée, lui promet de ne plus me faire de mal. Il m'arrive parfois, de façon déraisonnée, de demander à Koori de me montrer une réalité alternative, mais cela me brise le cœur. Comme la dépendance à de la poudre de perlimpinpin, l’herbe de sabali ou autres potions dérisoires. Koori est la seule qui me porte de l’intérêt. Peut-être trop. J’ai quelque chose avec les kitsunes. Je me perds en elle. Plusieurs fois. Jusqu’à perdre de l’intérêt. Il fallait bien que je la récompense pour ce qu’elle m’offrait.

Jusqu’au jour où je me trouve une nouvelle obsession. Sauver des vies m’importe davantage, frôler la mort diffuse une adrénaline, une euphorie, dont je suis fou, être médiateur à défaut de Nevra me convient. Je me sens tout aussi puissant que lui. Et je vois dans le regard chocolaté d'un rescapé humain, l'espoir avec laquelle me regardait mon frère. Cette bataille avait été dure pour tout le monde, avait soulevé de nouvelles interrogations sur le Sacrifice Bleu et sur le sort qui nous attendait. La venue de Mathieu nous avait rappelé celle d'Erika. Il est devenu l'ancre dont j'avais besoin. Je suis resté à son chevet, sans plus jamais le quitter. Je lui ai fait cette jambe de maana avec l'aide de Huang Chu et Koori. Je l'ai aidé à s'intégrer à Eel malgré la haine des faëliens à son égard. Je lui ai appris à se battre à l'épée, à monter la garde sur les remparts de la cité. Je l'entends encore me dire :

 

« On se croirait dans Skyrim.

- Skyrim ?

- C'est un jeu vidéo. »

 

Il marque une pause et rit à pleine gorge. Je dois avoir l’air idiot à ne pas comprendre ses répliques humaines.

« Laisse-tomber, tu ne ressembles pas assez au grand méchant dragon Alduin. Et même si tu as été le méchant une fois, tout le monde a le droit à une seconde chance, non ?

- Je suppose, dis-je. »

 

Je ne le comprends pas plus avec son charabia humain mais cela semble l'animer. Il me suit à la trace et me supplie sans cesse de l’aider à fuir la garde de l’Absynthe. J'aime son regard pétillant de joie quand il me regarde lorsqu'il m'en parle. La même énergie qu'il m'arrive de déployer lorsque je lui parle de mon frère. Il était la perfection à mes yeux et pourtant Mathieu m'aide à garder les pieds sur terre. Il est presque ce nouveau petit-frère. Mais je ne lui en touche aucun mot. Je reprends peu à peu ma place dans ce monde. Mon frère me manque et me manquera toujours mais ne plus être sans lui n'est plus une cicatrice déchirante.

 

Ma vie bascule une nouvelle fois lorsque Mathieu retrouve Erika hors du cristal. Sept ans sont passés. Huang Hua me conseille de me faire aussi discret qu'une musarose, ses souvenirs s'arrêtent au meurtre de Valkyon, son ex-amant. Me voir ici, ne l'aiderait pas dans son deuil. L'acceptation serait longue et je sais de quoi je parle. Il m'a fallu sept longues années pour quitter cette sensation désagréable. Aujourd'hui, les plaies béantes se referment et ne s'ouvrent plus. Leiftan est le premier à venir à ma rencontre. Je le sens changé, renfermé. Je le méprisais à l’époque, aujourd’hui, il fait pitié. Il se place en tant que martyr, victime de tout. Il n’a pas l’attention qu’il aurait voulu avoir. Il prêche les bonnes paroles et agit comme une coquille vide. Le daemon refoule sa nature et cherche à se repentir. C’est un partenaire que je ne connais pas, mais qui suscite un léger intérêt. Sa patience et son calme sont inspirants. Nevra s’acharne sur lui parce qu’il craint la fin soudaine d’Eldarya, parce qu’on a besoin de lui, d’un dragon et d’une demie aangel pour rétablir l’équilibre.

 

Je croise à nouveau la route d’Erika au marché. J’avais cru pouvoir passer sous sa vigilance, mais lorsqu’on lui avait appris ce que j’étais devenue, elle s’était mise en tête de me traquer. Nos retrouvailles ne sont pas celles auxquelles je m'attendais. Je n'en suis pas non plus surpris ou déçu. Érika m'attaque avec rage. C’est une réaction justifiée. Le temps semble s'arrêter sur la place, les Purrekos nous dévisagent. Je la laisse frapper deux fois, avec une puissance vengeresse, mon armure avant de lui attraper les poignets pour qu’elle ne se fasse pas plus de mal. Elle hurle. Elle pleure alors que je la maîtrise fermement sans lui faire de mal. Son visage est rouge de colère, sa voix rongée par la haine. Elle m'insulte, m'offense et tente à nouveau de m'attaquer. J’évite son coup maladroitement parce que je suis hébété. Je ne souhaitais pas que ça se passe comme ça.

 

« Je ne veux pas te blesser. Je ne suis pas ton ennemi, lui dis-je d'une voix calme.

- Manipulateur. Assassin ! » hurle-t-elle.

 

Nevra intervient aussitôt avec Huang Hua pour nous séparer. Je regarde Érika une dernière fois, désemparé avant de tourner les talons pour quitter les lieux. Je ne veux pas plus l’incommoder de ma présence. Je retrouve Mathieu au cerisier un peu plus tard, en fin de journée, car il m'a supplié de l'aider à s'entraîner. Il me regarde.

 

« Écoute chef, commence-t-il.

- Je ne suis pas ton chef, je le réprimande d’une voix calme.

- Mon mentor. Bref. Ne t'apitoie pas trop. C'est une réaction plutôt normale. Laisse-lui du temps, elle viendra sûrement te voir quand elle sera prête à encaisser le coup. Huang Hua a dû lui dire dans les grandes lignes ce qu'il s'est passé. Érika ne semble pas stupide, même si elle a agi avec impulsivité. Elle fera ce qui est bon pour elle, et pour toi en temps voulu.

- Et si tu continues à être aussi sentimental, je devrais te coucher au sol, dis-je, un léger sourire narquois au coin des lèvres alors que mes doigts entourent mon épée.

- Mais enfin ! Ce que je dis est vrai ! » s'indigne mon apprenti alors que je commence à l'attaquer.

 

Oui, tu as raison. Tout le monde a le droit à une seconde chance. Et j'ai promis à mon frère de prendre soin de ce qui lui était le plus cher avant son départ.

 

C'est ce que je fais, lors de l'attaque du Warrifang, lors de notre voyage vers Genkaku lorsqu'elle se jette à la suite de Leiftan pour le sauver. Erika semble ailleurs, assise en boule contre les balustrades de notre bateau à grelotter. Je m'accroupis à ses côtés après avoir passé autour de ses épaules une couverture. Le silence est gênant entre nous et je préfère la laisser. Sa voix s’élève timidement :

 

« Je suis désolée de ce qu'il s'est passé au marché, la dernière fois. »

 

Mes épaules se haussent avec indifférence.

 

« Je ne t'en veux pas. Tu as agi comme une personne censée. Huang Hua est plutôt la fautive dans cette affaire, elle ne semblait pas t'avoir prévenue. Ou cherchait à te protéger. Tu as le droit de m’en vouloir, de ne pas accepter ma présence, de me haïr. Ça m’est égal dans le fond. Mais j’espère juste qu’un jour, quand tu seras prête, tu me laisseras me confier, que tu comprendras que je n'avais plus rien et que c'était la seule chance de m'en sortir pour l’honneur de Valkyon. »

 

Erika se contente d'hocher la tête tandis que je la laisse seule avec ses pensées. Notre mission à Genkaku nous oblige à travailler ensemble et elle reste à mes côtés alors que j'observe avec perplexité les draflayels anormalement grands. Mon cœur déborde de chagrin et de culpabilité. Memoria n'existe plus. Ma terre n'est plus. Et j'ai blessé ces êtres importants à ma race. Erika pose une main réconfortante sur mon épaule. Cela me déchire davantage. Je ne veux pas lui donner une quelconque pitié à mon égard. C’est elle qui en souffre le plus maintenant.

 

« J'étais aveuglé par la rage. J'ai ravagé tout ce qui avait un rapport avec la naissance du Sacrifice Bleu, dont les draflayels alors que j'aurais dû les protéger. Tout autant que Memoria. »

 

J'ose m'apitoyer sur mon sort alors que j'en ai causé la perte. Elle me regarde de ses grands yeux améthyste. Je n'y vois que du réconfort alors que cela devrait être mon rôle. Je secoue la tête en soupirant et reporte mon attention sur le familier.

 

« Dans nos légendes draconniques, les draflayels représentent les familiers spirituels des dragons. Je ressens une certaine connexion avec eux. Nos anciens pensaient qu'ils étaient la réincarnation des Dragons sacrifiés.

- Alors tente d'apprivoiser celui-ci. » me dit-elle en pointant celui qui me fixe.

 

Je nie de la tête.

 

« Je n'ai pas le temps d'en prendre soin. La garde obsidienne et le travail que j'accomplis sur moi me prennent énormément de temps. »

 

Je marque une pause et me tourne vers l'humaine que mon frère a aimée. Ma main tapote légèrement le haut de son crâne.

 

« Merci de m'avoir écouté. Je n'aime pas vraiment parler de tout ça. »

 

Je m'écarte et rejoins Nevra qui m'attend, la mission doit continuer. Je ne saisis pas vraiment ce revirement de situation et je préfère passer outre car la mission est plus importante à mes yeux. Parce que les émotions et les sentiments n’ont pas être présent sur le terrain. Me transformer en dragon sur les terres de Tenjin ne nous apporte pas leur faveur. Il tente de me provoquer, mais je reste froid. Un conflit diplomatique n'arrangerait rien. Je scrute Koori du coin de l’œil, elle est apeurée. Nous convenons à un marché. Erika s'ouvre un peu à moi pendant notre tour de garde dans l'immeuble, je découvre un ascenseur et elle prend le temps de m'expliquer le fonctionnement de l'électricité. Mais je ne suis pas sûre d'avoir tout compris. Je l’ignore lorsque nous nous retrouvons sur le toit. Le draflayel est revenu, mon cœur se serre. Est-ce le signe que j'attendais depuis sept ans ? Erika m'encourage à l'approcher et une attaque fuse, je me retrouve à la protéger avec le familier. Il se prend une flèche dans l'aile. Je m'en inquiète bien plus qu'il ne faudrait. Je veille sur lui avec Erika qui, poliment, me fait la conversation.

 

« Penses-tu que leur taille diffère selon les régions ? me demande-t-elle.

- Je pense que c'est une nouvelle preuve du dérèglement que nous subissons. Les familiers y sont plus sensibles. Regarde le sersea, les maripodes, le warrifang qui t'a attaqué, ce n'est pas leur comportement naturel. En tant que faerie, nous ne sommes pas plus immunisés. Nous devrions faire attention. »

 

Elle hoche la tête en caressant le crâne du draflayel blessé. Etonnamment, il se blottit contre moi en émettant un son semblable d'un bébé dragon bercé par sa mère. Je pince mes lèvres et Erika me sourit légèrement.

 

« Il aime ta présence. Il ne veut pas te quitter.

- Tu parles couramment la langue des draflayels ? je tente d'ironiser.

- Je le sens, c'est tout. C'est comme les émotions de Leiftan. »

 

Je me contente de cette réponse. Comme je me satisfais de toute nos différentes rencontres depuis son retour. Cela commence même à me faire cogiter. J’essaie d’interpréter les signes que je ne vois, d’imaginer des choses qui n’ont pas lieu d’être. Je ne veux pas qu’elle soit mon dernier souvenir de Valkyon. Ma dernière ancre. Un soir, elle me propose de la rejoindre au cimetière, je lui emboîte le pas en silence. Nous nous installons à genoux devant sa sépulture. Le silence s'installe entre nous.

 

« Quand tu croiseras Lance, promets-moi de ne pas lui en vouloir et de faire tout ce qui est en pouvoir pour le guider, dit-elle à voix. Ce sont les dernières paroles que m'a dit ton frère lorsque je l'ai croisé dans ce monde entre la réalité et l'astral. »

 

Je baisse la tête.

 

« Je suis sincèrement désolé... Du plus profond de mon cœur. Je suis désolé, Erika. Désolé de t'avoir provoqué autant de peine et de chagrin. D'avoir détruit ta vie. D'avoir ôté la sienne. Je n'avais pas réfléchi à la conséquence de mon acte, j'étais obnubilé par la haine. Je regrette. Je ne mérite pas ton attention, pas après tout ça. »

 

Ma voix est rauque. Touché par son approche et sa façon à elle de tenter de me pardonner.

 

« Pourquoi tu fais ça ? je demande.

- Parce que je connais ta peine et ta douleur. Que je ne suis pas quelqu'un de sans cœur. Le fait de te repentir est une chose. Demander pardon est un acte brave, parce que tu as conscience de la cruauté qu'il y avait en toi il y a sept ans. Et sur ce point-là, je peux affirmer que tu as changé. J'arrive à accepter le bien que tout le monde dit de toi. Mathieu te voue un culte et je t'ai vu le protéger comme s'il était ton frère. J’ai aperçu la détermination dans ton regard de ne pas céder aux provocations de Tenjin. Je t'ai observé avec Skala. Tu n'es plus celui que j'ai connu avant ma disparition. »

 

Elle caresse la pierre tombale avec affection. Je sens mon cœur se gonfler d’une étrange joie. Mes lèvres se pincent. Je comprends pourquoi Valkyon l’aimait tant.

 

« Parfois, il faut rouvrir une blessure pour mieux qu'elle cicatrise. On ne pourra jamais changer le passé. Mais le pardon élargira les horizons du futur. J'ai promis à Valkyon de ne pas t'en vouloir. Même si dans le fond, je t'en veux terriblement. Mais je ne souhaite pas vivre dans la rancœur ou la vengeance. Je ne sais pas si nous deviendrons amis ou si nous resterons de simples collègues. Je peux tenter moi aussi de te pardonner, ou à minimum t'écouter, parce que tu en as besoin autant que moi. Car nous sommes les dernières pièces de la vie de Valkyon. »

 

Je tourne mon visage vers mon ex-belle-sœur. Elle pose sa main sur la mienne avec un faible sourire. Je reste sans voix et presse sa paume. Erika reprend :

 

« Je suis prête à t'écouter. Te pardonner me prendra du temps. Oublier, je ne le ferai pas. Mais si je veux accéder à la prochaine étape de mon deuil alors je suis prête, ici et maintenant. Et j'espère sincèrement pouvoir aussi t'aider à prendre le chemin de la paix. »

 

Je sens les larmes me monter aux yeux. Je porte sa main à mes lèvres et y dépose un simple baiser. Mon regard larmoyant se pose sur la tombe.

 

« Je ne sais pas par où commencer. Peut-être te remercier de m'avoir offert une entrevue ici, de me permettre d’accéder à la dernière épreuve de ma rédemption. Je l’attendais et je n’en suis pas digne. Il n'y a pas de mots assez forts pour te dire encore une fois combien je regrette chacun de mes gestes. Je m’en veux de la peine que j'ai provoquée. A toi, à Valkyon, à la garde. La mort ne m'apportera jamais la paix que j'ai perdue dans ma quête folle. J'ai été guidé par la haine et l'envie de revanche. J'ai tué sans pitié. Je me suis perdu. Je suis désolé Erika. Je suis désolé Valkyon. Sincèrement. Je n'ai jamais voulu en arriver là. J’étais trop obnubilé par cette prophétie, j’ai laissé mon instinct draconnique décider pour moi. Ce n'était pas moi. Pardonne-moi. »

 

Le vent nous caresse la peau. A cet instant, j'ai l'impression de sentir la présence de mon cadet derrière nous. Il sera toujours là. Je sens sa main fantomatique caresser mon épaule, ses bras enlacer Erika avec amour. Elle soupire fébrilement en fermant les yeux.

« Si seulement je pouvais remonter le temps..., je dis en posant mon front sur la pierre.

- On pourrait tout faire. Mais Valkyon nous demande d'avancer. »

 

Je relève la tête et prend sa main. Elle est émue à mes côtés et je tente de lui transmettre, en serrant sa paume, la chaleur dont elle a besoin. Une larme roule sur ma joue lorsqu’elle se laisse aller contre moi pour pleurer sur mon épaule. Je l’enserre maladroitement, assez pour tenter d’apaiser ses sanglots. Mes doigts caressent ses cheveux, son dos. Erika s’accroche désespérément à mes épaules. Elle avait besoin de ce moment, d’ouvrir son cœur et les vannes de ses larmes. Ma joue se pose sur le sommet de son crâne. C’est notre étrange façon de faire la paix, de se tourner vers notre nouvelle vie. Elle était la copine de mon défunt frère. J’étais son meurtrier. L’humaine semble accepter son deuil, la perte de l'être cher. Ses épaules s'affaissent. Tout comme moi, elle entre sur la voie de la guérison sous la bienveillance de Valkyon. J'espère être à la hauteur de leurs attentes. Nous restons enlacés pendant une heure durant devant la sépulture, lorsque ses larmes ne coulent plus. J’essuie de mes pouces ses joues humides et la regarde avec une certaine tendresse. Je ferais tout pour elle.

 

Depuis cette mise au point, notre relation a évolué vers quelque chose de positif. Voir ambiguë. Je la complimente maladroitement et la soutient dans tout ce qu'elle entreprend. Je me sens parfois coupable de ressentir une attirance envers elle. Comme si elle était le remède à tous mes maux. Nous nous regardons parfois sans nous comprendre et pourtant quelque chose nous lie bien. Je l'ai vu dans son regard lorsque je l'ai croisé dans les couloirs en pleine nuit après ma douche, seulement habillé d'une serviette autour de mes hanches. Elle avait scruté mes nouvelles cicatrices et je prenais un certain plaisir à la tirailler en contractant mes muscles tout en lui ordonnant une mission pour le lendemain avant de la laisser pantoise. Je l'invite à danser lors du bal, sans arrière-pensée. Enfin je le crois. Parce que j’aime sentir son corps près du mien. J’aime ce qu’elle dégage habillée dans cette robe, la sensualité de sa jambe qui se découvre quand nous tournons. Je suis un peu gauche dans mes pas et cela semble l'amuser. Nos corps sont proches et elle me confie avoir envie de croire en moi. Je me noie dans son regard.

Et même si je craque secrètement pour elle, je ne laisse pas mes sentiments diriger mon statut de chef. Mais je tue pour elle lorsqu’on lui fait du mal. Je me torture en pensant à elle, à ce que nous pourrions être. Ces petites répliques cinglantes, sa langue acérée que je voudrais punir. N’être que le seul témoin de sa fragilité, le seul receveur de son attention, ses caresses, ses regard… Je reste impitoyable lorsque ses lèvres se posent sur les miennes. Je craque en lui faisant l’amour sauvagement. Je veux la posséder, la chérir et la protéger comme me l'a demandé mon frère. 

Je pourrai mourir pour elle. Je tiendrai ma promesse, Valkyon. Je deviendrai meilleur grâce à elle. Nous ne sommes plus seuls, et tu nous lies.