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Dark Fest
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2022-01-29
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Les cris inondent sa tête

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« La porte de la cellule claqua en se refermant sur le gardien. »

Elle balaye une brise froide et bruyante derrière elle et un homme blotti contre un mur humide serre les pans de ses manches pour y cacher ses mains bleuies. 

Rien d’autre à distinguer que le bruit des vagues, qui, en criant, s’éclatent contre les parois de la tour. La mer s’agite, vient et repart, éternellement insatisfaite de se trouver là. Elle hurle sa détresse de ne pouvoir courir le long d’une plage et s’y étendre sans limite.

L’homme, encerclé des ombres de sa cellule, n’entend pas son appel. La mer n’est qu’un murmure à son oreille car les murs grondent pour étouffer les feulements qui remontent de leurs cavités.

Il n’entend plus la mer.

Les cris inondent sa tête. 

 

. . . . . . . . . 

 

   

On entrechoquait de la ferraille contre les barreaux de sa cellule. La forme indistincte du gardien se dressa derrière une vive lumière bleutée. Il tenait dans sa main des clefs qu’il continuait de frapper contre la cage en se donnant un air important. 

Son Patronus voletait autour de lui et projetait une lumière ténue dans le couloir, sans jamais franchir la frontière des cellules. Des soufflements extatiques se répercutèrent à leur étage. Des mains se pressèrent aux barreaux, attirées par la lumière vacillante du sortilège, cherchant à toucher du bout des doigts cette lueur salvatrice qui éloignerait pour un temps leurs démons.

Le détenu, lui-même, suivit les autres condamnés. Il oublia la raideur de son corps et déplia ses membres pour aller à la rencontre du gardien.

C’était là un spectacle familier. Ils se rassemblaient tous autour de cette source de chaleur dont ils étaient quotidiennement privés, réduits à des papillons de nuit, des créatures nocturnes dépendantes et abruties par le moindre lumignon.

 

« J’ai trouvé ce que tu demandais. »

 

Le prisonnier s’accrochait aux montants, tendant ses mains vers le geôlier.

 

« Ça ne marche pas comme ça, tu le sais.

-   Donnez-moi ça. À qui croyez-vous parler ? »

 

Les lourdes clefs du gardien cessèrent leur musique provocante et s’abattirent sur ses doigts gelés. Lorsqu’il les retira, elles lui laissèrent une douloureuse impression de brûlure. Il ramena ses mains dans les pans de ses manches, humilié par la gratuité du geste.

 

« Sale engeance que vous autres, les Mangemorts... Une bande de criminels à la botte d’un fou. Aucune faveur ne sera octroyée aux gens de ton espèce », claqua le gardien.

 

Le détenu se releva et alla presser son visage contre la grille de la cellule. Le fer fusionna avec sa peau. Il donnait l’effet d’une bête prête à mordre à la moindre provocation. Le gardien resta stoïque, nullement impressionné par le regard torve et méprisant qu’on posait sur lui. Il n’y avait là aucun rapport de force, seulement du déni. Que pourrait donc lui faire un seul homme enfermé dans une cage ? 

 

« Je te conseille de faire attention à tes mots. Ce n’est qu’une question de temps avant que le Seigneur des Ténèbres ne rende justice », gronda le détenu.

 

Le gardien haussa un sourcil dubitatif et un rire absent perça l’air.

 

« Je n’ai pas grand-chose à craindre, répliqua-t-il d’un ton doucereux. Qui pourrait lui rapporter mes paroles ? Toi ? s’étonna-t-il faussement. Si tu es ici, c’est qu’il n’a que faire de ta petite personne. Et si tu sortais ? Ah, alors là, c’est plutôt toi qui devrait craindre sa colère. »

 

Le gardien se baissa à sa hauteur pour approcher son visage ricaneur du sien. 

 

« On entend dire qu’il n’est pas très content de toi ces derniers temps. Ce que je crois, moi, c’est que tu ne vaux pas plus que nous autres à ses yeux. Pas plus qu’un moins que rien. »

 

Le gardien posa sur lui un regard cerné de noir et déserté. Il y avait au-delà de ces iris sombres un puits sans fond d’affliction et d’aigreur, un petit rien de morgue, un petit tout de frayeur.

 

« Que fais-tu là, si tu as tant d’importance pour lui ? Tu es seul ici. »

 

Le gardien le dardait toujours d’un regard supérieur et dans ses pupilles lucides, le détenu accepta d’y voir leur commun reflet : dans ces émotions entremêlées, c’était une souffrance semblable qui s’y reflétait. Le gardien traversait lui aussi les affres de la captivité et cela ne réconforta nullement le détenu. Le Patronus qui continuait de survoler leurs têtes n’avait jamais semblé si fragile, prêt à faillir. Sa lumière n’en était que plus chancelante, sa protection chimérique. Les ombres regagnaient l’étage, et d’une certaine manière il y voyait plus clair. Les illusions sournoises s’en étaient allées. 

Tous captifs, otages de leurs propres tourments, avec pour seule différence leur place du côté des barreaux. Il se demanda si ce n’était pas pire de vivre avec l’illusion d’être libre. Le serait-il lui-même, une fois sorti d’ici ? Serait-il libéré des détraqueurs pour s'assujettir de nouveau ? 

 

« Je n’ai pas toute la journée. »

 

Le détenu sortit quelques gallions qu’il s’était bien gardé de conserver avec lui. L’argent achetait beaucoup de choses, et parmi elles, les corrompus. 

 

Il les tendit malgré tout de mauvaise grâce vers le gardien et elles tombèrent mollement dans sa paume tendue. Le gardien les examina à peine, mais le détenu ne se méprit pas, il n’y avait aucune sorte de confiance entre eux deux. Il connaissait simplement la couleur de l’or. 

Le gardien sortit de sa sacoche une fiole et un journal froissé. Il les passa à travers les grilles et le détenu s’en empara avant de rejoindre les ombres de sa cellule sans un regard supplémentaire. 

Les pas du gardien résonnèrent quelques instants dans le couloir. Il disparut, son Patronus à sa suite, arrachant des cris déchirants dans les cellules voisines. La pénombre reprit ses droits. Il jeta le journal à côté de lui et ouvrit la fiole. 

 

Dehors importait peu, un sommeil sans rêve l’attendait ce soir. 

 

. . . . . . . . . 

 

 

Le jour ne se lève jamais sur Azkaban. Il y a toujours cette brume qui noircit le ciel, assombrit les esprits. Elle s’étend sur des kilomètres en se reflétant sur les tumultes de la mer déchaînée. C’est sans conteste la pire chose. Le temps passe, s’efface, et jamais on ne peut compter les jours : hier est aujourd’hui, aujourd’hui est hier et demain n’arrive jamais.

Il a pris pour habitude de marquer le sol, dans un recoin de la pièce. Plié en deux, il gratte la pierre jusqu’à ce qu’un trait grossier se creuse. Ces quelques entailles ne ressemblent pas à grand-chose mais elle le raccroche à dehors . Quelque part, au-delà des murs d’Azkaban, les jours continuent de s’écouler. 

Un jour, il oublie de compter. Le voilà perdu. Les marques dans le sol n’ont plus de sens : des fissures informes, rien d’autre. Perdre la notion du temps donne vie à toutes ses attentes. Il se prend à rêver du jour où on le rendra au monde, où il entendra de nouveau la mer et ses appels, où il pourra se soustraire aux cris et aux gémissements qui remontent le long des murs et courent jusqu’à lui pour le tourmenter la nuit. 

Peut-être serait-ce demain ? Alors il ferait mieux de se tenir prêt. 

Rassembler ses affaires et enjoindre les autres à faire de même. Un rire s’échappe de la cellule face à la sienne. Quel est le fou qui se moque de lui ? Qu’importe : demain il sera libre et il les laissera tous à leur démence.

Des heures passent, peut-être suffisamment pour former des jours. Comment peut-il le savoir maintenant ? 

Ses affaires attendent dans un coin de la cellule. Il patiente sagement et endure la présence macabre des Détraqueurs qui rodent près de lui. Ils savent . Ils sentent son espoir, flamme incandescente qui cavale dans son esprit souffrant. Ils n’ont que ça à faire : la lui ôter. A cause de lui, tout l’étage s’embrase en hurlements. Les autres ne portent pas son espérance. Ils voient seulement le givre se dessiner le long des barreaux de fer, serpenter jusqu’à leurs pieds nus, poursuivre son chemin jusqu’à leurs lèvres et s’immiscer dans leurs corps pour ralentir leurs cœurs et les asphyxier.  

Qu’importe les gémissements et les supplices. Qu’importe l’abjecte créature qui se penche vers lui prête à agripper son visage avec ses mains grisâtres et rugueuses. 

Demain, il entendra la mer.

 

. . . . . . . . . 

 

 

« Regarde-toi. » 

 

Son père se tenait dans l’ombre de la cellule. Il n’aurait jamais cru que lui, parmi tous les autres, lui rendrait visite ici.

Sévère, l’œil mauvais, ses lèvres fines formaient un rictus empreint de reproches. Il prit place sur une chaise bancale face à lui et sa haute silhouette l’accabla de tous les maux. Le détenu supporta ce fardeau comme une sentence supplémentaire. Ses yeux lui renvoyaient une pitoyable image de lui-même.

Son père avait revêtu ses plus beaux habits. Les fils d’or luisaient d’une lueur que même les ombres ne pouvaient éteindre. Il paraissait plus jeune que dans son souvenir : ses cheveux avaient blanchi mais il se tenait devant lui, plein de vigueur, tout en prestance et en charme. C’était une bien désagréable vision, lui-même se sentait vieillir de dix ans.

Comme il enviait sa liberté. Comme il aurait aimé sortir d’ici et étreindre sa femme, puiser un peu de courage dans son odeur et le son de sa voix. Comme il aimerait marcher dans les rues du Chemin de Traverse en homme libre avec elle à son bras, sans craindre qu’on vienne le capturer de nouveau pour l’envoyer côtoyer les ténèbres. 

Il se tourna vers son père. Et lui, que venait-il faire ici, à part l’écraser de son mépris ? N’y avait-il pas moins bien placé pour lui faire des reproches ? Lui, qui ne lui avait jamais rien manifesté d’autres que des remontrances à son égard ? 

 

« Dites-moi ce que vous avez à me dire et partez. »

-   Regarde ce que tu es devenu. J’ai honte, si tu savais, mais je ne suis pas étonné, loin de là. Lève-toi. »

 

C’était la peur qui l’avait rendu malade. La peur s’était immiscée dans sa conscience jusqu’à en connaître tous les recoins mal surveillés. Elle nourrissait désormais le monstre aux allures nobles qui parlait à son oreille avec l’arrogance de ceux qui savent, en lui montrant les mauvais rêves et les promesses nocturnes plus terribles encore, pour finir par le relâcher, pantelant et solitaire dans la froideur de sa cellule.

Que connaissait son père de la peur ? Lui, qui avait passé sa vie enfermé dans ses privilèges sans jamais plonger ses mains dans le sang bourbeux des victimes ? Que connaissait son père des sacrifices de l’âme que demande le crime ?

 

« Vous devez jubiler n’est-ce-pas ? Vous devez vous congratuler d’avoir vu juste sur mon compte ? Toujours à me répéter que je ne suis qu’un moins que rien, qu’un lâche ! »

 

Ce monstre réveillait sa rancœur. Il le piquait au vif et lui soufflait l’envie de gommer ce demi-sourire sournois sur le visage paternel, sourire héréditaire. Il rêvait de griffer cette peau lisse jusqu’à effacer toute ressemblance. Il voulait éteindre ce regard polaire qui rappellait les hivers les plus froids. Froid , il avait déjà assez froid.

 

« Lève-toi. Aie du courage ! »

 

Son ordre fit trembler les murs. Il se leva et se rapprocha de lui, la main tendue et accusatrice. Elle était plus prête à le battre qu’à le secourir et de nouveau il plia sous le poids du monstre qui faisait ressortir tous ses doutes d’une voix impérieuse et pleine de fiel. Faible . Misérable .  

Il tomba à genoux, ses mains en croix enserrèrent ses épaules et il n'arriva plus à empêcher le balancement de son corps. Il s’agrippa à lui-même avec l’impression que le sol se dérobait et que les murs s’abattaient. La mer, fiévreuse et indocile, surgit soudainement par les pores des murs. L’eau emplit la cellule et le violenta. Il se voyait mourir par noyade, suffoquant et impuissant. Chaque assaut nouait une nouvelle chaîne autour de ses mains jointes en prière et de son cou rompu. Le sel brûlait ses poumons et ses yeux épouvantés cherchaient l’issue vaine.

Face à cette déferlante, son père restait immobile et contemplait le chaos. Il se dressait au milieu des flots dévastateurs qui ricochaient sur lui, repoussés par une protection divine.

 

« J’ai toujours su quel genre d’homme tu deviendrais, continua-t-il avec dépit. Quitter ce monde avec la certitude d’avoir engendré un pleutre, voilà le vrai déshonneur ! Dire que je t’ai tout donné... »

 

Les épaules de son père s'affaissèrent. La désillusion envahit ses prunelles voilées et les flots se dressèrent le long des murs, prêts à à se déchaîner de nouveau. 

Le monstre gronda à son oreille, comme une mise en garde, tandis que le détenu tentait toujours de se débattre.

 

« Garde tes sermons, vieillard, cracha-t-il. Tu ne m’as donné qu’un nom. »

 

Son père se dressa face à lui. 

 

« Et tu l’as sali », gronda-t-il. 

 

Sa voix caverneuse se répercuta contre les murs, sonorités familières d'outre-tombe : lointaines et spectrales.  

 

« Je remercie le ciel de ne plus être là pour voir ce que tu es devenu. »

 

Le monstre ricana à son oreille et la voix de son père se confondit avec ses rires. Les flots descendirent des murs, sans un bruit et il sentit l’eau glaciale le submerger jusqu’à raidir ses membres et annihiler le reste de sa conscience, calme et perfide.

La colère le quitta brutalement, ne laissant derrière elle que des vertiges, de l’angoisse et un silence. Le monstre s’était fait muet.

 

« Père ? demanda-t-il piteusement. Vous êtes devant moi. Vous me voyez. » 

 

Son père traversa les flots, les fils d’or avaient perdu leurs éclats, ses yeux s’étaient voilés et il avait retrouvé son visage de vieillard. Il n’y avait plus rien en lui qui lui rappelait quelque chose de familier, plus rien qui ne semblait réel non plus.

 

« Je vois un fou. »

 

Les flots se rassemblèrent en une vague unique qui fondit sur lui comme un raz-de-marée, l’emportant dans son sillage pour finalement le laisser choir à l’entrée de la cellule. Lorsqu’il ouvrit de nouveau les yeux, son père avait disparu, entraînant la mer derrière lui.

Il reposa seul, sur un sol sec, un affreux goût de sel en bouche, et une voix empreinte de vérité qui toquait contre les parois de sa tête. 

 

. . . . . . . . . 

 

 

Soient loués les moments où le corps ne suit plus, car les Détraqueurs, eux, ne laissent aucun répit à l’esprit. Ils s’acharnent jusqu’à ressentir la satisfaction du travail accompli. Lorsque l’esprit des détenus se répand au sol, pour ne laisser qu’une enveloppe humaine diminuée et offensée, ils s’échappent triomphant à leur tour pour admirer leur œuvre.

Le corps du détenu, laissé à l’abandon, se soulève instinctivement pour répondre aux appels d’air, tel un animal. Mais l’air est toxique. Les émanations que laissent derrière eux les détraqueurs sont aussi noires que du charbon. Elles ont un goût de cendres. Elles rendent son corps malade et le laissent flotter sur des eaux impropres dans lesquelles il dérive inlassablement.

Lorsqu’il plonge sa tête cotonneuse dans les limbes infernales, il n’entend plus rien, ni les mugissements des cellules voisines, ni les râles extatiques de ses tortionnaires. Il n’y a plus que lui et le monstre qui susurre. Il se laisse bercer et ses propos résonnent avec une justesse inédite.

Que se passerait-il s’il prenait goût à cette étrange quiété ? 

Rien n’est pire qu’un esprit lucide pour eux. C’est un chemin sans retour.

 

 

. . . . . . . . . 

 

 

Une angoisse grandissante s’ouvrait en lui et engloutissait tout. L’ennui était devenu le fondement de tous ses maux. 

Un rire perçant s’échappa de la cellule d’en face et l’arracha à ses songes. Le détenu n’y consacra  pas une grande attention. Ce n’était pas la première fois, et jamais il n’avait vu une seule ombre dans cette cellule en plusieurs mois. Il en était venu à penser qu’il l’avait inventé, comme tout le reste. Pour lui, ce n’était qu’une création du monstre qui régnait en maître sur son esprit et son corps. Ce rire n’était pas plus réel que les noyades répétées.

 

« Coucou »

 

Un frisson parcourut l’échine du détenu. Il tourna vivement la tête vers la cellule voisine. Un homme se tenait accroché aux barreaux, un sourire tremblant et deux billes noires enfoncées dans leurs orbites. Ses mains étaient maigres : deux serres de rapaces aux jointures blanches, cadavériques. Son corps tout entier était replié sur lui-même, aussi raide qu’un bout de bois mort. S’il venait à détendre ses membres, pour sûr qu’il se serait cassé en deux. 

Le détenu n’avait jamais vu pareil homme. L’étrange voisin rit encore. Un rire d’enfant, délaissé dans un corps d’homme.

 

« Tu ne te souviens pas de moi. »

 

Sa voix était brisée. Elle donnait vie à une folie douce qu’on voyait passer d’un oeil à l’autre. Le détenu plissa les yeux pour fendre l’obscurité. Rien chez cet homme ne lui était connu. S’il fut quelqu’un un jour, il n’en était plus rien. 

Il repoussa l’idée de lui demander son nom, refusant d’établir avec lui ce contrat tacite. Il détourna le regard, ignora ses nouveaux appels, craignit un instant qu’il n’insiste puis réalisa avec soulagement que l’homme avait de nouveau disparu.

Mais plus un jour ne passa sans qu’il lorgne de l’autre côté du couloir avec l’horrible impression d’inventer une autre présence. Ce spectre de chair et d’os devint une obsession. Tous les jours, il rencontrait ce regard de damné qui l’oscultait depuis l’autre côté de la grille. Il se soustrayait alors à sa surveillance, mais où qu’il se cache, dans n’importe quel recoin, il sentait peser sur lui le poids de l’onyx.

Vint un jour où il ne le supporta plus. Il lui demanda son nom avec méfiance et un sourire édenté se dessina sur le visage grêle de l’inconnu, comme s’il s’était attendu à gagner cette partie dont lui seul connaissait les règles. 

 

« Boyle ! », répondit-il avec entrain.

 

Aucun souvenir ne se rappela à lui.  

 

« Depuis quand es-tu ici ? », osa-t-il lui demander.

 

Le sourire de Boyle se cassa et son regard se fit ombrageux. Pour la première fois, le détenu vit le visage du criminel derrière celui du déséquilibré. 

 

« Août 1978, attaque de Sheffield. »

 

Il découvrit son avant-bras, laissant entrevoir la marque ondulante du serpent noir. 

 

« Même cette attaque ne te rappelle rien ? », lui demanda-t-il avec une surprise non feinte.

 

Voyant que la réponse tardait à venir Boyle se détourna de lui. Il glissa sur lui-même pour lui tourner le dos, dévoilant sa colonne voûtée qui saillait sous sa chemise froissée.

 

« C’est normal. J’ai été le seul capturé. Les Aurors n’ont eu aucun mal car les autres étaient partis. Vous m’avez laissé seul », termina-t-il d’une voix sourde.

 

Le détenu eut beau affirmer n’avoir jamais participé à cette attaque, Boyle resta délibérément dos à lui. Sa voix avait repris des intonations enfantines et impatientes. Il toquait sa tête avec son poing par moment, se donnant des petits coups en comptant jusqu’à trois. Cette vision le rassurait malgré lui. Il ne se sentait jamais aussi lucide que lorsqu’il observait la démence se manifester si aisément sur son étrange voisin. 

 

« A quoi ressemble ta vie ? », demanda Boyle un jour une fois le gardien passa lui déposer le dernier exemplaire du journal.

 

Boyle ne cessait plus de le questionner. Le détenu ignorait ses remarques. Il aurait pu lui parler de sa femme, de son fils, de son domaine et de tant d’autres choses qui auraient apaisé leurs coeurs solitaires. Il se refusait pourtant à prononcer leurs noms à voix haute dans ce lieu, convaincu qu’il ne pourrait que les maudire. Alors Boyle comblait le silence et lui faisait part de ses pensées. Parfois il pleurait, puis il se mettait à rire dans la foulée, tenant des discours lunaires et incohérents. Et enfin, il oubliait tout, puis il répétait. 

 

« J’avais une soeur. Mais peut-être qu’elle est morte maintenant ? J’espère qu’elle l’est. »

 

Le détenu releva des yeux ahuris vers Boyle alors que ce dernier dardait sur lui ses deux yeux noirs avec un air mortellement sérieux, comme s’il s’attendait à ce qu’il partage son avis. 

 

« Pauvre fou, qu’est-ce-que tu racontes ? 

- J’entends les autres parler parfois, expliqua-t-il en jouant avec ses doigts. Ils disent que c’est pire que la première fois. C’était déjà l’enfer. Si c’est pire que l’enfer, je préfère pas qu’ma sœur voit ça. Elle est trop fragile.

- Tu ne voudrais pas la revoir, une fois sorti d’ici ? »

 

Boyle se redressa vivement, comme un renard à l'affût, les deux oreilles pointées en avant. Il se traîna jusqu’à la grille, sortant de l’ombre pour venir renifler l’air du couloir à travers les barreaux.  

« Le Seigneur des Ténèbres comptent nous faire sortir ? », chuchota-t-il d’une voix basse.

Le détenu regarda froidement l’homme face à lui. L’atmosphère dehors s’assombrissait de jour en jour. Il sentait les Détraqueurs prendre plus de distance avec eux et les gardiens qui parlaient à voix basses ne faisaient même plus attention à leurs paroles. Ils avaient peur. Certains cherchaient même à partir. Le Seigneur des Ténèbres gagnait chaque jour un peu plus de terrain et bientôt il les libérerait tous, comme il l’avait déjà fait. 

Les larmes percèrent dans les yeux ternes de Boyle. Il pleura tellement qu’il finit par s’effondrer de fatigue. Le détenu n’était pas certain que Boyle vive encore assez longtemps pour revoir sa sœur et pour autant, il lui semblait que ce garçon avait défié toutes les lois de l’univers pour avoir survécu aussi longtemps à son incarcération. Car définitivement, il n’avait jamais vu de réplique plus parfaite de l’Enfer que dans l’enceinte pernicieuse d’Azkaban. 

 

. . . . . . . . . 

 

« Le Ministère est tombé ! »

Deux gardiens passèrent en aboyant des ordres incompréhensibles à leurs homologues. Leurs cris se mêlaient à ceux, extatiques et bestiaux, des pensionnaires. 

Les murs tremblaient sous les assauts des condamnés qui frappaient de leurs poings les barreaux de leurs cages et se jetaient au sol pour griffer la pierre.

Le détenu se jeta lui-même sur l’ouverture de sa cellule. Il alpagua un gardien qui passait par là mais n'obtint aucune réponse. L’homme du Ministère, étourdi par sa fuite, passa devant lui sans se préoccuper de ses appels. 

Il courut alors vers l’ouverture de sa fenêtre et vit les ombres noires des Détraqueurs qui s'éloignaient de la prison sans un regard en arrière. La vision paraissait presque irréelle. Pendant des jours ils avaient été l’unique objet de leurs intentions malveillantes, et d’un coup, comme de rien, ils se détournaient et les laissaient derrière eux. Comme s’ils s’étaient simplement lassés de les entendre hurler leur désespoir.  

Il entendit des ordres donnés au loin, des voix claires, bouillonnantes d’ardeur. Quelques instants plus tard, il aperçut Travers et Gibbon, visages découverts, au bout du couloir. Des explosions retentirent dans tout l’étage. Travers arriva face à lui, lui décocha un sourire narquois dont il n’eut que faire. 

 

« Le Maître a hâte de te voir »,  lui glissa-t-il avant de se diriger vers la cellule voisine.

 

Le détenu resta là, hébété, face à cette porte grande ouverte. Il serait resté là durant des heures si Rodolphus Lestrange, à peine libéré, ne s’était précipité vers lui pour l’enjoindre à partir. 

Il jeta un dernier regard à sa cellule, un tas de pierres noires et poreuses, un endroit de rien, un néant de tout, qui s’était nourri de ses doutes et de ses cauchemars. 

Rodolphus le rappela, il avait déjà atteint le bout du couloir où Travers soutenait son frère Rabastan qui tremblait sur ses jambes. 

 

« Malefoy ! »

 

Le détenu pivota vers Boyle, son dernier compagnon de misère. Il le regardait avec dans les yeux cette lueur d’espérance larmoyante. Sa main tendue surgit dans le couloir.

Boyle était à ses yeux la représentation la plus lamentable d’un homme soumis aux supplices de la captivité. La folie parasitait son sang comme une maladie incurable. Lorsqu’il le voyait, toutes ses craintes se rappelaient à lui. Ses yeux avaient la couleur vitreuse de l’obsidienne et derrière l’iris, les détraqueurs surgissaient inlassablement pour le rappeler à ses démons.

Le détenu se détourna, il courut à toutes jambes, porté par une force nouvelle, et il fuit les longs cris stridents, les hurlements désespérés et les tambourinements vaincus de Boyle qui agonisait au fond du corridor. 

 

Bientôt, l’odeur du sel emplit ses narines et le vent s’engouffra avec violence dans ses cheveux blonds. Enfin, il entendit de nouveau le chahut des vagues. Une véritable cacophonie désordonnée, affolée et affreusement bruyante.