FEC - Folia Electronica Classica (Louvain-la-Neuve) - Num�ro 8 - juillet-d�cembre 2004 


 

 

Les langages secrets dans l'Antiquit� gr�co-romaine.

 

Chapitre troisi�me : La signalisation

 

par

 

Brigitte Collard 

 [email protected]

 

Licenci�e en langues et litt�ratures classiques

Dipl�me compl�mentaire en relations internationales et politique compar�e

Professeur au Coll�ge Saint-Michel (Bruxelles)


 

    Les FEC poursuivent ci-apr�s la publication de la seconde partie du m�moire r�dig� sous la direction du Prof. Jean-Marie Hannick et pr�sent� par Brigitte Collard � l'Universit� de Louvain en 2002 en vue de l'obtention du grade de Licenci� en langues et litt�ratures classiques. Intitul� : Les langages secrets. Cryptographie, st�ganographie et autres cryptosyst�mes dans l'Antiquit� gr�co-romaine, il aborde un sujet g�n�ralement mal connu ou ignor� et propose avec clart� un aper�u des diff�rentes techniques en usage chez les Grecs et chez les Romains.

    Le fascicule 7 (janvier-juin 2004) a livr� d'abord l'introduction g�n�rale du travail, la table des mati�res du m�moire ainsi que la bibliographie g�n�rale, puis, r�partie sur quatre fichiers, l'int�gralit� du premier chapitre, qui traitait de la cryptographie.

    Le pr�sent fascicule 8 (juillet-d�cembre 2004) publie en deux parties les deux derniers chapitres ainsi que la conclusion g�n�rale : d'abord (premi�re partie) le chapitre deuxi�me consacr� � la st�ganographie; ensuite (deuxi�me partie ci-dessous) le chapitre troisi�me, sur la signalisation, suivi de la conclusion g�n�rale du m�moire. La bibliographie figure dans le fascicule 7.

 

Note de l'�diteur - 25 juillet 2004

 


 

Plan

 

Chapitre premier : La cryptographie (FEC 7 2004)

Chapitre deuxi�me : La st�ganographie (FEC 8 2004)

Chapitre troisi�me : La signalisation (le pr�sent fichier)

       Les signaux � main

       La signalisation maritime

       Les signaux lumineux

       Les avanc�es de la technique

       Conclusion du chapitre troisi�me

Conclusion g�n�rale du m�moire (le pr�sent fichier)

Bibliographie (FEC 7 2004)

 


 

Chapitre troisi�me

 

La signalisation

 

In hoc signo vinces !

Expression latine reprenant la devise de l��tendard de Constantin.

 

A. Introduction

 

Parall�lement � la cryptographie et � la st�ganographie, un autre type de communication s�est d�velopp� durant l�Antiquit� : la signalisation. Les signaux furent utilis�s par les Anciens pour leur aptitude � transmettre des messages sur de longues distances mais ils ont �galement fait preuve d�une facult� cryptographique tr�s utile en temps de guerre (Wrixon, 2000, p. 395-396).

 

La strat�gie militaire a souvent fait usage des signaux pour rallier les troupes, pour communiquer des ordres ou pour signaler la pr�sence de l�ennemi (Chapot, Signum, 1918, p. 1334). Leur qualit� premi�re est la transmission rapide d�un message. Certains de ces signaux �taient destin�s � n��tre vus et compris que par leurs destinataires, d�autres pouvaient �tre vus par l�ennemi sans pour autant qu�ils soient compr�hensibles.

 

Les auteurs antiques ont souvent fait r�f�rence � des signaux employ�s en plein combat mais la plupart d�entre eux ne d�crivent pas la nature du signal.  Par exemple, lorsque C�sar d�crit le si�ge du camp romain de Servius Galba par les S�dunes et les V�ragres dans les Alpes, il indique que les soldats devront sortir du camp �au signal� sans donner de plus amples informations.

 

� Puis, au signal donn�, ils feront irruption hors du camp, et n�attendront plus leur salut que de leur valeur. � (C�sar, Gaules, III, V, 3)

 

V�g�ce (Mil., V), au IVe si�cle, distingua trois types de signaux : les signes vocaux (ordres ou mots de passe), les semi-vocaux (tir�s des instruments sonores) et les muets (enseignes, �tendards,�). La signalisation que nous allons approfondir appartient aux signes muets. Les populations antiques ont �prouv� l�efficacit� de ce genre de communication � de nombreuses reprises.

 

� Mais rien ne contribue plus � la victoire que d�ob�ir aux signaux. � (V�g., Mil., V)

 

Ce chapitre a pour objectif de donner un aper�u des diff�rents signaux muets utilis�s dans les campagnes militaires gr�co-romaines. Il n�est pas exhaustif car la lecture des ouvrages des historiens antiques r�v�le un grand nombre d�exemples de transmission par le biais des signaux qu�il nous est impossible de r�pertorier dans le cadre de ce travail. Nous passerons en revue la signalisation � main, la signalisation maritime et les signaux lumineux. Les signaux retenus auront pour la plupart une vis�e secr�te. Pour la cat�gorie des signaux lumineux, nous verrons que les Grecs, parmi lesquels �n�e le Tacticien et Polybe, avaient mis au point des syst�mes �labor�s, t�moins d�une v�ritable r�flexion en la mati�re.

 

[Plan]


B. Les signaux

 

I.  Les signaux � main

Contrairement � ce que pourrait sous-entendre le titre, il ne s�agit pas ici de traiter de la signalisation gestuelle � proprement parler. Cette cat�gorie comprend en fait les divers objets brandis par des hommes pour donner l�impulsion d�un assaut. Ces objets sont de v�ritables �tendards. Le signal ne peut �tre compris par ses destinataires que s�il a �t� convenu d�avance avec l��metteur. Pour cette raison, il peut �tre consid�r� comme le vecteur d�un message secret car m�me si l�ennemi l�aper�oit il ne peut pas saisir la v�ritable teneur d�un tel geste. Invent�s par les Anciens pour une circonstance d�termin�e, ces signaux ont fr�quemment servi de ralliement lors d�une attaque ou lors d�une conspiration.

 

 �n�e le Tacticien rapporte que lors de la r�volte manqu�e des Parth�niens en 708 av. J.-C.[1], une d�nonciation avait fait savoir aux magistrats que les conjur�s se serviraient d�un bonnet brandi pour donner le signal de l�attaque. Pour mettre fin � cette entreprise, voici ce que firent les magistrats selon les dires du strat�ge :

 

� Ils firent donc avorter la tentative en ordonnant par une proclamation � ceux qui devaient lever en l�air leurs bonnets de n�en rien faire. � (�n., Pol., XI, 12)

 

Sans cette d�nonciation, qui aurait pu donner tout son sens � un bonnet brandi au hasard d�une r�union ? La mani�re dont les magistrats matent la r�volte est dans ce cas-ci exemplaire par sa simplicit�.

 

Quelques si�cles plus tard, Plutarque nous prouve que la transmission d�un message par le biais d�un signal � main pr��tabli peut �tre aper�u par le parti adverse au d�triment de celui qui le fait. C�est ainsi que Tib�rius Gracchus provoqua sa mort. Alors que celui-ci s��tait mis � dos une grande partie du S�nat en d�tournant les lois romaines � plusieurs reprises et en briguant un deuxi�me tribunat au m�pris de la Constitution, le s�nateur Fulvius Flaccus le mit au courant d�un projet d�assassinat que fomentaient les autres s�nateurs. Apprenant que ceux-ci n�h�siteraient pas � le tuer en pleine s�ance du S�nat (Plut., T. Gracch., XVIII, 2), il se h�ta de rassembler ses partisans. Alors qu�il ne pouvait pas se frayer un chemin pour pr�venir ceux de ses amis qui se trouvaient plus loin et alors que sa voix ne pouvait pas porter sur une si grande distance, il rappela ses troupes en faisant le signe convenu la veille au cas o� un danger se pr�sentait (App., Civ., I, II, 15).

 

� Alors Tib�rius porta la main � sa t�te pour leur indiquer le p�ril qui le mena�ait. � (Plut., T. Gracch., XVIII, 2)

 

Or, ce signal fut remarqu� par quelques-uns de ses adversaires parmi la foule. Ceux-ci, en voyant ce geste, crurent que Tib�rius r�clamait pour lui le diad�me royal. Effray�s par une telle ambition, ils se pr�cipit�rent au S�nat pour rapporter le signe qu�ils avaient vu. Le rapport de ces hommes provoqua un �norme tumulte : Scipio Nasica partit tout de suite vers le Capitole avec une foule de s�nateurs et de clients pour tuer � l�instant celui qui pi�tinait encore les lois romaines. C�est ainsi que Tib�rius fut assassin� au Capitole en 133 av. J.-C.

 

Su�tone �crit que Jules C�sar peu avant son �dilit� (65 av. J.-C.) projeta d�attaquer le S�nat. Il avait foment� ce complot avec le consulaire Marcus Crassus. Le but de cette conjuration consistait � octroyer la dictature � Crassus tandis que lui-m�me prendrait la charge de �ma�tre de la cavalerie�. Mais le jour de l�attaque, Crassus � par repentir ou par crainte � (Su�t., C�sar, IX, 2) ne parut pas en public. Par cons�quent, le projet avorta et Jules C�sar ne donna pas le signal de l�assaut qui consistait selon Su�tone � faire tomber sa toge de son �paule.

 

� D�apr�s Curion[2], ce signal consistait � faire tomber sa toge de son �paule. � (Suet., Caes., IX, 2)

 

Ammien Marcellin au IVe si�cle apr. J.-C. nous apprend une autre mani�re d�utiliser le v�tement comme symbole signal�tique. Lui-m�me fut charg� d�accomplir le signal lorsqu�il  participa � la campagne de Julien en Perse dans les ann�es 360 � 363 (cfr supra, chap. I). Alors qu�en Cilicie la rumeur d�une effervescence dans les rangs de l�ennemi parvenait au ma�tre de la cavalerie Ursicin, il envoya Ammien Marcellin observer l�arriv�e du commandant perse Sapor. Tandis qu�il se trouvait aux abords de la cit� de Nisibe, Ammien Marcellin vit que les pillards des troupes ennemies avaient d�j� envahi le territoire. En retournant vers les siens, il faillit �tre captur� par les Perses. Devan�ant quelque peu ses assaillants, il arriva pr�s de son campement � Amudis et donna le signal d�alarme (de Jonge, 1980, p. 184-185) indiquant la pr�sence de l�ennemi.

 

� Je tendis le bras autant que je pus et fis tournoyer bien haut les pans de mon manteau, annon�ant ainsi par le signal habituel la pr�sence de l�ennemi. � (Amm., XVIII, VI, 13)

 

Contrairement � la cryptographie et � la st�ganographie qui n�impliquaient en g�n�ral qu�un �metteur et qu�un destinataire, les signaux � main sont destin�s � un grand nombre de destinataires. Ce type de transmission permet aux soldats de r�agir avec promptitude. La vertu la plus importante de ces signaux est d��tre vus de loin sans que les ennemis ne puissent donner de sens � l�objet brandi. Nous verrons que sur la mer, les Anciens utilisaient parfois le m�me type de proc�d�.

 

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II. La signalisation maritime

En mer, les signaux assuraient une communication rapide et fiable (Chapot, Signum, 1918, p. 1335). La flotte grecque poss�dait un syst�me de signalisation destin� � transmettre un message d�un navire � l�autre : certains signaux se transmettaient gr�ce � un objet, d�autres entraient dans la cat�gorie des signaux lumineux.

 

Nous savons que durant la guerre du P�loponn�se les flottes ath�nienne et spartiate furent souvent aux prises. Thucydide nous apprend qu�avant leur victoire � Naupacte, les Ath�niens durent essuyer une d�faite dans le golfe de Corinthe. En effet, les Spartiates depuis peu ma�tres des lieux attendaient leur arriv�e. Une fois que les ennemis sembl�rent p�n�trer dans le golfe, les P�loponn�siens pivot�rent et s�avanc�rent contre eux apr�s en avoir re�u le signal :

 

� Tout � coup, au premier signal, ils firent effectuer une conversion � leurs navires et avanc�rent de front, en donnant chacun toute sa vitesse, contre les Ath�niens. � (Thuc., II, XC, 4)

 

Comme le fait remarquer A.W. Gomme (1956, p. 230), le signal convenu d�avance permettait de transmettre un ordre � l�ensemble de la flotte. Ce stratag�me garantissait la rapidit� de la man�uvre, contrairement � un signe transmis d�un navire � l�autre.

 

H�rodote, X�nophon et Plutarque relatent tous les trois l�usage d�un bouclier comme signal maritime. H�rodote rapporte qu�apr�s la bataille de Marathon en 490 av. J.-C., les Perses, vaincus, entreprirent d�atteindre Ath�nes avant les soldats grecs. Les Grecs ont pr�tendu que cette attaque avait �t� inspir�e aux �barbares� par les Alcm�onides. Ces derniers auraient soumis ce projet aux Perses lorsque ceux-ci contournaient Sounion. Ils transmirent le message � l�aide d�un bouclier refl�tant les rayons du soleil :

 

� Eux (les Alcm�onides) qui, s��tant entendus avec les Perses, leur auraient fait signe en �levant en l�air un bouclier quand ils �taient d�j� sur leurs vaisseaux. � (H�rod., VII, 128)

 

L�auteur t�moigne qu�il existait aussi, en plus des signaux de l�attaque, un signal pour lever l�ancre. Ainsi, lorsque Xerx�s d�cida d�explorer l�embouchure du P�n�e, il s�embarqua et � il donna aux autres navires le signal de lever l�ancre � (Herod., VII, 128).  X�nophon et Plutarque racontent tous les deux le m�me �pisode : la victoire de la flotte spartiate command�e par Lysandre � Aigos-Potamos en 405 av. J.-C. Alors que les flottes ennemies se concentraient dans l�Hellespont, les Lac�d�moniens prirent la riche ville de Lampsaque, cit� alli�e des Ath�niens. Ces derniers, lorsqu�ils apprirent que Lampsaque �tait prise, d�cid�rent d�attaquer les Lac�d�moniens. Ils vinrent donc positionner leur flotte en face de Lampsaque, � Aigos-Potamos. De son c�t�, Lysandre avait �donn� le signal� (X�n., Hell., II, I, 22) � ses troupes d�embarquer. Mais, il leur avait aussi ordonn� de ne pas faire avancer les navires. Plusieurs jours de suite, les Ath�niens sous le commandement de Philocl�s, avanc�rent vers les navires spartiates mais aucun d�entre eux ne vint � leur rencontre : les gal�res restaient devant la ville serr�es les unes contre les autres. Petit � petit, les Ath�niens en vinrent � baisser la garde, � m�priser leurs adversaires trop peureux pour se battre, � d�barquer sur terre le soir venu. Or, chaque, soir, Lysandre ordonnait � quelques navires rapides de surveiller les all�es et venues des Ath�niens. Le soir du cinqui�me jour, Lysandre envoya des navires de reconnaissance avec mission de retourner en arri�re au milieu de la travers�e et de lever un bouclier d�s qu�ils s�apercevaient que les Ath�niens avaient d�barqu� (X�n., Hell., II, I, 27).

 

� En ordonnant quand ils auraient vu les soldats d�barquer, de revenir � toute vitesse et arriv�s au milieu du d�troit, d��lever de la proue un bouclier d�airain, comme signal d�attaque. � (Plut., Lys., XI, 2)

 

Lorsque Lysandre vit que ses hommes �levaient un bouclier, il �donna le signal� (X�n., Hell., II, I, 28) de lancer l�offensive.  Toute la flotte lac�d�monienne s��branla vers les navires ennemis : les Ath�niens furent pris de court. Diss�min�s � travers la campagne environnante, les soldats n�eurent pas le temps d�embarquer. Seuls huit navires dirig�s par Conon arriv�rent � fuir et parvinrent � Chypre. Aigos-Potamos est la derni�re d�faite navale des Ath�niens durant la guerre du P�loponn�se : elle sonna le glas de la puissance ath�nienne.

 

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III. Les signaux lumineux

Durant l�Antiquit�, les signaux de feu furent fr�quemment utilis�s pour transmettre un message d�un endroit � l�autre. Dans la mythologie grecque aussi, le feu joue souvent le r�le de messager. La nouvelle de la chute de Pergame serait parvenue de Troie jusqu�� la forteresse d�Agamemnon � Myc�nes gr�ce � de tels signaux. Dans l�Agamemnon (8-10; 20-21), Eschyle  commence sa pi�ce par un monologue du veilleur qui aspire � voir la lumi�re, signal de victoire :

 

� Ah ! puisse donc luire aujourd�hui l�heureuse fin de mes peines et le feu messager de joie illuminer les t�n�bres ! � (20-21)

 

Le sens de ces quelques mots est r�v�l� de la bouche de Clytemnestre lorsqu�elle affirme au coryph�e que Troie a �t� prise pendant la nuit. Sa source est fiable puisqu�elle avait convenu avec Agamemnon que l�annonce de la prise de Troie lui parviendrait promptement gr�ce � des relais de feu. D�s qu�Ilion fut prise, un feu brilla sur l�Ida, feu que d�autres postes ont allum� pour transmettre la nouvelle. Au total, la flamme �tincela en neuf relais[3] : Ida, le roc d�Herm�s � Lemnos, le mont Athos, le Makistos en Eub�e, le Messapios, le roc du Cith�ron, l�Epiglancte, le mont d�Arachn� et Myc�nes.

 

� Et c�est l� l�indice, [�] le signal que mon �poux m�a lui-m�me transmis de Troie. � (Esch., Ag., 315-316)

 

Ce syst�me de fanaux permet la transmission d�un message sur une longue distance. M�me s�il n�a aucune intention secr�te, ce feu n�est compris que par ceux qui sont dans la confidence.

 

De nombreux exemples historiques attestent l�emploi des torches ou des lampes plac�es en des points strat�giques pour communiquer un ordre ou pour donner l�alerte. Dans l�Antiquit�, l�efficacit� de ce moyen de transmission est reconnue et, selon Polybe (X, 43, 2 et 4), la plupart des succ�s dans les combats sont redevables aux signaux de feu :

 

� Or parmi les moyens qui aident � la saisir [la r�ussite des entreprises], la plus grande efficacit� revient aux signaux de feu. [�] De sorte que dans les situations o� l�on a besoin de secours, c�est toujours contre toute attente qu�arrivent les renforts, gr�ce aux messages envoy�s au moyen de signaux de feu. �

 

Thucydide (III, XXII, 8) rapporte que durant la quatri�me ann�e de la guerre du P�loponn�se, les Plat�ens, fid�les alli�s des Lac�d�moniens, furent assi�g�s par les P�loponn�siens et les B�otiens[4]. Quelques-uns parmi les Plat�ens d�cid�rent de tenter de s��chapper de la ville assi�g�e pour se r�fugier � Ath�nes : alors qu�ils n�avaient plus qu�un mur � franchir, un fugitif provoqua la chute d�une tuile. L�alarme fut donn�e dans le camp des assi�geants. N�anmoins, l�obscurit� les emp�chait de discerner la nature du danger. De plus, les soldats qui �taient rest�s dans la ville entreprirent d�attaquer la partie de l�enceinte oppos�e � leurs camarades pour d�tourner l�attention des P�loponn�siens et des B�otiens. Alors que la plus totale confusion r�gnait en dehors de la ville, les assi�geants signal�rent � la ville de Th�bes que des assi�g�s avaient fui, la transmission du message se faisant  gr�ce � des torches :

 

� Mais les Plat�ens de la ville, eux aussi, agitaient sur leur rempart une quantit� de torches qu�ils avaient pr�par�es pr�cis�ment � cette fin, pour brouiller les signaux de feu des ennemis et emp�cher une intervention. � (Thuc., III, XXII, 8)

 

Voici un exemple tr�s instructif sur l�emploi des torches car il d�voile sa vuln�rabilit� : sa transmission peut �tre brouill�e par l�ennemi. Les Plat�ens avait d� observer longuement les assi�geants pour parvenir � cette fin.  Le stratag�me des Plat�ens rest�s d�fendre la ville fut couronn� de succ�s �tant donn� que les fugitifs parvinrent � franchir les lignes ennemies : ils se r�fugi�rent � Ath�nes. Ceux qui rest�rent dans la ville furent massacr�s en 427 av. J.-C.

 

Dans le m�me livre, Thucydide relate un �pisode qui prouve � quel point les torches pouvaient transmettre des informations tr�s pr�cises. Alors que les P�loponn�siens attaquaient les Corcyriens en 426 av. J.-C., des signaux de feu brandis pendant la nuit leur annonc�rent l�arriv�e de soixante navires ath�niens (Thuc., III, LXXX, 3). Se fiant � ce signal d�alerte, la flotte p�loponn�sienne leva l�ancre en toute h�te durant la nuit.

 

Polybe (X, XLII, 6-7) raconte qu�en 208 av. J.-C., Philippe de Mac�doine gagna D�m�trias en Magn�sie. Pour garder un oeil sur les activit�s de ses alli�s, il ordonna qu�on l�informe de tout au moyen de signaux de feu transmis jusqu�au mont Tisa�on en Thessalie. Cet exemple montre d�une part que les Anciens semblent avoir pu v�hiculer un grand nombre d�informations gr�ce aux torches, d�autre part que la capacit� des signaux lumineux � se jouer des distances faisait de ces moyens de communication un alli� du pouvoir tr�s puissant.

 

Corn�lius N�pos expose un �v�nement savoureux de l�histoire antique car il montre que l�usage des signaux lumineux dans l�Antiquit� pouvait provoquer des malentendus� En effet, lors de l�exp�dition punitive orchestr�e par Ath�nes en 489 av. J.-C. pour mater les �les qui avaient pr�t� main-forte aux Perses lors de leur invasion, l��le de Paros repoussa toute offre de r�conciliation. Face � ce comportement, l�arm�e ath�nienne command�e par Miltiade entreprit le si�ge de la ville. Alors que Paros commen�ait � c�der, un incendie se d�clara pendant la nuit dans un bois du continent.

 

� La flamme fut aper�ue � la fois des habitants et des assi�geants et fit croire aux uns et aux autres que c��tait un signal donn� par les marins du grand roi. � (N�p., Mil., VII, 3- 4)

 

La vision de ce feu redonna du courage aux assi�g�s tandis que Miltiade, redoutant de tomber sur la flotte royale, rentra � Ath�nes o� il fut accus� de trahison et condamn� � une amende. Il mourut peu apr�s dans une prison.

 

Lucain (39-65 apr. J.-C.) nous apprend que lors de la guerre civile, Jules C�sar, de retour � son campement, s�aper�ut qu�un combat y faisait rage lorsqu�il vit que le signal du combat � une torche � �tait accroch� au sommet d�une tour de guet (Chapot, Signum, 1918, p. 1335).

 

� � peine C�sar s��tait-il aper�u du combat que r�v�la un feu allum� au sommet du signal [�] � (Luc., VI, 278-279)

 

Dans cet exemple, la torche pourrait �tre compar�e � un �tendard. Elle est le symbole du combat qui se d�roule � ses pieds, elle est aussi un signe de ralliement.

 

La lecture du patrimoine litt�raire grec et latin d�voile un tr�s grand nombre d�exemples de messages envoy�s � l�aide de torches. La m�thode utilis�e ne diff�re pas des passages qui viennent d��tre analys�s : la plupart indiquent que, gr�ce � ces signaux lumineux, les populations sont inform�es de l�arriv�e imminente de l�ennemi (Thuc., II, XCIV, 1 ; Thuc., VIII, CII, 1. ; H�rod., VII, 183 ; C�sar, Gaules, XXXIII, 3). Nous savons aussi que pour communiquer de jour comme de nuit, il �tait courant d�utiliser la fum�e le jour et le feu la nuit pour plus de performance dans la communication[5].

 

Petit � petit, les Grecs ont d�velopp� des proc�d�s plus complexes fonctionnant entre cit�s ou d�une �le � l�autre (Wrixon, 2000, p. 22).  �n�e le Tacticien et Polybe ont tous les deux mis au point un syst�me de transmission tr�s structur� sur base de torches.

 

�n�e le Tacticien a invent� une technique de communication combinant le feu et l�eau qui nous est parvenue gr�ce au t�moignage de Polybe (X, XLIV) puisque l�ouvrage d��n�e concernant les signaux de feu a quant � lui disparu. Le syst�me con�u par �n�e peut �tre rapproch� du principe de la clepsydre (Debidour, 2002, pp. 194-195). Pour transmettre un message, deux groupes, compos�s chacun au minimum de deux hommes (Wrixon, 2000, pp. 423-424), disposent d�un c�t� comme de l�autre d�un mat�riel construit pour ce type de transmission. Il s�agit de deux r�cipients en terre cuite parfaitement identiques en diam�tre et en hauteur : chaque vase mesure 1,35 m sur 0,45 m environ. La base des vases est perc�e d�un trou de grosseur parfaitement identique pour chacun des r�cipients.  Alors que ce trou est bouch�, les deux r�cipients sont remplis d�un m�tre d�eau. Dans chacun des vases, les soldats disposent sur l�eau un bouchon de li�ge en guise de flotteur. Fich�e verticalement sur ce bouchon, une baguette est grav�e sur toute sa longueur d�une succession de termes militaires plac�s � un distance d�termin�e les uns des autres. Ces termes militaires repr�sentent des �v�nement possibles en temps de guerre (Chapot, Signum, 1918, p. 1335).

 

� Comme par exemple, sur la premi�re, �cavaliers arriv�s dans le pays�, sur la seconde, �fantassins lourds�, sur la troisi�me, �fantassins l�gers�, ensuite �fantassins avec cavaliers�, puis �navires�, apr�s quoi �bl�, et ainsi de suite. � (Pol., X, 44, 5-6)

 

Voici une repr�sentation de ce syst�me, tir�e de Wrixon, 2000 p. 424 :

 

 

                                                                

 

 

 

Lorsqu�un des �v�nements inscrits sur la baguette se produit, des simples mouvements de torches suffiront pour que les groupes entrent en contact. Une fois que les deux groupes ont �tabli un contact, ils masquent les torches. � partir de ce moment, les trous des deux r�cipients sont d�bouch�s. Par cons�quent, les bouchons de li�ge s�abaissent en m�me temps que le liquide. Lorsque le terme militaire vis� par un des deux groupes atteint le bord sup�rieur du r�cipient, l�op�rateur agite � nouveau sa torche pour transmettre au second groupe l�ordre de boucher l�orifice du vase. Les destinataires s�ex�cutent et n�ont plus qu�� lire les termes inscrits sur leur baguette. Mais comme le fait remarquer Polybe (X, XLIV, 13), � ce sera l��v�nement signifi�, si tout est fait � la m�me vitesse de part et d�autre �.

 

Polybe ne se limite pas � la description du syst�me invent� par �n�e, il critique amplement ses faiblesses. Par exemple, il fustige l�impossibilit� de transmettre une autre r�alit� que celles qui sont pr�sentes sur la baguette :

 

� Il fallait faire le n�cessaire au moyen de signaux convenus, pr�alablement d�finis ; mais comme les �v�nements sont ind�finis, la plupart sortaient du cadre d�utilisation des signaux de feu. � (Pol., X, XLIII, 6)

 

Le syst�me d��n�e n�cessitait une am�lioration : Polybe proposa un syst�me plus performant. Une technique de transmission bas�e sur la m�thode de Kl�ox�nos et D�mokle�tos mais perfectionn�e par Polybe. Elle a �t� largement explicit�e pr�c�demment dans la substitution monoalphab�tique � repr�sentations multiples (cfr supra, chap. I). Il s�agit du carr� de Polybe ou du carr� de 25. Selon l�explication de Polybe (X, XLV, 6-XLVII ), le syst�me de transmission est bas� sur un syst�me de conversion des lettres par mouvements de torches. Les lettres de l�alphabet sont dispos�es dans un carr� de vingt-cinq cases (Chapot, Signum, 1918, p. 1335). Elles y sont r�parties en cinq groupes de cinq lettres dispos�es en colonnes et en rang�es. Pour transmettre un message, il suffisait de lever des torches � gauche pour indiquer la colonne et des torches � droite pour indiquer la rang�e.

 

Ce proc�d� de communication qui avait au d�part l�unique objectif de transmettre des messages devint un syst�me cryptographique qui se perfectionna au fil des si�cles. Cette technique de transmission �volua ainsi pour devenir une technique cryptographique. Cette �volution vient peut-�tre du fait que son syst�me, par sa nature et sa complication, garantit la protection d�une communication vis-�-vis des regards indiscrets. En effet, durant l�Antiquit�, m�me si un ennemi pouvait observer les signaux �chang�s avec cette m�thode, il aurait sans doute eu besoin de temps pour en comprendre la signification.

 

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IV. Les avanc�es de la technique

L�exploitation des signaux qu�ils soient � mains, � bras, par pavillons, lumineux, pyrotechniques, m�caniques ou �lectroniques n�a pas cess� de cro�tre depuis l�Antiquit�. Les experts de la signal�tique se sont adapt�s aux diverses �volutions techniques : la signalisation est rest�e par cons�quent un moyen de communication performant et fort pris�.

 

 Au XVIIe si�cle, l�invention du t�lescope va r�volutionner l�univers de la transmission des signaux visuels. Forts de ce nouveau champ de vision, les militaires r�adaptent les signaux par torches (Wrixon, 2000, p. 396). Au XVIIIe si�cle, les m�canismes r�flecteurs sont remplac�s par la t�l�graphie. Petit � petit, la radio, le t�l�phone, les torches �lectriques et bien d�autres sont autant de nouveaux syst�mes qui bouleversent l�univers de la signalisation (Wrixon, 2000, p. 397). D�sormais, les signaux �lectroniques ont supplant� tous les autres vecteurs signal�tiques.

 

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C. Conclusion du chapitre

Au travers de notre troisi�me chapitre, nous avons voulu pr�senter des proc�d�s omnipr�sents dans l�histoire antique. Ces techniques sont quelque peu oubli�es par les historiens alors qu�elles t�moignent d�une facette importante et riche de la strat�gie militaire dans l�Antiquit�.

 

Nous avons vu que, dans la plupart des cas, les informations v�hicul�es par ce type de transmission sont d�terminantes pour l�issue d�un combat et exigent une ob�issance imm�diate. Mais, par rapport � la st�ganographie et � la cryptographie, beaucoup d��l�ments peuvent ici brouiller la communication entre l��metteur et le destinataire : la signalisation est un proc�d� fragile. Les conditions m�t�orologiques (brume, vent), l�incompr�hension ou des ennemis qui �l�vent d�autres torches sont autant d��l�ments qui mettent � mal ces proc�d�s signal�tiques.

 

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Conclusion g�n�rale

 

 

� L�envie de p�n�trer les secrets est profond�ment ancr�e dans l��me humaine � m�me le moins curieux des esprits s�enflamme � l�id�e de d�tenir une information refus�e � d�autres. Certains ont la chance d�exercer un m�tier qui leur demande d��lucider des myst�res, mais la plupart d�entre nous sont r�duits, pour satisfaire � ce besoin, � r�soudre des casse-t�te artificiels, invent�s pour notre distraction. Les romans policiers et les mots crois�s suffisent au plus grand nombre, la r�solution des codes secrets peut �tre la qu�te de quelques-uns. �

John Chadwick, Le d�chiffrement du lin�aire B.

 

 

L�objectif de ce travail �tait double. Dans un premier temps, il s�agissait de faire d�couvrir l�univers des messages secrets dans l�Antiquit� et de montrer son importance dans l�histoire tant grecque que romaine. Dans un second temps, il consistait � souligner l�impact des inventions des populations antiques sur l�usage actuel des disciplines cryptographique, st�ganographique et signal�tique.

 

Nous avons atteint le premier objectif de notre travail lorsque nous constatons qu�au terme de ce m�moire, il est impossible de nier la place importante qu�occupe la science du secret dans le monde antique. Les Grecs et les Romains n�ont pas cess� d�innover dans les domaines cryptographique, st�ganographique ou signal�tique. Ces trois disciplines ont fait l�objet d�une perp�tuelle r�flexion, comme l�attestent le chiffre de Jules C�sar, le carr� de Polybe et la signalisation par torches con�ue par �n�e le Tacticien. Ces trois disciplines �taient en effet les seuls moyens de communiquer en toute s�curit� durant l�Antiquit�. Depuis Hom�re au VIIIe si�cle av. J.-C., les inventeurs eux-m�mes (�n�e le Tacticien, C�sar, Polybe) mais aussi les historiens, les politiciens, les strat�ges comme les trag�diens se sont faits l'�cho de techniques plus ing�nieuses les unes que les autres. Une des donn�es essentielles � retirer de ce travail serait les r�percussions de cette culture du secret sur l�histoire de ces civilisations, comme par exemple lors des guerres m�diques.

 

La premi�re partie de ce m�moire concernait les techniques cryptographiques : nous avons pu constater que les chiffres et les codes �taient bien repr�sent�s durant l�Antiquit�.

 

Le chiffrement se r�partit en deux disciplines diff�rentes selon les proc�d�s utilis�s : la substitution et la transposition. Le chiffrement  par substitution nous a entra�n�e dans des techniques qui allaient de la simplicit� �vidente (le principe de substitution monoalphab�tique symbolique d��n�e le Tacticien) aux syst�mes plus complexes (la substitution par simple d�calage de C�sar et la substitution monoalphab�tique � repr�sentations multiples de Polybe). Le chiffrement par transposition �tait repr�sent� dans l�Antiquit� avec la scytale lac�d�monienne qui n�a cess� d�alimenter non seulement la litt�rature antique � depuis Archiloque au VIIe si�cle av. J.-C. � l�Etymologicon Magnum au VIIe si�cle apr. J.-C.�  mais aussi les d�bats modernes.

 

Le code trouve quant � lui sa premi�re mention dans l�Iliade d�Hom�re. Ensuite, nous avons vu que les sources antiques d�crivent �galement un curieux code sans message utilisant la symbolique de la nature. Enfin, le constat le plus flagrant de la protection d�une missive par un code se retrouve dans les diff�rents noms de code utilis� par Cic�ron pour correspondre en toute sinc�rit� avec son ami Atticus.

 

N�anmoins, si la cryptographie a toujours eu une place importante dans l�Antiquit�, elle �tait supplant�e par la st�ganographie, discipline qui constitue le deuxi�me chapitre de ce travail. �n�e le Tacticien y a consacr� un chapitre entier traitant autant des s�magrammes que des codes camoufl�s, proc�d�s qui appartiennent � la st�ganographie linguistique. Il n�omet pas pour autant de d�crire quelques proc�d�s relevant de la st�ganographie technique : les camouflages physiques. L�ing�niosit� en la mati�re semble ne s��tre jamais tarie comme l�atteste le grand nombre de sources antiques traitant de ce sujet. D�autres auteurs tels que Pline l�Ancien, Ovide ou Ausone exposent l�autre facette de la st�ganographie technique � savoir les encres sympathiques.

 

La troisi�me partie de ce m�moire a �t� consacr�e � la transmission rapide d�informations via la signalisation. Qu�ils soient manuels, maritimes ou lumineux, ces signaux ont �t� omnipr�sents durant l�Antiquit�. Ils pouvaient �tre aussi bien d�une simplicit� d�sarmante que le fruit d�une m�re r�flexion (�n�e le Tacticien, Polybe).

 

Au terme de ce voyage � travers les r�cits des Anciens, comment ne pas r�sister � citer Rabelais (repris de Kahn, 1980, p. 336-337) qui, dans une parodie de la cryptologie antique, nous entra�ne dans l�univers des messages secrets. Il r�v�le, par sa connaissance, l�incroyable richesse des sources antiques.

 

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*

�[Pantagruel] re�ut d�une dame de Paris (laquelle il avait entretenue bon espace de temps) une lettre inscrite au dessus :

Au plus aim� des belles et moins loyal des preux,

P.N.T.G.R.L.

Quand Pantagruel eut lu l�inscription, il fut bien �bahi et, demandant au dit messager le nom de celle qui l�avait envoy�, ouvrit la lettre et rien ne trouva dedans l��crit, mais seulement un anneau d�or avec un diamant en table [=taill� � plat, sans facette]. Lors appela Panurge et lui montra le cas.

A quoi Panurge lui dit que la feuille de papier �tait �crite, mais c��tait par telle subtilit� que l�on n�y voyait point d��criture.

Et pour le savoir, la mit aupr�s du feu, pour voir si l��criture �tait faite avec du sel ammoniac d�tremp� en eau,

Puis la mit dans l�eau, pour savoir si la lettre �tait �crite du suc de tithymalle [sorte d�euphorbe].

Puis la montra � la chandelle, pour voir si elle �tait point �crite du jus d�oignons blancs.

Puis en frotta une partie d�huile de noix, pour voir si elle �tait point �crite de lexif de figuier [lessive de cendres de figuier ].

Puis en frotta une part de lait de femme allaitant sa fille premi�re n�e, pour voir si elle �tait point �crite de sang de rubettes [crapauds].

Puis en frotta un coin de cendres d�un nid d�hirondelles, pour voir si elle �tait �crite de ros�e qu�on trouve dans les pommes d�Alicacabut [Physalis].

Puis en frotta un autre bout de la sanie des oreilles, pour voir si elle �tait �crite de fiel de corbeau.

Puis la trempa en vinaigre, pour voir si elle �tait �crite de lait d��purge [sorte d�euphorbe].

Puis la graissa d�axunge [graisse] de chauve-souris, pour voir si elle �tait �crite avec sperme de baleine qu�on appelle ambre gris.

Puis la mit tout doucement dans un bassin d�eau fra�che et soudain la tira, pour voir si elle �tait �crite avec alun de plume.

Et voyant qu�il n�y connaissait rien, appela le messager et lui demanda :

� Compagnon, la dame qui t�a ici envoy� t�a-t-elle point baill� de b�ton pour apporter ? �, pensant que fut la finesse que met Aulu-Gelle.

Et le messager lui r�pondit � Non, Monsieur. �

Alors Panurge lui voulut faire raire [raser] les cheveux, pour savoir si la dame avait fait �crire avec fort moret [sorte d'encre] sur sa t�te rase ce qu�elle voulait mander, mais voyant que ses cheveux �taient fort grands, il d�sista, consid�rant qu�en si peu de temps ses cheveux n�eussent cr� si longs.

Alors dit Pantagruel :

� Ma�tre, par les vertus de Dieu, je n�y saurais que faire ni dire. J�ai employ�, pour conna�tre si rien y a ici �crit, une partie de ce qu�en met Messer Fransesco di Nianto, le Toscan, qui a �crit la mani�re de lire lettres non apparentes, et ce qu��crit Zoroaster, Peri Grammato acriton et Calphurnius Bassus, De literis Illegibilibus [trois auteurs imaginaires] ;  mais je n�y vois rien et crois qu�il n�y a autre chose que l�anneau. Or le voyons. �

Lors, le regardant, trouv�rent �crit par dedans en h�breu :

lamah hazabthani

Dont appel�rent Epist�mon, lui demandant ce que c��tait � dire. A quoi il r�pondit que c��taient mots h�bra�ques signifiant : Pourquoi m�as-tu laiss�e ?

Dont soudain r�pliqua Panurge :

� J�entends le cas. Voyez-vous ce diamant ? C�est un diamant faux. Telle est donc l�exposition de ce que veut dire la dame :

� Dis, amant faux, pourquoi m�as-tu laiss�e ? �

 

Une partie de ce r�cit se r�f�re aux sources antiques, t�moin d�une part de l��rudition de Rabelais, d�autre part de la connaissance � cette �poque de la cryptologie antique. L�autre partie du texte n�est que pure invention : le sang de crapaud, le c�rumen, la graisse de chauve-souris ne font qu�alimenter le myst�re qui plane autour des messages secrets.

*

Le second objectif de ce m�moire visait � d�montrer que les cryptologues antiques ont jet� les fondements d�une science qui ne cessera de se d�velopper. En effet, nous avons vu que les cryptologues ult�rieurs ont employ� les techniques des Anciens en filigrane de leurs propres inventions m�me si les progr�s de la chimie, de l��lectronique, l��volution des math�matiques et le d�veloppement de l�informatique ont totalement boulevers� la soci�t� et ses techniques.

 

Au terme de ce travail, nous esp�rons avoir suscit� de l�int�r�t pour ces disciplines quelque peu oubli�es de l�Antiquit�. Alors que la cryptologie moderne se r�f�re � l�Antiquit� par des �on-dit�, nous avons pu r�pertorier en diff�rentes cat�gories les apports antiques dans ce domaine. Par cons�quent, nous avons pu d�montrer non seulement que les sources anciennes existent bien mais aussi qu�elles sont plus riches que ce que les cryptologues modernes imaginent.

 

En plus d�une pr�sentation des diff�rentes m�thodes en usage dans l�Antiquit� pour assurer la confidentialit� des missives, ce  m�moire se voulait �tre l�int�gration active de la culture classique dans le monde actuel : comment le pourrait-il mieux alors que le XXe si�cle pourrait �tre appel� l��re du chiffrement. En effet, les codes et les chiffres sont omnipr�sents dans notre environnement. L�universalit� de l�informatique et l�explosion du r�seau Internet en t�moignent ; de plus les informations quotidiennes font maintes fois mention des briseurs du code de la carte bancaire[6] ou du t�l�phone portable, des virus, de la s�curit� sur Internet. Mais en t�moigne aussi le d�cryptage le plus fondamental de l�histoire de l�humanit�, celui du g�nome humain. En effet, si nous avons principalement �tudi� la cryptologie dans le domaine de la guerre et de la diplomatie, � notre �poque, la m�decine doit interpr�ter le fruit du code originel de l�humanit� pour d�velopper les th�rapeutiques futures.

 

La s�curit� et la confidentialit� sont plus que jamais des imp�ratifs dans le domaine priv� comme dans le domaine public. Peu de personnes ont conscience que ces pr�occupations �taient aussi celles des Anciens et que la cryptologie, cette sp�cialit� �sot�rique, peut revendiquer � une certaine �chelle une histoire trouvant ses racines il y a de cela plus de vingt si�cles.

 

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NOTES

  

[1] C�est � la suite de cet �chec que les Parth�niens fond�rent en 706 av. J.-C. la colonie de Tarente. [Retour au texte]

 

[2] Gaius Scribonius Curion a mentionn� cette conjuration dans ses �dits (Su�t., C�sar, IX, 2). Selon T. R. S. Broughton, vol. II (1984), p. 92, ce magistrat fut consul en 76  av. J.-C. Homme politique actif dans les ann�es soixante � cinquante, il fut un farouche opposant de C�sar. Il mourut en 53 av. J.-C.

 

[3] Selon P. Mazon, Eschyle  (1961), p. 20, note 1, des vers lacunaires indiquaient probablement encore un relais.

 

[4] Polyn, VI, XIX, 2 raconte le m�me �pisode.

 

[5] Frontin, II, V, 16 ; Y. Renouard, � L�information et la transmission des nouvelles avant l��ge du cheval �, dans  Samaran C., L'Histoire et ses m�thodes (1961), p. 98.

 

[6] Patarin J., � La cryptographie des cartes bancaires �, dans Pour la science, n� 36. L�art du secret (2002), p. 66-68. [Retour au texte]

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FEC - Folia Electronica Classica (Louvain-la-Neuve) - Num�ro 8 - juillet-d�cembre 2004

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