Chapter Text
Hortense était la première née, la première fille du couple Jarjayes… Mais aussi la première déception de son père, ce qu’elle croyait être. Elle était une petite fille vive d'esprit et n'ayant pas sa langue dans sa poche, ce qui était un héritage de son père, le Général de Jarjayes. Celui-ci brillait par son absence, la laissant évoluer dans un monde de broderie, de froufrous et de bals, sous les yeux attentifs de sa mère qui enchaînait les grossesses. Malgré ses nombreux efforts pour se faire remarquer, se sentant peu à peu effacée par ses autres sœurs, c’est à la naissance de la dernière fille de sa fratrie qu’elle fût complètement éclipsée dans le cœur de son géniteur. Celui-ci, ayant eu la remarquable idée d'éduquer Oscar en homme, il passait le plus gros de son temps avec elle, à lui apprendre ce que tout homme doit savoir : épée, stratégies militaires, droit, cavalerie… Oscar avait obtenu ce qu'elle n'avait pas : l'amour inconditionnel du Général de Jarjayes ainsi que sa totale fierté.
Bien souvent, la culpabilité de cette jalousie ressentie envers sa sœur la poignardait en plein cœur. C'était plus fort qu'elle : pourquoi Oscar et pas elle ? Pourquoi pas ses autres sœurs ? Oscar ne le savait pas encore, mais elle menait une vie de rêve, surtout pour une femme.
Sa plus jeune sœur avait 14 ans lorsqu'elle était entrée dans les gardes royales, aux côtés de la Dauphine. Hortense, alors à peine âgée de 14 ans, était sur le point de se marier avec un jeune homme qu'elle ne connaissait pas, formatée depuis sa plus tendre enfance pour devenir une bonne mère et une bonne épouse. Oui, l'aînée des Jarjayes enviait la jeune fille soldat. Même quand elle tentait de faire les choses correctement, exactement telles que son père les concevait, pourquoi ne lui disait-il pas les mêmes choses qu’à Oscar ? Qu’il lui dise combien il était fier d’elle ? Hortense avait beau espérer recevoir ne serait-ce qu’une marque d’affection du Général, elle n’ignorait pas que cet espoir était voué à l’échec et n’allait qu’accentuer sa douleur.
Le temps s’écoulait avec lenteur, le mariage était arrivé et le moment de se séparer de sa famille également. Le cœur lourd, Hortense s’en alla vivre sa propre vie, loin de Versailles, loin de ses parents. Elle l’aimait, mais le dialogue était rompu entre eux, n’arrangeant pas sa tristesse. Sans espoir, elle salua une dernière fois son géniteur, dont le regard était intensément fort. Il ne parvenait pas à quitter sa plus grande fille des yeux, cachant avec du mal le déchirement qui s’effectuait en son cœur.
Pour la première fois, Hortense ressentit le besoin de prendre son père dans ses bras, ce qui était inconvenant. Elle ne s’attendait pas à ce que son père referme son étreinte, ce qui lui donna le sourire. Pas un mot, seulement des gestes. La jeune femme aurait apprécié de jamais briser ce moment, se sentant en sécurité dans les bras paternels. Avec regrets, elle se recula et ne se retourna pas.
L'année 1778 fut le témoin d'un changement dans leur relation, après des années de non-dits et d'évitement. Le moment où Hortense se savait enceinte était magique mais également terrifiant. D'un autre côté, elle observait son ventre s'arrondir au fil des mois, tout en priant pour que son désir caché ne soit réalisé, pour son père. Au moment des premières contractions, la peur s'empara de la jeune femme, qui s'apprêtait à jouer le plus grand rôle de toute sa vie et qui craignait de voir tous ses espoirs déchus.
Après plusieurs heures de labeur, Hortense eut enfin la joie de tenir son nouveau-né. Ce bonheur se dissipa, remplacée par les larmes de honte qui coulaient sur ses joues. Bien qu'elle aimait déjà ce petit être qui sommeillait tranquillement contre sa poitrine, Hortense avait le sentiment d’avoir échoué, encore. Sa mère, venue quelques jours avant la date présumée de l’accouchement, se tenait à ses côtés et ne cessait de la rassurer.
“J’ai encore échoué, mère… Que va en penser père ? ”
La jeune mère ne quittait pas son enfant des yeux, ne réalisant pas que le Général de Jarjayes était dans l’encadrement de la grande porte.
“C’est une magnifique petite fille, Hortense. Tu peux être fière de toi, autant que je le suis.”
Le Général de Jarjayes pénétra dans la chambre dans laquelle se trouvait sa fille, s’assit sur le lit et posa son regard sur le nouveau-né. Hortense fit un petit bond en percevant la voix de son géniteur, qui la tutoyait. Ses yeux remplis de larmes capturèrent ceux brillants de son père, qui s’empressa de les essuyer.
“Père vous… Quand êtes-vous arrivé ?”
“Dès qu’on m’a informé que la naissance était imminente. ”
“Je suis désolée de ne pas avoir pu vous offrir un petit-fils, veuillez me pardonner… Je sais combien les garçons comptent pour vous…”
“Hortense… Cette enfant est le plus beau cadeau que tu puisses m’offrir, qu’importe son sexe. Je suis grand-père, vous êtes en bonne santé toutes les deux, c’est tout ce qui compte désormais. Et puis, j’ose croire que même si cette petite fille ne porte pas mon nom, elle aura le caractère des Jarjayes en héritage.”
“De quoi faire perdurer la lignée… Pendant un petit moment. Plus qu’un nom, vous vivrez à jamais à travers vos héritiers.”
Le Général laissa un faible rire s’échapper, se pencha un peu plus vers le nourrisson lorsque Hortense le lui tendit. Souriant d’émotion, il la saisit, la cala dans le creux de son bras et mit son index dans sa main.
“Elle te ressemble. Je me souviendrai toujours du jour de ta naissance et de ton petit visage. Je voulais un garçon, mais au même titre que tu es la première à m’avoir fait grand-père, j’ai appris ce que devenir père signifiait.”
“Père ?”
“Ma fille… Ne ressens-tu pas cet amour si fort pour ta fille ? Celui qui pourrait te pousser à tuer si quelqu’un venait à lui faire du mal ? Celui qui te dit que tu pourrais faire n’importe quoi pour la chair de ta chair ? Je n’ai certainement pas été le meilleur père qui existe, j’ai raté tant de choses avec tes sœurs et toi car mon égoïsme m’a poussé à faire d’Oscar un homme, ce qui m’a ôté tout le temps que j’aurais pu passer avec vous. C’est à moi seul de te demander pardon. Je t’aime Hortense, comme j’aime chacune de mes filles. Vous êtes mes fiertés, vous êtes la raison pour laquelle je pourrai tuer, ou mourir. Je t’aime, ne l’oublie jamais. Vous êtes toutes les six le fruit de mon amour profond pour votre mère. Vous êtes nos merveilles, mes trésors les plus chers… ”
L’émotion était si intense que le Général ne parvenait pas à retenir ses larmes. Hortense souriait en sanglotant, lançant un bref coup d'œil à sa mère qui se trouvait à la porte, émue. Le bonheur et la joie la comblait, elle était apaisée d’avoir pu entendre ces propos émanant de son si froid de père. Pour la première fois depuis longtemps, elle osa s’approcher du Général avant de poser sa tête sur son épaule.
“Je vous pardonne, Père.”
En guise de réponse, les lèvres du grand-père déposa un baiser sur le front d’Hortense. La jeune femme ferma ses yeux, cherchant dans ses souvenirs profonds si ce moment était déjà arrivé, sans succès.
“Nous l’avons appelée Louise, mais nous pensons la surnommer Loulou.”
Le sourire du Général s'élargit, ses yeux pétillaient d’une lueur qu’elle ne lui avait plus vue depuis la naissance d’Oscar. Cette fois-ci, elle avait réussi à attirer l’attention de son père et à le combler de bonheur, amplifiant sa propre joie.